LE CHRISTIANISME ÉSOTÉRIQUE OU LES MYSTÈRES MINEURS Par Annie BESANT - 1903 UNION Voici un site dédié aux enseignements des Maitres de la HIERARCHIE Vous trouverez une multitude d'auteurs inspirés par la hiérarchie pour le bien de l’humanité. La Hiérarchie est le résultat de l'activité et de l'aspiration humaine. Elle a été créée par l'humanité. Ses membres sont des êtres humains qui ont vécu, souffert, réussi, échoué, atteint le succès, subi la mort et passé par l'expérience de la résurrection. Ils sont de la même nature que ceux qui luttent aujourd'hui avec les processus de désintégration, mais qui – néanmoins – portent en leur sein la semence de la résurrection. Ils connaissent tous les états de conscience et les ont tous maîtrisés. Ils les ont maîtrisés en tant qu'hommes, ce qui garantit à l'humanité la même réussite ultime. Nous avons tendance à considérer les membres de la Hiérarchie comme radicalement différents de l'humanité, en oubliant que la Hiérarchie est une communauté d'hommes ayant réussi, qui, antérieurement se sont soumis aux feux purificateurs de la vie quotidienne, et ont fait leur propre salut en tant qu'hommes et femmes plongés dans les choses de ce monde, en tant qu'hommes d'affaires, maris, femmes, fermiers, gouvernants, et qu'ils connaissent donc la vie dans toutes ses phases, et tous ses degrés. Ils ont surmonté les expériences de la vie ; leur grand Maître est le Christ ; ils sont passés par les initiations de la nouvelle naissance, du baptême de la transfiguration, de la crucifixion et de la résurrection. Mais ce sont toujours des hommes, et Ils ne diffèrent du Christ que par le fait que lui, le premier de notre humanité à atteindre la divinité, l'Aîné d'une grande famille de frères (comme l'a exprimé l'apôtre Paul), le Maître des Maîtres et l'Instructeur des anges et des hommes, fut jugé si pur, tellement saint et éclairé, qu'on lui permit d'incarner, à notre intention, le grand principe cosmique d'amour ; Il nous a donc révélé, pour la première fois, la nature du cœur de Dieu. Ces hommes parfaits existent donc ; ils sont plus que des hommes car l'esprit divin en eux enregistre tous les stades de la conscience – subhumaine, humaine et suprahumaine. Ce développement inclusif leur permet de travailler avec les hommes, d'entrer en contact avec l'humanité lorsque c'est nécessaire, et de savoir comment guider son progrès jusqu'aux phases de résurrection. http://www.hierarchie.eu/le-christianisme-esoterique-ou-les-mysteres-mineurs-par-annie-besant-1903 2024-04-28T02:24:54+00:00 UNION bon.christo@free.fr Joomla! - Open Source Content Management LE CHRISTIANISME ÉSOTÉRIQUE OU LES MYSTÈRES MINEURS Par Annie BESANT - 1903 2019-06-23T13:15:03+00:00 2019-06-23T13:15:03+00:00 http://www.hierarchie.eu/le-christianisme-esoterique-ou-les-mysteres-mineurs-par-annie-besant-1903/1102-le-christianisme-esoterique-ou-les-mysteres-mineurs-par-annie-besant-1903 Super User bon.christo@free.fr <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong>LE CHRISTIANISME ÉSOTÉRIQUE OU LES MYSTÈRES MINEURS</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br /><span style="font-size: 18pt;"><strong>Par Annie BESANT (1847-1933) — 1903</strong></span></p> <p style="text-align: center;">Traduit de l'Anglais<br />Original : Publications Théosophiques — 1903<br />—<br />Droits : domaine public<br />—<br />Édition numérique finalisée par GIROLLE (www.girolle.org) — 2014<br />Remerciements à tous ceux qui ont contribué aux différentes étapes de ce travail</p> <p style="text-align: center;"> </p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>NOTE DE L'ÉDITEUR NUMÉRIQUE</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />L'éditeur numérique a fait les choix suivants quant aux livres publiés :<br />- Seul le contenu du livre à proprement parler a été conservé, supprimant toutes les informations en début ou en fin de livre spécifiques à l'édition de l'époque et aux ouvrages du même auteur.<br />- Le sommaire de l'édition papier originale a été supprimé sauf dans certains ouvrages où le sommaire, sous forme de liens hypertextes renvoyant au chapitre concerné, est thématique  sommaire rappelé en tête de chapitre.<br />- Certaines notes de bas de page ont été supprimées ou adaptées, car renvoyant à des informations désuètes ou inutiles.<br />- L'orthographe traditionnelle ou de l'époque a été remplacée par l'orthographe rectifiée de 1990 validée par l'académie française</p> <p style="text-align: center;"> </p> <p style="text-align: center;">En abordant la contemplation des Mystères de la Connaissance, nous nous conformerons à la règle traditionnelle, fameuse et vénérable : nous commencerons par l'origine de l'Univers, déterminant les points, propres à la contemplation physique, qu'il est nécessaire d'établir tout d'abord, et faisant disparaitre tout ce qui pourrait être un obstacle sur notre route : de telle façon que l'oreille soit préparée à recevoir la tradition de la Gnose, le terrain nettoyé des mauvaises herbes et prêt à recevoir la vigne ; car il y a une lutte avant la lutte, des mystères avant les Mystères.<br /><strong>SAINT CLÉMENT D'ALEXANDRIE.</strong><br />* * *<br />Que cet exemple suffise à ceux qui ont des oreilles. Car il n'est pas nécessaire de dévoiler les Mystères, mais seulement d'indiquer ce qui est suffisant.<br />Ibid.<br />Que celui qui a des oreilles pour ouïr, entende.<br /><strong>SAINT MATTHIEU.</strong></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong>LE CHRISTIANISME ÉSOTÉRIQUE OU LES MYSTÈRES MINEURS</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br /><span style="font-size: 18pt;"><strong>Par Annie BESANT (1847-1933) — 1903</strong></span></p> <p style="text-align: center;">Traduit de l'Anglais<br />Original : Publications Théosophiques — 1903<br />—<br />Droits : domaine public<br />—<br />Édition numérique finalisée par GIROLLE (www.girolle.org) — 2014<br />Remerciements à tous ceux qui ont contribué aux différentes étapes de ce travail</p> <p style="text-align: center;"> </p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>NOTE DE L'ÉDITEUR NUMÉRIQUE</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />L'éditeur numérique a fait les choix suivants quant aux livres publiés :<br />- Seul le contenu du livre à proprement parler a été conservé, supprimant toutes les informations en début ou en fin de livre spécifiques à l'édition de l'époque et aux ouvrages du même auteur.<br />- Le sommaire de l'édition papier originale a été supprimé sauf dans certains ouvrages où le sommaire, sous forme de liens hypertextes renvoyant au chapitre concerné, est thématique  sommaire rappelé en tête de chapitre.<br />- Certaines notes de bas de page ont été supprimées ou adaptées, car renvoyant à des informations désuètes ou inutiles.<br />- L'orthographe traditionnelle ou de l'époque a été remplacée par l'orthographe rectifiée de 1990 validée par l'académie française</p> <p style="text-align: center;"> </p> <p style="text-align: center;">En abordant la contemplation des Mystères de la Connaissance, nous nous conformerons à la règle traditionnelle, fameuse et vénérable : nous commencerons par l'origine de l'Univers, déterminant les points, propres à la contemplation physique, qu'il est nécessaire d'établir tout d'abord, et faisant disparaitre tout ce qui pourrait être un obstacle sur notre route : de telle façon que l'oreille soit préparée à recevoir la tradition de la Gnose, le terrain nettoyé des mauvaises herbes et prêt à recevoir la vigne ; car il y a une lutte avant la lutte, des mystères avant les Mystères.<br /><strong>SAINT CLÉMENT D'ALEXANDRIE.</strong><br />* * *<br />Que cet exemple suffise à ceux qui ont des oreilles. Car il n'est pas nécessaire de dévoiler les Mystères, mais seulement d'indiquer ce qui est suffisant.<br />Ibid.<br />Que celui qui a des oreilles pour ouïr, entende.<br /><strong>SAINT MATTHIEU.</strong></p> AVANT-PROPOS 2019-06-23T13:30:27+00:00 2019-06-23T13:30:27+00:00 http://www.hierarchie.eu/le-christianisme-esoterique-ou-les-mysteres-mineurs-par-annie-besant-1903/1103-avant-propos Super User bon.christo@free.fr <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong>LIVRE</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"><strong>En abordant la contemplation des Mystères de la Connaissance, nous nous conformerons à la règle traditionnelle, fameuse et vénérable : nous commencerons par l'origine de l'Univers, déterminant les points, propres à la contemplation physique, qu'il est nécessaire d'établir tout d'abord, et faisant disparaitre tout ce qui pourrait être un obstacle sur notre route : de telle façon que l'oreille soit préparée à recevoir la tradition de la Gnose, le terrain nettoyé des mauvaises herbes et prêt à recevoir la vigne ; car il y a une lutte avant la lutte, des mystères avant les Mystères.<br />SAINT CLÉMENT D'ALEXANDRIE.<br />* * *<br />Que cet exemple suffise à ceux qui ont des oreilles. Car il n'est pas nécessaire de dévoiler les Mystères, mais seulement d'indiquer ce qui est suffisant.<br />Ibid.<br />Que celui qui a des oreilles pour ouïr, entende.<br />SAINT MATTHIEU.</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br /><span style="font-size: 24pt;"><strong>AVANT-PROPOS</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Ce livre a pour objet d'appeler l'attention sur les vérités profondes qui sont la base du Christianisme – vérités généralement méconnues et trop souvent niées. Le désir généreux de partager avec tous ce qui est précieux, de répandre à pleines mains des vérités inestimables, de ne priver personne des lumières de la connaissance vraie, a eu pour résultat un zèle inconsidéré qui a vulgarisé le Christianisme et présenté ses enseignements sous une forme souvent rebutante pour le coeur et impossible à accepter par l'intelligence. Le commandement : Prêchez l'Évangile à toute créature 1 est d'une authenticité douteuse, c'est là un point admis, et pourtant on a voulu y voir la défense d'enseigner la Gnose à des privilégiés. Ce commandement semble donc avoir fait oublier cette autre parole, moins populaire, du même Grand Maitre : Ne donnez point les choses saintes aux chiens 2. Cette sentimentalité de mauvais [2] aloi – qui refuse d'admettre les inégalités évidentes dans le domaine intellectuel et moral et, par-là, fixe l'enseignement donné aux personnes hautement développées au niveau que peuvent atteindre les moins évolués, en sacrifiant ainsi le supérieur à l'inférieur d'une manière préjudiciable à tous deux – cette sentimentalité, le bon sens viril des premiers chrétiens ne la connaissait point. Saint Clément d'Alexandrie écrit, en propres termes, après avoir fait allusion aux Mystères : "Aujourd'hui encore je crains, comme il est dit, de jeter des perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds et, se tournant, ne nous déchirent. Car il est difficile de parler de la vraie lumière, en termes tout à fait clairs et limpides, à des auditeurs mal préparés et d'une nature porcine 3."<br />Si la vraie connaissance – la Gnose – doit être à nouveau une partie des enseignements Chrétiens, ce ne peut être qu'avec les restrictions anciennes et à la condition d'abandonner définitivement l'idée de tout ramener au niveau des intelligences les moins développées. L'enseignement hors de portée des moins évolués peut seul préparer le retour des connaissances occultes, et l'étude des Mystères Mineurs doit précéder celle des Grands Mystères. Ceux-ci ne seront jamais divulgués par l'impression : ils ne peuvent se transmettre que de Maitre à disciple, "de la bouche à l'oreille". Quant aux Mystères Mineurs, qui dévoilent partiellement de profondes vérités, ils peuvent [3] aujourd'hui encore être rétablis ; un ouvrage comme celui-ci est destiné à en donner une esquisse et à indiquer la nature des enseignements dont l'étude s'impose. Quand l'auteur s'exprime à mots couverts, les vérités qu'il donne à entendre peuvent être rendues visibles, dans leurs grandes lignes, par une calme méditation : une méditation prolongée, par la lumière plus vive qui en résulte, les mettra graduellement plus en relief. La méditation tranquillise le mental inférieur sans cesse occupé des objets du dehors ; et un mental tranquille peut seul être illuminé par l'Esprit. C'est ainsi que doit s'obtenir la connaissance des vérités spirituelles ; elle doit venir du dedans et non du dehors, de l'Esprit divin dont nous sommes le temple 4 et non d'un Maitre extérieur. Ces vérités, l'Esprit divin, qui est en nous la pensée du Christ dont parle le grand Apôtre, en juge spirituellement 5, et cette lumière intérieure se répand sur le mental inférieur.</p> <p style="text-align: center;">Ainsi procède la Sagesse divine, la véritable THÉOSOPHIE. Elle n'est pas, comme on le croit quelquefois, une adaptation diluée d'Indouisme, de Bouddhisme, de Taoïsme ou d'aucune autre religion particulière ; elle est aussi bien le Christianisme Ésotérique que le Bouddhisme Ésotérique. Elle appartient également à toutes les religions, sans aucune exception. Telle est la source où ont été puisées les vérités exposées dans ce petit volume, la véritable Lumière qui éclaire tous les hommes en venant au monde 6, bien que la plupart, [4] n'ayant pas les yeux ouverts, ne puissent encore la voir. Ce livre n'apporte pas la Lumière ; il dit simplement : "Voici la Lumière !" car elle ne vient pas de nous ; il ne fait appel qu'à la minorité que ne peuvent plus rassasier les enseignements exotériques ; aux personnes pleinement satisfaites par les enseignements exotériques il n'est point destiné. Á quoi bon forcer ceux qui n'ont pas faim à recevoir du pain ? Pour les affamés, puisse ce livre être du pain et non une pierre.</p> <p style="text-align: center;"><em>1 S. Marc, XVI, 15.</em><br /><em>Le texte français des citations du Nouveau Testament contenues dans le présent volume a été emprunté à la version de H. Oltramare. Paris, 1900 (NDT)</em><br /><em>2 S. Matthieu, VII, 6.</em><br /><em>3 CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromata liv. I, chap. XII. Clarke's Ante-Nicene Christian Library, vol. IV.</em><br /><em>4 1 Cor., III, 16.</em><br /><em>5 Ibid., II, 14, 16.</em><br /><em>6 S. Jean, I, 9.</em></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong>LIVRE</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 12pt;"><strong>En abordant la contemplation des Mystères de la Connaissance, nous nous conformerons à la règle traditionnelle, fameuse et vénérable : nous commencerons par l'origine de l'Univers, déterminant les points, propres à la contemplation physique, qu'il est nécessaire d'établir tout d'abord, et faisant disparaitre tout ce qui pourrait être un obstacle sur notre route : de telle façon que l'oreille soit préparée à recevoir la tradition de la Gnose, le terrain nettoyé des mauvaises herbes et prêt à recevoir la vigne ; car il y a une lutte avant la lutte, des mystères avant les Mystères.<br />SAINT CLÉMENT D'ALEXANDRIE.<br />* * *<br />Que cet exemple suffise à ceux qui ont des oreilles. Car il n'est pas nécessaire de dévoiler les Mystères, mais seulement d'indiquer ce qui est suffisant.<br />Ibid.<br />Que celui qui a des oreilles pour ouïr, entende.<br />SAINT MATTHIEU.</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br /><span style="font-size: 24pt;"><strong>AVANT-PROPOS</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Ce livre a pour objet d'appeler l'attention sur les vérités profondes qui sont la base du Christianisme – vérités généralement méconnues et trop souvent niées. Le désir généreux de partager avec tous ce qui est précieux, de répandre à pleines mains des vérités inestimables, de ne priver personne des lumières de la connaissance vraie, a eu pour résultat un zèle inconsidéré qui a vulgarisé le Christianisme et présenté ses enseignements sous une forme souvent rebutante pour le coeur et impossible à accepter par l'intelligence. Le commandement : Prêchez l'Évangile à toute créature 1 est d'une authenticité douteuse, c'est là un point admis, et pourtant on a voulu y voir la défense d'enseigner la Gnose à des privilégiés. Ce commandement semble donc avoir fait oublier cette autre parole, moins populaire, du même Grand Maitre : Ne donnez point les choses saintes aux chiens 2. Cette sentimentalité de mauvais [2] aloi – qui refuse d'admettre les inégalités évidentes dans le domaine intellectuel et moral et, par-là, fixe l'enseignement donné aux personnes hautement développées au niveau que peuvent atteindre les moins évolués, en sacrifiant ainsi le supérieur à l'inférieur d'une manière préjudiciable à tous deux – cette sentimentalité, le bon sens viril des premiers chrétiens ne la connaissait point. Saint Clément d'Alexandrie écrit, en propres termes, après avoir fait allusion aux Mystères : "Aujourd'hui encore je crains, comme il est dit, de jeter des perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds et, se tournant, ne nous déchirent. Car il est difficile de parler de la vraie lumière, en termes tout à fait clairs et limpides, à des auditeurs mal préparés et d'une nature porcine 3."<br />Si la vraie connaissance – la Gnose – doit être à nouveau une partie des enseignements Chrétiens, ce ne peut être qu'avec les restrictions anciennes et à la condition d'abandonner définitivement l'idée de tout ramener au niveau des intelligences les moins développées. L'enseignement hors de portée des moins évolués peut seul préparer le retour des connaissances occultes, et l'étude des Mystères Mineurs doit précéder celle des Grands Mystères. Ceux-ci ne seront jamais divulgués par l'impression : ils ne peuvent se transmettre que de Maitre à disciple, "de la bouche à l'oreille". Quant aux Mystères Mineurs, qui dévoilent partiellement de profondes vérités, ils peuvent [3] aujourd'hui encore être rétablis ; un ouvrage comme celui-ci est destiné à en donner une esquisse et à indiquer la nature des enseignements dont l'étude s'impose. Quand l'auteur s'exprime à mots couverts, les vérités qu'il donne à entendre peuvent être rendues visibles, dans leurs grandes lignes, par une calme méditation : une méditation prolongée, par la lumière plus vive qui en résulte, les mettra graduellement plus en relief. La méditation tranquillise le mental inférieur sans cesse occupé des objets du dehors ; et un mental tranquille peut seul être illuminé par l'Esprit. C'est ainsi que doit s'obtenir la connaissance des vérités spirituelles ; elle doit venir du dedans et non du dehors, de l'Esprit divin dont nous sommes le temple 4 et non d'un Maitre extérieur. Ces vérités, l'Esprit divin, qui est en nous la pensée du Christ dont parle le grand Apôtre, en juge spirituellement 5, et cette lumière intérieure se répand sur le mental inférieur.</p> <p style="text-align: center;">Ainsi procède la Sagesse divine, la véritable THÉOSOPHIE. Elle n'est pas, comme on le croit quelquefois, une adaptation diluée d'Indouisme, de Bouddhisme, de Taoïsme ou d'aucune autre religion particulière ; elle est aussi bien le Christianisme Ésotérique que le Bouddhisme Ésotérique. Elle appartient également à toutes les religions, sans aucune exception. Telle est la source où ont été puisées les vérités exposées dans ce petit volume, la véritable Lumière qui éclaire tous les hommes en venant au monde 6, bien que la plupart, [4] n'ayant pas les yeux ouverts, ne puissent encore la voir. Ce livre n'apporte pas la Lumière ; il dit simplement : "Voici la Lumière !" car elle ne vient pas de nous ; il ne fait appel qu'à la minorité que ne peuvent plus rassasier les enseignements exotériques ; aux personnes pleinement satisfaites par les enseignements exotériques il n'est point destiné. Á quoi bon forcer ceux qui n'ont pas faim à recevoir du pain ? Pour les affamés, puisse ce livre être du pain et non une pierre.</p> <p style="text-align: center;"><em>1 S. Marc, XVI, 15.</em><br /><em>Le texte français des citations du Nouveau Testament contenues dans le présent volume a été emprunté à la version de H. Oltramare. Paris, 1900 (NDT)</em><br /><em>2 S. Matthieu, VII, 6.</em><br /><em>3 CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromata liv. I, chap. XII. Clarke's Ante-Nicene Christian Library, vol. IV.</em><br /><em>4 1 Cor., III, 16.</em><br /><em>5 Ibid., II, 14, 16.</em><br /><em>6 S. Jean, I, 9.</em></p> CHAPITRE PREMIER — LE COTE CACHE DES RELIGIONS 2019-06-23T13:44:44+00:00 2019-06-23T13:44:44+00:00 http://www.hierarchie.eu/le-christianisme-esoterique-ou-les-mysteres-mineurs-par-annie-besant-1903/1104-chapitre-premier-le-cote-cache-des-religions Super User bon.christo@free.fr <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>CHAPITRE PREMIER</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong> — </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LE COTE CACHE DES RELIGIONS</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Beaucoup – la plupart même, peut-être – des personnes qui liront le titre de cet ouvrage l'accuseront immédiatement d'impliquer une idée fausse et nieront qu'il existe rien de précieux ayant droit au nom de "Christianisme Ésotérique". Suivant une opinion très répandue et, par suite, populaire, le Christianisme ne présente rien qui puisse être appelé "enseignement occulte" ; quant aux "Mystères", les Grands comme les Mineurs, c'était une institution essentiellement païenne. Le nom même des "Mystères de Jésus", si familier aux Chrétiens des premiers siècles, surprendrait fort leurs successeurs modernes, et l'opinion qui verrait dans ces Mystères une institution spéciale et définie provoquerait des sourires d'incrédulité. Que dis-je ! Il a été affirmé avec orgueil que le Christianisme n'avait pas de secrets – que ce qu'il avait à dire et à enseigner, il le disait et l'enseignait à tous. Ses vérités passent pour être d'une simplicité telle, que "le premier venu – même borné – les comprendra sans peine" et que "la simplicité de l'Évangile" est devenue une expression banale. [6]<br />Il est donc nécessaire de prouver clairement que – tout au moins dans l'Église primitive – le Christianisme ne cédait en rien à d'autres grandes religions possédant un "côté caché" et qu'il gardait, comme un trésor inestimable, les secrets révélés à l'élite dans ses Mystères. Mais, avant d'entreprendre cette tâche, il sera bon de considérer dans son ensemble la question de ce côté caché des religions et d'examiner pourquoi un côté semblable est, pour une religion, la condition même de sa force et de sa stabilité. La présence de cet élément dans le Christianisme s'en trouvera prouvée du même coup, et les passages où les Pères de l'Église y font allusion paraitront faciles à interpréter et naturels, au lieu d'être surprenants et inintelligibles. L'existence de cet ésotérisme est un fait historique – nous pouvons le prouver – mais il est possible de démontrer aussi qu'elle est une nécessité d'ordre intellectuel.<br />Quel est le but des religions ? C'est la première question qui se pose. Les religions sont données au monde par des hommes plus sages que les masses qui les reçoivent ; elles sont destinées à hâter l'évolution humaine, et leur action, pour être effective, doit atteindre et influencer individuellement les hommes. Or, tous les hommes ne sont pas arrivés au même degré d'évolution. L'évolution peut, au contraire, se représenter comme une rampe ascendante dont chaque point est occupé par un homme. Les plus évolués sont, intellectuellement et moralement, bien au-dessus des moins avancés. Á chaque degré, la faculté de comprendre et d'agir se modifie. Il est donc inutile de donner à tous le même enseignement religieux. [7]<br />Ce qui serait une aide pour l'homme intellectuel resterait tout à fait incompréhensible pour l'homme borné ; ce qui mettrait en extase le saint ne ferait aucune impression sur le criminel. Si, d'autre part, l'enseignement est de nature à aider les inintelligents, il est, pour le philosophe, insuffisant et vide ; est-il de nature à relever le criminel, il est complètement inutile au saint. Et pourtant, toutes les catégories humaines ont besoin de religions, afin de pouvoir tendre vers une vie supérieure à leur existence actuelle. En même temps, aucune catégorie, aucune classe ne doit être sacrifiée à une autre. La religion doit être aussi graduée que l'évolution elle-même ; autrement elle n'atteint pas son but.<br />Comment les religions – nous demanderons-nous ensuite – doivent-elles chercher à hâter l'évolution humaine ? Les religions tendent à former les natures morale et intellectuelle et à seconder le développement de la nature spirituelle. Regardant l'homme comme un être complexe, elles cherchent à l'atteindre dans chacun des éléments qui le composent – en s'adressant, par conséquent, à chacun par des enseignements appropriés aux besoins les plus variés. Ces leçons doivent donc s'adapter à chacune des intelligences, à chacun des coeurs, auxquels elles s'adressent. Si une religion n'atteint et ne subjugue pas l'intelligence – si elle ne purifie et n'élève pas les émotions – elle a manqué son but, en ce qui concerne la personne à qui elle s'adresse.<br />La religion ne s'applique pas seulement ainsi à l'intelligence et aux émotions – elle cherche encore, comme nous l'avons dit, à stimuler le développement [8] de la nature spirituelle. Elle répond à cette impulsion intérieure qui existe dans l'homme et ne cesse de pousser la race en avant. Car, au fond du coeur de chacun – souvent entravée par des conditions transitoires, souvent submergée par des préoccupations et des intérêts absorbants – il existe une aspiration continuelle vers Dieu. Comme un cerf brame après des eaux courantes, ainsi soupire 7 l'humanité après Dieu. Cette recherche présente des moments d'arrêt, où l'aspiration semble disparaitre. La civilisation et la pensée présentent des phases où ce cri, vers le Divin, de l'Esprit humain cherchant sa source – comme l'eau cherche à reprendre son niveau, suivant l'expression de Giordano Bruno – où cette aspiration passionnée de l'Esprit humain vers ce qui est de même nature que lui, dans l'univers – de la partie vers le tout – semble muette, semble évanouie. Mais bientôt elle se réveille, et le même cri poussé par l'Esprit se fait entendre. Cet instinct peut être momentanément aboli et périr en apparence, mais il se relève sans cesse – malgré l'opposition qui le réduit au silence – et prouve ainsi qu'il est une tendance inhérente à la nature humaine et fait avec elle un tout inséparable. Ceux qui s'écrient, triomphants : "Voyez ! Il n'est plus !" le retrouvent devant eux, toujours aussi vivant. Ceux qui bâtissent sans en tenir compte voient leurs édifices bien construits lézardés comme par un tremblement de terre. Ceux qui déclarent qu'il a fait son temps voient les superstitions les plus extravagantes résulter de leur dédain. [9] Il est si bien une partie intégrante de l'humanité, que l'homme exige une réponse à ses questions et préfère au silence une réponse fausse. L'homme ne parvient-il pas à découvrir la vérité religieuse, il choisira l'erreur religieuse plutôt que de rester sans religion ; il acceptera l'idéal le plus vide et le plus faux, mais refusera d'admettre que l'idéal n'existe pas.<br />Ainsi, la religion s'adresse à cet impérieux besoin, et, s'emparant dans la nature humaine du principe qui lui donne naissance, elle forme ce principe, le fortifie, le purifie et le guide vers le but qui l'attend – l'union de l'Esprit humain avec l'Esprit Divin – afin que Dieu soit en tous 8.</p> <p style="text-align: center;"><em>7 Psaume XLII, 1.</em></p> <p style="text-align: center;"><em>8 1 Cor., XV, 28.</em></p> <p style="text-align: center;">Une troisième question se pose : Quelle est l'origine des religions ? Cette question a reçu, dans les temps modernes, deux réponses : celle des Mythologies comparées, et celle des Religions comparées. Ces deux sciences donnent pour base commune à leur réponse les faits établis. Les recherches ont démontré d'une manière indiscutable que les différentes religions se ressemblent par leurs grands enseignements ; par leurs Fondateurs, qui manifestent tous des facultés surhumaines et une élévation morale extraordinaire ; par leurs préceptes éthiques ; par les méthodes qu'elles emploient pour entrer en relation avec les mondes invisibles ; enfin, par les symboles exprimant leurs croyances principales. Ces ressemblances, qui vont parfois jusqu'à l'identité, prouvent – à en croire les deux écoles que nous avons nommées – une origine commune. [10]<br /><br />Les deux partis diffèrent cependant dans leur manière de définir la nature de cette origine. La Mythologie comparée affirme que l'origine commune est une ignorance commune et que les religions les plus transcendantes sont simplement l'expression raffinée des naïves et barbares suppositions de sauvages – d'hommes primitifs – concernant leur propre existence et le monde qui les entoure. L'animisme, le fétichisme, le culte de la nature, le culte du soleil : telle est la boue d'où émerge le lis splendide des religions. Un Krishna, un Bouddha, un Lao-Tseu, un Jésus sont les descendants, hautement civilisés mais pourtant directs, de "l'homme-médecine" – qui se contorsionne devant des sauvages. Dieu est une photographie "composite" des innombrables dieux qui personnifient les forces de la nature. Et ainsi de suite. Tout se résume dans cette phrase : les religions sont les branches d'un tronc commun – l'ignorance humaine.