ÉTUDE SUR LA CONSCIENCE Par Annie BESANT - 1904

CHAPITRE II — LA CONSCIENCE 1 — CE QUE SIGNIFIE CE MOT

CHAPITRE II

LA CONSCIENCE


1

CE QUE SIGNIFIE CE MOT


Cherchons d'abord ce que signifie ce mot, "conscience", et voyons si nous pouvons trouver le trait d'union entre la conscience et la matière, ce trait d'union tant cherché et qui fait le désespoir de nos penseurs modernes : voyons si nous ne pouvons franchir l'abime qui, dit-on, séparera toujours la conscience et la matière. Avant tout, définissons les termes.
Conscience et Vie sont synonymes et servent à désigner une seule et même chose, selon qu'on considère cette chose du dedans ou du dehors. Il n'y a pas de Vie sans Conscience et pas de Conscience sans Vie. Si nous essayons de les séparer par la pensée, et que nous analysions ensuite notre essai, nous verrons que nous avons appelé Vie la Conscience tournée vers l'intérieur et Conscience la Vie dirigée vers l'extérieur. Si notre attention se porte sur l'unité, nous disons "Vie" ; si elle se porte sur la multiplicité, nous disons "Conscience" ; et nous oublions que la multiplicité est due à la matière, qu'elle est l'essence même de cette matière, la surface [32] réfléchissante dans laquelle l'unité devient la multiplicité. Lorsque nous disons que la "vie" est "plus ou moins consciente", nous ne voulons pas parler de cette abstraction qu'est la vie ; ce que nous avons dans l'idée c'est une chose vivante qui est plus ou moins consciente de ce qui l'entoure. Et cette chose vivante est plus ou moins consciente selon que son enveloppe – qui fait d'elle une chose séparée du reste – est plus ou moins épaisse, plus ou moins dense. Supprimez par la pensée cette enveloppe, ce voile, et vous supprimez en même temps la vie ; et vous vous trouvez face à face avec "Cela", le Tout, en qui se résolvent tous les opposés.
Ceci nous mène à la remarque suivante : l'existence de la Conscience implique la séparation en deux aspects de l'Unité fondamentale qui est à la base de tout.
Le terme "aperception" qui a été récemment appliqué à la conscience implique la même idée.
En effet, il est impossible de concevoir la Conscience en elle-même, suspendue pour ainsi dire dans l'espace.
L'idée de conscience implique forcément la présence de quelque chose dont elle est consciente ; il faut au moins une dualité, sans cela la conscience n'existe pas. Cette dualité réside au fond de toute idée de conscience, si abstraite qu'elle soit. La conscience cesse d'exister si l'on supprime cette idée des limites, car son existence même en dépend. La conscience est essentiellement une conscience de "limite", elle ne devient qu'en second lieu "conscience d'autrui", des choses environnantes. La conscience d'autrui n'apparait qu'avec ce qu'on appelle la "Soi-Conscience". [33]
Le "Deux dans l'Un", conscience-limite, esprit-matière, vie-forme, sont des termes dont les deux parties constituantes sont inséparables ; elles apparaissent et disparaissent simultanément, et n'existent qu'en relation l'une avec l'autre ; elles se résolvent en une Unité, nécessairement non manifestée, la synthèse suprême.
"En haut comme en bas" : ce qui est "en bas" va encore une fois nous venir en aide et nous aider à comprendre. Examinons la Conscience telle qu'elle nous apparait du point de vue de la forme, telle que nous la trouvons dans un univers de choses conscientes. L'électricité se manifeste sous deux formes : l'électricité positive et l'électricité négative. Lorsqu'elles se neutralisent l'électricité disparait complètement. Dans toutes les choses il y a de l'électricité à l'état neutre, et on peut l'en faire sortir ; mais dans ce cas, elle n'apparaitra jamais sous la forme positive seule ou la forme négative seule ; elle se montrera toujours sous une forme particulière, composée de quantités égales de ces deux électricités, en opposition mutuelle et tendant toujours à s'unir pour disparaitre dans un néant qui n'est qu'apparent, car il est leur source commune.
