UNION

LES ENSEIGNEMENTS DES MAITRES DE LA HIERARCHIE

KARMA Par Annie BESANT - 1895

COMMENT LE KARMA PREND FIN

COMMENT LE KARMA PREND FIN


Le Karma nous amène à renaitre sans cesse et nous attache à la roue des naissances et des morts. Le bon Karma nous entraine aussi inexorablement que le mauvais, et la chaine forgée à l'aide des vertus attache aussi solidement, aussi étroitement que celle faite de nos vices. Aussi, comment arrêter la construction de cette chaine puisque l'homme doit penser et sentir tant qu'il vivra, et que les pensées et les sensations engendrent du Karma ? La réponse à cette question, c'est la leçon que nous trouvons dans la Bhagavad Gîtâ, la sublime leçon qui est enseignée au prince guerrier. Ce n'est ni à un ermite ni à un étudiant que cette leçon a été donnée, mais au guerrier qui [96] combat pour la victoire, au prince qui se débat au milieu des devoirs de son état.
Nous y voyons que ce n'est pas dans l'acte lui-même, mais dans le désir, dans l'attachement au fruit de l'action que réside la force qui lie. Une action est-elle accomplie avec le désir de jouir de son fruit, une règle de conduite est-elle suivie pour en obtenir les résultats ? L'Âme attend et la Nature est dans l'obligation de lui répondre ; elle a demandé, la Nature doit donner. De chaque cause dépend son effet, de chaque action, son fruit ; le désir est le lien qui les unit, le fil qui va de l'un à l'autre. Si ce fil pouvait être brulé, la liaison cesserait ; quand tous les liens du coeur sont brisés, l'Âme est libre, Karma ne peut plus la retenir alors ; Karma ne peut plus la lier ; la roue de la cause et de l'effet continue à tourner, mais l'Âme devient la vie libérée.
"Sans attachement, accomplis constamment l'action qui est le devoir ; car c'est en accomplissant l'action sans attachement que l'homme atteint vraiment le Suprême." 22
Pour parfaire ce Karma-Yoga, – ou, suivant [97] son vrai nom Yoga de l'action, – l'homme doit accomplir chaque oeuvre comme un devoir et tout faire en harmonie avec la loi. En cherchant à se conformer à la loi, quel que soit d'ailleurs le plan de l'existence où il est occupé, il tend à devenir une force agissant de concert avec la Volonté Divine pour travailler à l'évolution et aspirant à une obéissance parfaite dans toutes les phases de son activité. De cette façon, chacune de ses actions revêt le caractère du sacrifice ; elle est offerte pour aider à la révolution de la roue de la loi et non pour le fruit qu'elle pourra produire ; l'action est accomplie comme un devoir, le fruit en est donné avec joie pour aider le prochain, sans que celui qui agit s'en préoccupe ; le fruit appartient à la loi ; c'est à elle qu'il le laisse pour qu'elle le distribue.

22 Bhagavad Gîtâ, III, 19

Aussi lisons-nous :
"Celui dont toutes les entreprises sont exemptes des formes du désir, dont les actions sont consumées par le feu de la sagesse, celui-là est appelé un Sage par ceux qui sont déjà sages spirituellement.
Il a abandonné tout attachement au fruit de l'action ; toujours satisfait, il ne cherche refuge auprès de personne ; il agit et pourtant ne fait rien.
Délivré du désir, il contrôle ses pensées par le [98] Soi ; ayant abandonné tout attachement, il n'accomplit l'action que par le corps seul, et ne commet pas de péché.
Satisfait, quoi qu'il reçoive, impassible en présence des contraires, sans envie, conservant son équilibre en présence du succès comme de l'échec, il n'est pas lié, bien qu'il ait agi.
En effet, si l'attachement est mort en lui, si l'harmonie l'environne, si ses pensées sont fixées sur la sagesse, si ses oeuvres sont des sacrifices, l'action s'évanouit tout entière." 23
Le corps et l'esprit mettent en oeuvre toutes leurs activités ; le corps accomplit toute action corporelle, l'esprit, toute action mentale ; mais le soi demeure serein, paisible ; il ne prête rien de son essence éternelle pour forger les chaines du temps. L'action bonne n'est jamais négligée ; elle est accomplie fidèlement, dans toute l'étendue des pouvoirs existants, le renoncement au fruit n'impliquant ni paresse ni incurie dans l'acte.
"De même que l'ignorant agit par attachement pour l'oeuvre, ô Bhârata, que le sage agisse sans attachement, désirant le bienêtre de l'humanité. [99]