<br />Par contre – d'après la science des Religions comparées – toutes les religions ont leur origine dans les enseignements d'hommes divins, qui révèlent, de temps à autre, aux différentes nations, les fragments des vérités religieuses fondamentales qu'elles sont susceptibles de comprendre ; la morale enseignée est toujours la même, les moyens inculqués sont semblables, les symboles identiques dans leur signification. Les religions sauvages – l'animisme et toutes les autres – sont des dégénérescences, les résultats d'une décadence, les descendants difformes et rapetissés de croyances religieuses véritables. Le culte du soleil et les formes pures du [11] culte de la nature étaient à leur époque, des religions élevées, extrêmement allégoriques, mais présentant des vérités et des connaissances profondes. Les grands Fondateurs – c'est l'opinion des Indous, des Bouddhistes et d'un certain nombre de personnes s'occupant de religions comparées, telles que les Théosophes – forment une Fraternité permanente d'hommes ayant dépassé le niveau de l'humanité. Ils se montrent, à certains moments, pour éclairer le monde et sont les protecteurs spirituels de la race humaine. Cette thèse peut être ainsi résumée : "Les religions sont les branches d'un tronc commun – la Sagesse divine."<br />Cette Sagesse Divine s'est appelée la Sagesse, la Gnose, la Théosophie, et quelques esprits, à différentes époques de l'histoire du monde, dans leur désir de mieux proclamer leur croyance dans cette unité des religions, ont préféré le nom éclectique de Théosophes à toute autre désignation d'un sens plus restreint.<br />La valeur relative des affirmations des deux écoles opposées doit être jugée par la valeur des preuves invoquées. Une forme dégénérée d'une<br />grande idée peut présenter une ressemblance étroite avec le produit raffiné d'une idée grossière. Le seul moyen de reconnaitre s'il y a dégénérescence ou évolution serait – s'il était possible – d'examiner ce qu'étaient nos ancêtres plus ou moins reculés et ceux des époques primitives. Les arguments présentés par ceux d'entre nous qui croient à l'existence de la Sagesse sont de cette nature. Suivant leurs allégations, les Fondateurs des religions, tels que nous les montrent leurs enseignements, dépassaient infiniment le niveau de l'humanité [12] ordinaire : les Écritures sacrées contiennent des préceptes moraux, un idéal sublime, des envolées de poésie, des affirmations profondément philosophiques, dont la grandeur et la beauté restent inapprochées dans les écrits plus modernes offerts par les mêmes religions. En d'autres termes, l'ancien l'emporte sur le récent et non le récent sur l'ancien. Il est impossible de citer un seul exemple du raffinement et du perfectionnement graduels auxquels les religions, en général, devraient leur origine. On peut, au contraire, citer des cas nombreux de purs enseignements dégénérés. Même chez les sauvages, on peut découvrir, en étudiant de près leurs religions, des traces nombreuses d'idées élevées que les sauvages ont évidemment été incapables de concevoir par eux-mêmes.<br />Ce dernier argument a été développé par M. Andrew Lang. Á le juger d'après son livre The Making of Religion, cet auteur semble appartenir plutôt au camp des Religions comparées qu'à celui des Mythologies comparées. Il montre l'existence d'une tradition commune que les sauvages n'ont pu développer par eux-mêmes, leurs croyances habituelles étant des plus primitives et leur intelligence faible. Sous ces croyances grossières et ces idées dégradées, Lang découvre des traditions d'un caractère sublime, concernant la nature de l'Être divin et ses relations avec l'humanité. Si les divinités adorées sont, pour la plupart, de véritables démons, derrière elles, plus haut qu'elles, se dresse une vague mais glorieuse Présence, rarement ou jamais nommée ; on en parle tout bas comme d'une puissance pleine d'amour et de bonté, trop tendre pour inspirer la terreur, trop bonne pour [13] qu'on lui adresse des supplications. Des notions semblables, les sauvages, parmi lesquels on les trouve, n'ont évidemment pu les concevoir ; elles demeurent les témoins éloquents des révélations de quelque grand Instructeur, dont la tradition nébuleuse peut généralement se découvrir aussi – d'un Fils de la Sagesse dont certains enseignements furent donnés dans un âge infiniment lointain.<br />Il est facile de comprendre la raison et, à vrai dire, la justification de l'opinion soutenue par la science des Mythologies comparées. Partout, parmi les tribus sauvages, elle voit les croyances religieuses revêtir des, formes abjectes et coïncider avec un manque de civilisation absolu. Or les hommes civilisés, descendant, par évolution, des hommes non civilisés, quoi de plus naturel que de regarder les religions civilisées comme le résultat de l'évolution des non civilisées ? C'est la première idée qui vient à l'esprit. Une étude nouvelle et plus attentive peut seule montrer que les sauvages d'aujourd'hui ne représentent pas nos ancêtres, mais qu'ils sont les descendants dégénérés de grandes races civilisées d'autrefois ; que, dans son développement, l'homme primitif n'a pas été laissé sans direction, mais qu'il a été surveillé, formé, par ses ainés dont il a reçu à la fois ses premières leçons de religion et de civilisation. Cette manière de voir se trouve corroborée par les faits dont parle Lang, et tout à l'heure se posera le problème : "Qui étaient ces ainés dont la tradition subsiste partout ?"<br />Poursuivant notre enquête, nous arrivons maintenant à cette question : "À quels peuples ont été [14] données les religions ?" Ici se présente immédiatement la difficulté que tout Fondateur de religion est appelé à résoudre ; elle est inhérente, comme nous l'avons vu, au but essentiel de la religion – l'accélération de l'évolution – et à son corolaire, la nécessité de tenir compte de tous les degrés d'évolution individuelle. Les hommes appartiennent aux stages évolutifs les plus divers ; certains d'entre eux présentent une extrême intelligence, mais d'autres une mentalité naissante ; ici une civilisation d'un développement et d'une complexité remarquables, là une organisation rudimentaire et naïve. Même dans les limites d'une civilisation donnée, nous trouvons les types les plus variés, les plus ignorants et les plus instruits, les plus réfléchis et les plus insouciants, les plus spirituellement doués et les plus brutaux. Il faut pourtant atteindre chacune de ces catégories d'êtres et les aider là où elles sont. Si l'évolution existe, cette difficulté est inévitable ; l'Instructeur divin doit l'aborder et la vaincre ; autrement Son oeuvre n'aboutira point. Si l'homme, comme tout ce qui l'entoure, est soumis à l'évolution, ces différences de développement, ces degrés d'intelligence variés, doivent partout caractériser l'humanité, et partout les religions de ce monde doivent en tenir compte.<br />Cela nous oblige à reconnaitre qu'un seul et même enseignement religieux ne saurait suffire à une même nation ; bien moins encore au monde entier. S'il n'en existait qu'un, beaucoup de ceux auxquels il s'adresse échapperaient totalement à son influence. L'enseignement est-il approprié aux hommes d'intelligence bornée, de moralité rudimentaire, de sens obtus, de [15] telle façon qu'il les aide, les forme et favorise ainsi leur évolution, cette religion ne conviendra en rien aux hommes appartenant à la même nation, faisant partie de la même civilisation, présentant une nature morale vive et impressionnable, une intelligence brillante et subtile, une spiritualité grandissante. Mais si, d'autre part, cette dernière classe doit être aidée ; si l'intelligence doit recevoir une philosophie qu'elle puisse admirer ; si la délicatesse des perceptions morales doit être plus affinée encore ; si la nature spirituelle naissante doit pouvoir, un jour, atteindre sa plénitude lumineuse, la religion devra réunir une spiritualité, une intellectualité et une moralité telles que sa prédication ne touchera ni la raison, ni le coeur des hommes dont j'ai parlé d'abord ; elle ne présentera, pour eux, qu'une suite de phrases sans signification, incapables d'éveiller leur intelligence engourdie ou de leur présenter aucun mobile qui leur permette de s'élever à des notions morales plus pures.<br />En examinant ces faits, en considérant le but de la religion, son mode d'action, son origine, la nature et les besoins variés des hommes à qui elle s'adresse, en constatant l'évolution, dans l'homme, de facultés spirituelles, intellectuelles et morales et le besoin, pour chacun, d'une éducation appropriée à son degré d'évolution, nous nous trouvons amenés à reconnaitre la nécessité absolue d'enseignements religieux variés et gradués qui satisfassent ces besoins différents et puissent aider chaque homme individuellement.<br />Pour une autre raison encore, l'enseignement doit rester ésotérique, en ce qui concerne certaines vérités [16] auxquelles s'applique essentiellement la maxime : "Savoir c'est pouvoir." La promulgation d'une philosophie profondément intellectuelle, capable de développer des esprits déjà hors de pair et de recevoir l'adhésion des hautes individualités, ne peut nuire à personne. Cette philosophie peut être répandue sans hésitation, car elle n'attire pas les ignorants qui s'en détournent, la trouvent aride, difficile et sans intérêt. Mais il y a des enseignements relatifs à l'organisation de la matière, qui expliquent des lois cachées et éclairent des opérations occultes dont la connaissance donne la clef de certaines énergies naturelles et permet de faire servir ces énergies à des fins déterminées, comme le fait un chimiste avec le produit de ses combinaisons. De semblables connaissances peuvent être d'une grande utilité pour des hommes très avancés et leur permettre de servir beaucoup plus utilement l'humanité. Mais si ces conditions étaient vulgarisées, elles pourraient être, et seraient, mal employées, comme la connaissance de poisons subtils le fut au moyen âge, entre autres par les Borgia ; elles passeraient à des hommes d'intelligence puissante, mais de désirs effrénés, à des hommes animés d'instincts séparatifs, cherchant leur bien personnel et indifférents au bien commun ; ces hommes, séduits par l'idée d'obtenir un pouvoir dont la possession les élèverait au-dessus du niveau général et mettrait l'humanité à leur merci, s'empresseraient d'acquérir des connaissances qui haussent leur possession à un rang surhumain ; les possédant, ils n'en deviendraient que plus égoïstes et plus confirmés dans leur séparativité, plus orgueilleux et plus repliés sur eux-mêmes, [17] et se trouveraient ainsi forcément poussés dans la route qui mène au diabolisme, ce sentier de la Main Gauche dont le terme est l'isolement et non pas l'union ; non seulement ils en souffriraient dans leur nature intérieure, mais encore ils deviendraient un danger pour la société, qui a déjà suffisamment à souffrir de la part des hommes dont l'intelligence est plus développée que la conscience. D'où la nécessité de mettre certains enseignements hors de portée de ceux qui, moralement, sont encore inaptes à les recevoir ; elle s'impose à tout Instructeur disposant de ces connaissances. L'Instructeur désire transmettre à ceux qui les feront servir au bien général et à l'accélération de l'évolution humaine les pouvoirs qu'elles confèrent ; mais en même temps Il se refuse à en faire profiter les hommes qui, au détriment de leurs semblables, les appliqueraient à leur avantage personnel.<br />Ce ne sont pas là de simples théories, nous disent les Annales Occultes, dans le récit détaillé des évènements mentionnés dans la Genèse, chapitre VI et suivants. L'enseignement était donné, dans ces temps reculés et sur le continent Atlante, sans que les gages de l'élévation morale, de la pureté et de l'altruisme fussent rigoureusement exigés des postulants. L'instruction était donnée à ceux dont l'intelligence était suffisante, exactement comme de nos jours est enseignée la science ordinaire. La félicité qu'on réclame si fort aujourd'hui existait alors ; elle porta ses fruits, et les hommes devinrent non seulement des géants intellectuels, mais aussi des géants d'iniquité, jusqu'au moment où la terre gémit sous leur oppression et [18] où le cri d'une humanité tyrannisée retentit à travers les mondes. Alors eut lieu la destruction d'Atlantis, la submersion de cet immense continent sous les eaux de l'océan. Le récit du déluge de Noé, dans les Écritures Hébraïques, l'histoire de Vaivasvata Manou racontée par les Écritures Indoues, dans l'Extrême-Orient, donnent quelques détails sur cet évènement.<br />Il y avait donc danger à laisser des mains impures s'emparer d'un savoir qui donne la puissance et, depuis lors, les grands instructeurs ont imposé des conditions rigoureuses, exigeant la pureté, l'altruisme et l'empire sur soi-même de toute personne demandant à être instruite dans ces matières. Ils se refusent nettement à communiquer des connaissances de ce genre à qui refuse de se soumettre à une discipline étroite, destinée à éliminer des sentiments et des intérêts les tendances séparatives ; ils attachent plus d'importance à la force morale du candidat qu'à son développement intellectuel, car l'enseignement lui-même développera l'intellect, tout en mettant à l'épreuve la nature morale. Il est infiniment préférable, pour les Grands Êtres, d'être accusés d'égoïsme par les ignorants parce qu'Ils ne divulguent pas leurs connaissances, que de précipiter le monde dans une nouvelle catastrophe Atlante.<br />Tels sont les arguments théoriques sur lesquels nous basons la nécessité de l'existence, dans toute religion, d'un côté caché. Si de la théorie nous passons aux faits, nous sommes naturellement amenés à demander : Ce côté caché a-t-il existé dans le passé, a-t-il fait partie des religions de ce monde ? La réponse doit être immédiatement et franchement affirmative. [19]<br />Toutes les grandes religions ont déclaré qu'elles disposaient d'un enseignement secret et qu'elles conservaient le dépôt, non seulement de connaissances mystiques théoriques, mais encore de connaissances mystiques pratiques ou sciences occultes. L'interprétation mystique des enseignements populaires était ouvertement donnée ; elle en montrait le caractère allégorique et rendait ainsi à des affirmations et à des récits étranges et peu rationnels un sens intellectuellement acceptable. Derrière l'enseignement populaire, le mysticisme théorique ; derrière le mysticisme théorique, le mysticisme pratique, enseignement spirituel caché qui n'était donné que sous des conditions expresses, ouvertement communiquées et obligatoires pour tout candidat. Clément d'Alexandrie mentionne cette division des Mystères. Á la purification, dit-il, "succèdent les Mystères Mineurs ; ils constituent une base d'instruction et de préparation pour le degré suivant ; puis les Grands Mystères, dans lesquels il ne reste plus rien à apprendre sur l'univers : mais seulement à contempler et à comprendre la nature et les choses 9."<br />En ce qui concerne les religions de l'antiquité, cette affirmation ne saurait être accusée d'inexactitude. Les Mystères de l'Égypte étaient la gloire de cette terre vénérable, et les plus grands fils de la Grèce, tel que Platon, se rendirent à Sais et à Thèbes pour y être initiés par des Égyptiens, Instructeurs de la Sagesse. En Perse, les Mystères de Mithra, en Grèce les Mystères d'Orphée et de Bacchus et plus [20] tard les semi-Mystères d'Éleusis – les Mystères de Samothrace, de la Scythie, de la Chaldée sont connus de tous, au moins de nom ; même sous la forme extrêmement dégénérée des Mystères d'Éleusis, les hommes les plus éminents de la Grèce, tels que Pindare, Sophocle, Isocrate, Plutarque et Platon, en ont la plus haute opinion. On attachait aux Mystères une importance spéciale au point de vue de l'existence d'outre-tombe – l'Initié acquérant les connaissances qui assuraient son bonheur à venir. Sopater affirme, de plus, que l'Initiation établissait une alliance entre l'âme et la Nature divine et, dans l'hymne exotérique à Déméter, nous trouvons des allusions voilées au saint enfant, Iacchus, à sa mort et à sa résurrection enseignées dans les Mystères 10.</p> <p style="text-align: center;"><em>9 Ante-Nicene Library, vol. XII. CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromata, V, chap. XI.</em></p> <p style="text-align: center;">De Jamblique, le grand théurge des troisième et quatrième siècles après Jésus-Christ, il y a beaucoup à apprendre concernant le but des Mystères. La théurgie était la magie, "la partie la plus avancée de la science sacerdotale 11" ; elle était pratiquée dans les Grands Mystères, pour évoquer l'apparition d'Êtres supérieurs. Résumée en quelques mots, la théorie servant de base à ces Mystères est la suivante. D'abord l'UNIQUE, antérieur à tous les êtres, immobile, retiré dans la solitude de Sa propre unité. De CELA émane le Dieu suprême, engendré Lui-même, le Bien, la Source de toutes choses, la Racine, le Dieu des Dieux, la Cause Première, dont la manifestation [21] est Lumière 12. De Lui nait le Monde Intelligible ou univers idéal, le Mental Universel, le Nous, dont dépendent les Dieux incorporels ou intelligibles. Du Nous procède l'Âme du Monde, à laquelle appartiennent les "formes divines intellectuelles, qui accompagnent les corps visibles des dieux". Puis viennent différentes hiérarchies d'êtres surhumains, les Archanges, les Archontes (gouverneurs) ou Cosmocratores, les Anges, les Daïmons, etc. L'homme constitue un ordre moins élevé, mais d'une nature analogue à la leur ; il peut arriver à les connaitre ; l'expérience en était faite dans les Mystères et conduisait à l'union avec Dieu 13. [22]</p> <p style="text-align: center;"><em>10 Voyez l'article sur les Mystères, Encyclopcedia Britannica, 9e éd.</em><br /><em>11 PSELLE, cité dans Jamblichus on the Mysteries, par T. TAYLOR, p. 343, note de la p. 23, 2e éd.</em><br /><em>12 Jamblichus, p. 301.</em><br /><em>13 L'article "Mysticism", dans l'Encyclopoedia Britannica, donne les détails suivants sur l'enseignement de Plotin (204-206 ap. JC) : "L'Unique (le Dieu Suprême dont nous avons parlé ci-dessus) est exalté au-dessus du nous et des idées ; Il est absolument au-dessus de l'existence ; Il échappe à la raison. Restant Lui-même en repos, Il fait jaillir, de Sa propre plénitude – comme un rayon – une image de Lui-même, nommée nous et qui forme l'ensemble des idées du monde intelligible.L'âme, à son tour, est l'image ou le produit du nous et, en se mouvant, engendre la matière physique. L'âme a donc deux faces : l'une tournée vers le nous dont elle émane, l'autre tournée vers la vie matérielle qu'elle a fait naitre elle-même. L'effort moral consiste à se séparer de l'élément sensible ; l'existence matérielle est elle-même la séparation d'avec Dieu… Pour atteindre le but suprême la pensée elle-même doit être laissée en arrière ; car la pensée est une forme du mouvement, et l'âme aspire au repos immobilisé qui est le propre de l'Unique. L'Union avec la divinité transcendante n'est pas tant la connaissance ou la vision que l'extase, la fusion, le contact." Le Néoplatonisme est donc "tout d'abord un système rationaliste ; en d'autres termes, il prétend que la raison est capable d'esquisser le Système Cosmique en son entier. D'autre part, affirmant un Dieu supérieur à la raison, le mysticisme devient, en un sens, le complément nécessaire du rationalisme qui voudrait tout embrasser. Le système culmine dans un acte mystique."</em></p> <p style="text-align: center;"><br />Suivant les doctrines communiquées dans les Mystères, "toutes choses procèdent de l'Unique et y retournent" ; "l'Unique est supérieur à tout 14". De plus, ces différents Êtres étaient invoqués et apparaissaient tantôt pour instruire, tantôt pour édifier et purifier par la seule présence. "Les dieux bienveillants et miséricordieux, dit Jamblique, versent libéralement la lumière aux théurges, ils appellent à eux les âmes de ceux-ci, ils les unissent à eux et les habituent, bien que liées à des corps, à se séparer des corps et à évoluer autour de leur cause éternelle et intelligible 15." – Car "l'âme ayant une double vie, l'une avec le corps, l'autre distincte de tout corps 16", il est indispensable d'apprendre à séparer l'âme du corps, afin qu'elle puisse s'unir aux dieux par sa partie intellectuelle et divine et apprendre, avec les vrais principes de la connaissance, les vérités du monde intelligible 17. "La présence des dieux nous donne la santé du corps, la vertu de l'âme, la pureté de l'intelligence et, en un mot, la régression de tout ce qui est en nous aux causes propres… Ce qui n'est pas corps, elle le représente comme corps aux yeux de l'âme par l'intermédiaire des yeux du corps 18." "Dans les épiphanies des dieux, elles (les âmes) reçoivent la perfection extraordinaire et extrême, l'acte le meilleur absolument, et elles participent [23] à l'amour divin et à la joie indicible 19." Par là nous obtenons une vie divine et devenons, en réalité, divins 20.<br />Le point culminant des Mystères était la transformation de l'Initié en Dieu, soit par l'union avec un Être divin extérieur à lui-même soit en ayant les yeux ouverts à l'existence en lui du Soi divin. Cet état portait le nom d'extase ; un Yogi Indou l'appellerait le Samâdhi supérieur – le corps grossier étant en léthargie et l'âme libérée effectuant sa propre union avec le Grand Être. Cette "extase n'est pas, à proprement parler, une faculté ; c'est un état de l'âme qui la transforme de telle façon qu'elle perçoit ce qui, jusqu'alors, était caché pour elle. Tant que notre union avec Dieu ne sera pas irrévocable, cet état ne sera pas permanent ; ici, dans notre vie terrestre, l'extase n'est qu'un éclair. L'homme peut cesser d'être homme et devenir Dieu, mais il ne peut être à la fois Dieu et homme 21." Plotin dit qu'il n'avait encore atteint cet état "que trois fois".</p> <p style="text-align: center;"><em>14 Le Livre de Jamblique sur les Mystères (Trad. Quillard), p. 29. Paris, 1895. Libr. de l'Art indépendant.</em><br /><em>15 Le Livre de Jamblique sur les Mystères, p. 29.</em><br /><em>16 Ibid., p. 75.</em><br /><em>17 Ibid., p. 75.</em><br /><em>18 Ibid., p. 58.</em><br /><em>19 Ibid., p. 62.</em><br /><em>20 Ibid., p. 206.</em></p> <p style="text-align: center;"><br />Proclus, lui aussi, enseignait que l'unique salut de l'âme était le retour à sa forme intellectuelle ; l'âme se dérobait ainsi au "cercle de la génération et à toutes ses courses errantes" et atteignait l'existence véritable – "le retour à l'énergie toujours égale et simple de la période caractérisée par les différences". Telle est la vie à laquelle aspiraient les candidats, initiés par Orphée dans les Mystères de Bacchus et [24] de Proserpine ; tel est le résultat obtenu par la pratique des vertus purificatrices ou cathartiques 22.<br />Ces vertus étaient exigées pour les Grands Mystères, car elles exerçaient une action sur la purification du corps subtil dans lequel fonctionnait l'âme quand elle quittait le corps grossier. Les vertus politiques ou pratiques appartenaient à la vie journalière ; elles étaient exigées jusqu'à un certain point, avant qu'un homme pût se présenter à l'admission dans une école comme celles dont nous allons parler. Puis venaient les vertus cathartiques, purifiant le corps subtil, celui des émotions et du mental inférieur ; troisièmement les vertus intellectuelles, propres à l'Augoeides, ou côté lumineux de l'intelligence ; enfin, les vertus contemplatives ou paradigmatiques par lesquelles s'obtient l'union avec Dieu. Suivant Porphyre : "Celui qui exerce les vertus pratiques est un homme de bien ; mais celui qui exerce les vertus purificatrices est un homme angélique ou encore un bon daïmôn. Celui qui exerce les vertus intellectuelles seul est un Dieu – mais celui qui exerce les vertus paradigmatiques est le Père des Dieux 23."</p> <p style="text-align: center;"><em>21 G. R. S. MEAD, Plotinus, p. 42.</em><br /><em>22 TAYLOR, Jamblichus on the Mysteries, p. 364, et note p. 134, 2e éd.</em><br /><em>23 G. R. S. MEAD, Orpheus, pp. 285, 28.</em></p> <p style="text-align: center;">Dans les Mystères, beaucoup d'enseignements venaient encore des hiérarchies angéliques et autres. Pythagore, le grand Instructeur, qui avait reçu l'initiation dans l'Inde et qui communiquait à ses disciples "la connaissance des choses qui sont", passe pour avoir été versé dans la science musicale au point de la faire servir à dompter les passions [25] humaines les plus sauvages et à illuminer les intelligences. Jamblique en cite des exemples dans sa Vie de Pythagore. Il parait probable que le nom de Théodidaktos donné à Ammonius Saccas, le maitre de Plotin, se rapportait moins à la sublimité de ses enseignements qu'à l'instruction divine qui lui avait été donnée dans les Mystères.<br />Quelques-uns des symboles usités sont expliqués par Jamblique 24, qui exhorte Porphyre à oublier l'image de la chose symbolisée et d'en atteindre le sens intellectuel. Ainsi "la fange" représentait tout ce qui est corporel et matériel ; le "Dieu assis au-devant du lotus" signifiait que Dieu est supérieur à la fange et à l'intellect symbolisé par le lotus et qu'Il est établi en Lui-même (étant représenté assis). Était-Il montré "sur un vaisseau en marche", le symbole indiquait qu'Il régnait sur le monde. Et ainsi de suite 25. Proclus dit – à propos de cet usage d'employer des symboles – que "la méthode orphique avait pour but la révélation des choses divines à l'aide de symboles : elle était commune à tous les auteurs traitant de la science divine 26".<br />L'École Pythagoricienne de la Grande Grèce s'était fermée vers la fin du sixième siècle avant Jésus-Christ, à la suite des persécutions du pouvoir civil, mais il existait d'autres communautés gardant la tradition sacrée 27. Selon Mead, Platon la présenta sous une forme intellectuelle, afin qu'elle ne fût pas [26] profanée davantage ; les rites d'Éleusis en gardèrent quelques formes sans en conserver l'esprit. Les Néoplatoniciens furent les héritiers de Pythagore et de Platon ; il faut étudier leurs écrits pour se faire une idée de la majesté et de la beauté préservées, dans les Mystères, pour l'humanité.</p> <p style="text-align: center;"><em>24 TAYLOR, Jamblichus, p. 364, note p. 134.</em><br /><em>25 TAYLOR, Jamblichus, p. 285 et suiv.</em><br /><em>26 G. R. S. MEAD, Orpheus, p. 59.</em><br /><em>27 Ibid., p. 30.</em><br /><em>28 G. R. S. MEAD, Orpheus, pp. 263, 271.</em></p> <p style="text-align: center;">Nous pouvons prendre l'École Pythagoricienne elle-même comme type de la discipline imposée aux disciples. Mead donne à ce sujet de nombreux et intéressants, détails 28 : "Les auteurs anciens, dit-il ensuite, sont d'accord pour déclarer que cette discipline était arrivée à former des modèles incomparables non seulement par la pureté parfaite de leurs moeurs et de leurs sentiments, mais encore par leur simplicité, leur délicatesse et leur gout extraordinaire pour les occupations sérieuses. Ceci est admis, même par les auteurs chrétiens." – L'École avait des disciples au-dehors, qui menaient la vie familiale et sociale ; la citation qui précède s'applique à eux. L'École intérieure comprenait trois degrés successifs : les Auditeurs, qui travaillaient, sans parler, pendant deux années et assimilaient de leur mieux les enseignements ; les Mathématiciens, qui étudiaient avec la géométrie et la musique, la nature des nombres, des formes, des couleurs et des sons ; enfin, les Physiciens, qui apprenaient la cosmogonie et la métaphysique. Cela amenait aux Mystères proprement dits. Les personnes qui désiraient être admises dans l'École devaient jouir "d'une réputation irréprochable et avoir un caractère égal". [27]<br />L'étroite ressemblance existant entre les méthodes employées et le but poursuivi dans ces différents Mystères, d'une part, et ceux du Yoga Indien de l'autre, est évidente pour l'observateur le plus superficiel. Mais cela ne veut pas dire que les peuples de l'antiquité aient emprunté à l'Inde ; tous puisèrent à la source unique – la Grande Loge de l'Asie Centrale, qui envoya partout ses Initiés. Ceux-ci enseignaient tous les mêmes doctrines et employaient les mêmes méthodes menant au même but. Les Initiés des différentes nations étaient en relations suivies ; ils employaient un langage et un symbolisme communs. C'est ainsi que Pythagore fit un voyage dans l'Inde et y reçut une haute Initiation, et qu'Apollonius de Tyane y suivit, plus tard, ses pas. Plotin, mourant, prononça ces paroles, purement indiennes par les termes comme par la pensée : "Maintenant je cherche à ramener le Soi qui est en moi au Soi Universel 29."