Mais s'il en est ainsi, que devient cet abime dont nous parlions plus haut ? Quel besoin avons-nous de ce trait d'union qui doit nous permettre de le franchir ? La conscience et la matière s'influencent réciproquement, parce qu'elles sont les deux parties d'un même tout ; toutes deux apparaissent lorsqu'elles se séparent l'une de l'autre, toutes deux disparaissent lorsqu'elles s'unissent ; et lorsqu'elles se séparent l'une de l'autre, il y [34] a toujours une relation entre elles 18. Une unité de conscience qui ne serait pas formée de 18 Cette relation est magnétique, mais d'un magnétisme extrêmement subtil, nommé Fohat ou Daivîprakriti. "La lumière du Logos". Il tient de la substance et c'est en lui qu'on trouve l'essence de la conscience et l'essence de la matière, polarisées, mais non pas séparées l'une de l'autre.
cette dualité inséparable – tel un aimant dont les deux pôles sont continuellement en rapport l'un avec l'autre – serait une chose totalement impossible. Nous imaginons une chose que nous nommons "conscience" et nous nous demandons ensuite comment elle agit sur une autre chose, séparée elle aussi, que nous nommons matière. Mais ces deux choses que nous imaginons séparées n'existent pas, ne peuvent pas exister. Ce sont simplement deux aspects de Cela, écartés l'un de l'autre et non séparés. Sans eux, Cela est non-manifesté ; et, ne pouvant Se manifester dans l'un des deux à l'exclusion de l'autre, Il se manifeste dans les deux également – il n'y a pas d'endroit sans envers, d'inférieur sans supérieur, de dehors sans dedans, pas d'esprit sans matière.
Ils s'influencent mutuellement parce qu'ils sont les deux parties inséparables d'une unité qui se manifeste comme dualité dans le temps et l'espace. Cet abime dont nous parlions n'existe que lorsque nous voulons parler d'un esprit tout à fait immatériel ou d'un corps absolument matériel – deux choses qui n'existent pas en réalité. Il n'y a pas d'esprit qui ne soit enveloppé de matière, ni de matière qui ne soit animée par l'esprit. Le Soi séparé le plus élevé a lui-même son enveloppe et, bien que nous appelions ce Soi séparé "un esprit" – parce que la [35] conscience y prédomine – il n'en est pas moins vrai que, lui aussi, a son enveloppe de matière vibrante et que c'est de cette enveloppe qu'émanent toutes les impulsions qui viennent influencer successivement toutes les autres enveloppes de matière plus dense.
Et nous ne cherchons pas ici à matérialiser la conscience en quoi que ce soit ; nous voulons simplement montrer que ces deux opposés primitifs – conscience et matière – sont en réalité intimement liés l'un à l'autre ; jamais ils ne sont séparés, même dans l'Être le plus évolué. Matière est synonyme de limite, et sans limite il n'y a pas de conscience. Loin de matérialiser la conscience, notre théorie la distingue nettement – en tant que "concept" – de la matière ; mais elle reconnait aussi le fait que – en tant qu' "entité" – l'une ne va pas sans l'autre. La matière la plus dense, la matière physique, a, elle aussi, son centre de conscience ; gaz, lierre, métal, tout est vivant, tout est conscient, tout a connaissance de ce qui l'entoure. Ainsi l'oxygène à une certaine température reconnait la présence de l'hydrogène et se combine vivement avec lui.
Considérons maintenant la conscience lorsqu'elle se dirige du dedans au dehors, et voyons quel est le sens de cette phrase : "Matière est synonyme de limitation."
La Conscience est la réalité au sens le plus large du mot. Il s'ensuit que toute réalité, quelle qu'elle soit, est un produit de la conscience. Donc, tout ce qui peut être "pensé" est. Nous appelons Conscience absolue cette conscience qui renferme en elle-même toutes les choses possibles ou réelles ; réelle signifie ici toute chose dont l'existence est "pensée" – par une unité [36] de conscience séparée – dans le temps et l'espace ; et possible, toute chose qui n'est pas ainsi pensée à un certain point de l'espace ou à une certaine période de temps. Cette Conscience absolue, c'est le Tout, l'Éternel, l'Infini, l'Inchangeable. La conscience – lorsque nous avons à l'idée le temps et l'espace, et voyons toutes les choses comme existant en eux – devient la Conscience universelle, l'Un, appelé par les Indous Saguna Brahman, l'Éternel avec des attributs, le Pratyag-Atmâ, le Soi intérieur, le Dieu des Chrétiens, Ormuzd chez les Parsis, Allah pour les Musulmans. Lorsque la conscience s'exerce dans un temps défini – long ou court – ou dans un espace déterminé – vaste ou restreint – c'est la conscience individuelle. C'est la conscience de l'être concret, la conscience du Seigneur d'un grand nombre d'univers, de quelques univers, d'un seul univers ou même simplement d'une portion quelconque d'un univers, portion qui, étant "sienne", devient pour Lui un univers – tous ces termes varient en importance suivant le pouvoir de la conscience : la quantité, la portion de la Pensée universelle, qu'une conscience séparée peut assimiler complètement, sur laquelle elle peut imposer sa propre réalité, qu'elle reconnait exister "comme elle-même", devient son univers.