23 Bhagavad Gîtâ, IV, 19-23.

Qu'aucun homme sage ne trouble l'esprit du peuple ignorant, encore attaché à l'action ; mais que, agissant en harmonie (avec Moi), il rende toute action attrayante." 24
L'homme qui atteint cet état "d'inaction dans l'action" a appris le secret par lequel on met fin au Karma ; il détruit par la connaissance l'action qu'il a générée dans le passé, il neutralise l'action présente par le dévouement. C'est alors qu'il atteint l'état dont "Jean le Divin" parle dans sa Révélation, l'état dans lequel l'homme ne sort plus du temple pour aller dans les plaines de la vie ; mais arrive un temps où l'homme devient un pilier, "un pilier du temple de mon Dieu". Ce temple est l'Univers des Âmes libérées, et celles-là seules que l'intérêt personnel ne lie à rien peuvent être liées à tous au nom de la Vie Une.
Puis ces liens du désir, du désir personnel, ou plutôt individuel, doivent être brisés. Nous pouvons voir comment pourra commencer cette rupture ; et ici se présente une erreur dans laquelle sont exposés à tomber beaucoup de jeunes étudiants, erreur si naturelle et si facile qu'elle [100] apparait constamment. Ce n'est pas en essayant de tuer le coeur que nous briserons "les liens du coeur". Nous ne briserons pas les liens du désir en essayant de nous transformer en pierres ou en morceaux de métal incapables de sentir. Le disciple acquiert plus et non pas moins de sensibilité à mesure qu'il approche de sa libération ; il devient plus tendre, et non plus dur ; car "le disciple parfait qui est comme le Maitre", est celui qui répond à toute vibration de l'univers extérieur, qui est touché par toute chose et répond, qui ressent tout et répond à tout, et qui, précisément parce qu'il ne désire rien pour lui-même, est capable de tout donner à tous. Un tel homme ne peut être tenu par Karma, il ne forge aucun lien qui enchaine l'Âme. À mesure que le disciple joue de plus en plus dans le monde le rôle d'un canal pour la Vie Divine, il ne demande rien de plus que d'être ce canal, s'élargissant de plus en plus, pour laisser couler la grande Vie ; son seul désir est de devenir un réceptacle plus grand et de trouver en lui-même moins d'obstacles au déversement extérieur de la Vie. Ne travailler pour rien autre que pour servir, telle est la vie du disciple, vie dans laquelle les liens qui enchainent sont brisés. [101]
Cependant il y a un lien qui ne se brise jamais ; celui de cette unité réelle qui n'est pas un lien, car on ne saurait distinguer en lui un caractère séparé ; ce qui unit l'Un au Tout ; le disciple au Maitre, le Maitre à Son disciple ; la Vie Divine qui nous attire toujours en avant et en haut sans nous lier à la roue de la vie et de la mort. Nous sommes ramenés à la terre d'abord par le désir des plaisirs que nous y trouvons, puis par des désirs de plus en plus élevés, ayant encore la terre pour zone d'exercice : la connaissance spirituelle, la croissance spirituelle, le dévouement spirituel. Or qu'est-ce qui lie encore les Maitres au monde des humains, quand tout est accompli ? Rien que le monde puisse leur offrir. Il n'y a pas sur terre de connaissance qu'ils n'aient, pas de pouvoir qu'Ils n'exercent, pas d'expérience nouvelle qui puisse enrichir Leur vie ; rien de ce que donne le monde ne peut Les ramener à la naissance. Et cependant Ils viennent, parce qu'une impulsion Divine, jaillissant du dedans et non du dehors, Les envoie vers la terre – qu'ils pourraient, sans cela, quitter à jamais, – pour aider Leurs frères, et travailler de siècle en siècle, de millénaire en millénaire, au bonheur et au service des hommes : c'est ce
[102] qui rend ineffable Leur amour et Leur paix. En retour, la terre ne peut rien Leur donner si ce n'est la joie de voir d'autres âmes croitre à Leur ressemblance et commencer à partager avec Eux la vie consciente de Dieu.

24 Bhagavad Gîtâ, III, 25-26.

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