<br />Parmi les Indous, le devoir de n'enseigner les connaissances suprêmes qu'à ceux qui en étaient dignes était rigoureusement imposé. "Le mystère le plus profond de la connaissance finale… ne doit pas être dévoilé à celui qui n'est ni fils, ni disciple et dont le mental n'est point calme 30." Ailleurs nous lisons, après une définition du Yoga : "Lève-toi ! Tu as trouvé les Grands Êtres ; écoute-Les ! La route est aussi difficile à suivre que le tranchant affilé d'un rasoir. Ainsi parlent les Sages 31." [28]</p> <p style="text-align: center;"><em>29 G. R. S. MEAD, Plotinus, p 20.</em><br /><em>30 Shvetashvataropanishad, VI, 22.</em><br /><em>31 Kathopanishad, III, 14.</em></p> <p style="text-align: center;">L'Instructeur est nécessaire car l'enseignement par écrit, seul, ne suffit point. La connaissance finale consiste à connaitre Dieu et non pas seulement à L'adorer de loin. L'homme doit savoir que l'Existence Divine est réelle ; il doit savoir ensuite – (une foi et une espérance vagues ne suffiraient pas) – que, tout au fond, son propre Soi fait un avec Dieu et que le but de la vie est de réaliser cette unité. Á moins de pouvoir guider l'homme vers cette réalisation, la religion n'est que comme l'airain qui résonne ou comme une cymbale qui retentit 32.</p> <p style="text-align: center;">L'homme – enseignait-on également – devait apprendre à quitter son corps grossier : "Que l'homme doué de fermeté la sépare (l'âme) de son propre corps, comme un brin d'herbe de sa gaine 33." Et il est dit ailleurs : "Dans la gaine d'or – la plus haute – demeure l'immaculé, l'invariable Brahman. C'est la Lumière des Lumières, rayonnante et blanche ; ceux qui connaissent le Soi La connaissent 34." – "Quand le voyant contemple, dans Sa lumière d'or, le Créateur, le Seigneur, l'Esprit dont Brahman est la matrice – alors, ayant laissé là le mérite, et le démérite, entièrement pur, le sage atteint l'union suprême 35."</p> <p style="text-align: center;"><em>32 1 Cor., XIII, 1.</em><br /><em>33 Kathopanishad, VI 17.</em><br /><em>34 Mandakopanishad, II, II, 9.</em><br /><em>35 Mandakopanishad, III, I, 3.</em><br /><em>36 1 Sam., XIX, 20.</em><br /><em>37 2 Rois, II, 2, 5.</em><br /><em>38 Art. "School".</em></p> <p style="text-align: center;"><br />Les Hébreux possédaient, eux aussi, leur science secrète et leurs Écoles d'Initiation. L'assemblée des prophètes que présidait Samuel à Najoth 36, formait [29] une École semblable dont l'enseignement oral fut transmis à leurs successeurs. Des Écoles analogues existaient à Béthel et à Jéricho 37, et nous trouvons dans la Concordance de Cruden 38 cette note intéressante : "les Écoles ou collèges de prophètes sont les premières (écoles) que nous trouvions mentionnées dans les Écritures. Les enfants des prophètes – c'est-à-dire leurs disciples – y consacraient leur temps aux exercices d'une vie retirée et austère, à l'étude, à la méditation et à la lecture de la loi de Dieu… Ces Écoles ou Sociétés des prophètes furent remplacées plus tard par les Synagogues." La Kabbale, qui renferme les enseignements semi-publics, est, dans son état actuel, une compilation moderne due en partie au Rabbin Moïse de Léon, mort en 1305 après Jésus-Christ. Elle se compose de cinq livres – Bahur, Zohar, Sepher Sephiroth, Sepher Yetsirah et Asch Metzareth – et passe pour avoir été transmise oralement depuis les temps les plus reculés – historiquement parlant. Le docteur Wynn Westcott dit que "la tradition hébraïque fait remonter les parties les plus anciennes du Zohar à une époque antérieure à la construction du second Temple" ; d'autre part, Rabbi Siméon ben Jochai passe pour en avoir écrit une partie dans le premier siècle de l'ère chrétienne.<br />Suivant Saadjah Gaon, mort en 940 après Jésus-Christ, le Sepher Yetzirah est un livre "très ancien" 39. Quelques fragments de l'ancien enseignement [30] oral ont été introduits dans la Kabbale, telle qu'elle est aujourd'hui, mais la vraie sagesse archaïque des Hébreux reste sous la sauvegarde de quelques-uns des véritables fils d'Israël.<br />Cette esquisse est rapide mais suffira pour montrer, dans les religions autres que le Christianisme, l'existence d'un côté caché. Examinons maintenant si le Christianisme faisait exception à cette règle générale.</p> <p style="text-align: center;"><em>39 Docteur WINN WESCOTT, Sepher Yetzirah, p. 91.</em></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>CHAPITRE PREMIER</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong> — </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LE COTE CACHE DES RELIGIONS</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Beaucoup – la plupart même, peut-être – des personnes qui liront le titre de cet ouvrage l'accuseront immédiatement d'impliquer une idée fausse et nieront qu'il existe rien de précieux ayant droit au nom de "Christianisme Ésotérique". Suivant une opinion très répandue et, par suite, populaire, le Christianisme ne présente rien qui puisse être appelé "enseignement occulte" ; quant aux "Mystères", les Grands comme les Mineurs, c'était une institution essentiellement païenne. Le nom même des "Mystères de Jésus", si familier aux Chrétiens des premiers siècles, surprendrait fort leurs successeurs modernes, et l'opinion qui verrait dans ces Mystères une institution spéciale et définie provoquerait des sourires d'incrédulité. Que dis-je ! Il a été affirmé avec orgueil que le Christianisme n'avait pas de secrets – que ce qu'il avait à dire et à enseigner, il le disait et l'enseignait à tous. Ses vérités passent pour être d'une simplicité telle, que "le premier venu – même borné – les comprendra sans peine" et que "la simplicité de l'Évangile" est devenue une expression banale. [6]<br />Il est donc nécessaire de prouver clairement que – tout au moins dans l'Église primitive – le Christianisme ne cédait en rien à d'autres grandes religions possédant un "côté caché" et qu'il gardait, comme un trésor inestimable, les secrets révélés à l'élite dans ses Mystères. Mais, avant d'entreprendre cette tâche, il sera bon de considérer dans son ensemble la question de ce côté caché des religions et d'examiner pourquoi un côté semblable est, pour une religion, la condition même de sa force et de sa stabilité. La présence de cet élément dans le Christianisme s'en trouvera prouvée du même coup, et les passages où les Pères de l'Église y font allusion paraitront faciles à interpréter et naturels, au lieu d'être surprenants et inintelligibles. L'existence de cet ésotérisme est un fait historique – nous pouvons le prouver – mais il est possible de démontrer aussi qu'elle est une nécessité d'ordre intellectuel.<br />Quel est le but des religions ? C'est la première question qui se pose. Les religions sont données au monde par des hommes plus sages que les masses qui les reçoivent ; elles sont destinées à hâter l'évolution humaine, et leur action, pour être effective, doit atteindre et influencer individuellement les hommes. Or, tous les hommes ne sont pas arrivés au même degré d'évolution. L'évolution peut, au contraire, se représenter comme une rampe ascendante dont chaque point est occupé par un homme. Les plus évolués sont, intellectuellement et moralement, bien au-dessus des moins avancés. Á chaque degré, la faculté de comprendre et d'agir se modifie. Il est donc inutile de donner à tous le même enseignement religieux. [7]<br />Ce qui serait une aide pour l'homme intellectuel resterait tout à fait incompréhensible pour l'homme borné ; ce qui mettrait en extase le saint ne ferait aucune impression sur le criminel. Si, d'autre part, l'enseignement est de nature à aider les inintelligents, il est, pour le philosophe, insuffisant et vide ; est-il de nature à relever le criminel, il est complètement inutile au saint. Et pourtant, toutes les catégories humaines ont besoin de religions, afin de pouvoir tendre vers une vie supérieure à leur existence actuelle. En même temps, aucune catégorie, aucune classe ne doit être sacrifiée à une autre. La religion doit être aussi graduée que l'évolution elle-même ; autrement elle n'atteint pas son but.<br />Comment les religions – nous demanderons-nous ensuite – doivent-elles chercher à hâter l'évolution humaine ? Les religions tendent à former les natures morale et intellectuelle et à seconder le développement de la nature spirituelle. Regardant l'homme comme un être complexe, elles cherchent à l'atteindre dans chacun des éléments qui le composent – en s'adressant, par conséquent, à chacun par des enseignements appropriés aux besoins les plus variés. Ces leçons doivent donc s'adapter à chacune des intelligences, à chacun des coeurs, auxquels elles s'adressent. Si une religion n'atteint et ne subjugue pas l'intelligence – si elle ne purifie et n'élève pas les émotions – elle a manqué son but, en ce qui concerne la personne à qui elle s'adresse.<br />La religion ne s'applique pas seulement ainsi à l'intelligence et aux émotions – elle cherche encore, comme nous l'avons dit, à stimuler le développement [8] de la nature spirituelle. Elle répond à cette impulsion intérieure qui existe dans l'homme et ne cesse de pousser la race en avant. Car, au fond du coeur de chacun – souvent entravée par des conditions transitoires, souvent submergée par des préoccupations et des intérêts absorbants – il existe une aspiration continuelle vers Dieu. Comme un cerf brame après des eaux courantes, ainsi soupire 7 l'humanité après Dieu. Cette recherche présente des moments d'arrêt, où l'aspiration semble disparaitre. La civilisation et la pensée présentent des phases où ce cri, vers le Divin, de l'Esprit humain cherchant sa source – comme l'eau cherche à reprendre son niveau, suivant l'expression de Giordano Bruno – où cette aspiration passionnée de l'Esprit humain vers ce qui est de même nature que lui, dans l'univers – de la partie vers le tout – semble muette, semble évanouie. Mais bientôt elle se réveille, et le même cri poussé par l'Esprit se fait entendre. Cet instinct peut être momentanément aboli et périr en apparence, mais il se relève sans cesse – malgré l'opposition qui le réduit au silence – et prouve ainsi qu'il est une tendance inhérente à la nature humaine et fait avec elle un tout inséparable. Ceux qui s'écrient, triomphants : "Voyez ! Il n'est plus !" le retrouvent devant eux, toujours aussi vivant. Ceux qui bâtissent sans en tenir compte voient leurs édifices bien construits lézardés comme par un tremblement de terre. Ceux qui déclarent qu'il a fait son temps voient les superstitions les plus extravagantes résulter de leur dédain. [9] Il est si bien une partie intégrante de l'humanité, que l'homme exige une réponse à ses questions et préfère au silence une réponse fausse. L'homme ne parvient-il pas à découvrir la vérité religieuse, il choisira l'erreur religieuse plutôt que de rester sans religion ; il acceptera l'idéal le plus vide et le plus faux, mais refusera d'admettre que l'idéal n'existe pas.<br />Ainsi, la religion s'adresse à cet impérieux besoin, et, s'emparant dans la nature humaine du principe qui lui donne naissance, elle forme ce principe, le fortifie, le purifie et le guide vers le but qui l'attend – l'union de l'Esprit humain avec l'Esprit Divin – afin que Dieu soit en tous 8.</p> <p style="text-align: center;"><em>7 Psaume XLII, 1.</em></p> <p style="text-align: center;"><em>8 1 Cor., XV, 28.</em></p> <p style="text-align: center;">Une troisième question se pose : Quelle est l'origine des religions ? Cette question a reçu, dans les temps modernes, deux réponses : celle des Mythologies comparées, et celle des Religions comparées. Ces deux sciences donnent pour base commune à leur réponse les faits établis. Les recherches ont démontré d'une manière indiscutable que les différentes religions se ressemblent par leurs grands enseignements ; par leurs Fondateurs, qui manifestent tous des facultés surhumaines et une élévation morale extraordinaire ; par leurs préceptes éthiques ; par les méthodes qu'elles emploient pour entrer en relation avec les mondes invisibles ; enfin, par les symboles exprimant leurs croyances principales. Ces ressemblances, qui vont parfois jusqu'à l'identité, prouvent – à en croire les deux écoles que nous avons nommées – une origine commune. [10]<br /><br />Les deux partis diffèrent cependant dans leur manière de définir la nature de cette origine. La Mythologie comparée affirme que l'origine commune est une ignorance commune et que les religions les plus transcendantes sont simplement l'expression raffinée des naïves et barbares suppositions de sauvages – d'hommes primitifs – concernant leur propre existence et le monde qui les entoure. L'animisme, le fétichisme, le culte de la nature, le culte du soleil : telle est la boue d'où émerge le lis splendide des religions. Un Krishna, un Bouddha, un Lao-Tseu, un Jésus sont les descendants, hautement civilisés mais pourtant directs, de "l'homme-médecine" – qui se contorsionne devant des sauvages. Dieu est une photographie "composite" des innombrables dieux qui personnifient les forces de la nature. Et ainsi de suite. Tout se résume dans cette phrase : les religions sont les branches d'un tronc commun – l'ignorance humaine.<br />Par contre – d'après la science des Religions comparées – toutes les religions ont leur origine dans les enseignements d'hommes divins, qui révèlent, de temps à autre, aux différentes nations, les fragments des vérités religieuses fondamentales qu'elles sont susceptibles de comprendre ; la morale enseignée est toujours la même, les moyens inculqués sont semblables, les symboles identiques dans leur signification. Les religions sauvages – l'animisme et toutes les autres – sont des dégénérescences, les résultats d'une décadence, les descendants difformes et rapetissés de croyances religieuses véritables. Le culte du soleil et les formes pures du [11] culte de la nature étaient à leur époque, des religions élevées, extrêmement allégoriques, mais présentant des vérités et des connaissances profondes. Les grands Fondateurs – c'est l'opinion des Indous, des Bouddhistes et d'un certain nombre de personnes s'occupant de religions comparées, telles que les Théosophes – forment une Fraternité permanente d'hommes ayant dépassé le niveau de l'humanité. Ils se montrent, à certains moments, pour éclairer le monde et sont les protecteurs spirituels de la race humaine. Cette thèse peut être ainsi résumée : "Les religions sont les branches d'un tronc commun – la Sagesse divine."<br />Cette Sagesse Divine s'est appelée la Sagesse, la Gnose, la Théosophie, et quelques esprits, à différentes époques de l'histoire du monde, dans leur désir de mieux proclamer leur croyance dans cette unité des religions, ont préféré le nom éclectique de Théosophes à toute autre désignation d'un sens plus restreint.<br />La valeur relative des affirmations des deux écoles opposées doit être jugée par la valeur des preuves invoquées. Une forme dégénérée d'une<br />grande idée peut présenter une ressemblance étroite avec le produit raffiné d'une idée grossière. Le seul moyen de reconnaitre s'il y a dégénérescence ou évolution serait – s'il était possible – d'examiner ce qu'étaient nos ancêtres plus ou moins reculés et ceux des époques primitives. Les arguments présentés par ceux d'entre nous qui croient à l'existence de la Sagesse sont de cette nature. Suivant leurs allégations, les Fondateurs des religions, tels que nous les montrent leurs enseignements, dépassaient infiniment le niveau de l'humanité [12] ordinaire : les Écritures sacrées contiennent des préceptes moraux, un idéal sublime, des envolées de poésie, des affirmations profondément philosophiques, dont la grandeur et la beauté restent inapprochées dans les écrits plus modernes offerts par les mêmes religions. En d'autres termes, l'ancien l'emporte sur le récent et non le récent sur l'ancien. Il est impossible de citer un seul exemple du raffinement et du perfectionnement graduels auxquels les religions, en général, devraient leur origine. On peut, au contraire, citer des cas nombreux de purs enseignements dégénérés. Même chez les sauvages, on peut découvrir, en étudiant de près leurs religions, des traces nombreuses d'idées élevées que les sauvages ont évidemment été incapables de concevoir par eux-mêmes.<br />Ce dernier argument a été développé par M. Andrew Lang. Á le juger d'après son livre The Making of Religion, cet auteur semble appartenir plutôt au camp des Religions comparées qu'à celui des Mythologies comparées. Il montre l'existence d'une tradition commune que les sauvages n'ont pu développer par eux-mêmes, leurs croyances habituelles étant des plus primitives et leur intelligence faible. Sous ces croyances grossières et ces idées dégradées, Lang découvre des traditions d'un caractère sublime, concernant la nature de l'Être divin et ses relations avec l'humanité. Si les divinités adorées sont, pour la plupart, de véritables démons, derrière elles, plus haut qu'elles, se dresse une vague mais glorieuse Présence, rarement ou jamais nommée ; on en parle tout bas comme d'une puissance pleine d'amour et de bonté, trop tendre pour inspirer la terreur, trop bonne pour [13] qu'on lui adresse des supplications. Des notions semblables, les sauvages, parmi lesquels on les trouve, n'ont évidemment pu les concevoir ; elles demeurent les témoins éloquents des révélations de quelque grand Instructeur, dont la tradition nébuleuse peut généralement se découvrir aussi – d'un Fils de la Sagesse dont certains enseignements furent donnés dans un âge infiniment lointain.<br />Il est facile de comprendre la raison et, à vrai dire, la justification de l'opinion soutenue par la science des Mythologies comparées. Partout, parmi les tribus sauvages, elle voit les croyances religieuses revêtir des, formes abjectes et coïncider avec un manque de civilisation absolu. Or les hommes civilisés, descendant, par évolution, des hommes non civilisés, quoi de plus naturel que de regarder les religions civilisées comme le résultat de l'évolution des non civilisées ? C'est la première idée qui vient à l'esprit. Une étude nouvelle et plus attentive peut seule montrer que les sauvages d'aujourd'hui ne représentent pas nos ancêtres, mais qu'ils sont les descendants dégénérés de grandes races civilisées d'autrefois ; que, dans son développement, l'homme primitif n'a pas été laissé sans direction, mais qu'il a été surveillé, formé, par ses ainés dont il a reçu à la fois ses premières leçons de religion et de civilisation. Cette manière de voir se trouve corroborée par les faits dont parle Lang, et tout à l'heure se posera le problème : "Qui étaient ces ainés dont la tradition subsiste partout ?"<br />Poursuivant notre enquête, nous arrivons maintenant à cette question : "À quels peuples ont été [14] données les religions ?" Ici se présente immédiatement la difficulté que tout Fondateur de religion est appelé à résoudre ; elle est inhérente, comme nous l'avons vu, au but essentiel de la religion – l'accélération de l'évolution – et à son corolaire, la nécessité de tenir compte de tous les degrés d'évolution individuelle. Les hommes appartiennent aux stages évolutifs les plus divers ; certains d'entre eux présentent une extrême intelligence, mais d'autres une mentalité naissante ; ici une civilisation d'un développement et d'une complexité remarquables, là une organisation rudimentaire et naïve. Même dans les limites d'une civilisation donnée, nous trouvons les types les plus variés, les plus ignorants et les plus instruits, les plus réfléchis et les plus insouciants, les plus spirituellement doués et les plus brutaux. Il faut pourtant atteindre chacune de ces catégories d'êtres et les aider là où elles sont. Si l'évolution existe, cette difficulté est inévitable ; l'Instructeur divin doit l'aborder et la vaincre ; autrement Son oeuvre n'aboutira point. Si l'homme, comme tout ce qui l'entoure, est soumis à l'évolution, ces différences de développement, ces degrés d'intelligence variés, doivent partout caractériser l'humanité, et partout les religions de ce monde doivent en tenir compte.<br />Cela nous oblige à reconnaitre qu'un seul et même enseignement religieux ne saurait suffire à une même nation ; bien moins encore au monde entier. S'il n'en existait qu'un, beaucoup de ceux auxquels il s'adresse échapperaient totalement à son influence. L'enseignement est-il approprié aux hommes d'intelligence bornée, de moralité rudimentaire, de sens obtus, de [15] telle façon qu'il les aide, les forme et favorise ainsi leur évolution, cette religion ne conviendra en rien aux hommes appartenant à la même nation, faisant partie de la même civilisation, présentant une nature morale vive et impressionnable, une intelligence brillante et subtile, une spiritualité grandissante. Mais si, d'autre part, cette dernière classe doit être aidée ; si l'intelligence doit recevoir une philosophie qu'elle puisse admirer ; si la délicatesse des perceptions morales doit être plus affinée encore ; si la nature spirituelle naissante doit pouvoir, un jour, atteindre sa plénitude lumineuse, la religion devra réunir une spiritualité, une intellectualité et une moralité telles que sa prédication ne touchera ni la raison, ni le coeur des hommes dont j'ai parlé d'abord ; elle ne présentera, pour eux, qu'une suite de phrases sans signification, incapables d'éveiller leur intelligence engourdie ou de leur présenter aucun mobile qui leur permette de s'élever à des notions morales plus pures.<br />En examinant ces faits, en considérant le but de la religion, son mode d'action, son origine, la nature et les besoins variés des hommes à qui elle s'adresse, en constatant l'évolution, dans l'homme, de facultés spirituelles, intellectuelles et morales et le besoin, pour chacun, d'une éducation appropriée à son degré d'évolution, nous nous trouvons amenés à reconnaitre la nécessité absolue d'enseignements religieux variés et gradués qui satisfassent ces besoins différents et puissent aider chaque homme individuellement.<br />Pour une autre raison encore, l'enseignement doit rester ésotérique, en ce qui concerne certaines vérités [16] auxquelles s'applique essentiellement la maxime : "Savoir c'est pouvoir." La promulgation d'une philosophie profondément intellectuelle, capable de développer des esprits déjà hors de pair et de recevoir l'adhésion des hautes individualités, ne peut nuire à personne. Cette philosophie peut être répandue sans hésitation, car elle n'attire pas les ignorants qui s'en détournent, la trouvent aride, difficile et sans intérêt. Mais il y a des enseignements relatifs à l'organisation de la matière, qui expliquent des lois cachées et éclairent des opérations occultes dont la connaissance donne la clef de certaines énergies naturelles et permet de faire servir ces énergies à des fins déterminées, comme le fait un chimiste avec le produit de ses combinaisons. De semblables connaissances peuvent être d'une grande utilité pour des hommes très avancés et leur permettre de servir beaucoup plus utilement l'humanité. Mais si ces conditions étaient vulgarisées, elles pourraient être, et seraient, mal employées, comme la connaissance de poisons subtils le fut au moyen âge, entre autres par les Borgia ; elles passeraient à des hommes d'intelligence puissante, mais de désirs effrénés, à des hommes animés d'instincts séparatifs, cherchant leur bien personnel et indifférents au bien commun ; ces hommes, séduits par l'idée d'obtenir un pouvoir dont la possession les élèverait au-dessus du niveau général et mettrait l'humanité à leur merci, s'empresseraient d'acquérir des connaissances qui haussent leur possession à un rang surhumain ; les possédant, ils n'en deviendraient que plus égoïstes et plus confirmés dans leur séparativité, plus orgueilleux et plus repliés sur eux-mêmes, [17] et se trouveraient ainsi forcément poussés dans la route qui mène au diabolisme, ce sentier de la Main Gauche dont le terme est l'isolement et non pas l'union ; non seulement ils en souffriraient dans leur nature intérieure, mais encore ils deviendraient un danger pour la société, qui a déjà suffisamment à souffrir de la part des hommes dont l'intelligence est plus développée que la conscience. D'où la nécessité de mettre certains enseignements hors de portée de ceux qui, moralement, sont encore inaptes à les recevoir ; elle s'impose à tout Instructeur disposant de ces connaissances. L'Instructeur désire transmettre à ceux qui les feront servir au bien général et à l'accélération de l'évolution humaine les pouvoirs qu'elles confèrent ; mais en même temps Il se refuse à en faire profiter les hommes qui, au détriment de leurs semblables, les appliqueraient à leur avantage personnel.<br />Ce ne sont pas là de simples théories, nous disent les Annales Occultes, dans le récit détaillé des évènements mentionnés dans la Genèse, chapitre VI et suivants. L'enseignement était donné, dans ces temps reculés et sur le continent Atlante, sans que les gages de l'élévation morale, de la pureté et de l'altruisme fussent rigoureusement exigés des postulants. L'instruction était donnée à ceux dont l'intelligence était suffisante, exactement comme de nos jours est enseignée la science ordinaire. La félicité qu'on réclame si fort aujourd'hui existait alors ; elle porta ses fruits, et les hommes devinrent non seulement des géants intellectuels, mais aussi des géants d'iniquité, jusqu'au moment où la terre gémit sous leur oppression et [18] où le cri d'une humanité tyrannisée retentit à travers les mondes. Alors eut lieu la destruction d'Atlantis, la submersion de cet immense continent sous les eaux de l'océan. Le récit du déluge de Noé, dans les Écritures Hébraïques, l'histoire de Vaivasvata Manou racontée par les Écritures Indoues, dans l'Extrême-Orient, donnent quelques détails sur cet évènement.<br />Il y avait donc danger à laisser des mains impures s'emparer d'un savoir qui donne la puissance et, depuis lors, les grands instructeurs ont imposé des conditions rigoureuses, exigeant la pureté, l'altruisme et l'empire sur soi-même de toute personne demandant à être instruite dans ces matières. Ils se refusent nettement à communiquer des connaissances de ce genre à qui refuse de se soumettre à une discipline étroite, destinée à éliminer des sentiments et des intérêts les tendances séparatives ; ils attachent plus d'importance à la force morale du candidat qu'à son développement intellectuel, car l'enseignement lui-même développera l'intellect, tout en mettant à l'épreuve la nature morale. Il est infiniment préférable, pour les Grands Êtres, d'être accusés d'égoïsme par les ignorants parce qu'Ils ne divulguent pas leurs connaissances, que de précipiter le monde dans une nouvelle catastrophe Atlante.<br />Tels sont les arguments théoriques sur lesquels nous basons la nécessité de l'existence, dans toute religion, d'un côté caché. Si de la théorie nous passons aux faits, nous sommes naturellement amenés à demander : Ce côté caché a-t-il existé dans le passé, a-t-il fait partie des religions de ce monde ? La réponse doit être immédiatement et franchement affirmative. [19]<br />Toutes les grandes religions ont déclaré qu'elles disposaient d'un enseignement secret et qu'elles conservaient le dépôt, non seulement de connaissances mystiques théoriques, mais encore de connaissances mystiques pratiques ou sciences occultes. L'interprétation mystique des enseignements populaires était ouvertement donnée ; elle en montrait le caractère allégorique et rendait ainsi à des affirmations et à des récits étranges et peu rationnels un sens intellectuellement acceptable. Derrière l'enseignement populaire, le mysticisme théorique ; derrière le mysticisme théorique, le mysticisme pratique, enseignement spirituel caché qui n'était donné que sous des conditions expresses, ouvertement communiquées et obligatoires pour tout candidat. Clément d'Alexandrie mentionne cette division des Mystères. Á la purification, dit-il, "succèdent les Mystères Mineurs ; ils constituent une base d'instruction et de préparation pour le degré suivant ; puis les Grands Mystères, dans lesquels il ne reste plus rien à apprendre sur l'univers : mais seulement à contempler et à comprendre la nature et les choses 9."<br />En ce qui concerne les religions de l'antiquité, cette affirmation ne saurait être accusée d'inexactitude. Les Mystères de l'Égypte étaient la gloire de cette terre vénérable, et les plus grands fils de la Grèce, tel que Platon, se rendirent à Sais et à Thèbes pour y être initiés par des Égyptiens, Instructeurs de la Sagesse. En Perse, les Mystères de Mithra, en Grèce les Mystères d'Orphée et de Bacchus et plus [20] tard les semi-Mystères d'Éleusis – les Mystères de Samothrace, de la Scythie, de la Chaldée sont connus de tous, au moins de nom ; même sous la forme extrêmement dégénérée des Mystères d'Éleusis, les hommes les plus éminents de la Grèce, tels que Pindare, Sophocle, Isocrate, Plutarque et Platon, en ont la plus haute opinion. On attachait aux Mystères une importance spéciale au point de vue de l'existence d'outre-tombe – l'Initié acquérant les connaissances qui assuraient son bonheur à venir. Sopater affirme, de plus, que l'Initiation établissait une alliance entre l'âme et la Nature divine et, dans l'hymne exotérique à Déméter, nous trouvons des allusions voilées au saint enfant, Iacchus, à sa mort et à sa résurrection enseignées dans les Mystères 10.