À chaque univers, l'Être qui le gouverne donne une partie de Sa propre Réalité ; mais Lui-même est toujours limité et contrôlé par la pensée de son supérieur, le Seigneur de l'Univers dans lequel Il existe, Lui, comme forme. Ainsi nous, êtres humains qui vivons dans un système solaire, nous sommes entourés de tous côtés par des formes qui sont les formes-pensées du [37] Seigneur de notre système, notre Ishvara, "le Gouverneur".
La "divine mesure" et les "axes de croissance" nés dans la pensée du Troisième Logos, gouvernent les formes de nos atomes ; et la surface, que Sa pensée a donnée comme limite et comme enveloppe résistante à l'atome, présente une résistance à tous les autres atomes du même genre. Ainsi la matière dont nous sommes formés nous a été donnée et nous ne pouvons pas la changer à moins d'employer les méthodes que Sa pensée a créées, elles aussi ; les atomes, et tout ce qui en est composé, ne peuvent durer qu'aussi longtemps que dure Sa pensée – car ils n'ont pas d'autre réalité que celle que Sa pensée leur donne. Aussi longtemps qu'Il les conserve, comme étant Son propre corps, déclarant : "Je suis Cela, ces atomes sont mon corps et partagent ma vie", ils s'imposeront comme réalité, dans un Système solaire, à tous les êtres ayant une enveloppe semblable.
Lorsque, à la fin du Jour de la Manifestation, Il déclare : "Je ne suis pas Cela ; ces atomes ne sont plus mon corps ; ils ne partagent plus ma vie", ils s'évanouiront alors comme un rêve, car ils ne sont qu'un rêve, et de tout cela il ne restera que ce qui constituera la forme pensée du Monarque d'un système plus grandiose. Ainsi, en tant qu'Esprits, nous sommes essentiellement et indestructiblement divins, avec toute la splendeur, toute l'indépendance qu'implique ce mot. Mais nous nous trouvons enveloppés d'une matière qui n'est pas la nôtre, une matière tirée des formes-pensées de Celui qui gouverne notre Système – et qui est gouverné lui-même par les Seigneurs de Systèmes plus [38] importants dont le nôtre fait partie – et nous apprenons, peu, à peu, à nous servir de cette matière afin d'en devenir maitres. Lorsque nous aurons réalisé notre unité avec le Seigneur, la matière n'aura plus de pouvoir sur nous, et nous la verrons dans toute son irréalité, soumise à Sa volonté, qui alors sera devenue aussi la nôtre. Nous pourrons nous jouer alors de cette matière qui, aujourd'hui, nous aveugle de sa réalité d'emprunt.
En examinant ainsi la conscience venant de l'intérieur, nous voyons encore plus nettement qu'en l'examinant du point de vue des formes, qu'il n'existe pas en réalité d'abime et que le trait d'union cherché est inutile.
La conscience change, et chaque changement apparait dans la matière environnante sous forme de vibrations, parce que le Logos a décidé dans Sa pensée que la résultante invariable d'un changement dans la conscience serait une vibration dans la matière. Comme la matière n'est que le produit de la conscience et que ses attributs lui sont imposés par la Pensée active, il s'ensuit que le moindre changement dans la conscience du Logos entraine un changement dans les attributs de la matière du Système ; et de même, tout changement dans une conscience dérivée de Lui se traduit par un changement dans cette matière. Ce changement dans la matière est une vibration, un mouvement rythmique entre les limites qu'Il a imposées à la mobilité des masses de matière. Le changement dans la conscience et la vibration dans la matière, qui l'entoure et la lignite, forment un couple que la pensée du Logos a imposé dans Son Univers à toute conscience incorporée. L'existence de cette [39] relation constante nous est démontrée par le fait que toute vibration dans une enveloppe matérielle, accompagnant un changement dans la conscience qui anime cette enveloppe, donne naissance à une vibration semblable dans une enveloppe animée par une autre conscience, et produit dans cette seconde conscience un changement identique à celui qui s'était produit dans la première.