</p> <p style="text-align: center;"><em>9 Ante-Nicene Library, vol. XII. CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromata, V, chap. XI.</em></p> <p style="text-align: center;">De Jamblique, le grand théurge des troisième et quatrième siècles après Jésus-Christ, il y a beaucoup à apprendre concernant le but des Mystères. La théurgie était la magie, "la partie la plus avancée de la science sacerdotale 11" ; elle était pratiquée dans les Grands Mystères, pour évoquer l'apparition d'Êtres supérieurs. Résumée en quelques mots, la théorie servant de base à ces Mystères est la suivante. D'abord l'UNIQUE, antérieur à tous les êtres, immobile, retiré dans la solitude de Sa propre unité. De CELA émane le Dieu suprême, engendré Lui-même, le Bien, la Source de toutes choses, la Racine, le Dieu des Dieux, la Cause Première, dont la manifestation [21] est Lumière 12. De Lui nait le Monde Intelligible ou univers idéal, le Mental Universel, le Nous, dont dépendent les Dieux incorporels ou intelligibles. Du Nous procède l'Âme du Monde, à laquelle appartiennent les "formes divines intellectuelles, qui accompagnent les corps visibles des dieux". Puis viennent différentes hiérarchies d'êtres surhumains, les Archanges, les Archontes (gouverneurs) ou Cosmocratores, les Anges, les Daïmons, etc. L'homme constitue un ordre moins élevé, mais d'une nature analogue à la leur ; il peut arriver à les connaitre ; l'expérience en était faite dans les Mystères et conduisait à l'union avec Dieu 13. [22]</p> <p style="text-align: center;"><em>10 Voyez l'article sur les Mystères, Encyclopcedia Britannica, 9e éd.</em><br /><em>11 PSELLE, cité dans Jamblichus on the Mysteries, par T. TAYLOR, p. 343, note de la p. 23, 2e éd.</em><br /><em>12 Jamblichus, p. 301.</em><br /><em>13 L'article "Mysticism", dans l'Encyclopoedia Britannica, donne les détails suivants sur l'enseignement de Plotin (204-206 ap. JC) : "L'Unique (le Dieu Suprême dont nous avons parlé ci-dessus) est exalté au-dessus du nous et des idées ; Il est absolument au-dessus de l'existence ; Il échappe à la raison. Restant Lui-même en repos, Il fait jaillir, de Sa propre plénitude – comme un rayon – une image de Lui-même, nommée nous et qui forme l'ensemble des idées du monde intelligible.L'âme, à son tour, est l'image ou le produit du nous et, en se mouvant, engendre la matière physique. L'âme a donc deux faces : l'une tournée vers le nous dont elle émane, l'autre tournée vers la vie matérielle qu'elle a fait naitre elle-même. L'effort moral consiste à se séparer de l'élément sensible ; l'existence matérielle est elle-même la séparation d'avec Dieu… Pour atteindre le but suprême la pensée elle-même doit être laissée en arrière ; car la pensée est une forme du mouvement, et l'âme aspire au repos immobilisé qui est le propre de l'Unique. L'Union avec la divinité transcendante n'est pas tant la connaissance ou la vision que l'extase, la fusion, le contact." Le Néoplatonisme est donc "tout d'abord un système rationaliste ; en d'autres termes, il prétend que la raison est capable d'esquisser le Système Cosmique en son entier. D'autre part, affirmant un Dieu supérieur à la raison, le mysticisme devient, en un sens, le complément nécessaire du rationalisme qui voudrait tout embrasser. Le système culmine dans un acte mystique."</em></p> <p style="text-align: center;"><br />Suivant les doctrines communiquées dans les Mystères, "toutes choses procèdent de l'Unique et y retournent" ; "l'Unique est supérieur à tout 14". De plus, ces différents Êtres étaient invoqués et apparaissaient tantôt pour instruire, tantôt pour édifier et purifier par la seule présence. "Les dieux bienveillants et miséricordieux, dit Jamblique, versent libéralement la lumière aux théurges, ils appellent à eux les âmes de ceux-ci, ils les unissent à eux et les habituent, bien que liées à des corps, à se séparer des corps et à évoluer autour de leur cause éternelle et intelligible 15." – Car "l'âme ayant une double vie, l'une avec le corps, l'autre distincte de tout corps 16", il est indispensable d'apprendre à séparer l'âme du corps, afin qu'elle puisse s'unir aux dieux par sa partie intellectuelle et divine et apprendre, avec les vrais principes de la connaissance, les vérités du monde intelligible 17. "La présence des dieux nous donne la santé du corps, la vertu de l'âme, la pureté de l'intelligence et, en un mot, la régression de tout ce qui est en nous aux causes propres… Ce qui n'est pas corps, elle le représente comme corps aux yeux de l'âme par l'intermédiaire des yeux du corps 18." "Dans les épiphanies des dieux, elles (les âmes) reçoivent la perfection extraordinaire et extrême, l'acte le meilleur absolument, et elles participent [23] à l'amour divin et à la joie indicible 19." Par là nous obtenons une vie divine et devenons, en réalité, divins 20.<br />Le point culminant des Mystères était la transformation de l'Initié en Dieu, soit par l'union avec un Être divin extérieur à lui-même soit en ayant les yeux ouverts à l'existence en lui du Soi divin. Cet état portait le nom d'extase ; un Yogi Indou l'appellerait le Samâdhi supérieur – le corps grossier étant en léthargie et l'âme libérée effectuant sa propre union avec le Grand Être. Cette "extase n'est pas, à proprement parler, une faculté ; c'est un état de l'âme qui la transforme de telle façon qu'elle perçoit ce qui, jusqu'alors, était caché pour elle. Tant que notre union avec Dieu ne sera pas irrévocable, cet état ne sera pas permanent ; ici, dans notre vie terrestre, l'extase n'est qu'un éclair. L'homme peut cesser d'être homme et devenir Dieu, mais il ne peut être à la fois Dieu et homme 21." Plotin dit qu'il n'avait encore atteint cet état "que trois fois".</p> <p style="text-align: center;"><em>14 Le Livre de Jamblique sur les Mystères (Trad. Quillard), p. 29. Paris, 1895. Libr. de l'Art indépendant.</em><br /><em>15 Le Livre de Jamblique sur les Mystères, p. 29.</em><br /><em>16 Ibid., p. 75.</em><br /><em>17 Ibid., p. 75.</em><br /><em>18 Ibid., p. 58.</em><br /><em>19 Ibid., p. 62.</em><br /><em>20 Ibid., p. 206.</em></p> <p style="text-align: center;"><br />Proclus, lui aussi, enseignait que l'unique salut de l'âme était le retour à sa forme intellectuelle ; l'âme se dérobait ainsi au "cercle de la génération et à toutes ses courses errantes" et atteignait l'existence véritable – "le retour à l'énergie toujours égale et simple de la période caractérisée par les différences". Telle est la vie à laquelle aspiraient les candidats, initiés par Orphée dans les Mystères de Bacchus et [24] de Proserpine ; tel est le résultat obtenu par la pratique des vertus purificatrices ou cathartiques 22.<br />Ces vertus étaient exigées pour les Grands Mystères, car elles exerçaient une action sur la purification du corps subtil dans lequel fonctionnait l'âme quand elle quittait le corps grossier. Les vertus politiques ou pratiques appartenaient à la vie journalière ; elles étaient exigées jusqu'à un certain point, avant qu'un homme pût se présenter à l'admission dans une école comme celles dont nous allons parler. Puis venaient les vertus cathartiques, purifiant le corps subtil, celui des émotions et du mental inférieur ; troisièmement les vertus intellectuelles, propres à l'Augoeides, ou côté lumineux de l'intelligence ; enfin, les vertus contemplatives ou paradigmatiques par lesquelles s'obtient l'union avec Dieu. Suivant Porphyre : "Celui qui exerce les vertus pratiques est un homme de bien ; mais celui qui exerce les vertus purificatrices est un homme angélique ou encore un bon daïmôn. Celui qui exerce les vertus intellectuelles seul est un Dieu – mais celui qui exerce les vertus paradigmatiques est le Père des Dieux 23."</p> <p style="text-align: center;"><em>21 G. R. S. MEAD, Plotinus, p. 42.</em><br /><em>22 TAYLOR, Jamblichus on the Mysteries, p. 364, et note p. 134, 2e éd.</em><br /><em>23 G. R. S. MEAD, Orpheus, pp. 285, 28.</em></p> <p style="text-align: center;">Dans les Mystères, beaucoup d'enseignements venaient encore des hiérarchies angéliques et autres. Pythagore, le grand Instructeur, qui avait reçu l'initiation dans l'Inde et qui communiquait à ses disciples "la connaissance des choses qui sont", passe pour avoir été versé dans la science musicale au point de la faire servir à dompter les passions [25] humaines les plus sauvages et à illuminer les intelligences. Jamblique en cite des exemples dans sa Vie de Pythagore. Il parait probable que le nom de Théodidaktos donné à Ammonius Saccas, le maitre de Plotin, se rapportait moins à la sublimité de ses enseignements qu'à l'instruction divine qui lui avait été donnée dans les Mystères.<br />Quelques-uns des symboles usités sont expliqués par Jamblique 24, qui exhorte Porphyre à oublier l'image de la chose symbolisée et d'en atteindre le sens intellectuel. Ainsi "la fange" représentait tout ce qui est corporel et matériel ; le "Dieu assis au-devant du lotus" signifiait que Dieu est supérieur à la fange et à l'intellect symbolisé par le lotus et qu'Il est établi en Lui-même (étant représenté assis). Était-Il montré "sur un vaisseau en marche", le symbole indiquait qu'Il régnait sur le monde. Et ainsi de suite 25. Proclus dit – à propos de cet usage d'employer des symboles – que "la méthode orphique avait pour but la révélation des choses divines à l'aide de symboles : elle était commune à tous les auteurs traitant de la science divine 26".<br />L'École Pythagoricienne de la Grande Grèce s'était fermée vers la fin du sixième siècle avant Jésus-Christ, à la suite des persécutions du pouvoir civil, mais il existait d'autres communautés gardant la tradition sacrée 27. Selon Mead, Platon la présenta sous une forme intellectuelle, afin qu'elle ne fût pas [26] profanée davantage ; les rites d'Éleusis en gardèrent quelques formes sans en conserver l'esprit. Les Néoplatoniciens furent les héritiers de Pythagore et de Platon ; il faut étudier leurs écrits pour se faire une idée de la majesté et de la beauté préservées, dans les Mystères, pour l'humanité.</p> <p style="text-align: center;"><em>24 TAYLOR, Jamblichus, p. 364, note p. 134.</em><br /><em>25 TAYLOR, Jamblichus, p. 285 et suiv.</em><br /><em>26 G. R. S. MEAD, Orpheus, p. 59.</em><br /><em>27 Ibid., p. 30.</em><br /><em>28 G. R. S. MEAD, Orpheus, pp. 263, 271.</em></p> <p style="text-align: center;">Nous pouvons prendre l'École Pythagoricienne elle-même comme type de la discipline imposée aux disciples. Mead donne à ce sujet de nombreux et intéressants, détails 28 : "Les auteurs anciens, dit-il ensuite, sont d'accord pour déclarer que cette discipline était arrivée à former des modèles incomparables non seulement par la pureté parfaite de leurs moeurs et de leurs sentiments, mais encore par leur simplicité, leur délicatesse et leur gout extraordinaire pour les occupations sérieuses. Ceci est admis, même par les auteurs chrétiens." – L'École avait des disciples au-dehors, qui menaient la vie familiale et sociale ; la citation qui précède s'applique à eux. L'École intérieure comprenait trois degrés successifs : les Auditeurs, qui travaillaient, sans parler, pendant deux années et assimilaient de leur mieux les enseignements ; les Mathématiciens, qui étudiaient avec la géométrie et la musique, la nature des nombres, des formes, des couleurs et des sons ; enfin, les Physiciens, qui apprenaient la cosmogonie et la métaphysique. Cela amenait aux Mystères proprement dits. Les personnes qui désiraient être admises dans l'École devaient jouir "d'une réputation irréprochable et avoir un caractère égal". [27]<br />L'étroite ressemblance existant entre les méthodes employées et le but poursuivi dans ces différents Mystères, d'une part, et ceux du Yoga Indien de l'autre, est évidente pour l'observateur le plus superficiel. Mais cela ne veut pas dire que les peuples de l'antiquité aient emprunté à l'Inde ; tous puisèrent à la source unique – la Grande Loge de l'Asie Centrale, qui envoya partout ses Initiés. Ceux-ci enseignaient tous les mêmes doctrines et employaient les mêmes méthodes menant au même but. Les Initiés des différentes nations étaient en relations suivies ; ils employaient un langage et un symbolisme communs. C'est ainsi que Pythagore fit un voyage dans l'Inde et y reçut une haute Initiation, et qu'Apollonius de Tyane y suivit, plus tard, ses pas. Plotin, mourant, prononça ces paroles, purement indiennes par les termes comme par la pensée : "Maintenant je cherche à ramener le Soi qui est en moi au Soi Universel 29."<br />Parmi les Indous, le devoir de n'enseigner les connaissances suprêmes qu'à ceux qui en étaient dignes était rigoureusement imposé. "Le mystère le plus profond de la connaissance finale… ne doit pas être dévoilé à celui qui n'est ni fils, ni disciple et dont le mental n'est point calme 30." Ailleurs nous lisons, après une définition du Yoga : "Lève-toi ! Tu as trouvé les Grands Êtres ; écoute-Les ! La route est aussi difficile à suivre que le tranchant affilé d'un rasoir. Ainsi parlent les Sages 31." [28]</p> <p style="text-align: center;"><em>29 G. R. S. MEAD, Plotinus, p 20.</em><br /><em>30 Shvetashvataropanishad, VI, 22.</em><br /><em>31 Kathopanishad, III, 14.</em></p> <p style="text-align: center;">L'Instructeur est nécessaire car l'enseignement par écrit, seul, ne suffit point. La connaissance finale consiste à connaitre Dieu et non pas seulement à L'adorer de loin. L'homme doit savoir que l'Existence Divine est réelle ; il doit savoir ensuite – (une foi et une espérance vagues ne suffiraient pas) – que, tout au fond, son propre Soi fait un avec Dieu et que le but de la vie est de réaliser cette unité. Á moins de pouvoir guider l'homme vers cette réalisation, la religion n'est que comme l'airain qui résonne ou comme une cymbale qui retentit 32.</p> <p style="text-align: center;">L'homme – enseignait-on également – devait apprendre à quitter son corps grossier : "Que l'homme doué de fermeté la sépare (l'âme) de son propre corps, comme un brin d'herbe de sa gaine 33." Et il est dit ailleurs : "Dans la gaine d'or – la plus haute – demeure l'immaculé, l'invariable Brahman. C'est la Lumière des Lumières, rayonnante et blanche ; ceux qui connaissent le Soi La connaissent 34." – "Quand le voyant contemple, dans Sa lumière d'or, le Créateur, le Seigneur, l'Esprit dont Brahman est la matrice – alors, ayant laissé là le mérite, et le démérite, entièrement pur, le sage atteint l'union suprême 35."</p> <p style="text-align: center;"><em>32 1 Cor., XIII, 1.</em><br /><em>33 Kathopanishad, VI 17.</em><br /><em>34 Mandakopanishad, II, II, 9.</em><br /><em>35 Mandakopanishad, III, I, 3.</em><br /><em>36 1 Sam., XIX, 20.</em><br /><em>37 2 Rois, II, 2, 5.</em><br /><em>38 Art. "School".</em></p> <p style="text-align: center;"><br />Les Hébreux possédaient, eux aussi, leur science secrète et leurs Écoles d'Initiation. L'assemblée des prophètes que présidait Samuel à Najoth 36, formait [29] une École semblable dont l'enseignement oral fut transmis à leurs successeurs. Des Écoles analogues existaient à Béthel et à Jéricho 37, et nous trouvons dans la Concordance de Cruden 38 cette note intéressante : "les Écoles ou collèges de prophètes sont les premières (écoles) que nous trouvions mentionnées dans les Écritures. Les enfants des prophètes – c'est-à-dire leurs disciples – y consacraient leur temps aux exercices d'une vie retirée et austère, à l'étude, à la méditation et à la lecture de la loi de Dieu… Ces Écoles ou Sociétés des prophètes furent remplacées plus tard par les Synagogues." La Kabbale, qui renferme les enseignements semi-publics, est, dans son état actuel, une compilation moderne due en partie au Rabbin Moïse de Léon, mort en 1305 après Jésus-Christ. Elle se compose de cinq livres – Bahur, Zohar, Sepher Sephiroth, Sepher Yetsirah et Asch Metzareth – et passe pour avoir été transmise oralement depuis les temps les plus reculés – historiquement parlant. Le docteur Wynn Westcott dit que "la tradition hébraïque fait remonter les parties les plus anciennes du Zohar à une époque antérieure à la construction du second Temple" ; d'autre part, Rabbi Siméon ben Jochai passe pour en avoir écrit une partie dans le premier siècle de l'ère chrétienne.<br />Suivant Saadjah Gaon, mort en 940 après Jésus-Christ, le Sepher Yetzirah est un livre "très ancien" 39. Quelques fragments de l'ancien enseignement [30] oral ont été introduits dans la Kabbale, telle qu'elle est aujourd'hui, mais la vraie sagesse archaïque des Hébreux reste sous la sauvegarde de quelques-uns des véritables fils d'Israël.<br />Cette esquisse est rapide mais suffira pour montrer, dans les religions autres que le Christianisme, l'existence d'un côté caché. Examinons maintenant si le Christianisme faisait exception à cette règle générale.</p> <p style="text-align: center;"><em>39 Docteur WINN WESCOTT, Sepher Yetzirah, p. 91.</em></p> CHAPITRE II — LE COTE CACHE DU CHRISTIANISME – LE TÉMOIGNAGE DES ÉCRITURES 2019-06-23T14:06:23+00:00 2019-06-23T14:06:23+00:00 http://www.hierarchie.eu/le-christianisme-esoterique-ou-les-mysteres-mineurs-par-annie-besant-1903/1105-chapitre-ii-le-cote-cache-du-christianisme-le-temoignage-des-ecritures Super User bon.christo@free.fr <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong>CHAPITRE II </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong>— </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong>LE COTE CACHE DU CHRISTIANISME </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong>–</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong> LE TÉMOIGNAGE DES ÉCRITURES</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Les religions du passé – nous venons de le constater – étaient unanimes pour déclarer qu'elles présentaient un côté caché et qu'elles possédaient des "Mystères" ; cette affirmation, les hommes les plus éminents en ont prouvé la valeur, en recherchant eux-mêmes l'initiation. Il nous reste à nous assurer si le Christianisme est exclu de ce cercle des religions, s'il est seul privé d'une Gnose, s'il n'offre au monde qu'une foi élémentaire et non pas une science profonde. S'il en était ainsi, le fait serait triste et lamentable, car il indiquerait que le Christianisme n'est fait que pour une seule classe et non pour toutes les catégories humaines. Mais cela n'est pas : nous pouvons le prouver de manière à rendre impossible tout doute rationnel.<br />De cette preuve le Christianisme contemporain a le plus extrême besoin, car la fleur du Christianisme périt faute de lumière. Si l'enseignement ésotérique peut être rétabli et s'attirer des étudiants patients et sérieux, l'enseignement occulte, lui aussi, sera bientôt [32] rétabli. Les Disciples des Mystères Mineurs deviendront les candidats aux Grands Mystères et, avec le retour de la connaissance, reviendra l'autorité de l'enseignement. Oui, le besoin en est grand. Regardons le monde qui nous entoure, et nous verrons que dans l'Occident la religion souffre précisément de la difficulté que, théoriquement, nous serions amenés à prévoir. Le Christianisme ayant perdu son enseignement mystique et ésotérique voit lui échapper un grand nombre de ses membres les plus intellectuels, et le réveil partiel de ces dernières années a coïncidé avec l'introduction nouvelle de certains enseignements mystiques. Il est évident, pour toute personne ayant étudié l'histoire des quarante dernières années du dix-neuvième siècle, qu'une foule de personnes d'un caractère réfléchi et moral ont quitté les églises parce que les enseignements qu'elles y recevaient faisaient outrage à leur intelligence et offensaient leur sens moral. Il est oiseux de prétendre que l'agnosticisme, aujourd'hui si général, a pour cause soit un défaut de sens moral, soit une froide perversité intellectuelle. Il suffit d'avoir étudié ces questions avec soin pour reconnaitre que des hommes puissamment intelligents ont été chassés du Christianisme par les idées religieuses rudimentaires qui leur étaient présentées – par les contradictions entre les doctrines – enfin, par les données sur Dieu, l'homme et l'univers impossibles à admettre pour tout esprit cultivé. On ne peut du reste voir dans la révolte contre les dogmes de l'Église l'indice d'aucune décadence morale. Les révoltés n'étaient pas trop mauvais pour leur religion ; la religion, au contraire, était trop mauvaise [33] pour eux. La révolte contre le Christianisme populaire a été motivée par le réveil et le développement de la conscience ; celle-ci s'est soulevée, comme l'intelligence, contre les doctrines déshonorant à la fois Dieu et l'homme, doctrines représentant Dieu comme un tyran et l'homme comme essentiellement pervers et obligé de mériter son salut par une soumission d'esclave.<br />Cette révolte a eu pour raison le ravalement graduel des enseignements chrétiens au niveau d'une prétendue simplicité, permettant aux plus ignorants de les comprendre. "Il ne faut prêcher que ce que tous peuvent saisir" – déclaraient hautement les docteurs Protestants – "la gloire de l'Évangile est sa simplicité ; les enfants et les illettrés doivent pouvoir le comprendre et en suivre les préceptes". Cela est vrai, s'il faut entendre par là que certaines vérités religieuses peuvent être comprises par chacun et qu'une religion n'atteint pas son but si les plus humbles, les plus ignorants, les plus bornés échappent à son influence édifiante. Mais cela est faux, absolument faux, s'il faut en conclure qu'une religion ne renferme pas de vérités inabordables pour les ignorants et qu'elle est à ce point pauvre et limitée qu'elle n'ait rien à enseigner qui soit trop haut pour la pensée des inintelligents ou pour l'état moral des êtres dégradés. Oui, si tel est le sens de l'affirmation protestante, elle est fausse et fatalement fausse. L'idée a été répandue par la prédication, répétée dans les églises, d'où cette conséquence qu'une foule de personnes d'un caractère élevé – au désespoir de se détacher de leur foi première – abandonnent les [34] églises et laissent leur place aux hypocrites et aux ignorants. Elles deviennent passivement agnostiques ou – si elles sont jeunes et enthousiastes – activement agressives ; elles se refusent à voir la vérité suprême dans une religion qui outrage à la fois l'intelligence et la conscience, et préfèrent la franchise d'une incrédulité ouverte à l'influence malsaine exercée sur l'intelligence par une autorité qui n'a, pour elles, rien de divin.<br />Cet examen de la pensée contemporaine nous montre que la question d'un enseignement caché se rattachant au Christianisme prend une importance capitale. Le Christianisme doit-il rester la religion de<br />l'Occident ? Doit-il traverser les siècles et contribuer encore à former la pensée des races occidentales au cours de son évolution ? Pour pouvoir vivre, il lui faut retrouver sa science perdue et rentrer en possession de ces enseignements mystiques et occultes, il lui faut reprendre sa place comme maitre incontesté de vérités spirituelles, revêtu de la seule autorité effective, celle du savoir. Si le Christianisme rentre en possession de ces enseignements, leur influence se manifestera bientôt par une manière plus large et plus profonde d'envisager la vérité. Dans certains dogmes qui aujourd'hui semblent des idées creuses et arriérés et rien de plus, on verra de nouveau une affirmation partielle de vérités fondamentales. Tout d'abord le Christianisme Ésotérique reprendra sa place dans le "Lieu Saint", dans le Temple, permettant à tous ceux qui en sont capables de recevoir ses enseignements publics. En même temps, le Christianisme Occulte descendra de nouveau dans [35] l'Adytum et demeurera derrière le voile qui ferme le "Lieu Très Saint" où l'Initié seul peut pénétrer. Enfin l'enseignement occulte sera mis à la portée de ceux qui se rendent dignes de le recevoir, suivant les règles d'autrefois, et consentent aujourd'hui à remplir les conditions imposées, dans le passé, à tous ceux qui désiraient s'assurer de l'existence et de la réalité du domaine spirituel.<br />Interrogeons de nouveau l'histoire. Le Christianisme était-il la seule religion dépourvue d'un enseignement réservé ou était-il comme toutes les autres en possession de ce trésor secret ? Il ne faut pas ici des théories, mais des témoignages. La question sera résolue par les documents parvenus jusqu'à nous ; le simple ipse dixit du Christianisme moderne ne suffit pas.<br />Le Nouveau Testament et les écrits de l'Église primitive sont positivement d'accord pour déclarer que l'Église possède des enseignements semblables ; ils nous apprennent l'existence des Mystères – appelés les Mystères de Jésus ou les Mystères du Royaume – les conditions imposées aux candidats, un aperçu de la nature générale des enseignements donnés et d'autres détails encore. Certains passages du Nouveau Testament resteraient complètement obscurs sans la lumière dont les éclairent, par leurs nettes affirmations, les Pères et Évêques de l'Église ; grâce à elle, ces passages deviennent clairs et intelligibles.<br />Certes le contraire eût été étrange, étant donné la variété des influences religieuses auxquelles a été soumis le Christianisme primitif. Allié aux Hébreux, aux Perses, aux Grecs, coloré par les croyances, [36] plus anciennes, de l'Inde, portant l'empreinte profonde de la pensée Syrienne et Égyptienne, ce jeune rameau du grand tronc religieux ne pouvait qu'affirmer de nouveau les anciennes traditions et offrir aux races occidentales, dans son intégrité, le trésor des enseignements antiques. "La foi qui a été confiée aux saints" aurait été dépouillée de sa valeur principale si elle avait été transmise à l'Occident sans la perle de la doctrine ésotérique.<br />Le premier témoignage à examiner est celui du Nouveau Testament. Il n'est pas nécessaire d'aborder les controverses relatives aux différentes interprétations et aux différents auteurs. Ces problèmes, il appartient aux érudits seuls de les résoudre.<br />La critique a beaucoup à dire sur la date des manuscrits, sur l'authenticité des documents, etc. Mais nous n'avons pas à nous en occuper ici. Nous pouvons accepter les livres canoniques ; ils représentent pour nous la manière dont l'Église primitive comprenait les enseignements du Christ et de Ses successeurs immédiats. Que disent ces livres d'un enseignement secret communiqué à un petit nombre de personnes ? Notons d'abord les paroles attribuées à Jésus Lui-même et regardées par l'Église comme l'autorité suprême ; nous étudierons ensuite les écrits du grand apôtre saint Paul ; enfin, nous relèverons les déclarations faites par les héritiers de la tradition apostolique qui dirigèrent l'Église pendant les premiers siècles de notre ère. Cette suite continue de traditions et de témoignages écrits nous permettra d'établir que le Christianisme possédait un côté caché. Nous verrons de plus, qu'il est possible de suivre à [37] travers les siècles, jusqu'au commencement du dix-neuvième, la trace des Mystères Mineurs ou interprétation mystique. Malgré l'absence, après la disparition des Mystères, d'Écoles Mystiques préparant ouvertement à l'Initiation, de grands Mystiques sont cependant parvenus, de temps à autre, à atteindre les degrés inférieurs de l'extase, grâce à la persévérance de leurs propres efforts et à l'aide probable d'Instructeurs invisibles.<br />Les paroles du Maitre Lui-même sont claires et explicites. Origène, comme nous le verrons plus loin, les a citées comme faisant allusion à l'enseignement secret gardé par l'Église. Et quand il fut en particulier, ceux qui étaient autour de lui avec les douze apôtres l'interrogèrent touchant le sens de cette parabole. Et il leur dit : Il vous est donné de connaitre le mystère du royaume de Dieu, mais pour ceux qui sont dehors tout se traite par des paraboles. Et plus loin : Il leur annonçait ainsi la parole par plusieurs similitudes de cette sorte, selon qu'ils étaient capables de l'entendre. Et il ne leur parlait point sans similitude ; mais lorsqu'il était en particulier, il expliquait tout à ses disciples 40.<br />Notez ces mots significatifs : Quand il fut en particulier et l'expression : Ceux qui sont dehors. Nous lisons, de même, dans l'Évangile selon saint Matthieu : Alors Jésus ayant renvoyé le peuple, s'en alla à la maison, et ses disciples vinrent le trouver. Ces leçons données dans sa maison, exposant le sens profond [38] de Sa doctrine, passent pour avoir été transmises d'instructeur en instructeur. L'Évangile donne, comme on le voit, des explications allégoriques et mystiques représentant ce que nous avons appelé les Mystères Mineurs ; quant au sens profond, il n'était dévoilé, disait-on, qu'aux Initiés.<br />Ailleurs, Jésus dit à ses disciples eux-mêmes : J'aurais encore plusieurs choses à vous dire, mais elles sont encore au-dessus de votre portée 41. Jésus en communiqua, sans doute, quelques-unes après Sa mort, quand Il Se fit voir à ses disciples, leur parlant de ce qui regarde le royaume de Dieu 42. Aucune de ces paroles n'a été divulguée, mais comment supposer qu'elles aient été oubliées ou négligées et qu'elles n'aient pas été transmises, comme un trésor sans prix ? Suivant une tradition conservée dans l'Église. Jésus resta en rapport avec Ses disciples longtemps après Sa mort afin de les instruire – nous aurons l'occasion de mentionner ce nouveau fait – et, dans le fameux ouvrage Gnostique intitulé Pistis Sophia, nous lisons ces mots : "Il advint qu'après Sa résurrection d'entre les morts, Jésus S'entretint avec Ses disciples et les instruisit pendant onze ans 43." Citons encore ce verset, dont beaucoup voudraient atténuer l'énergie et modifier le sens par des explications variées : Ne donnez point les choses saintes aux chiens et ne jetez point vos perles devant [39] les pourceaux 44, précepte généralement appliqué, mais où la Primitive Église voyait une allusion à des enseignements secrets. Il ne faut pas oublier que ces mots n'avaient pas, jadis, le caractère de dureté qu'ils ont aujourd'hui. Les personnes faisant partie d'un même groupe appelaient "chiens", c'est-à-dire le "Vulgaire", le "Profane", tous ceux qui n'appartenaient pas à leur groupe, qu'il s'agît d'une société ou association ou d'un peuple. Les Juifs, par exemple, parlaient ainsi de tous les Gentils 45. On appliquait parfois ces expressions aux personnes étrangères au cercle des Initiés, et nous les trouvons employées dans ce sens par l'Église Primitive. Les personnes non initiées aux Mystères et regardées comme étrangères au "royaume de Dieu" ou "Israël spirituel" étaient ainsi désignées.</p> <p style="text-align: center;"><em>40 S. Marc, IV, 10 11, 33, 34. Voy. aussi S. Matth., XIII, 11, 34, 36, et S. Luc, VIII, 10.</em><br /><em>41 S. Jean, XVI, 13.</em><br /><em>42 Actes, I, 3.</em><br /><em>43 Loc. cit. Trad. de G. R. S. MEAD, I, I, 1. V. aussi A MÉLINEAU, Pistis Sophia, ouvrage gnostique de VALENTIN, traduit du copte en français, avec une introduction. Paris, 1895, in-8. (NDT)</em><br /><em>44 S. Matth., VII, 6.</em></p> <p style="text-align: center;">Il y avait, sans parler de l'expression "le Mystère" ou "les Mystères", plusieurs noms donnés au cercle sacré des Initiés ou à ce qui touchait à l'Initiation, ainsi : "le Royaume", "le Royaume de Dieu", "le Royaume des Cieux", "la Voie étroite", "la Porte étroite", "les Parfaits", "les Sauvés", "la Vie éternelle", "la Vie", "la nouvelle Naissance", "un Petit", "un Petit Enfant". L'emploi de ces expressions par les premiers auteurs étrangers à l'Église en éclaire le sens. C'est ainsi que l'expression "les parfaits" appartenait au langage des Esséniens, dont les communautés présentaient trois [40] ordres : les Néophytes, les Frères et les Parfaits, ceux-ci étant des Initiés ; d'une manière générale, elle est employée dans ce sens dans les ouvrages anciens. "Le Petit Enfant" était le nom habituellement donné au candidat qui venait d'être initié ou, en d'autres termes, de "naitre de nouveau".<br />Ainsi prévenus, nous arrivons à comprendre bien des passages obscurs et d'un caractère sévère. Et quelqu'un dit : Seigneur, n'y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? Et il leur dit : Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite ; car je vous dis que plusieurs chercheront à y entrer et qu'ils ne le pourront 46. Appliquez ces mots au salut, comme les Protestants le font d'ordinaire, et la déclaration de Jésus devient impossible à croire et choquante. Que beaucoup chercheront à éviter l'enfer et à entrer dans le ciel, mais qu'ils n'y parviendront pas, voilà une assertion qu'on ne saurait prêter à un sauveur du monde. Appliquez-la, au contraire, à la porte étroite de l'Initiation et à la fin des renaissances, et elle deviendra parfaitement vraie et naturelle. Entrez par la porte étroite, lisons-nous ailleurs, car la porte large et le chemin spacieux mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui y entrent ; mais la porte étroite et le chemin étroit mènent à la vie, et il y en a peu qui le trouvent 47. L'avertissement qui suit immédiatement ce passage, concernant les faux prophètes et ceux qui enseignent les Mystères "noirs", est très à sa place. Il est impossible pour l'étudiant de ne pas [41] reconnaitre ces expressions ; elles lui sont familières, car il les a vues employées ailleurs dans le même sens. Le "chemin ancien et étroit" est connu de tous ; le sentier "difficile à suivre comme le tranchant affilé d'un rasoir 48" a été cité plus haut. Puis "la mort succédant à la mort" pour ceux qui suivent le sentier fleuri des désirs et ignorent Dieu, ceux-là seuls devenant immortels et échappant au gouffre béant de la mort et à une destruction sans cesse renouvelée qui ont abandonné tout désir 49. Cette allusion à la mort s'applique naturellement aux naissances répétées de l'âme dans une vie matérielle grossière, toujours regardée comme "la mort", par rapport à "la vie" des mondes plus élevés et plus subtils.</p> <p style="text-align: center;"><em>45 D'où la réponse faite à la femme grecque : Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. S. Marc, VII, 27.</em><br /><em>46 S. Luc, XIII, 23, 24.</em><br /><em>47 S. Matthieu, VII, 13, 14.</em></p> <p style="text-align: center;">La "Porte étroite" était la porte de l'Initiation ; le candidat la franchissant pour entrer dans le "Royaume". Il a toujours été, il sera toujours vrai qu'un petit nombre seulement peut entrer par cette porte, bien que des myriades, une grande multitude que personne ne pouvait compter 50, et non la minorité, entrent dans la félicité d'un monde céleste. Près de trois mille ans auparavant, un autre grand Instructeur disait de même : "Sur des milliers d'hommes, un seul à peine lutte pour arriver à la perfection ; parmi ceux qui réussissent, c'est à peine s'il en existe un qui me connaisse comme je suis 51." Car les Initiés sont rares dans chaque génération ; [42] ils sont la fleur de l'humanité. Pourtant, le passage qui précède n'implique, pour la grande majorité de la race humaine, aucune affreuse condamnation à des peines éternelles. Les hommes sauvés, suivant Proclus 52, sont ceux qui échappent au cercle des générations qui enserre l'humanité.<br />Nous pouvons, à ce sujet, rappeler l'histoire du jeune homme qui vint à Jésus et, l'appelant Bon Maitre, lui demanda comment il pourrait arriver à la vie éternelle, à la libération des renaissances par la connaissance de Dieu, libération dont la possibilité était reconnue 53. La première réponse de Jésus est le précepte exotérique ordinaire : Garde les commandements. Mais le jeune homme ayant répondu lui-même. : J'ai observé toutes ces choses-là dès ma jeunesse, cette conscience qui se savait pure de toute transgression reçut la réponse du véritable Maitre : Si tu veux être parfait, vends ce que tu as et le donne aux pauvres ; et tu auras un trésor au ciel ; après cela viens et suis-moi. Si tu veux être parfait et devenir un sujet du royaume, il faut épouser la pauvreté et l'obéissance. Jésus explique ensuite à ses propres disciples qu'un riche peut difficilement entrer dans le royaume des Cieux, plus difficilement qu'un chameau ne passe par le trou d'une aiguille.<br />Quant aux hommes, cela est impossible, mais quant à Dieu toutes choses sont possibles 54. Le Dieu [43] qui est dans l'homme peut seul franchir cette barrière.</p> <p style="text-align: center;"><em>48 Kathopanishad, II, IV, 10, II.</em><br /><em>49 Brihadâranyakopanishad, V, IV, 7.</em><br /><em>50 Apoc., VII, 9.</em><br /><em>51 Bhagavad Gita, VII, 3.</em><br /><em>52 Ante p. 26.</em><br /><em>53 Il ne faut pas oublier que les Juifs croyaient au retour sur la terre de toutes les âmes imparfaites.</em></p> <p style="text-align: center;">Ce texte a reçu différentes interprétations, car on ne saurait évidemment accepter son sens littéral – l'impossibilité pour un riche d'être heureux après sa mort. Cet état de béatitude, le riche peut y parvenir comme le pauvre ; du reste, les Chrétiens de tous pays montrent bien qu'ils ne craignent pas un seul instant de voir leurs richesses compromettre leur bonheur posthume. Mais si nous interprétons le texte dans son vrai sens, s'appliquant au Royaume des Cieux, nous y trouvons l'expression d'un fait naturel et réel. Nul ne peut atteindre la connaissance de Dieu, qui est la Vie Éternelle 55, avant d'avoir fait l'abandon de tout ce qui est terrestre, ni l'acquérir avant d'avoir tout sacrifié. Non seulement l'homme doit renoncer aux richesses de ce monde qui, désormais, ne feront que passer par ses mains comme par celles d'un intendant, mais il doit encore abandonner ses richesses intérieures, celles qu'il détient pour lui-même contre le reste du monde. Sans s'être dépouillé entièrement, il ne saurait franchir la porte étroite. Telle a toujours été la condition de l'Initiation ; toujours le candidat a dû faire voeu "de pauvreté, d'obéissance et de chasteté".<br />La "nouvelle naissance" est un autre terme bien connu, synonyme d'Initiation. De nos jours, aux Indes, les hommes appartenant aux castes supérieures sont appelés "les deux fois nés", et la cérémonie qui leur donne cette nouvelle naissance est une cérémonie [44] d'Initiation, aujourd'hui pure formalité extérieure, mais représentant les choses qui sont dans le ciel 56. Dans son entretien avec Nicodème, Jésus déclare que si un homme ne nait de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. Cette naissance, est-il dit, est d'eau et d'Esprit 57 ; c'est la première Initiation ; plus tard vient celle du Saint-Esprit et du feu 58, baptême de l'Initié parvenu à l'âge d'homme, comme la première est le baptême donné à la naissance, qui accueille l'Initié comme un Petit enfant à son entrée dans le Royaume 59. La surprise exprimée par Jésus, quand Nicodème se montre incapable de saisir Sa phraséologie, montre à quel point ces images étaient familières aux Juifs mystiques : Tu es un docteur en Israël et tu ne sais pas ces choses 60</p> <p style="text-align: center;"><em>54 S. Matth., XIX, 16-26.</em><br /><em>55 S. Jean, XVII, 3.</em><br /><em>56 Héb., XI 23.</em></p> <p style="text-align: center;"><br />Un autre précepte de Jésus, qui demeure pour ses fidèles une "parole obscure", est le suivant : Soyez donc parfaits comme votre Père qui est dans les cieux est parfait 61. Le Chrétien ordinaire se sait incapable d'observer ce commandement : avec toute la fragilité, toute la faiblesse propre à l'âme humaine, comment pourrait-il devenir parfait comme l'est Dieu Lui-même ? Jugeant impossible la tâche qui lui est soumise, il n'en tient pas compte et cesse de s'en préoccuper. En la considérant, au contraire, comme l'effort suprême, fruit de nombreuses existences toujours en progrès, comme le triomphe du Dieu qui [45] est en nous sur la nature inférieure, le précepte de Jésus s'offre à nous dans ses véritables proportions et nous nous rappelons que, suivant Porphyre, l'homme atteignant "les vertus paradigmatiques est le Père des Dieux 62", et que ces vertus s'acquéraient dans les Mystères.<br />Saint Paul suit les pas de son Maitre, dont il reproduit exactement les idées, mais, comme son oeuvre organisatrice dans le sein de l'Église le donnerait à supposer, d'une manière plus explicite et plus nette. Que l'étudiant lise attentivement les chapitres II et III et le verset 1 du chapitre IV de la Première Épitre aux Corinthiens, en se rappelant pendant sa lecture que ces paroles s'adressent aux membres de l'Église baptisés et admis à la Sainte Cène, membres effectifs, au point de vue moderne, mais que l'apôtre traite d'enfants et d'êtres charnels. Ce n'étaient pas des catéchumènes ou des néophytes, mais des hommes et des femmes en pleine possession de tous les privilèges et de toutes les responsabilités attachés à la qualité de membres de l'Église, considérés par l'Apôtre comme séparés du monde et moralement obligés à ne pas vivre comme des hommes appartenant au monde. Ils avaient reçu, en somme, tout ce que l'Église moderne accorde à ses membres. Résumons les paroles de l'Apôtre.</p> <p style="text-align: center;"><em>57 S. Jean, III, 3, 5.</em><br /><em>58 S. Matth., III, 11.</em><br /><em>59 S. Matth., 11.</em><br /><em>60 S. Jean, III, 10.</em><br /><em>61 S. Matth., V, 48.</em><br /><em>62 Ante, p. 32.</em></p> <p style="text-align: center;">"Je suis venu à vous, apportant le témoignage de Dieu ; je ne vous ai pas séduits par une sagesse humaine, mais par la puissance de l'Esprit. Nous parlons bien de sagesse entre les parfaits, mais ce [46] n'est pas de sagesse humaine. Nous prêchons la sagesse mystérieuse de Dieu, les plans cachés que Dieu, de toute éternité, avait arrêtés pour notre gloire et que nul des princes de ce monde n'a connue. Ces choses sont trop hautes pour l'entendement humain, mais Dieu nous les a révélées par l'esprit, car l'Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu 63. Ces choses spirituelles, l'homme spirituel en qui est la pensée du Christ peut seul les discerner. Moi-même, mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais j'ai dû vous parler comme à des hommes charnels, comme à de petits enfants, en Christ… Vous n'étiez pas assez forts ; et vous ne l'êtes pas même à présent, car vous êtes encore charnels… J'ai posé le fondement, comme un sage architecte 64… Vous êtes le temple de Dieu et l'esprit de Dieu habite en vous… Qu'ainsi l'on nous tienne pour des ministres de Christ et des dispensateurs des Mystères de Dieu."<br />Comment lire ce passage – et je n'ai fait, dans ce résumé, que mettre en relief les points importants – sans admettre que l'Apôtre possédait une sagesse divine donnée dans les Mystères, sagesse que ses sectateurs Corinthiens ne pouvaient recevoir encore. Remarquez le retour constant des termes techniques : la sagesse, la sagesse mystérieuse de Dieu, [47] la sagesse cachée connue seulement de l'homme spirituel, dont on ne parle que parmi les parfaits, sagesse dont sont exclus les non-spirituels, les enfants en Christ, les charnels, sagesse connue du sage architecte dispensateur des Mystères de Dieu.<br />63 Notez comme ces mots s'accordent avec la promesse de Jésus dans S. Jean, XVI, 12-14 : J'ai encore plusieurs choses à vous dire, mais elles sont présentement au-dessus de votre portée. Quand l'Esprit de vérité sera venu, il vous guidera dans toute la vérité… et il vous annoncera ce qui doit arriver… Il recevra de moi ce qu'il vous annoncera.<br />64 Autre expression technique, employée dans les Mystères.<br />Saint Paul ne cesse de mentionner ces Mystères. Comme il l'écrit aux chrétiens d'Éphèse : "C'est par une révélation, par un dévoilement que j'ai été initié au Mystère. D'où l'intelligence que j'ai du Mystère de Christ ; tous les hommes pourront connaitre l'économie du Mystère 65. Aux Colossiens, il répète qu'il est devenu ministre de ce Mystère, savoir le Mystère de toute éternité et avant tous les âges, mais révélé aujourd'hui aux saints (pas au monde, ni même aux chrétiens, mais seulement aux saints). Devant eux a été dévoilé ce glorieux Mystère. Or, qu'était cette gloire ? – Christ EN VOUS – expression significative se rapportant, comme nous le verrons plus loin, tout à l'heure, à la vie de l'Initié. C'est ainsi que tous les hommes doivent finir par apprendre la sagesse et devenir parfaits en Jésus-Christ 66. Saint Paul exhorte les Colossiens à prier, afin que Dieu nous ouvre une porte pour parler, en sorte que j'annonce le mystère du Christ 67, passage où, suivant saint Clément, l'apôtre indique clairement [48] que "la connaissance n'appartient pas à tous" 68. Saint Paul écrit de même à son disciple aimé Timothée, lui recommandant de choisir ses diacres parmi ceux qui conservent le mystère de la foi avec une conscience pure, ce grand mystère de la piété qu'il avait appris 69, et dont la connaissance était nécessaire aux instructeurs de l'Église.</p> <p style="text-align: center;"><em>65 Eph., III, 3, 4, 9.</em><br /><em>66 Coloss., I, 23, 25, 28. Mais saint Clément, dans ses Stromata, traduit "tous les hommes" par "l'homme tout entier". Voy. liv. V, chap. X.</em><br /><em>67 Coloss., IV, 3.</em><br /><em>68 Ante-Micene Library, vol. XII. CLÉMENT D'ALEXANDRIE Stromata, liv. V, chap. X. Le lecteur trouvera plusieurs autres paroles prononcées par les apôtres, parmi les citations de Clément, montrant le sens attaché à ces paroles par les hommes qui, succédant aux apôtres, vivaient dans la même atmosphère intellectuelle.</em><br /><em>69 1 Tim., III, 9, 16.</em><br /><em>70 Ibid., 1, 18.</em></p> <p style="text-align: center;">Or saint Timothée est une personnalité importante, représentant la génération suivante d'instructeurs chrétiens ; élève de saint Paul, il avait été désigné par lui pour guider et gouverner une partie de l'Église. Nous savons qu'il fut, par saint Paul lui-même, initié aux Mystères. Le fait est mentionné, comme nous le montreront, ici encore, les expressions techniques. – Ce que je te recommande, Timothée, mon enfant, c'est que, suivant les prédictions faites autrefois à ton sujet… 70, c'est-à-dire la bénédiction solennelle de l'Initiateur, reçue par le candidat. Mais l'Initiateur n'était pas seul présent : Ne néglige point le don qui est en toi, qui t'a été conféré par des paroles prophétiques lorsque le collège des anciens t'a imposé les mains 71. Saint Paul rappelle ensuite à saint Timothée d'avoir à saisir la vie éternelle à laquelle tu as été appelé, et pour laquelle tu as fait ta belle profession en présence d'un grand nombre de [49] témoins 72. Cette profession, ce sont les voeux du nouvel Initié, reçus en présence des Frères plus anciens et de l'assemblée des Initiés. Les connaissances alors communiquées sont le dépôt sacré auquel saint Paul fait allusion, quand il s'écrie avec tant d'énergie : O Timothée, conserve le dépôt qui t'a été confié ! Non pas les connaissances familières à tous les Chrétiens – elles ne lient pas spécialement saint Timothée – mais le dépôt sacré qui lui a été confié, en sa qualité d'Initié et qui est essentiel à la prospérité de l'Église. Plus loin, saint Paul revient sur ce point ; il insiste sur son importance suprême d'une manière qui serait exagérée si ces connaissances avaient été la propriété commune de tous les Chrétiens. Conserve… le modèle des saines leçons que tu tiens de moi… Garde ce précieux dépôt par l'Esprit Saint qui habite en nous 73… La parole humaine ne saurait formuler une adjuration plus solennelle. L'Initié devait encore assurer la transmission de ce dépôt sacré, afin que l'avenir en héritât et que l'Église ne fût jamais laissée sans instructeurs. Les enseignements que tu as reçus de moi, en présence d'un grand nombre de témoins, l'enseignement sacré oralement communiqué au sein de l'assemblée des Initiés, garants de l'exactitude de la transmission, confie-les à des hommes surs qui soient capables à leur tour d'en instruire d'autres 74.<br />La certitude ou, si l'on aime mieux, l'hypothèse que l'Église possédait ces enseignements réservés, [50] jette un flot de lumière sur ce que saint Paul dit, çà et là, de lui-même. Rapprochez ces passages ; ils vous donneront les grandes lignes de l'évolution d'un Initié. Saint Paul déclare qu'il est déjà du nombre des parfaits, des Initiés, car il dit : Nous tous qui sommes parfaits, ayons ce même sentiment, mais qu'il n'est cependant encore ni arrivé ni entièrement parfait ; il n'a pas encore atteint le point auquel Dieu m'a appelé d'en haut, en Jésus-Christ, la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances en reproduisant sa mort en ma personne… ; il s'efforce encore de parvenir à la résurrection des morts 75.</p> <p style="text-align: center;"><em>71 Tim., IV, 14.</em><br /><em>72 Ibid., VI, 12.</em><br /><em>73 2 Tim., I, 13, 14.</em><br /><em>74 2 Tim., II, 2.</em><br /><em>75 Phil., III, 8, 10, 12, 14, 15.</em></p> <p style="text-align: center;">Cette Initiation, en effet, libérait l'Initié, le transformait en Maitre Parfait, en Christ ressuscité, le faisant échapper définitivement d'entre les "morts" – de l'humanité emprisonnée dans le cercle des générations – des liens qui enchainaient son âme à la matière grossière. Ici encore se présentent beaucoup d'expressions techniques. Le lecteur superficiel, lui-même, doit comprendre que la résurrection des morts dont il est ici parlé ne peut être la résurrection ordinaire, telle que l'entend le chrétien à notre époque, résurrection supposée inévitable pour chacun et, par suite, ne réclamant de personne, pour être obtenue, le moindre effort spécial. Le mot même d'arriver ne serait pas à sa place s'il ne se rapportait qu'à une expérience humaine universelle et inévitable. Cette résurrection-là, saint Paul ne pouvait l'éviter, suivant les idées chrétiennes modernes. Qu'était donc cette résurrection qu'il recherchait avec tant d'efforts ? Une [51] fois de plus, la seule réponse possible nous vient des Mystères. L'Initié, au moment d'atteindre l'Initiation qui libérait du cercle des renaissances, du cercle des générations, était appelé "le Christ dans la souffrance" ; il partageait les souffrances du Sauveur du monde, subissait la crucifixion mystique, reproduisait sa mort en sa personne, atteignait ensuite la résurrection, l'union, avec le Christ glorifié, après quoi la mort n'avait plus de prise sur lui 76. Tel était le prix vers lequel courait le grand Apôtre, et il exhortait tous ceux qui sont parfaits (et non les croyants ordinaires) à faire de même, à ne pas se contenter de ce qu'ils ont obtenu, mais à persévérer toujours.<br />Cette ressemblance entre l'Initié et le Christ est, à vrai dire, la base même des Grands Mystères ; nous le constaterons, avec plus de détails, en étudiant "le Christ Mystique". L'Initié devait cesser d'envisager le Christ comme extérieur à lui-même : Si nous avons connu Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus 77.<br />Le croyant ordinaire avait revêtu Christ. Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ 78. C'étaient les enfants en Christ dont nous avons parlé plus haut ; Christ était le Sauveur dont ils attendaient le secours, le connaissant selon la chair. Mais, après avoir dompté la nature inférieure et perdu leur caractère charnel, ils devaient aborder un sentier plus élevé et devenir eux-mêmes le Christ. [52] Ce que l'Apôtre avait obtenu pour lui-même, il le souhaite ardemment pour ceux qui le suivent : Mes chers enfants, pour qui je ressens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Christ soit formé en vous 79. Déjà il était leur père spirituel, les ayant engendrés par l'Évangile 80. Mais maintenant il leur donne de nouveau la vie, comme une mère, et les amène à leur seconde naissance. Le Christ Enfant, le Saint Enfant, était né dans l'âme, l'être caché du coeur 81 ; l'Initié devenait ainsi ce Petit Enfant ; il devait dorénavant vivre, en lui-même, de la vie du Christ, jusqu'au moment de devenir homme fait et d'atteindre la hauteur de la perfection du Christ 82. Alors l'Initié, comme saint Paul, achève en sa chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps 83 et porte sans cesse dans son corps la mort de Jésus 84. Il peut donc dire avec vérité : j'ai été crucifié avec Christ et je vis… mais ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi 85. Voilà ce que souffrait l'Apôtre, voilà ce qu'il disait de lui-même. Et quand la lutte a pris fin, quel contraste entre le calme triomphant qui se dégage de ses paroles et la tension pénible des premières années ! Pour moi je vais être immolé, et le moment de mon départ est imminent. J'ai combattu le bon combat ; j'ai achevé la course ; j'ai gardé la [53] foi. Il ne me reste plus qu'à recevoir la couronne de justice qui m'est réservée 86. Cette couronne était celle que recevait le vainqueur, celui dont disait le Christ dans la gloire : Je ferai de lui une colonne dans le temple de mon Dieu et il n'en sortira plus 87. Car, après la Résurrection, l'Initié devenait l'Homme parfait, le Maitre ; il ne sortait plus du Temple, mais, de là, servait et guidait les mondes.</p> <p style="text-align: center;"><em>76 Apoc., I, 13. – Je suis le vivant ; j'ai été mort, et voici, je suis vivant aux siècles des siècles.</em><br /><em>77 2 Cor., V, 16.</em><br /><em>78 Gal., III, 27.</em></p> <p style="text-align: center;"><em>79 Gal., IV, 19.</em><br /><em>80 1 Cor., IV, 15.</em><br /><em>81 S. Pierre, III, 4.</em><br /><em>82 Eph., IV, 13.</em><br /><em>83 Coloss., I, 24.</em><br /><em>84 1 Cor., IV, 10.</em><br /><em>85 Gal., II, 2.</em><br /><em>86 2 Tim., IV, 6, 8.</em><br /><em>87 Apoc., III, 12.</em></p> <p style="text-align: center;">Il est peut-être bon de faire remarquer, avant de terminer ce chapitre, que saint Paul lui-même sanctionne la pratique de l'enseignement mystique théorique, dans sa manière d'expliquer les évènements historiques rapportés dans les Écritures. Il ne regarde pas l'histoire selon la Bible comme une simple relation de faits qui se seraient produits sur le plan physique ; en vrai mystique, il voyait dans les évènements physiques les ombres des vérités universelles qui se développent sans cesse dans les mondes plus exaltés et plus profonds ; il savait que les évènements choisis pour être enregistrés dans les ouvrages occultes étaient les plus typiques, ceux dont l'interprétation était de nature à servir l'instruction des hommes. Saint Paul, citant, par exemple, l'histoire d'Abraham, Sara, Agar, Ismaël et Isaac, dit que tout cela a un sens allégorique et en donne ensuite l'interprétation mystique 88. Á propos de la fuite des Israélites hors du pays d'Égypte, il parle de la mer Rouge comme d'un baptême, de la manne et de l'eau comme d'une viande et d'un breuvage spirituels, du rocher d'où jaillissait [54] la source comme de Christ 89. Il voit dans le mariage humain le grand mystère de l'union entre Christ et Son Église ; il parle des Chrétiens comme étant la chair et les os du corps de Christ 90. L'auteur de l'Épitre aux Hébreux donne un caractère allégorique à l'ensemble du culte Hébraïque. Dans le Temple il voit un modèle du Temple céleste ; dans le Souverain Sacrificateur il voit le Christ ; dans les sacrifices, l'offrande du Fils immaculé ; les sacrificateurs ne sont qu'une image et une ombre du sanctuaire céleste, des prêtres célestes ministres du véritable tabernacle. L'allégorie, poussée au dernier point, remplit ainsi les chapitres III à X, l'auteur déclarant que, par le Saint-Esprit, il faut entendre le sens profond. Tout cela était une figure symbolique relative aux temps présents 91. Dans cette interprétation des Saintes Écritures, il n'est pas dit que les évènements relatés n'aient pas eu lieu, mais seulement que leur réalisation physique a eu peu d'importance. Une semblable explication constitue l'enlèvement du voile cachant les Mystères Mineurs ou enseignements mystiques qu'il est permis de divulguer ; elle n'est pas comme on le croit souvent, un simple jeu de l'imagination, mais bien le résultat d'une intuition véritable, voyant les modèles dans le ciel et ne se bornant pas à regarder les ombres jetées par eux sur l'écran du temps terrestre.</p> <p style="text-align: center;"><em>88 Gal., IV, 22-31.</em><br /><em>89 1 Cor. X, 1-4.</em><br /><em>90 Eph., V, 23-32.</em><br /><em>91 Héb., IX, 9</em>.</p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong>CHAPITRE II </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong>— </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong>LE COTE CACHE DU CHRISTIANISME </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong>–</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 24pt;"><strong> LE TÉMOIGNAGE DES ÉCRITURES</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Les religions du passé – nous venons de le constater – étaient unanimes pour déclarer qu'elles présentaient un côté caché et qu'elles possédaient des "Mystères" ; cette affirmation, les hommes les plus éminents en ont prouvé la valeur, en recherchant eux-mêmes l'initiation. Il nous reste à nous assurer si le Christianisme est exclu de ce cercle des religions, s'il est seul privé d'une Gnose, s'il n'offre au monde qu'une foi élémentaire et non pas une science profonde. S'il en était ainsi, le fait serait triste et lamentable, car il indiquerait que le Christianisme n'est fait que pour une seule classe et non pour toutes les catégories humaines. Mais cela n'est pas : nous pouvons le prouver de manière à rendre impossible tout doute rationnel.