Dans une matière beaucoup plus subtile que la matière physique – la substance mentale par exemple – on se rend plus facilement compte du pouvoir créateur de la conscience. La matière devient plus dense ou plus subtile suivant les pensées de la conscience qui agit en elle. Bien que les atomes fondamentaux – dus à la pensée du Logos – demeurent intacts, ils peuvent cependant être combinés ou dissociés à volonté. Des expériences de ce genre nous permettent de comprendre la conception métaphysique de la matière, en même temps que sa réalité fictive, son non-être.
Il serait peut-être utile de mettre l'étudiant en garde contre une erreur qui se produit souvent lorsqu'on emploie des termes comme : conscience dans un corps, conscience animant un corps, etc. L'étudiant est porté à se figurer la conscience comme un gaz raréfié enfermé dans un réceptacle matériel, une bouteille en quelque sorte. S'il veut se donner la peine de réfléchir, il verra que la surface résistante d'un corps n'est qu'une forme-pensée du Logos, et n'EXISTE que parce qu'elle est PENSÉE. La conscience apparait sous la forme d'entités conscientes parce que le Logos pense ces entités séparées, ces enveloppes ; et ces pensées deviennent des limites. Ces pensées [40] du Logos sont dues à Son union, à Son unité avec le Soi universel, et ne sont qu'une répétition, dans les limites d'un univers particulier, de l'universelle volonté de multiplier.
Une analyse minutieuse de ces distinctions entre la Conscience absolue, la Conscience universelle et la Conscience individuelle, épargnera à l'étudiant ces questions si fréquentes : "Pourquoi y a-t-il un univers ? Pourquoi la Conscience absolue s'impose-t-elle des limites à Elle-même ? Pourquoi la Perfection devient-elle l'Imperfection, le Pouvoir absolu l'Impuissance ? Pourquoi Dieu devient-il le minéral, l'animal, et l'homme ?" Sous cette forme, la question restera toujours sans réponse, car elle est basée sur des prémisses entièrement erronées. La Perfection est le tout, la totalité, la somme de l'Être. En son infinité se trouve contenu tout ce qui est, toute existence, potentielle aussi bien que réelle. Tout ce qui a été, est, sera ou pourrait être, se trouve dans cette plénitude, dans l'Éternel. Lui seul Se connait Lui-même dans la richesse infinie, inimaginable de Son Être. Il nous semble un vide parce qu'Il renferme en Lui toutes les paires d'opposés et que chaque paire, en s'affirmant elle-même, s'annihile et s'évanouit aux yeux de la raison ; mais comme des univers sans nombre naissent en Son sein, nous sommes obligés de reconnaitre qu'Il est une "plénitude" dans toute l'acception du mot. Cette Perfection ne devient jamais l'imperfection ; bien plus : elle ne DEVIENT jamais rien, car elle EST tout Esprit et toute matière, elle est la force et la faiblesse, l'ignorance et le savoir, la paix et la discorde, la félicité et la douleur, le pouvoir et l'impuissance : les innombrables opposés de la Manifestation [41] se fondent l'un dans l'autre et vont se perdre au sein de la Non-manifestation. Le "Tout" renferme en Lui-même et le Manifesté et le Non-Manifesté ; il est la diastole et la systole de ce Coeur qui est l'Être. Ni l'un ni l'autre n'a besoin d'être expliqué, car l'un ne va pas sans l'autre. Toute la confusion vient de ce que les hommes veulent à toute force affirmer la réalité de l'une, à l'exclusion de l'autre, les deux parties inséparables de ces paires d'opposés – l'Esprit, la force, le savoir, la paix, la félicité, le pouvoir – et demandent ensuite : "Pourquoi ces choses deviennent-elles leurs opposés ?" Elles NE LE DEVIENNENT PAS. Il n'y a pas d'attribut sans son opposé ; c'est seulement par paires que les attributs peuvent se manifester : tout endroit a un envers ; esprit et matière apparaissent toujours simultanément ; ce n'est pas que l'esprit existe là, tout seul, et tout d'un coup produise la matière pour se limiter et s'aveugler lui-même – non, l'esprit et la matière apparaissent ENSEMBLE dans l'Éternel comme un mode de Son Être, une forme d' "auto-expression" du Tout – Pratyag-Atmâ et Moûlaprakriti – exprimant dans le Temps et l'Espace ce qui est sans Espace et sans Temps.