<br />De cette preuve le Christianisme contemporain a le plus extrême besoin, car la fleur du Christianisme périt faute de lumière. Si l'enseignement ésotérique peut être rétabli et s'attirer des étudiants patients et sérieux, l'enseignement occulte, lui aussi, sera bientôt [32] rétabli. Les Disciples des Mystères Mineurs deviendront les candidats aux Grands Mystères et, avec le retour de la connaissance, reviendra l'autorité de l'enseignement. Oui, le besoin en est grand. Regardons le monde qui nous entoure, et nous verrons que dans l'Occident la religion souffre précisément de la difficulté que, théoriquement, nous serions amenés à prévoir. Le Christianisme ayant perdu son enseignement mystique et ésotérique voit lui échapper un grand nombre de ses membres les plus intellectuels, et le réveil partiel de ces dernières années a coïncidé avec l'introduction nouvelle de certains enseignements mystiques. Il est évident, pour toute personne ayant étudié l'histoire des quarante dernières années du dix-neuvième siècle, qu'une foule de personnes d'un caractère réfléchi et moral ont quitté les églises parce que les enseignements qu'elles y recevaient faisaient outrage à leur intelligence et offensaient leur sens moral. Il est oiseux de prétendre que l'agnosticisme, aujourd'hui si général, a pour cause soit un défaut de sens moral, soit une froide perversité intellectuelle. Il suffit d'avoir étudié ces questions avec soin pour reconnaitre que des hommes puissamment intelligents ont été chassés du Christianisme par les idées religieuses rudimentaires qui leur étaient présentées – par les contradictions entre les doctrines – enfin, par les données sur Dieu, l'homme et l'univers impossibles à admettre pour tout esprit cultivé. On ne peut du reste voir dans la révolte contre les dogmes de l'Église l'indice d'aucune décadence morale. Les révoltés n'étaient pas trop mauvais pour leur religion ; la religion, au contraire, était trop mauvaise [33] pour eux. La révolte contre le Christianisme populaire a été motivée par le réveil et le développement de la conscience ; celle-ci s'est soulevée, comme l'intelligence, contre les doctrines déshonorant à la fois Dieu et l'homme, doctrines représentant Dieu comme un tyran et l'homme comme essentiellement pervers et obligé de mériter son salut par une soumission d'esclave.<br />Cette révolte a eu pour raison le ravalement graduel des enseignements chrétiens au niveau d'une prétendue simplicité, permettant aux plus ignorants de les comprendre. "Il ne faut prêcher que ce que tous peuvent saisir" – déclaraient hautement les docteurs Protestants – "la gloire de l'Évangile est sa simplicité ; les enfants et les illettrés doivent pouvoir le comprendre et en suivre les préceptes". Cela est vrai, s'il faut entendre par là que certaines vérités religieuses peuvent être comprises par chacun et qu'une religion n'atteint pas son but si les plus humbles, les plus ignorants, les plus bornés échappent à son influence édifiante. Mais cela est faux, absolument faux, s'il faut en conclure qu'une religion ne renferme pas de vérités inabordables pour les ignorants et qu'elle est à ce point pauvre et limitée qu'elle n'ait rien à enseigner qui soit trop haut pour la pensée des inintelligents ou pour l'état moral des êtres dégradés. Oui, si tel est le sens de l'affirmation protestante, elle est fausse et fatalement fausse. L'idée a été répandue par la prédication, répétée dans les églises, d'où cette conséquence qu'une foule de personnes d'un caractère élevé – au désespoir de se détacher de leur foi première – abandonnent les [34] églises et laissent leur place aux hypocrites et aux ignorants. Elles deviennent passivement agnostiques ou – si elles sont jeunes et enthousiastes – activement agressives ; elles se refusent à voir la vérité suprême dans une religion qui outrage à la fois l'intelligence et la conscience, et préfèrent la franchise d'une incrédulité ouverte à l'influence malsaine exercée sur l'intelligence par une autorité qui n'a, pour elles, rien de divin.<br />Cet examen de la pensée contemporaine nous montre que la question d'un enseignement caché se rattachant au Christianisme prend une importance capitale. Le Christianisme doit-il rester la religion de<br />l'Occident ? Doit-il traverser les siècles et contribuer encore à former la pensée des races occidentales au cours de son évolution ? Pour pouvoir vivre, il lui faut retrouver sa science perdue et rentrer en possession de ces enseignements mystiques et occultes, il lui faut reprendre sa place comme maitre incontesté de vérités spirituelles, revêtu de la seule autorité effective, celle du savoir. Si le Christianisme rentre en possession de ces enseignements, leur influence se manifestera bientôt par une manière plus large et plus profonde d'envisager la vérité. Dans certains dogmes qui aujourd'hui semblent des idées creuses et arriérés et rien de plus, on verra de nouveau une affirmation partielle de vérités fondamentales. Tout d'abord le Christianisme Ésotérique reprendra sa place dans le "Lieu Saint", dans le Temple, permettant à tous ceux qui en sont capables de recevoir ses enseignements publics. En même temps, le Christianisme Occulte descendra de nouveau dans [35] l'Adytum et demeurera derrière le voile qui ferme le "Lieu Très Saint" où l'Initié seul peut pénétrer. Enfin l'enseignement occulte sera mis à la portée de ceux qui se rendent dignes de le recevoir, suivant les règles d'autrefois, et consentent aujourd'hui à remplir les conditions imposées, dans le passé, à tous ceux qui désiraient s'assurer de l'existence et de la réalité du domaine spirituel.<br />Interrogeons de nouveau l'histoire. Le Christianisme était-il la seule religion dépourvue d'un enseignement réservé ou était-il comme toutes les autres en possession de ce trésor secret ? Il ne faut pas ici des théories, mais des témoignages. La question sera résolue par les documents parvenus jusqu'à nous ; le simple ipse dixit du Christianisme moderne ne suffit pas.<br />Le Nouveau Testament et les écrits de l'Église primitive sont positivement d'accord pour déclarer que l'Église possède des enseignements semblables ; ils nous apprennent l'existence des Mystères – appelés les Mystères de Jésus ou les Mystères du Royaume – les conditions imposées aux candidats, un aperçu de la nature générale des enseignements donnés et d'autres détails encore. Certains passages du Nouveau Testament resteraient complètement obscurs sans la lumière dont les éclairent, par leurs nettes affirmations, les Pères et Évêques de l'Église ; grâce à elle, ces passages deviennent clairs et intelligibles.<br />Certes le contraire eût été étrange, étant donné la variété des influences religieuses auxquelles a été soumis le Christianisme primitif. Allié aux Hébreux, aux Perses, aux Grecs, coloré par les croyances, [36] plus anciennes, de l'Inde, portant l'empreinte profonde de la pensée Syrienne et Égyptienne, ce jeune rameau du grand tronc religieux ne pouvait qu'affirmer de nouveau les anciennes traditions et offrir aux races occidentales, dans son intégrité, le trésor des enseignements antiques. "La foi qui a été confiée aux saints" aurait été dépouillée de sa valeur principale si elle avait été transmise à l'Occident sans la perle de la doctrine ésotérique.<br />Le premier témoignage à examiner est celui du Nouveau Testament. Il n'est pas nécessaire d'aborder les controverses relatives aux différentes interprétations et aux différents auteurs. Ces problèmes, il appartient aux érudits seuls de les résoudre.<br />La critique a beaucoup à dire sur la date des manuscrits, sur l'authenticité des documents, etc. Mais nous n'avons pas à nous en occuper ici. Nous pouvons accepter les livres canoniques ; ils représentent pour nous la manière dont l'Église primitive comprenait les enseignements du Christ et de Ses successeurs immédiats. Que disent ces livres d'un enseignement secret communiqué à un petit nombre de personnes ? Notons d'abord les paroles attribuées à Jésus Lui-même et regardées par l'Église comme l'autorité suprême ; nous étudierons ensuite les écrits du grand apôtre saint Paul ; enfin, nous relèverons les déclarations faites par les héritiers de la tradition apostolique qui dirigèrent l'Église pendant les premiers siècles de notre ère. Cette suite continue de traditions et de témoignages écrits nous permettra d'établir que le Christianisme possédait un côté caché. Nous verrons de plus, qu'il est possible de suivre à [37] travers les siècles, jusqu'au commencement du dix-neuvième, la trace des Mystères Mineurs ou interprétation mystique. Malgré l'absence, après la disparition des Mystères, d'Écoles Mystiques préparant ouvertement à l'Initiation, de grands Mystiques sont cependant parvenus, de temps à autre, à atteindre les degrés inférieurs de l'extase, grâce à la persévérance de leurs propres efforts et à l'aide probable d'Instructeurs invisibles.<br />Les paroles du Maitre Lui-même sont claires et explicites. Origène, comme nous le verrons plus loin, les a citées comme faisant allusion à l'enseignement secret gardé par l'Église. Et quand il fut en particulier, ceux qui étaient autour de lui avec les douze apôtres l'interrogèrent touchant le sens de cette parabole. Et il leur dit : Il vous est donné de connaitre le mystère du royaume de Dieu, mais pour ceux qui sont dehors tout se traite par des paraboles. Et plus loin : Il leur annonçait ainsi la parole par plusieurs similitudes de cette sorte, selon qu'ils étaient capables de l'entendre. Et il ne leur parlait point sans similitude ; mais lorsqu'il était en particulier, il expliquait tout à ses disciples 40.<br />Notez ces mots significatifs : Quand il fut en particulier et l'expression : Ceux qui sont dehors. Nous lisons, de même, dans l'Évangile selon saint Matthieu : Alors Jésus ayant renvoyé le peuple, s'en alla à la maison, et ses disciples vinrent le trouver. Ces leçons données dans sa maison, exposant le sens profond [38] de Sa doctrine, passent pour avoir été transmises d'instructeur en instructeur. L'Évangile donne, comme on le voit, des explications allégoriques et mystiques représentant ce que nous avons appelé les Mystères Mineurs ; quant au sens profond, il n'était dévoilé, disait-on, qu'aux Initiés.<br />Ailleurs, Jésus dit à ses disciples eux-mêmes : J'aurais encore plusieurs choses à vous dire, mais elles sont encore au-dessus de votre portée 41. Jésus en communiqua, sans doute, quelques-unes après Sa mort, quand Il Se fit voir à ses disciples, leur parlant de ce qui regarde le royaume de Dieu 42. Aucune de ces paroles n'a été divulguée, mais comment supposer qu'elles aient été oubliées ou négligées et qu'elles n'aient pas été transmises, comme un trésor sans prix ? Suivant une tradition conservée dans l'Église. Jésus resta en rapport avec Ses disciples longtemps après Sa mort afin de les instruire – nous aurons l'occasion de mentionner ce nouveau fait – et, dans le fameux ouvrage Gnostique intitulé Pistis Sophia, nous lisons ces mots : "Il advint qu'après Sa résurrection d'entre les morts, Jésus S'entretint avec Ses disciples et les instruisit pendant onze ans 43." Citons encore ce verset, dont beaucoup voudraient atténuer l'énergie et modifier le sens par des explications variées : Ne donnez point les choses saintes aux chiens et ne jetez point vos perles devant [39] les pourceaux 44, précepte généralement appliqué, mais où la Primitive Église voyait une allusion à des enseignements secrets. Il ne faut pas oublier que ces mots n'avaient pas, jadis, le caractère de dureté qu'ils ont aujourd'hui. Les personnes faisant partie d'un même groupe appelaient "chiens", c'est-à-dire le "Vulgaire", le "Profane", tous ceux qui n'appartenaient pas à leur groupe, qu'il s'agît d'une société ou association ou d'un peuple. Les Juifs, par exemple, parlaient ainsi de tous les Gentils 45. On appliquait parfois ces expressions aux personnes étrangères au cercle des Initiés, et nous les trouvons employées dans ce sens par l'Église Primitive. Les personnes non initiées aux Mystères et regardées comme étrangères au "royaume de Dieu" ou "Israël spirituel" étaient ainsi désignées.</p> <p style="text-align: center;"><em>40 S. Marc, IV, 10 11, 33, 34. Voy. aussi S. Matth., XIII, 11, 34, 36, et S. Luc, VIII, 10.</em><br /><em>41 S. Jean, XVI, 13.</em><br /><em>42 Actes, I, 3.</em><br /><em>43 Loc. cit. Trad. de G. R. S. MEAD, I, I, 1. V. aussi A MÉLINEAU, Pistis Sophia, ouvrage gnostique de VALENTIN, traduit du copte en français, avec une introduction. Paris, 1895, in-8. (NDT)</em><br /><em>44 S. Matth., VII, 6.</em></p> <p style="text-align: center;">Il y avait, sans parler de l'expression "le Mystère" ou "les Mystères", plusieurs noms donnés au cercle sacré des Initiés ou à ce qui touchait à l'Initiation, ainsi : "le Royaume", "le Royaume de Dieu", "le Royaume des Cieux", "la Voie étroite", "la Porte étroite", "les Parfaits", "les Sauvés", "la Vie éternelle", "la Vie", "la nouvelle Naissance", "un Petit", "un Petit Enfant". L'emploi de ces expressions par les premiers auteurs étrangers à l'Église en éclaire le sens. C'est ainsi que l'expression "les parfaits" appartenait au langage des Esséniens, dont les communautés présentaient trois [40] ordres : les Néophytes, les Frères et les Parfaits, ceux-ci étant des Initiés ; d'une manière générale, elle est employée dans ce sens dans les ouvrages anciens. "Le Petit Enfant" était le nom habituellement donné au candidat qui venait d'être initié ou, en d'autres termes, de "naitre de nouveau".<br />Ainsi prévenus, nous arrivons à comprendre bien des passages obscurs et d'un caractère sévère. Et quelqu'un dit : Seigneur, n'y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? Et il leur dit : Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite ; car je vous dis que plusieurs chercheront à y entrer et qu'ils ne le pourront 46. Appliquez ces mots au salut, comme les Protestants le font d'ordinaire, et la déclaration de Jésus devient impossible à croire et choquante. Que beaucoup chercheront à éviter l'enfer et à entrer dans le ciel, mais qu'ils n'y parviendront pas, voilà une assertion qu'on ne saurait prêter à un sauveur du monde. Appliquez-la, au contraire, à la porte étroite de l'Initiation et à la fin des renaissances, et elle deviendra parfaitement vraie et naturelle. Entrez par la porte étroite, lisons-nous ailleurs, car la porte large et le chemin spacieux mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui y entrent ; mais la porte étroite et le chemin étroit mènent à la vie, et il y en a peu qui le trouvent 47. L'avertissement qui suit immédiatement ce passage, concernant les faux prophètes et ceux qui enseignent les Mystères "noirs", est très à sa place. Il est impossible pour l'étudiant de ne pas [41] reconnaitre ces expressions ; elles lui sont familières, car il les a vues employées ailleurs dans le même sens. Le "chemin ancien et étroit" est connu de tous ; le sentier "difficile à suivre comme le tranchant affilé d'un rasoir 48" a été cité plus haut. Puis "la mort succédant à la mort" pour ceux qui suivent le sentier fleuri des désirs et ignorent Dieu, ceux-là seuls devenant immortels et échappant au gouffre béant de la mort et à une destruction sans cesse renouvelée qui ont abandonné tout désir 49. Cette allusion à la mort s'applique naturellement aux naissances répétées de l'âme dans une vie matérielle grossière, toujours regardée comme "la mort", par rapport à "la vie" des mondes plus élevés et plus subtils.</p> <p style="text-align: center;"><em>45 D'où la réponse faite à la femme grecque : Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. S. Marc, VII, 27.</em><br /><em>46 S. Luc, XIII, 23, 24.</em><br /><em>47 S. Matthieu, VII, 13, 14.</em></p> <p style="text-align: center;">La "Porte étroite" était la porte de l'Initiation ; le candidat la franchissant pour entrer dans le "Royaume". Il a toujours été, il sera toujours vrai qu'un petit nombre seulement peut entrer par cette porte, bien que des myriades, une grande multitude que personne ne pouvait compter 50, et non la minorité, entrent dans la félicité d'un monde céleste. Près de trois mille ans auparavant, un autre grand Instructeur disait de même : "Sur des milliers d'hommes, un seul à peine lutte pour arriver à la perfection ; parmi ceux qui réussissent, c'est à peine s'il en existe un qui me connaisse comme je suis 51." Car les Initiés sont rares dans chaque génération ; [42] ils sont la fleur de l'humanité. Pourtant, le passage qui précède n'implique, pour la grande majorité de la race humaine, aucune affreuse condamnation à des peines éternelles. Les hommes sauvés, suivant Proclus 52, sont ceux qui échappent au cercle des générations qui enserre l'humanité.<br />Nous pouvons, à ce sujet, rappeler l'histoire du jeune homme qui vint à Jésus et, l'appelant Bon Maitre, lui demanda comment il pourrait arriver à la vie éternelle, à la libération des renaissances par la connaissance de Dieu, libération dont la possibilité était reconnue 53. La première réponse de Jésus est le précepte exotérique ordinaire : Garde les commandements. Mais le jeune homme ayant répondu lui-même. : J'ai observé toutes ces choses-là dès ma jeunesse, cette conscience qui se savait pure de toute transgression reçut la réponse du véritable Maitre : Si tu veux être parfait, vends ce que tu as et le donne aux pauvres ; et tu auras un trésor au ciel ; après cela viens et suis-moi. Si tu veux être parfait et devenir un sujet du royaume, il faut épouser la pauvreté et l'obéissance. Jésus explique ensuite à ses propres disciples qu'un riche peut difficilement entrer dans le royaume des Cieux, plus difficilement qu'un chameau ne passe par le trou d'une aiguille.<br />Quant aux hommes, cela est impossible, mais quant à Dieu toutes choses sont possibles 54. Le Dieu [43] qui est dans l'homme peut seul franchir cette barrière.</p> <p style="text-align: center;"><em>48 Kathopanishad, II, IV, 10, II.</em><br /><em>49 Brihadâranyakopanishad, V, IV, 7.</em><br /><em>50 Apoc., VII, 9.</em><br /><em>51 Bhagavad Gita, VII, 3.</em><br /><em>52 Ante p. 26.</em><br /><em>53 Il ne faut pas oublier que les Juifs croyaient au retour sur la terre de toutes les âmes imparfaites.</em></p> <p style="text-align: center;">Ce texte a reçu différentes interprétations, car on ne saurait évidemment accepter son sens littéral – l'impossibilité pour un riche d'être heureux après sa mort. Cet état de béatitude, le riche peut y parvenir comme le pauvre ; du reste, les Chrétiens de tous pays montrent bien qu'ils ne craignent pas un seul instant de voir leurs richesses compromettre leur bonheur posthume. Mais si nous interprétons le texte dans son vrai sens, s'appliquant au Royaume des Cieux, nous y trouvons l'expression d'un fait naturel et réel. Nul ne peut atteindre la connaissance de Dieu, qui est la Vie Éternelle 55, avant d'avoir fait l'abandon de tout ce qui est terrestre, ni l'acquérir avant d'avoir tout sacrifié. Non seulement l'homme doit renoncer aux richesses de ce monde qui, désormais, ne feront que passer par ses mains comme par celles d'un intendant, mais il doit encore abandonner ses richesses intérieures, celles qu'il détient pour lui-même contre le reste du monde. Sans s'être dépouillé entièrement, il ne saurait franchir la porte étroite. Telle a toujours été la condition de l'Initiation ; toujours le candidat a dû faire voeu "de pauvreté, d'obéissance et de chasteté".<br />La "nouvelle naissance" est un autre terme bien connu, synonyme d'Initiation. De nos jours, aux Indes, les hommes appartenant aux castes supérieures sont appelés "les deux fois nés", et la cérémonie qui leur donne cette nouvelle naissance est une cérémonie [44] d'Initiation, aujourd'hui pure formalité extérieure, mais représentant les choses qui sont dans le ciel 56. Dans son entretien avec Nicodème, Jésus déclare que si un homme ne nait de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. Cette naissance, est-il dit, est d'eau et d'Esprit 57 ; c'est la première Initiation ; plus tard vient celle du Saint-Esprit et du feu 58, baptême de l'Initié parvenu à l'âge d'homme, comme la première est le baptême donné à la naissance, qui accueille l'Initié comme un Petit enfant à son entrée dans le Royaume 59. La surprise exprimée par Jésus, quand Nicodème se montre incapable de saisir Sa phraséologie, montre à quel point ces images étaient familières aux Juifs mystiques : Tu es un docteur en Israël et tu ne sais pas ces choses 60</p> <p style="text-align: center;"><em>54 S. Matth., XIX, 16-26.</em><br /><em>55 S. Jean, XVII, 3.</em><br /><em>56 Héb., XI 23.</em></p> <p style="text-align: center;"><br />Un autre précepte de Jésus, qui demeure pour ses fidèles une "parole obscure", est le suivant : Soyez donc parfaits comme votre Père qui est dans les cieux est parfait 61. Le Chrétien ordinaire se sait incapable d'observer ce commandement : avec toute la fragilité, toute la faiblesse propre à l'âme humaine, comment pourrait-il devenir parfait comme l'est Dieu Lui-même ? Jugeant impossible la tâche qui lui est soumise, il n'en tient pas compte et cesse de s'en préoccuper. En la considérant, au contraire, comme l'effort suprême, fruit de nombreuses existences toujours en progrès, comme le triomphe du Dieu qui [45] est en nous sur la nature inférieure, le précepte de Jésus s'offre à nous dans ses véritables proportions et nous nous rappelons que, suivant Porphyre, l'homme atteignant "les vertus paradigmatiques est le Père des Dieux 62", et que ces vertus s'acquéraient dans les Mystères.<br />Saint Paul suit les pas de son Maitre, dont il reproduit exactement les idées, mais, comme son oeuvre organisatrice dans le sein de l'Église le donnerait à supposer, d'une manière plus explicite et plus nette. Que l'étudiant lise attentivement les chapitres II et III et le verset 1 du chapitre IV de la Première Épitre aux Corinthiens, en se rappelant pendant sa lecture que ces paroles s'adressent aux membres de l'Église baptisés et admis à la Sainte Cène, membres effectifs, au point de vue moderne, mais que l'apôtre traite d'enfants et d'êtres charnels. Ce n'étaient pas des catéchumènes ou des néophytes, mais des hommes et des femmes en pleine possession de tous les privilèges et de toutes les responsabilités attachés à la qualité de membres de l'Église, considérés par l'Apôtre comme séparés du monde et moralement obligés à ne pas vivre comme des hommes appartenant au monde. Ils avaient reçu, en somme, tout ce que l'Église moderne accorde à ses membres. Résumons les paroles de l'Apôtre.</p> <p style="text-align: center;"><em>57 S. Jean, III, 3, 5.</em><br /><em>58 S. Matth., III, 11.</em><br /><em>59 S. Matth., 11.</em><br /><em>60 S. Jean, III, 10.</em><br /><em>61 S. Matth., V, 48.</em><br /><em>62 Ante, p. 32.</em></p> <p style="text-align: center;">"Je suis venu à vous, apportant le témoignage de Dieu ; je ne vous ai pas séduits par une sagesse humaine, mais par la puissance de l'Esprit. Nous parlons bien de sagesse entre les parfaits, mais ce [46] n'est pas de sagesse humaine. Nous prêchons la sagesse mystérieuse de Dieu, les plans cachés que Dieu, de toute éternité, avait arrêtés pour notre gloire et que nul des princes de ce monde n'a connue. Ces choses sont trop hautes pour l'entendement humain, mais Dieu nous les a révélées par l'esprit, car l'Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu 63. Ces choses spirituelles, l'homme spirituel en qui est la pensée du Christ peut seul les discerner. Moi-même, mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais j'ai dû vous parler comme à des hommes charnels, comme à de petits enfants, en Christ… Vous n'étiez pas assez forts ; et vous ne l'êtes pas même à présent, car vous êtes encore charnels… J'ai posé le fondement, comme un sage architecte 64… Vous êtes le temple de Dieu et l'esprit de Dieu habite en vous… Qu'ainsi l'on nous tienne pour des ministres de Christ et des dispensateurs des Mystères de Dieu."<br />Comment lire ce passage – et je n'ai fait, dans ce résumé, que mettre en relief les points importants – sans admettre que l'Apôtre possédait une sagesse divine donnée dans les Mystères, sagesse que ses sectateurs Corinthiens ne pouvaient recevoir encore. Remarquez le retour constant des termes techniques : la sagesse, la sagesse mystérieuse de Dieu, [47] la sagesse cachée connue seulement de l'homme spirituel, dont on ne parle que parmi les parfaits, sagesse dont sont exclus les non-spirituels, les enfants en Christ, les charnels, sagesse connue du sage architecte dispensateur des Mystères de Dieu.<br />63 Notez comme ces mots s'accordent avec la promesse de Jésus dans S. Jean, XVI, 12-14 : J'ai encore plusieurs choses à vous dire, mais elles sont présentement au-dessus de votre portée. Quand l'Esprit de vérité sera venu, il vous guidera dans toute la vérité… et il vous annoncera ce qui doit arriver… Il recevra de moi ce qu'il vous annoncera.<br />64 Autre expression technique, employée dans les Mystères.<br />Saint Paul ne cesse de mentionner ces Mystères. Comme il l'écrit aux chrétiens d'Éphèse : "C'est par une révélation, par un dévoilement que j'ai été initié au Mystère. D'où l'intelligence que j'ai du Mystère de Christ ; tous les hommes pourront connaitre l'économie du Mystère 65. Aux Colossiens, il répète qu'il est devenu ministre de ce Mystère, savoir le Mystère de toute éternité et avant tous les âges, mais révélé aujourd'hui aux saints (pas au monde, ni même aux chrétiens, mais seulement aux saints). Devant eux a été dévoilé ce glorieux Mystère. Or, qu'était cette gloire ? – Christ EN VOUS – expression significative se rapportant, comme nous le verrons plus loin, tout à l'heure, à la vie de l'Initié. C'est ainsi que tous les hommes doivent finir par apprendre la sagesse et devenir parfaits en Jésus-Christ 66. Saint Paul exhorte les Colossiens à prier, afin que Dieu nous ouvre une porte pour parler, en sorte que j'annonce le mystère du Christ 67, passage où, suivant saint Clément, l'apôtre indique clairement [48] que "la connaissance n'appartient pas à tous" 68. Saint Paul écrit de même à son disciple aimé Timothée, lui recommandant de choisir ses diacres parmi ceux qui conservent le mystère de la foi avec une conscience pure, ce grand mystère de la piété qu'il avait appris 69, et dont la connaissance était nécessaire aux instructeurs de l'Église.</p> <p style="text-align: center;"><em>65 Eph., III, 3, 4, 9.</em><br /><em>66 Coloss., I, 23, 25, 28. Mais saint Clément, dans ses Stromata, traduit "tous les hommes" par "l'homme tout entier". Voy. liv. V, chap. X.</em><br /><em>67 Coloss., IV, 3.</em><br /><em>68 Ante-Micene Library, vol. XII. CLÉMENT D'ALEXANDRIE Stromata, liv. V, chap. X. Le lecteur trouvera plusieurs autres paroles prononcées par les apôtres, parmi les citations de Clément, montrant le sens attaché à ces paroles par les hommes qui, succédant aux apôtres, vivaient dans la même atmosphère intellectuelle.</em><br /><em>69 1 Tim., III, 9, 16.</em><br /><em>70 Ibid., 1, 18.</em></p> <p style="text-align: center;">Or saint Timothée est une personnalité importante, représentant la génération suivante d'instructeurs chrétiens ; élève de saint Paul, il avait été désigné par lui pour guider et gouverner une partie de l'Église. Nous savons qu'il fut, par saint Paul lui-même, initié aux Mystères. Le fait est mentionné, comme nous le montreront, ici encore, les expressions techniques. – Ce que je te recommande, Timothée, mon enfant, c'est que, suivant les prédictions faites autrefois à ton sujet… 70, c'est-à-dire la bénédiction solennelle de l'Initiateur, reçue par le candidat. Mais l'Initiateur n'était pas seul présent : Ne néglige point le don qui est en toi, qui t'a été conféré par des paroles prophétiques lorsque le collège des anciens t'a imposé les mains 71. Saint Paul rappelle ensuite à saint Timothée d'avoir à saisir la vie éternelle à laquelle tu as été appelé, et pour laquelle tu as fait ta belle profession en présence d'un grand nombre de [49] témoins 72. Cette profession, ce sont les voeux du nouvel Initié, reçus en présence des Frères plus anciens et de l'assemblée des Initiés. Les connaissances alors communiquées sont le dépôt sacré auquel saint Paul fait allusion, quand il s'écrie avec tant d'énergie : O Timothée, conserve le dépôt qui t'a été confié ! Non pas les connaissances familières à tous les Chrétiens – elles ne lient pas spécialement saint Timothée – mais le dépôt sacré qui lui a été confié, en sa qualité d'Initié et qui est essentiel à la prospérité de l'Église. Plus loin, saint Paul revient sur ce point ; il insiste sur son importance suprême d'une manière qui serait exagérée si ces connaissances avaient été la propriété commune de tous les Chrétiens. Conserve… le modèle des saines leçons que tu tiens de moi… Garde ce précieux dépôt par l'Esprit Saint qui habite en nous 73… La parole humaine ne saurait formuler une adjuration plus solennelle. L'Initié devait encore assurer la transmission de ce dépôt sacré, afin que l'avenir en héritât et que l'Église ne fût jamais laissée sans instructeurs. Les enseignements que tu as reçus de moi, en présence d'un grand nombre de témoins, l'enseignement sacré oralement communiqué au sein de l'assemblée des Initiés, garants de l'exactitude de la transmission, confie-les à des hommes surs qui soient capables à leur tour d'en instruire d'autres 74.<br />La certitude ou, si l'on aime mieux, l'hypothèse que l'Église possédait ces enseignements réservés, [50] jette un flot de lumière sur ce que saint Paul dit, çà et là, de lui-même. Rapprochez ces passages ; ils vous donneront les grandes lignes de l'évolution d'un Initié. Saint Paul déclare qu'il est déjà du nombre des parfaits, des Initiés, car il dit : Nous tous qui sommes parfaits, ayons ce même sentiment, mais qu'il n'est cependant encore ni arrivé ni entièrement parfait ; il n'a pas encore atteint le point auquel Dieu m'a appelé d'en haut, en Jésus-Christ, la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances en reproduisant sa mort en ma personne… ; il s'efforce encore de parvenir à la résurrection des morts 75.</p> <p style="text-align: center;"><em>71 Tim., IV, 14.</em><br /><em>72 Ibid., VI, 12.</em><br /><em>73 2 Tim., I, 13, 14.</em><br /><em>74 2 Tim., II, 2.</em><br /><em>75 Phil., III, 8, 10, 12, 14, 15.</em></p> <p style="text-align: center;">Cette Initiation, en effet, libérait l'Initié, le transformait en Maitre Parfait, en Christ ressuscité, le faisant échapper définitivement d'entre les "morts" – de l'humanité emprisonnée dans le cercle des générations – des liens qui enchainaient son âme à la matière grossière. Ici encore se présentent beaucoup d'expressions techniques. Le lecteur superficiel, lui-même, doit comprendre que la résurrection des morts dont il est ici parlé ne peut être la résurrection ordinaire, telle que l'entend le chrétien à notre époque, résurrection supposée inévitable pour chacun et, par suite, ne réclamant de personne, pour être obtenue, le moindre effort spécial. Le mot même d'arriver ne serait pas à sa place s'il ne se rapportait qu'à une expérience humaine universelle et inévitable. Cette résurrection-là, saint Paul ne pouvait l'éviter, suivant les idées chrétiennes modernes. Qu'était donc cette résurrection qu'il recherchait avec tant d'efforts ? Une [51] fois de plus, la seule réponse possible nous vient des Mystères. L'Initié, au moment d'atteindre l'Initiation qui libérait du cercle des renaissances, du cercle des générations, était appelé "le Christ dans la souffrance" ; il partageait les souffrances du Sauveur du monde, subissait la crucifixion mystique, reproduisait sa mort en sa personne, atteignait ensuite la résurrection, l'union, avec le Christ glorifié, après quoi la mort n'avait plus de prise sur lui 76. Tel était le prix vers lequel courait le grand Apôtre, et il exhortait tous ceux qui sont parfaits (et non les croyants ordinaires) à faire de même, à ne pas se contenter de ce qu'ils ont obtenu, mais à persévérer toujours.<br />Cette ressemblance entre l'Initié et le Christ est, à vrai dire, la base même des Grands Mystères ; nous le constaterons, avec plus de détails, en étudiant "le Christ Mystique". L'Initié devait cesser d'envisager le Christ comme extérieur à lui-même : Si nous avons connu Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus 77.<br />Le croyant ordinaire avait revêtu Christ. Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ 78. C'étaient les enfants en Christ dont nous avons parlé plus haut ; Christ était le Sauveur dont ils attendaient le secours, le connaissant selon la chair. Mais, après avoir dompté la nature inférieure et perdu leur caractère charnel, ils devaient aborder un sentier plus élevé et devenir eux-mêmes le Christ. [52] Ce que l'Apôtre avait obtenu pour lui-même, il le souhaite ardemment pour ceux qui le suivent : Mes chers enfants, pour qui je ressens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Christ soit formé en vous 79. Déjà il était leur père spirituel, les ayant engendrés par l'Évangile 80. Mais maintenant il leur donne de nouveau la vie, comme une mère, et les amène à leur seconde naissance. Le Christ Enfant, le Saint Enfant, était né dans l'âme, l'être caché du coeur 81 ; l'Initié devenait ainsi ce Petit Enfant ; il devait dorénavant vivre, en lui-même, de la vie du Christ, jusqu'au moment de devenir homme fait et d'atteindre la hauteur de la perfection du Christ 82. Alors l'Initié, comme saint Paul, achève en sa chair ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps 83 et porte sans cesse dans son corps la mort de Jésus 84. Il peut donc dire avec vérité : j'ai été crucifié avec Christ et je vis… mais ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi 85. Voilà ce que souffrait l'Apôtre, voilà ce qu'il disait de lui-même. Et quand la lutte a pris fin, quel contraste entre le calme triomphant qui se dégage de ses paroles et la tension pénible des premières années ! Pour moi je vais être immolé, et le moment de mon départ est imminent. J'ai combattu le bon combat ; j'ai achevé la course ; j'ai gardé la [53] foi. Il ne me reste plus qu'à recevoir la couronne de justice qui m'est réservée 86. Cette couronne était celle que recevait le vainqueur, celui dont disait le Christ dans la gloire : Je ferai de lui une colonne dans le temple de mon Dieu et il n'en sortira plus 87. Car, après la Résurrection, l'Initié devenait l'Homme parfait, le Maitre ; il ne sortait plus du Temple, mais, de là, servait et guidait les mondes.</p> <p style="text-align: center;"><em>76 Apoc., I, 13. – Je suis le vivant ; j'ai été mort, et voici, je suis vivant aux siècles des siècles.</em><br /><em>77 2 Cor., V, 16.</em><br /><em>78 Gal., III, 27.</em></p> <p style="text-align: center;"><em>79 Gal., IV, 19.</em><br /><em>80 1 Cor., IV, 15.</em><br /><em>81 S. Pierre, III, 4.</em><br /><em>82 Eph., IV, 13.</em><br /><em>83 Coloss., I, 24.</em><br /><em>84 1 Cor., IV, 10.</em><br /><em>85 Gal., II, 2.</em><br /><em>86 2 Tim., IV, 6, 8.</em><br /><em>87 Apoc., III, 12.</em></p> <p style="text-align: center;">Il est peut-être bon de faire remarquer, avant de terminer ce chapitre, que saint Paul lui-même sanctionne la pratique de l'enseignement mystique théorique, dans sa manière d'expliquer les évènements historiques rapportés dans les Écritures. Il ne regarde pas l'histoire selon la Bible comme une simple relation de faits qui se seraient produits sur le plan physique ; en vrai mystique, il voyait dans les évènements physiques les ombres des vérités universelles qui se développent sans cesse dans les mondes plus exaltés et plus profonds ; il savait que les évènements choisis pour être enregistrés dans les ouvrages occultes étaient les plus typiques, ceux dont l'interprétation était de nature à servir l'instruction des hommes. Saint Paul, citant, par exemple, l'histoire d'Abraham, Sara, Agar, Ismaël et Isaac, dit que tout cela a un sens allégorique et en donne ensuite l'interprétation mystique 88. Á propos de la fuite des Israélites hors du pays d'Égypte, il parle de la mer Rouge comme d'un baptême, de la manne et de l'eau comme d'une viande et d'un breuvage spirituels, du rocher d'où jaillissait [54] la source comme de Christ 89. Il voit dans le mariage humain le grand mystère de l'union entre Christ et Son Église ; il parle des Chrétiens comme étant la chair et les os du corps de Christ 90. L'auteur de l'Épitre aux Hébreux donne un caractère allégorique à l'ensemble du culte Hébraïque. Dans le Temple il voit un modèle du Temple céleste ; dans le Souverain Sacrificateur il voit le Christ ; dans les sacrifices, l'offrande du Fils immaculé ; les sacrificateurs ne sont qu'une image et une ombre du sanctuaire céleste, des prêtres célestes ministres du véritable tabernacle. L'allégorie, poussée au dernier point, remplit ainsi les chapitres III à X, l'auteur déclarant que, par le Saint-Esprit, il faut entendre le sens profond. Tout cela était une figure symbolique relative aux temps présents 91. Dans cette interprétation des Saintes Écritures, il n'est pas dit que les évènements relatés n'aient pas eu lieu, mais seulement que leur réalisation physique a eu peu d'importance. Une semblable explication constitue l'enlèvement du voile cachant les Mystères Mineurs ou enseignements mystiques qu'il est permis de divulguer ; elle n'est pas comme on le croit souvent, un simple jeu de l'imagination, mais bien le résultat d'une intuition véritable, voyant les modèles dans le ciel et ne se bornant pas à regarder les ombres jetées par eux sur l'écran du temps terrestre.</p> <p style="text-align: center;"><em>88 Gal., IV, 22-31.</em><br /><em>89 1 Cor. X, 1-4.</em><br /><em>90 Eph., V, 23-32.</em><br /><em>91 Héb., IX, 9</em>.</p> CHAPITRE III — LE COTE CACHE DU CHRISTIANISME (Fin) – LE TÉMOIGNAGE DE L'ÉGLISE 2019-06-23T14:18:48+00:00 2019-06-23T14:18:48+00:00 http://www.hierarchie.eu/le-christianisme-esoterique-ou-les-mysteres-mineurs-par-annie-besant-1903/1106-chapitre-iii-le-cote-cache-du-christianisme-fin-le-temoignage-de-l-eglise Super User bon.christo@free.fr <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>CHAPITRE III </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>—</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong> LE COTE CACHE DU CHRISTIANISME (Fin) </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>– </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LE TÉMOIGNAGE DE L'ÉGLISE</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Il se peut que certaines personnes soient disposées à reconnaitre aux Apôtres et à leurs successeurs immédiats une connaissance des questions spirituelles plus profonde que les notions répandues dans le public Chrétien de cette époque, mais bien peu, sans doute, consentiront à faire un pas de plus et, quittant le cercle enchanté, à voir dans les Mystères de l'Église Primitive le réceptacle de la science sacrée. Nous savons cependant que saint Paul veille à la transmission de l'enseignement oral ; il initie lui-même saint Timothée et lui recommande d'initier, à son tour, d'autres personnes qui transmettront elles-mêmes leur dépôt à d'autres. Les Écritures font donc mention de cette mesure de prévoyance qui s'étend à quatre générations successives ; or, celles-ci remplissent, et bien au-delà, la période précédant les premiers auteurs de l'Église Primitive, qui rendent témoignage à l'existence des Mystères. Parmi ces auteurs, en effet, il y a des élèves directs des Apôtres, [56] bien que les déclarations les plus explicites soient faites par les auteurs séparés des Apôtres par un instructeur intermédiaire. En abordant l'étude de la littérature Chrétienne des premiers siècles, nous nous trouvons immédiatement en présence d'allusions que l'existence des Mystères peut seule expliquer, puis de passages affirmant que les Mystères existent. Nous pouvions évidemment nous y attendre, étant donné le point où le Nouveau Testament a laissé la question, mais il est agréable de voir les prévisions corroborées par les faits.<br />Les premiers témoins sont ceux appelés les Pères Apostoliques, les disciples des Apôtres ; mais il reste fort peu de choses de leurs écrits ; encore ces fragments sont-ils discutés. Les déclarations de ces auteurs, n'ayant pas un caractère de controverse, ne sont pas aussi catégoriques que celles d'écrivains plus récents. Leurs lettres ont pour objet d'encourager les croyants. Polycarpe, évêque de Smyrne et disciple, en même temps qu'Ignace, de saint Jean 92, exprime l'espoir que ses correspondants sont "versés dans les Écritures Saintes et que rien ne reste caché pour eux. Quant à lui-même, ce privilège ne lui est pas encore accordé 93". Barnabas parle de communiquer "une certaine partie de ce qu'il a reçu lui-même 94", et déclare, après une exposition mystique de la Loi : "Nous donc, comprenant le vrai sens de Ses commandements, [57] nous les expliquons comme l'entendait le Seigneur 95." Ignace, évêque d'Antioche et disciple de saint Jean 96, dit de lui-même : "Je ne suis pas encore parfait en Jésus-Christ, car je commence seulement à être disciple et je vous parle comme à mes condisciples 97." Et il parle de ses correspondants comme ayant été "initiés dans les mystères de l'Évangile avec Paul, le saint, le martyr 98". Plus loin il dit encore : "Ne pourrais-je vous écrire des choses plus remplies de mystère ? Mais je crains de le faire, de peur de vous causer du mal, à vous qui n'êtes que des enfants en bas âge. Ne m'en veuillez donc point. Incapables de recevoir des communications de cette importance, elles pourraient vous étouffer. Car moi-même qui suis lié (pour Christ), qui suis capable de comprendre les choses du ciel, les hiérarchies angéliques, les différentes espèces d'anges et d'armées célestes, la différence entre les puissances et les dominations, les distinctions entre les trônes et les autorités, la force immense des éons, la prééminence des chérubins et des séraphins, la sublimité de l'Esprit, le Royaume du Seigneur et, par-dessus tout, l'incomparable majesté du Dieu Tout-Puissant, moi qui connais toutes ces choses, je n'en suis pas, pour cela parfait. Je ne suis pas un disciple comme Paul ou comme Pierre 99." Ce passage est intéressant, car il montre que l'organisation des hiérarchies célestes [58] était un des points communiqués dans les Mystères. Ignace parle encore du Grand Prêtre, de l'Hiérophante "qui a la garde du Lieu Très-Saint et à qui, seul, ont été confiés les secrets de Dieu 100".</p> <p style="text-align: center;"><em>92 Vol. I, Martyre d'Ignace, ch. III. – Les traductions employées sont celles de l'Ante-Nicene Library de Clarke, excellent précis d'Antiquité Chrétienne. Le numéro du volume indiqué en tête des références est celui du volume de cette collection.</em><br /><em>93 Ibid., Épitre de Polycarpe, ch. XII.</em><br /><em>94 Ibid., Épitre de Barnabas, ch. I.</em><br /><em>95 Ibid., ch. X.</em><br /><em>96 Ibid., Martyre d'Ignace, ch. I.</em><br /><em>97 Ibid., Épitre d'Ignace aux Éphésiens, ch. III.</em><br /><em>98 Épitre d'Ignace aux Éphésiens, ch. XII.</em><br /><em>99 Ibid., aux Tralliens, ch. V.</em><br /><em>100 Épitre aux Philadelphiens, ch. IX.</em></p> <p style="text-align: center;">Nous arrivons ensuite à saint Clément d'Alexandrie et à son élève Origène, les deux auteurs des deuxième et troisième siècles qui nous en apprennent le plus sur les Mystères de l'Église primitive. L'atmosphère de l'époque est remplie d'allusions mystiques, mais ces deux Pères nous déclarent d'une manière nette et catégorique que les Mystères étaient une institution reconnue.<br />Or, saint Clément, disciple de Pantaenus, dit de son maitre et de deux autres, que l'on dit être Tatien et Théodote, qu'ils "conservent la tradition de la bienheureuse doctrine directement reçue des saints Apôtres Pierre, Jacques, Jean et Paul 101". Saint Clément n'était donc séparé des Apôtres que par un seul intermédiaire. Il dirigeait l'École de catéchèse, à Alexandrie, en 189 après Jésus-Christ, et mourut vers 220.<br />Origène, né vers 185 après Jésus-Christ, élève de saint Clément, était peut-être le plus savant des Pères de l'Église, et un homme doué de la beauté morale la plus rare. Tels sont les témoins les plus importants affirmant l'existence, dans l'Église Primitive, de véritables Mystères.<br />Les Stromata, ou mélanges, de saint Clément sont notre source d'information en ce qui concerne les [59] Mystères à son époque. Lui-même définit cet ouvrage comme une "réunion de notes Gnostiques, conformes à la vraie philosophie 102" ; il en parle aussi comme de sommaires des leçons qu'il avait reçues de Pantaenus. Le passage est instructif. "Le Seigneur… nous a permis de communiquer de ces Mystères divins et de cette sainte lumière à ceux capables de les recevoir. Il n'a certes pas révélé à la masse ce qui n'appartenait pas à la masse ; mais Il a révélé les Mystères à une minorité à laquelle Il savait qu'ils appartenaient, minorité capable de les recevoir et de s'y conformer. Les choses secrètes se confient oralement et non par écrit, et Dieu fait de même. Et si l'on vient me dire 103 : Il n'y a rien de secret qui ne doive être révélé ni rien de caché qui ne doive être dévoilé, je répondrai, moi, qu'à celui qui écoute en secret les choses secrètes, elles-mêmes, seront manifestées. Voilà ce que prédisait cet oracle. Á l'homme capable d'observer secrètement ce qui lui est confié, ce qui est voilé sera montré comme vérité ; ce qui est caché à la masse sera manifesté à la minorité… Les Mystères sont divulgués sous une forme mystique, afin que la transmission orale soit possible ; mais cette transmission sera faite moins par les mots que par leur sens caché… Les notes que voici sont bien faibles, je le sais, comparées à cet esprit plein de grâce que j'ai eu le privilège de recevoir. Du moins serviront-elles d'image qui rappellera l'archétype à [60] l'homme que le Thyrse a frappé 104." Le Thyrse, soit dit en passant, était la baguette tenue par les Initiés et dont ils touchaient les candidats pendant la cérémonie de l'Initiation. Il offrait un sens mystique et symbolisait, dans les Mystères Mineurs, la moelle épinière et la glande pinéale, et, dans les Grands Mystères, une Verge que connaissent les Occultistes. "Celui que le Thyrse a frappé" signifie donc, en d'autres termes, l'homme initié aux Mystères.</p> <p style="text-align: center;"><em>101 Vol. IV, CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromata, 1. I, ch. I.</em><br /><em>102 Vol. IV, Stromata, 1. I, ch. XXVIII.</em><br /><em>103 Il semble qu'à cette époque déjà il y eut des personnes trouvant mauvais qu'on n'enseignât secrètement aucune vérité !</em></p> <p style="text-align: center;">"Nous n'avons pas la prétention, continue Clément, d'expliquer suffisamment les choses secrètes, loin de là, mais seulement de les rappeler à la mémoire, soit que quelques-unes nous aient échappé, soit dans le but de ne pas les oublier. Bien des choses, je le sais fort bien, nous ont, à la longue, échappé sans avoir été jamais rapportées par écrit… Il y a donc des choses dont nous n'avons pas conservé le souvenir, car la puissance des bienheureux était grande." Les disciples des Grands Êtres en font souvent l'expérience, car la présence du Maitre stimule et appelle à l'activité des facultés normalement encore latentes et que l'élève ne saurait, seul, mettre en jeu. "Certains points qui restèrent longtemps sans être notés par écrit nous ont maintenant échappé ; d'autres ont disparu, l'intelligence en ayant perdu la trace, car les personnes sans expérience ne peuvent facilement les retenir ; ces points, je les mets en lumière dans mes commentaires. J'omets intentionnellement certaines choses, exerçant en cela une sage sélection et craignant [61] de confier à l'écriture ce que je craignais d'exprimer de vive voix. Je n'agis point par jalousie, ce serait mal, mais je crains de voir mes lecteurs les interpréter d'une manière inexacte et trébucher ; suivant le proverbe, ce serait donner une épée à un enfant. Car il est impossible que les matières traitées par écrit ne s'échappent point (ne soient pas divulguées) : même si je ne les publie point personnellement. Mais, alors même qu'elles sont dans le domaine public (l'écriture étant toujours le mode de transmission employé), elles donnent au chercheur qui les interroge des réponses plus profondes que les mots écrits. Elles exigent, en effet, l'aide de quelqu'un, soit de l'auteur, soit d'une personne ayant suivi ses pas. J'indiquerai certains points d'une manière voilée ; j'insisterai sur d'autres ; d'autres enfin ne seront que mentionnés. Je m'efforcerai de parler imperceptiblement, de montrer secrètement et de procéder par démonstration silencieuse 105."</p> <p style="text-align: center;"><em>104 Stromata, 1. I, 13.</em><br /><em>105 Stromata, 1. I, ch. I.</em></p> <p style="text-align: center;">Ce passage suffirait, à lui seul, pour établir l'existence, dans la Primitive Église, d'un enseignement secret. Mais il y en a bien d'autres. Dans le XIIe chapitre de ce même livre Ier, intitulé les Mystères de la Foi qui ne doivent pas être communiqués à tous, Clément déclare que, son travail pouvant tomber sous les yeux de personnes dénuées de sagesse, "il est nécessaire de jeter le voile du Mystère sur les enseignements oraux donnés par le Fils de Dieu". Á celui qui parle, il fallait des lèvres pures, à celui qui écoute, un coeur attentif et pur. "Voilà pourquoi il m'était [62] difficile d'écrire. Aujourd'hui même, je crains, comme il est dit, de jeter les perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds et que, se tournant, ils ne nous déchirent. Car il est difficile de parler de la vraie lumière, en termes absolument clairs et transparents, à des auditeurs d'une nature porcine et indisciplinée. Rien au monde ne semble plus ridicule à la multitude, mais en même temps, rien de plus admirable ni de plus inspirateur pour les âmes nobles. Les sages n'ouvrent point la bouche sur ce qui est dit dans leur assemblée. Mais le Seigneur a commandé de proclamer sur les maisons ce qui avait été dit à l'oreille, prescrivant à ses disciples de recevoir les traditions secrètes de la vraie sagesse, puis de les interpréter hautement et ouvertement. Nous devons donc transmettre aux personnes qui en sont dignes ce qui nous a été dit à l'oreille, sans pourtant communiquer à tout venant le sens des paraboles. On ne trouvera dans ces notes qu'une esquisse ; les vérités y sont clairsemées, afin qu'elles échappent à ceux qui ramassent les semences comme des corneilles ; les semences trouvent-elles un bon cultivateur, chacune germera et produira d<em>u blé."</em><br />Clément aurait pu ajouter que proclamer du haut des maisons signifiait proclamer ou interpréter dans l'assemblée des Parfaits ou initiés et, en aucune façon, de crier la vérité aux passants.<br />Il dit ailleurs : "Les personnes encore aveugles et sourdes, qui ne possèdent ni l'entendement ni la vue nette et pénétrante, facultés de l'âme contemplative… ne sauraient faire partie du coeur divin… C'est pourquoi, [63] fidèles à la méthode secrète, les Égyptiens nommaient adyta et les Hébreux le lieu voilé la Parole véritablement sacrée, véritablement divine et très nécessaire aux hommes, déposée dans le sanctuaire de la vérité. Seules, les personnes consacrées… y avaient accès. Platon lui-même trouvait qu'il n'était pas légitime que les impurs touchassent les purs. Les prophéties et les oracles étaient donc prononcés sous une forme énigmatique. Quant aux Mystères, ils n'étaient pas dévoilés d'emblée à tout venant, mais seulement après certaines purifications et un enseignement préparatoire."<br />Clément s'étend ensuite longuement sur les Symboles, Pythagoriciens, Hébreux, Égyptiens et fait observer que les personnes ignorantes et sans instruction sont incapables d'en saisir le sens. "Mais le Gnostique comprend. Il ne convient donc pas que tout soit indistinctement montré à tous, ni que les bienfaits de la sagesse soient accordés à des hommes dont l'âme n'a jamais, même en rêve, été purifiée (car il n'est pas permis de livrer au premier venu ce qui fut acquis au prix de si laborieux efforts) ; les Mystères de la parole ne doivent pas davantage être expliqués aux profanes." Les Pythagoriciens possédaient, comme Platon, Zénon et Aristote, des enseignements exotériques et des enseignements ésotériques. Les philosophes instituèrent les Mystères, car, "n'était-il pas préférable, pour la sainte et bienheureuse contemplation des choses réelles, qu'elle fût cachée 106 ?" Les Apôtres, eux aussi, approuvaient [64] que "les mystères de la foi fussent voilés", car il existait "des enseignements pour les parfaits". Nous trouvons des allusions à ceci dans l'Épitre aux Colossiens, chapitre I, 9-11 et 25-27.<br />"Il y a donc, d'une part, les Mystères qui étaient restés cachés jusqu'au temps des Apôtres et leur furent confiés tels que le Seigneur les leur donna et que, dissimulés dans l'Ancien Testament, ils furent manifestés aux saints, et, d'autre part, la richesse de ce glorieux mystère parmi les païens, c'est-à-dire la foi et l'espoir en Christ, appelés ailleurs le fondement."<br />Clément cite saint Paul pour montrer que cette "connaissance n'appartient pas à tous", et dit, en se reportant à l'Épitre aux Hébreux, chapitres V et VI, qu' "il existait certainement parmi les Juifs des enseignements oraux" ; il cite ensuite ces mots de saint Barnabé : Dieu a mis en nos coeurs la sagesse et la faculté de comprendre Ses secrets ; et ajoute : "Peu d'hommes sont à même de comprendre ces choses, où subsistent des traces de la tradition Gnostique." – "C'est pourquoi l'instruction qui révèle les choses cachées s'appelle illumination, car l'instructeur seul soulève le toit de l'arche 107."<br />Plus loin, Clément, revenant à saint Paul, commente ces paroles adressées aux Romains : Je sais qu'en me rendant auprès de vous, j'y viendrai avec une pleine bénédiction de Christ 108, et dit que l'Apôtre entend par là "le don spirituel et l'interprétation Gnostique", [65] et qu'il voulait, étant présent, communiquer aux Romains la plénitude du Christ, conformément à la révélation du Mystère resté scellé à travers les âges de l'Éternité, mais aujourd'hui manifesté dans les Écrits prophétiques 109.<br />…Mais à quelques-uns seulement sont montrées, telles qu'elles sont, les choses contenues dans les Mystères. C'est donc avec raison que Platon, parlant de Dieu, dit : "Il nous faut parler en énigmes ; car si quelques feuilles de nos tablettes venaient à s'égarer, sur terre ou sur mer, leur lecture n'apprendrait rien 110."<br />Après s'être étendu considérablement sur certains écrivains Grecs et avoir passé en revue la philosophie, saint Clément déclare que la Gnose "communiquée et révélée par le Fils de Dieu, est la sagesse… Or la Gnose, elle-même est un dépôt qui est parvenu par transmission à quelques hommes ; elle avait été communiquée oralement par les Apôtres 111". Saint Clément décrit très longuement la vie du Gnostique, de l'Initié, et dit en terminant : "Que l'exemple ici donné suffise à qui sait entendre. Car il n'est pas désirable de voiler le mystère, mais seulement de donner, à ceux qui savent, des indications suffisantes pour le leur rappeler 112."</p> <p style="text-align: center;"><em>106 Stromata, ch. IX.</em><br /><em>107 Stromata, 1. V, ch. X.</em><br /><em>108 Rom., XV, 20.</em><br /><em>109 Ibid., XVI, 25, 26 ; la version citée diffère, dans les termes, de la version autorisée Anglicane, mais le sens est le même.</em><br /><em>110 Stromata, 1. V, ch. X.</em><br /><em>111 Ibid., 1. VI, ch. VII.</em></p> <p style="text-align: center;">Regardant l'Écriture comme composée d'allégories et de symboles où se dissimule le sens, afin d'encourager [66] l'esprit d'examen et de préserver les ignorants de certains dangers 113, saint Clément réserve naturellement aux personnes instruites les leçons supérieures. "Notre Gnostique, dit-il, sera profondément instruit 114" ; et ailleurs : "Or, le Gnostique doit être érudit 115." "Les dispositions acquises par un entrainement préparatoire permettent d'assimiler les connaissances plus avancées." "Un homme peut assurément posséder la foi sans avoir rien appris ; mais, nous l'affirmons, il est impossible pour un homme sans instruction de comprendre les choses déclarées dans la foi 116."<br />"Certaines personnes, se croyant douées d'une manière spéciale, ne veulent s'occuper ni de philosophie, ni de logique. Que dis-je ! Elles ne veulent pas apprendre les sciences naturelles. Elles demandent la foi et rien de plus… J'appelle véritablement instruit l'homme qui découvre en toutes choses la vérité, si bien que, empruntant à la géométrie, à la musique, à la grammaire et à la philosophie les éléments qui lui conviennent, il protège la foi contre les attaques… Combien il est nécessaire à l'homme qui doit participer à la puissance divine, de traiter par la méthode philosophique des sujets intellectuels 117 !" "Le Gnostique emploie les différentes branches de la science comme exercices préparatoires auxiliaires 118." Tant saint Clément était éloigné [67] de penser que l'ignorance des illettrés devait donner la mesure des enseignements Chrétiens ! "L'homme familiarisé avec tous les genres de sagesse sera le Gnostique par excellence 119." Ainsi, tout en accueillant les ignorants et les pécheurs, et en trouvant pour eux, dans l'Évangile, ce qui convenait à leurs besoins, Clément ne regardait comme candidats dignes des Mystères que les personnes instruites et pures. "L'Apôtre, distinguant la foi ordinaire de la perfection Gnostique, appelle la première la fondation et parfois le lait 120" ; mais sur cette fondation devait s'élever l'édifice de la Gnose, et la nourriture de l'homme devait remplacer celle de l'enfant. Aucune rudesse, rien de méprisant dans la distinction établie par Clément, mais seulement une constatation faite, avec calme, par un esprit éclairé.</p> <p style="text-align: center;"><em>112 Ibid., 1. VII, ch. XIV.</em><br /><em>113 Stromata, 1. VI ch. XV.</em><br /><em>114 Ibid., 1. VI, ch. X.</em><br /><em>115 Ibid., 1. VI, ch. VII.</em><br /><em>116 Ibid., ch. I.</em><br /><em>117 Stromata, ch. IX.</em><br /><em>118 Ibid., 1. VI, ch. X.</em><br /><em>119 Ibid., 1. VI, ch. XIII.