2 — LES MONADES


Nous avons vu que sous l'action du Troisième Logos un terrain d'une quintuple nature a été formé pour permettre aux unités de conscience de se développer ; nous avons vu aussi qu'une unité de conscience est une portion, un fragment [42] de la Conscience universelle, dont la pensée du Logos fait une entité individuelle séparée, voilée par la matière, une entité de la substance du Premier Logos, qui doit être projetée dans le second plan comme Être séparé. On donne à ces unités le nom technique de Monades. Ce sont les Fils qui, depuis le commencement de l'Age de la Création, reposent dans le sein du Père, et qui n'ont pas encore été "rendus parfaits par la souffrance" 19. Chacun d'eux est en vérité "l'égal du Père par sa Divinité, mais inférieur à Lui par son humanité" 20 ; chacun d'eux doit passer par la matière "afin que toutes choses lui soient soumises" 21 ; il doit "être abaissé dans l'impuissance afin d'être élevé dans le pouvoir" 22. Logos "statique", renfermant en Lui-même toutes les potentialités divines, il doit devenir un Logos "dynamique" déployant tous Ses pouvoirs divins. Omniscient, omniprésent sur son propre plan – le second – mais inconscient, insensible sur tous les autres 23, il doit voiler sa gloire dans l'obscurité de la matière qui l'aveugle, afin de devenir responsif à toutes les vibrations de l'univers, non seulement à celles des plans supérieurs.

19 Ép. aux Hébreux.
20 Ép. aux Corinthiens.

L'étude de la vie et de la naissance embryonnaires nous fera peut-être mieux comprendre cette description, bien faible d'ailleurs, d'une grande vérité. [43]
Lorsqu'un Égo est sur le point de se réincarner, il sommeille au-dessus de la mère dans le sein de laquelle son corps futur, le véhicule qu'il habitera un jour, est en train de se construire. Ce corps est bâti peu à peu de la substance même de la mère et l'Égo ne peut guère en influencer la formation ; ce n'est qu'un embryon, tout à fait inconscient du sort qui l'attend, vaguement sensible au courant de vie qui lui vient de la mère, et impressionné par le moindre espoir, la moindre crainte, la moindre pensée ou le moindre désir de celle-ci. Rien de ce qui vient de l'Égo ne l'impressionne ; tout au plus, en ressent-il une faible influence qui lui arrive à travers l'atome physique permanent, et il ne partage pas – étant dans l'impossibilité d'y répondre – aucune des belles pensées, des nobles émotions que l'Égo exprime dans son corps causal. Il faut que cet embryon se développe, qu'il commence une vie indépendante ; et ce n'est qu'après sept années – comme nous les comptons ici-bas – de cette vie indépendante, que l'Égo peut enfin animer complètement l'enfant. Mais pendant que se poursuit lentement l'évolution de cette vie toute impuissante, pleine d'erreurs enfantines, partagée entre le plaisir et la douleur, l'Égo, auquel cette "vie" appartient, continue sa propre vie plus vaste, plus riche et, peu à peu, entre en contact plus intime avec ce corps qui lui est indispensable pour agir sur le plan physique ; ce contact intime se manifeste par la croissance de ce qu'on appelle la conscience cérébrale.

21 Crédo d'Athanase.
22 Ibid.
23 H. P. BLAVATSKY, Clef de la Théosophie. Voyez, p. 60 (6e édition) ce même principe, mais appliqué à un stade inférieur.

Les conditions dans lesquelles se trouve la Monade, lorsque sa conscience évolue dans un univers, sont à peu près les mêmes que celles [44] dans lesquelles se trouve l'Égo lorsqu'il entre en contact avec son nouveau corps physique. Son monde particulier est le deuxième plan, l'Anoupâdaka ; là elle est consciente ; là elle a la soi-conscience absolue de son monde à elle, mais au commencement elle n'est pas consciente des autres "Soi" parmi lesquels elle est un Soi séparé : elle n'est pas consciente d'autrui.
Voyons par quels stades successifs elle passe, elle est d'abord une étincelle dans la flamme : "J'ai la sensation d'une seule flamme, ô Gouroudeva. Je vois des milliers d'étincelles non détachées qui brillent en elle" 24. Cette flamme, c'est le Premier Logos, et les étincelles "non détachées" sont les Monades. Sa volonté de manifester est en même temps la leur, car ce sont des cellules, germes de Son propre corps, qui deviendront plus tard des vies séparées dans l'univers qu'Il va construire. Sous l'action de cette volonté, les étincelles prennent part à la transformation appelée la conception du Fils, passent ensuite dans le sein du Second Logos et demeurent en Lui. Puis, à mesure que le Troisième Logos avance dans son oeuvre, elles reçoivent de Lui l'individualité spirituelle dont parle H. P. Blavatsky ; c'est l'aurore de la séparation. Cependant, la conscience d'autrui est encore inutile pour réagir sous forme de conscience du "Moi". Les trois aspects de conscience – qui appartiennent en propre à ces étincelles, puisqu'elles partagent la Vie du Logos – sont toujours, symboliquement parlant, tournés vers l'intérieur, agissant l'un sur l'autre, endormis, [45] inconscients de l'extérieur et partageant la Soi conscience universelle. Les grands Êtres appelés les Ordres créateurs 25, les réveillent à la Vie extérieure ; Volonté, Sagesse et Activité s'éveillent à la conscience d'un extérieur, commencent à montrer une vague sensation d'autrui – autant qu'on puisse parler d'autrui dans un monde où toutes les formes se mêlent et s'interpénètrent – et chaque étincelle devient "un Dhyân Chohan individuel, distinct des autres" 26.

24 Catéchisme occulte, mentionné dans La Doctrine Secrète, I, 102.
25 Voyez Généalogie de l'Homme, chap. 1.
26 Doctrine Secrète, I, 260.

Au premier stade, dont nous avons parlé plus haut, lorsque les Monades sont encore non détachées – dans toute l'acception du mot 27 – comme des cellules-germes dans le corps du Premier Logos – la volonté, la sagesse et l'activité sont latentes dans ces Monades. Sa Volonté de manifester est aussi la leur, mais d'une façon inconsciente. Lui, conscient de Lui-même, voit clairement le but qu'Il doit atteindre et le sentier qu'Il doit suivre ; tandis qu'elles, dépourvues encore de la Soi-Conscience, renferment en elles – en tant que parties de Son corps – l'énergie animatrice de Sa volonté, et cette énergie, qui par la suite deviendra leur volonté de vivre, les pousse vers des conditions qui rendront possible pour elles la vie de soi-conscience séparée, au lieu de la vie de la soi-conscience universelle. Elles atteignent le second stade dans la vie du Deuxième Logos et arrivent au Troisième Logos. À ces Monades, dès lors comparativement séparées, l'impulsion des Ordres créateurs [46] apporte avec une vague conscience d'autrui et du Moi, un faible désir d'atteindre à une conscience du Moi et d'autrui plus claire, plus nettement définie : c'est la Volonté individuelle de vivre. C'est cette volonté qui les pousse à descendre sur des plans plus denses, les seuls sur lesquels elles pourront acquérir cette conscience plus nette.
Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que l'évolution du Moi individuel est une évolution voulue, choisie par ce Moi lui-même ; si nous sommes ici-bas, c'est que nous l'avons voulu ainsi ; c'est notre volonté de vivre qui nous y a poussés, et personne d'autre ne nous y a forcés.
L'aspect volonté de la Conscience sera étudié plus en détail dans les chapitres qui suivent ; ce qu'il faut retenir pour le moment, c'est que, dans leur descente dans les plans inférieurs de la matière, dans le champ de manifestation, le quintuple univers, les Monades agissent d'elles-mêmes, se déterminent elles-mêmes. Elles sont pour leurs véhicules ce que l'Égo est pour son corps physique ; leur vie radieuse et divine reste dans des régions plus sublimes et flotte, pour ainsi dire, au-dessus de ces véhicules inférieurs, se manifestant de plus en plus en eux à mesure qu'ils deviennent plus plastiques. "La Monade fait son cycle de descente dans la matière 28", dit H. P. Blavatsky.

27 C'est-à-dire n'ont pas d'individualité séparée. En réalité, elles demeurent toujours non attachées, sur les plans supérieurs, brillant toujours au sein de la Flamme.
28 Doctrine Secrète, I, 238.

Partout dans la Nature nous retrouvons cet effort vers une manifestation plus complète, partout nous retrouvons cette même volonté de vivre. La graine enfoncée dans le sol pousse vers la lumière son germe minuscule ; le bourgeon, [47] enfermé dans son enveloppe, brise les parois de sa prison pour s'épanouir au soleil et le petit poussin brise, lui aussi, la coquille qui l'emprisonne pour se baigner dans sa lumière vivifiante. Partout la vie cherche à s'exprimer ; partout les pouvoirs cherchent à se manifester. Voyez le peintre, le sculpteur, le poète : voyez comme le génie créateur lutte en eux ; créer est pour eux un plaisir transcendant, une joie indicible. Et cela nous montre encore une fois que la vie est partout : dans le Logos et dans l'homme de génie comme dans la créature la plus infime, la plus éphémère ; tous les êtres, toutes les choses se réjouissent du bonheur de vivre et c'est en se multipliant que tous sentent leur vie grandir. Sentir la vie s'exprimer elle-même, la voir se répandre partout en s'épanouissant et s'accroissant sans cesse, voilà le résultat de la Volonté de vivre et sa maturation dans la Félicité d'être.
Un certain nombre de Monades, désireuses de vivre au milieu des difficultés de l'univers quintuple afin d'asservir la matière et d'y créer des univers à leur tour, descendent dans cette matière où elles se développeront et deviendront des Dieux, de nouveaux arbres de vie, des nouvelles sources de l'Être.
La construction d'un univers constitue le Jour de l'Émanation. La Vie est un éternel Devenir, et c'est par le changement qu'elle arrive à se connaitre elle-même.
Quant aux Monades qui ne se sentent pas prises du désir d'asservir la matière afin de devenir des créateurs, elles demeurent dans leur félicité statique, en dehors de l'univers quintuple, complètement inconscientes des activités qui s'y déploient. Il faut se rappeler que les sept plans [48] s'interpénètrent mutuellement et la faculté de conscience sur un plan quelconque, donne naissance au pouvoir de répondre aux vibrations de ce plan. Ainsi, un homme peut très bien être conscient sur le plan physique, parce que son corps physique est organisé de telle façon qu'il est capable de recevoir et de transmettre toutes les vibrations de ce plan – et être cependant tout à fait inconscient des plans supérieurs, bien qu'il soit continuellement influencé par leurs vibrations, simplement parce qu'il n'a pas encore assez développé ses corps supérieurs pour qu'ils puissent recevoir et transmettre les vibrations de ces plans. De même la Monade, l'unité de conscience, peut parfaitement être consciente sur le deuxième plan et, malgré cela, être tout à fait inconsciente sur les cinq autres. Pour développer la conscience sur tous les plans, il faut que la Monade prenne un peu de la matière de chacun d'eux et, s'enveloppant de cette matière, s'en voilant pour ainsi dire, qu'elle en forme, une gaine grâce à laquelle elle pourra entrer en contact avec le plan ; il faut ensuite qu'elle organise graduellement cette gaine de matière et en façonne un corps capable de fonctionner sur son propre plan comme une expression parfaite d'elle-même. Ce corps transmet à la Monade les vibrations qui lui parviennent du plan et transmet à celui-ci les vibrations qu'il reçoit de la Monade. À mesure que la Monade s'enveloppe ainsi dans la matière de chaque plan successivement, elle se trouve obligée d'abandonner un peu de sa conscience ; tout ce qui, dans cette conscience, est trop subtil, pour recevoir ou produire des vibrations dans la matière d'un plan, est perdu pour elle. La Monade a en elle sept [49] pouvoirs vibratoires fondamentaux – chacun d'eux capable de donner naissance à une infinité de vibrations secondaires de son type particulier – et ces pouvoirs se trouvent paralysés, un à un, à mesure que s'accumulent les enveloppes de matière de plus en plus grossière. Ces pouvoirs qu'a la conscience de s'exprimer elle-même de certaines façons fondamentales – (pouvoir est employé ici dans son sens mathématique, conscience à la "troisième", à la "quatrième dimension") – apparaissent dans la matière sous forme de ce qu'on appelle dimensions. Ainsi, sur le plan physique, le pouvoir de la conscience s'exprime dans la matière de la "troisième dimension", tandis que, sur le plan astral ou le plan mental, il faut d'autres dimensions de la matière pour que ces pouvoirs puissent se manifester.
Lorsqu'il est question de Monades, on a souvent tendance à croire qu'il s'agit de quelque chose de très éloigné. Et cependant, la Monade est bien près de nous, car elle est notre Soi, la racine même de notre être, la source intérieure de notre vie, l'unique Réalité. Notre Soi est en vérité caché, non manifesté, enveloppé de ténèbres et de silence ; mais notre conscience est la manifestation limitée de ce Soi, le Dieu manifesté dans le cosmos de notre corps qui sont ses vêtements. De même que le Non-manifesté se trouve manifesté partiellement dans le Logos, en tant que Conscience divine, et dans l'univers en tant que corps du Logos 29 – de même, notre [50] Soi non manifesté se manifeste partiellement dans notre conscience comme Logos de notre système individuel, et dans notre corps comme univers dans lequel s'enveloppe la conscience. "En haut comme en bas."

29 "Dans l'illusion bruyante du temps, je travaille à tisser pour Dieu le vêtement que tu lui vois." Goethe.

Ce Soi caché – l'Unique en vérité – porte le nom de Monade. C'est de cette Monade que nous vient ce sentiment subtil d'unité, qui persiste en nous à travers toutes les transformations ; c'est en elle aussi que le sentiment de l'identité prend sa source : car elle est l'Éternel en nous. Les trois rayons qui émanent de la Monade – et que nous étudierons présentement – sont les trois aspects ou modes de son être – ou hypostases – qui reproduisent les Logoï d'un univers : la Volonté, la Sagesse et l'Activité, les trois expressions essentielles de la conscience incorporée, l'Atmâ-Bouddhi-Manas des Théosophes.
Cette conscience se comporte toujours comme une unité sur tous les plans, mais sur chacun d'eux elle montre la triplicité qui la compose. Si nous étudions la conscience sur le plan mental, nous verrons la Volonté apparaitre sous forme de choix, la Sagesse sous forme de discernement et l'Activité sous forme de connaissance. Sur le plan astral, la Volonté devient le désir, la Sagesse l'amour et l'Activité la sensation.
Sur le plan physique, la Volonté a pour instrument les organes moteurs (Karmendriyas) ; la Sagesse a les hémisphères cérébraux et l'Activité les organes des sens (jñânendriyas) 30. La manifestation complète de ces trois aspects de [51] la conscience, dans leur forme la plus élevée, a lieu pour l'homme dans le même ordre que la manifestation des trois Logos dans l'univers. Le troisième aspect, l'Activité – qui se révèle à nous sous forme d'intelligence créatrice accumulant les connaissances – est le premier à parfaire ses véhicules et à montrer toutes ses énergies. Le deuxième aspect, la Sagesse – la raison pure et compatissante – apparait ensuite ; c'est le Krishna, le Bouddha, le Christ dans l'homme. Le troisième aspect, la Volonté, est le dernier à se montrer ; il est le pouvoir divin du Soi ; la béatitude et la paix dans sa plénitude que rien ne saurait amoindrir.

30 Cette assignation n'est qu'une simple spéculation ; comme la matière est féminine, il semble que Sarasvâti, appartenant à Brahmâ, soit le symbole des Jñânendriyas, et Dôurgâ le symbole des Karmendriyas.