</em></p> <p style="text-align: center;">Malgré toute la préparation du candidat, malgré l'instruction et l'entrainement du disciple, il n'est possible d'avancer que pas à pas dans les vérités transcendantes révélées dans les Mystères ; Clément le donne nettement à entendre dans son commentaire de la vision d'Hermas ; ici encore il indique, à mots couverts, certaines méthodes à suivre pour la lecture des ouvrages occultes. "La Puissance apparue dans la Vision, à Hermas, sous l'apparence de l'Église, ne lui a-t-Elle pas Elle-même donné à transcrire le livre qu'Elle désirait faire connaitre aux élus ? Or, ce livre, Hermas nous dit qu'il le transcrivit littéralement sans parvenir à compléter les syllabes. Il faut [68] entendre par là que l'Écriture ne présente d'obscurité pour personne quand elle est prise dans son sens le plus simple et que cette foi représente l'instruction rudimentaire. D'où aussi l'emploi de cette expression figurée : lire suivant la lettre. Enfin, nous comprenons que l'élucidation Gnostique des Écritures, quand le développement de la foi est déjà considérable, est ici comparée à une lecture suivant les syllabes… Grâce à l'enseignement donné par le Sauveur aux Apôtres, l'interprétation orale des textes sacrés a été transmise jusqu'à nous et gravée, par la puissance de Dieu, sur des coeurs nouveaux, conformément à la rénovation du livre. Voilà pourquoi les Grecs les plus éminents consacrent la grenade à Hermès, qui, disent-ils, représente la parole (les mots ayant besoin d'interprétation). Car la parole dissimule bien des choses… L'histoire de Moïse nous enseigne que cette difficulté d'atteindre la vérité n'existe pas seulement pour ceux qui lisent superficiellement, mais que la grâce de contempler cette vérité n'est pas accordée d'emblée, même aux hommes dont la prérogative est de la connaitre. Le jour où nous serons accoutumés à contempler, comme les Hébreux, la gloire de Moïse, et comme les prophètes d'Israël les visions angéliques, nous deviendrons, nous aussi, capables de regarder en face les splendeurs de la vérité 121."<br />Nous pourrions citer d'autres textes, mais ce qui précède suffira pour établir que saint Clément connaissait l'existence de Mystères dans l'Église, qu'il y avait [69] été admis, enfin qu'il écrivait pour ceux qui y avaient été initiés avec lui.</p> <p style="text-align: center;"><em>120 Vol. XII. Ibid., 1. V, ch. IV.</em><br /><em>121 Stromata, 1. VI, ch. XV.</em></p> <p style="text-align: center;">Son disciple Origène vient, à son tour, nous apporter son témoignage. Origène, dont l'érudition, le courage, la sainteté, la dévotion, l'humilité, l'ardeur, illuminent le siècle, et dont les ouvrages subsistent, semblables à des mines d'or où le chercheur peut découvrir les trésors de la sagesse.<br />Dans sa fameuse dispute contre Celse, le Christianisme eut à subir des attaques qui provoquèrent, de la part d'Origène, une défense des principes chrétiens ; il y fait souvent mention des enseignements secrets 122. Celse ayant attaqué le Christianisme, en alléguant que c'était un système secret, Origène s'élève contre cette opinion et déclare que, si certaines doctrines étaient secrètes, bien d'autres étaient publiques et que ce système d'enseignements exotériques et ésotériques adopté par les Chrétiens était répandu de même parmi les philosophes. On remarquera, dans le passage qui suit, la distinction établie entre la résurrection de Jésus envisagée au point de vue historique et le "mystère de la résurrection".<br />"D'ailleurs, Celse appelant souvent la doctrine chrétienne un système secret, nous devons, ici encore, le réfuter ; car, enfin, le monde entier, ou peu s'en faut, est plus au courant des doctrines prêchées par les chrétiens que des opinions favorites des philosophes ! Qui ne sait que Jésus est né d'une vierge ; qu'Il a été crucifié, que Sa résurrection est un article de [70] foi pour beaucoup de personnes et qu'un jugement général est annoncé, qui punira les méchants comme ils le méritent et récompensera les justes ? Et pourtant le Mystère de la résurrection, étant mal compris, est tourné en ridicule par ceux qui ne croient point. Dans ces conditions, il est complètement absurde d'appeler la doctrine chrétienne un système secret. Si, d'autre part, certaines doctrines cachées à la masse sont révélées après l'enseignement des doctrines exotériques, ce n'est pas là un fait particulier au Christianisme, car il se retrouve dans les systèmes philosophiques, dont certaines vérités sont exotériques et d'autres ésotériques. Parmi les auditeurs de Pythagore, les uns se contentaient de ses affirmations, tandis que d'autres étaient secrètement instruits dans les doctrines qui n'étaient pas jugées communicables à des oreilles profanes et insuffisamment préparées. D'ailleurs, si les nombreux Mystères, partout célébrés en Grèce et dans les contrées barbares, sont tenus secrets, ils n'en sont pas pour cela discrédités. Celse s'efforce donc inutilement de calomnier les doctrines secrètes du Christianisme, puisqu'il ne se fait pas une idée exacte de sa nature 123."<br />Dans ce passage, il est impossible de le nier, Origène place nettement les Mystères Chrétiens dans la même catégorie que ceux du monde Païen et demande qu'une manière d'agir non reprochée à d'autres religions ne devienne pas un sujet d'attaques quand sa présence est constatée dans le Christianisme. [71]<br />Origène déclare, s'opposant toujours aux idées de Celse, que l'Église conserve les enseignements secrets de Jésus ; il invoque en termes précis les explications données par Jésus à Ses disciples, dans Ses paraboles, pour répondre à la comparaison établie par Celse entre les Mystères intérieurs de l'Église de Dieu et le culte des animaux pratiqué en Égypte. "Je n'ai pas encore parlé de l'observance de tout ce qui est écrit dans les Évangiles, car chacun d'eux contient de nombreuses doctrines difficiles à comprendre, non seulement pour la masse, mais aussi pour certains esprits plus intelligents, par exemple une explication très profonde des paraboles adressées par Jésus à ceux du dehors, paraboles dont il réservait l'interprétation complète aux hommes qui avaient dépassé le stade de l'enseignement exotérique et qui venaient vers lui en particulier, dans la maison. Quand le lecteur aura compris cela, il admirera la raison qui a fait dire des uns qu'ils sont au dehors, des autres, qu'ils sont dans la maison."<br />Origène fait ensuite, à mots couverts, une allusion à la "montagne" gravie par Jésus, montagne dont Il redescendit pour aider "ceux qui ne pouvaient Le suivre là où L'accompagnaient Ses disciples 124". Cette allusion se rapporte à "la Montagne de l'initiation", expression mystique bien connue. Moïse, de même, fit le tabernacle selon la forme qui lui avait été montrée sur la montagne 125. Plus loin, Origène y revient à nouveau, disant que "Jésus se montra sur [72] "la Montagne" très différent de ce qu'Il paraissait être à ceux qui ne pouvaient Le suivre aussi haut 126."</p> <p style="text-align: center;"><em>122 Le livre du Contre Celse se trouve dans le vol. X de l'Ante-Nicene Library. Les autres livres se trouvent dans le vol. XXIII.</em><br /><em>123 Vol. X, Origène contre Celse, 1. I, ch. VII.</em><br /><em>124 Origène contre Celse, I. III, ch. XXI.</em><br /><em>125 Ex., XXV, 40 ; XXVI, 30. Cf. Héb., VIII, 5, et IX, 23.</em></p> <p style="text-align: center;">Dans son commentaire du chapitre XV de l'Évangile selon saint Matthieu, Origène dit encore, à propos de l'épisode de la femme Syro-Phénicienne : "Peut-être certaines paroles de Jésus sont-elles des pains qu'il est possible de donner exclusivement, comme à des enfants, aux personnes les plus développées ; d'autres sont, en quelque sorte, les miettes qui viennent du palais et de la table des grands, miettes que certaines âmes viendront, comme des chiens, ramasser."<br />Celse ayant trouvé mauvais que des pécheurs fussent admis dans l'Église, Origène lui répond que l'Église a des remèdes pour les malades, mais aussi, pour les âmes bien portantes, l'étude et la connaissance des choses divines. On apprend aux pécheurs à ne plus pécher ; puis quand ils ont fait des progrès et qu'ils ont été "purifiés par la Parole", "alors seulement nous les invitons à participer à nos Mystères. Car nous parlons de la sagesse parmi ceux qui sont parfaits 127". Les pécheurs viennent demander leur guérison : "Car il y a, dans la divinité de la Parole, des ressources, pour ceux qui sont malades… D'autres, encore, dévoilent aux hommes purs de corps et d'âme la révélation du mystère qui était resté caché depuis le commencement du monde, mais qui aujourd'hui est manifesté par les écrits des prophètes et par [73] l'apparition de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cette apparition se manifeste à tout homme parfait et illumine la raison, dans la connaissance véritable des choses 128." Des apparitions semblables se produisaient, comme nous l'avons constaté, dans les Mystères Païens ; les Mystères de l'Église étaient également visités par des Présences glorieuses. "Dieu le Verbe, dit Origène, fut envoyé aux pécheurs comme un médecin, mais, à ceux qui sont déjà purs et ne pèchent plus 129" comme un Maitre des divins Mystères. "La sagesse n'entrera point dans l'âme d'un homme vil et n'habitera point dans un corps esclave du péché." Voilà pourquoi ces enseignements supérieurs sont exclusivement donnés à ceux qui sont "des athlètes dans la piété comme dans toutes les vertus".</p> <p style="text-align: center;"><em>126 Origène contre Celse, 1. IV, ch. XVI.</em><br /><em>127 Origène contre Celse, 1. III, ch. LIX.</em><br /><em>128 Ibid., ch. LXI.</em><br /><em>129 Ibid., ch. LXII.</em></p> <p style="text-align: center;">Les Chrétiens ne communiquaient pas ces connaissances aux impurs, mais disaient : "Un homme a-t-il des mains pures, élève-t-il, par conséquent, vers Dieu des mains saintes… qu'il vienne à nous… Un homme est-il pur, non seulement de toute souillure, mais encore de transgressions considérées comme moins graves, qu'il se fasse hardiment initier aux Mystères de Jésus que seuls, doivent connaitre les saints et les purs." C'est encore pourquoi, avant le commencement de la cérémonie d'Initiation, le personnage remplissant les fonctions d'Initiateur, suivant les préceptes de Jésus l'Hiérophante, adressait ces paroles significatives à ceux dont le coeur a été purifié : [74] "Que l'homme dont l'âme n'a, depuis longtemps, été consciente d'aucun mal, en particulier depuis qu'il s'est soumis à l'action curative de la Parole, que cet homme reçoive les doctrines communiquées, en secret, par Jésus à Ses vrais disciples." Ainsi commençait "l'Initiation aux Mystères sacrés, des hommes déjà purifiés 130". Ceux-là seuls pouvaient apprendre à connaitre les réalités des mondes invisibles, seuls ils pouvaient pénétrer dans l'enceinte sacrée où, comme autrefois, les anges venaient enseigner et où les leçons se donnaient par la vue directe et non pas seulement par la parole. Il est impossible de ne pas être frappé de la différence entre le ton de ces Chrétiens d'autrefois et celui de leurs successeurs modernes. Pour les premiers, une vie parfaitement pure, la pratique des vertus, l'accomplissement de la Loi Divine, dans tous les détails de la conduite extérieure, la justice irréprochable, n'étaient, comme pour les païens d'ailleurs, que le commencement du chemin, au lieu d'en marquer le terme. Aujourd'hui la religion est considérée comme ayant glorieusement atteint son but, quand elle a fait un Saint ; jadis elle soumettait les Saints à ses énergies suprêmes et, prenant par la main les hommes au coeur pur, les menait jusqu'à la vision béatifique.<br />Origène fait encore mention de l'enseignement secret quand il discute les arguments de Celse concernant l'opportunité de conserver les coutumes des ancêtres basées sur cette croyance que "les différentes régions terrestres ont été, dès le commencement, [75] assignées en partage à différents Esprits directeurs et distribuées ainsi entre certaines Puissances gouvernantes, mode suivant lequel procède l'administration du monde 131".<br />Origène critique les déductions de Celse, puis il ajoute : "Mais, jugeant probable que certaines personnes habituées à pousser plus avant leurs recherches partageront les idées de ce traité, nous oserons donner quelques aperçus d'un caractère plus profond, renfermant des vues mystiques et secrètes concernant le partage primitif des différentes régions terrestres, dont quelques-unes d'ailleurs sont mentionnées dans l'histoire Grecque elle-même". Origène cite ensuite le Deutéronome, XXXII, 8-9 : Quand le Souverain partagea les nations, quand il dispersa les fils d'Adam, il établit les bornes du peuple suivant le nombre des fils d'Israël, mais la portion du Seigneur fut son peuple, Jacob et Israël la corde de son héritage. Les termes sont ceux de la version des Septante et non ceux de la version autorisée Anglicane, mais ils semblent bien indiquer que le nom de "Seigneur" n'était donné qu'à l'Ange Souverain des Juifs et non pas au "Très-Haut", c'est-à-dire à Dieu. L'ignorance a fait perdre de vue cette distinction ; d'où l'inexactitude de maint passage se rapportant au "Seigneur", quand il est appliqué au "Très-Haut". Nous citerons, comme exemple, Juges, I, 19.</p> <p style="text-align: center;"><em>130 Origène contre Celse, ch. LX.</em><br /><em>131 Vol. XXIII, Origène contre Celse, 1. V, ch. XXV.</em></p> <p style="text-align: center;">Origène raconte alors l'histoire de la Tour de Babel et poursuit en ces termes : "Mais il y aurait, et cela au point de vue mystique, beaucoup à dire sur ces [76] questions. Nous citerons, à ce propos, le passage suivant, de Tobie, XII, 7 : Il est bon de garder le secret d'un roi, afin que la doctrine de la descente des âmes dans des corps (je ne veux pas dire le passage d'un corps à un autre) ne soit pas livrée aux esprits vulgaires, ni les choses saintes données aux chiens, ni les perles jetées devant les pourceaux. Procéder de la sorte serait impie, ce serait trahir les mystérieuses déclarations de la sagesse Divine… Il suffit cependant de représenter, dans le style d'un récit historique, ce qui est destiné à offrir, sous le voile de l'histoire, un sens secret, afin que ceux qui en sont capables parviennent eux-mêmes à s'assimiler tout ce qui a trait à la question 132." Origène interprète ensuite d'une manière plus complète, l'histoire de la Tour de Babel. "En second lieu", dit-il, "que tous ceux qui le peuvent comprennent que, dans les récits donnés sous la forme historique et qui contiennent certaines choses littéralement vraies tout en présentant un sens plus profond 133…"</p> <p style="text-align: center;"><em>132 Origène contre Celse, ch. XXIX.</em><br /><em>133 Ibid., ch. XXXI.</em></p> <p style="text-align: center;">Après s'être efforcé de montrer que le "Seigneur" était plus puissant que les autres Esprits directeurs des différentes régions terrestres, et qu'Il avait envoyé Son peuple au dehors expier ses fautes sous la domination des autres puissances, pour le faire revenir ensuite, avec toutes les nations moins favorisées qui s'y prêtèrent. Origène termine par ces mots : "Comme nous l'avons déjà fait observer, il faut comprendre que nous avons parlé à mots couverts, afin de mettre [77] en lumière les erreurs de ceux qui affirment 134…" comme le faisait Celse.<br />Plus loin, Origène constate que "l'objet du Christianisme est de nous faire acquérir la sagesse", puis il lui dit : "Si maintenant vous prenez les livres écrits après l'époque de Jésus-Christ, vous verrez que ces multitudes de croyants qui écoutent les paraboles sont, pour ainsi dire, au dehors ; ils ne sont dignes que des doctrines exotériques ; les disciples, au contraire, reçoivent en particulier l'explication des paraboles. En effet, Jésus dévoila tout, en secret, à Ses propres disciples, mettant au-dessus du vulgaire ceux qui désiraient connaitre Sa sagesse. Il promit d'ailleurs à ceux qui croient en Lui de leur envoyer des hommes sages et des scribes… Paul, de son côté, dans son énumération des charismata que Dieu accorde à l'homme, met en première ligne la Parole de la Sagesse, en seconde ligne, comme lui étant inférieure, la Science, en troisième ligne, enfin, et plus bas, la Foi. Et, parce qu'il regardait la Parole comme supérieure au don des miracles, il place le don des miracles et des guérisons au-dessous des dons de la Parole 135."<br />Assurément l'Évangile est une aide pour les ignorants, "néanmoins l'éducation, l'étude des meilleurs auteurs et la sagesse sont, non pas un obstacle, mais bien un secours pour l'homme qui désire connaitre Dieu 136". Quant aux inintelligents, "je m'efforce, eux aussi, de les former de mon mieux, malgré mon [78] désir de ne pas faire entrer dans la communauté Chrétienne d'éléments semblables. Car je recherche de préférence les esprits plus cultivés et plus capables, parce qu'ils sont à même de saisir le sens des paroles obscures 137".<br />Nous trouvons ici, clairement énoncées, les anciennes idées Chrétiennes ; elles sont identiques avec les considérations présentées dans le premier chapitre de cet ouvrage. Le Christianisme est ouvert aux ignorants, mais il ne leur est pas exclusivement réservé ; pour les esprits "cultivés et capables", il y a des enseignements profonds.<br />C'est pour eux qu'Origène s'efforce de démontrer que les Écritures Judaïques et Chrétiennes présentent un sens caché sous le voile de récits dont le sens extérieur est choquant et absurde. Il fait ici allusion au serpent et à l'arbre de vie et aux "récits suivants dont la seule lecture pourrait suffire à faire comprendre à un lecteur candide que toutes ces choses avaient, à juste titre, un sens allégorique 138".</p> <p style="text-align: center;"><em>134 Ibid. ch. XXXII.</em><br /><em>135 Origène contre Celse, ch. XLVI.</em><br /><em>136 Origène contre Celse, ch. XLVII-LIV.</em><br /><em>137 Ibid., ch LXXIV.</em></p> <p style="text-align: center;">De nombreux chapitres sont consacrés à ces significations allégoriques et mystiques, cachées dans les paroles de l'Ancien et du Nouveau Testament ; Origène allègue que Moïse, suivant l'habitude des Égyptiens, donnait à ses histoires un sens occulte 139. "Le lecteur veut-il envisager ces récits sans parti pris…", telle est, en résumé, la méthode d'interprétation adoptée par Origène ; "tient-il, d'autre part, à ne [79] pas être induit en erreur, il exercera son jugement pour déterminer les récits qu'il admettra, ceux qu'il prendra au figuré, cherchant à découvrir ce qu'ont voulu dire les auteurs d'inventions semblables, ceux enfin auxquels il refusera de croire, parce qu'ils ont été écrits pour satisfaire certaines personnes. Or, nous disons cela, par anticipation, de tous les écrits renfermés dans les Évangiles concernant Jésus 140."<br />Les exemples d'interprétation mystique de récits Bibliques remplissent une bonne partie du Livre Quatrième ; toute personne désireuse d'étudier cette question pourra le lire en entier.<br />Dans le De Principiis, Origène nous dit que, suivant la doctrine de l'Église, "les Écritures ont pour auteur l'Esprit de Dieu et qu'elles offrent un sens déterminé, non seulement celui qui se découvre à première vue, mais encore un autre qui échappe à la plupart des lecteurs. Car ces (mots) écrits sont les formes de certains Mystères et les images de choses divines. Á cet égard l'Église est unanime à penser que, dans son ensemble, la loi est vraiment spirituelle, que cependant le sens spirituel de la loi n'est pas connu de tous, mais seulement de ceux qui ont reçu l'Esprit-Saint dans la parole de sagesse et de science 141". – Le lecteur qui se rappelle les citations précédentes reconnaitra dans "la parole de sagesse" et "la parole de science" les deux grands enseignements mystiques, spirituel et intellectuel. [80]</p> <p style="text-align: center;"><em>138 Origène contre Celse, 1. IV ch. XXXIX.</em><br /><em>139 Vol. X, Ibid., 1. I, c. XVII et autres.</em><br /><em>140 Ibid., ch. XLII.</em><br /><em>141 Vol. X, De Principiis. Préface, p. 8.</em></p> <p style="text-align: center;">Dans le quatrième livre du De Principiis, Origène explique longuement comment il comprend l'interprétation des Écritures. Elles ont un "corps", c'est-à-dire "le sens ordinaire et historique", une "âme", sens figuré qui peut être intellectuellement saisi, enfin un "esprit", sens intérieur et divin que peuvent seuls connaitre ceux qui possèdent "l'intelligence de Christ". Origène estime que les éléments hétérogènes et impossibles introduits dans l'histoire ont pour objet d'exciter le lecteur intelligent et de l'obliger à chercher une explication plus profonde. Quant aux lecteurs simples, ils lisent sans s'apercevoir des difficultés 142.<br />Le Cardinal Newman, dans Arians of the Fourth Century (les Ariens du Quatrième Siècle), fait quelques remarques intéressantes au sujet de la Disciplina Arcani, mais, avec le scepticisme invétéré du dix-neuvième siècle, ne parvient pas à croire complètement aux "richesses de la gloire du Mystère", ou, sans doute, n'a pas un seul instant jugé possible l'existence d'aussi merveilleuses réalités. Il croyait pourtant à Jésus, à Jésus dont la promesse est claire et catégorique : Je ne vous laisserai point orphelins ; je viendrai à vous. Encore un peu de temps et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez ; parce que je vis, vous aussi vous vivrez. En ce jour-là, vous connaitrez que Je suis en mon Père et que vous êtes en Moi et que Je suis en vous 143. Cette promesse fut largement tenue, [81] car Il vint vers Ses disciples et les instruisit dans Ses Mystères ; ils Le virent alors, bien que le monde ne Le vit plus, et ils surent que le Christ était en eux et que leur vie était celle du Christ.<br />Le Cardinal Newman admet l'existence d'une tradition secrète remontant aux Apôtres, mais suppose qu'elle consistait en doctrines Chrétiennes divulguées plus tard ; il oublie que les hommes déclarés encore incapables de recevoir cet enseignement n'étaient pas des païens, ni même des catéchumènes encore incomplètement instruits, mais des membres de l'Église Chrétienne admis aux sacrements. Il estime que cette tradition secrète fut plus tard "volontairement répandue au dehors, qu'elle se perpétua sous des formes symboliques" et fut incorporée "dans les crédos des premiers Conciles 144". Mais cette thèse est insoutenable, car les doctrines des crédos se trouvent clairement énoncées dans les Évangiles et dans les Épitres, ayant toutes été antérieurement divulguées ; ces doctrines, enfin, les membres de l'Église les possédaient certainement à fond. Ainsi expliquées, les affirmations maintes fois répétées qu'il y avait un enseignement secret n'ont plus aucun sens. Le Cardinal ajoute, par contre, que "tout ce qui n'a pas ainsi reçu un caractère d'authenticité, soit prophéties, soit commentaires sur les dispensations obtenues dans le passé, se trouve, de fait, perdu pour l'Église 145". Au point de vue de l'Église, c'est très probablement, certainement même exact, mais il n'en est pas moins possible de retrouver la doctrine perdue. [82]</p> <p style="text-align: center;"><em>142 De Principiis, ch. I.</em><br /><em>143 S. Jean, XIV, 18-20.</em><br /><em>144 Loc. cit., ch. I, sec. III, p. 55.</em></p> <p style="text-align: center;">Le Cardinal s'exprime en ces termes, au sujet d'Irénée, qui, dans son ouvrage Contre les Hérésies, insiste beaucoup sur l'existence, dans l'Église, d'une Tradition Apostolique :<br />"Il parle ensuite de la puissance et de la clarté des traditions conservées dans l'Église, ces traditions qui contiennent la véritable sagesse des parfaits mentionnée par saint Paul et que les Gnostiques ont la prétention de posséder. Il n'existe pas de preuves péremptoires de l'existence et de l'autorité, dans les temps primitifs, d'une Tradition apostolique, mais il est bien certain qu'une tradition semblable a dû exister, en admettant que les Apôtres causassent et que leurs amis eussent, tout comme d'autres, de la mémoire. Il est impossible de croire qu'ils n'aient pas été amenés à disposer la série des doctrines révélées, plus systématiquement que dans leurs Écrits, dès le moment où leurs convertis se virent exposés aux attaques et aux appréciations erronées des hérétiques, à moins qu'il ne leur ait pas été permis de le faire ; mais cette supposition est à écarter. Les déclarations Apostoliques ainsi motivées auraient, tout naturellement, été conservées, ainsi que ces autres vérités secrètes moins importantes auxquelles saint Paul semble faire allusion et dont les auteurs les plus anciens reconnaissent plus ou moins l'existence, vérités relatives tant aux types de l'Église Juive qu'aux perspectives d'avenir de l'Église Chrétienne. De semblables souvenirs des enseignements apostoliques auraient évidemment été des articles de foi pour les fidèles auxquels ils étaient communiqués : à moins de supposer que, venant d'instructeurs inspirés, ils [83] n'eussent cependant pas une origine divine 146." Dans la section de son ouvrage relative à la méthode "allégorisante" le Cardinal dit encore, trouvant dans le sacrifice d'Isaac et ailleurs "le type de la révélation du Nouveau Testament" : "Pour corroborer cette observation, je ferai observer qu'il semble avoir existé 147 dans l'Église une interprétation traditionnelle de ces types historiques, interprétation remontant aux Apôtres, mais reléguée parmi les doctrines secrètes, comme étant dangereuse pour la majorité des auditeurs. Á coup sûr, saint Paul, dans l'Épitre aux Hébreux, nous donne un exemple d'une tradition semblable et nous montre à la fois son existence et son caractère secret (malgré son origine Juive bien caractérisée), lorsque, après avoir interrompu ses explications et mis en doute la foi de ses frères, il leur communique, non sans hésitation, le sens évangélique du récit concernant Melchisédech, tel qu'il est donné dans le livre de la Genèse 148."<br />Les convulsions sociales et politiques qui marquèrent la fin de l'Empire Romain commençaient à torturer son vaste organisme ; les Chrétiens eux-mêmes se trouvèrent attirés dans la mêlée orageuse des intérêts personnels. Nous trouvons encore mentionnées çà et là certaines connaissances spéciales communiquées aux chefs et aux instructeurs de l'Église, ainsi la connaissance des hiérarchies célestes, des enseignements donnés par les Anges, et d'autres [84] encore. Mais le manque d'élèves qualifiés amena la disparition des Mystères, ils cessèrent d'être une institution dont l'existence était connue de tous, et les enseignements furent communiqués, de plus en plus secrètement, aux âmes de plus en plus rares qui, par leur savoir, leur pureté, leur dévotion, se montraient capables de les recevoir. Il n'y eut plus, désormais, d'écoles enseignant les premiers éléments, et, avec leur disparition, "la porte se ferma".</p> <p style="text-align: center;"><em>145 Loc. cit., ch. I, sec. III, pp. 55-56.</em><br /><em>146 Loc. cit., pp. 54, 55.</em><br /><em>147 "Semble avoir existé" est une expression plutôt faible – étant données les affirmations de Clément et d'Origène – affirmations dont nous avons cité plus haut quelques exemples.</em><br /><em>148 Loc. cit., p. 62.</em></p> <p style="text-align: center;">Il est cependant possible de retrouver dans la Chrétienté deux courants ayant pris leur source dans les Mystères disparus : l'un est le courant de la science mystique ; il descend de la Sagesse, de la Gnose, communiquée dans les Mystères ; l'autre est le courant de la contemplation mystique, issu, lui aussi, de la Gnose ; il mène à l'extase et à la vision spirituelle ; mais cette vision, sans l'aide de la science, atteignit rarement la véritable extase, ou bien elle se perdit dans une foule changeante de formes subtiles hyperphysiques, visibles sous une apparence objective par la vision intérieure ; amenée prématurément par le jeûne, les veilles et des efforts d'attention soutenus, elle naquit, le plus souvent, des pensées et des émotions du visionnaire. Alors même que les formes aperçues n'étaient pas des pensées extériorisées, elles étaient vues à travers une atmosphère déformante d'idées et de croyances préconçues et, par ce fait, perdaient une grande partie de leur valeur. Certaines visions furent cependant bien des visions de choses célestes. Jésus apparut véritablement de temps à autre à Ses adorateurs fervents ; des anges illuminèrent [85] parfois de leur présence la cellule du moine et de la religieuse, la solitude de l'extatique et du chercheur, à l'esprit tendu vers Dieu. Nier la possibilité d'expériences semblables serait saper, dans leurs fondations mêmes, les réalités auxquelles les hommes de toute religion ont le plus surement attaché leur foi et que connait tout Occultiste, la communication entre les Esprits voilés de chair et les Esprits couverts d'enveloppes plus subtiles, le contact entre les intelligences malgré les barrières physiques, l'épanouissement, en l'homme, de la Divinité, la certitude d'une vie au-delà des portes de la mort.<br />Jamais, au cours des siècles qui le séparent de son origine, le Christianisme n'a été entièrement privé de Mystères. "C'est probablement vers la fin du cinquième siècle, au moment où la philosophie ancienne se mourait dans les Écoles d'Athènes, que la philosophie spéculative du Néoplatonisme prit pied définitivement dans la pensée Chrétienne, grâce aux supercheries littéraires du "Pseudo-Denys". Les doctrines du Christianisme étaient déjà si fermement établies que l'Église pouvait le voir, sans inquiétude, interpréter d'une manière symbolique et mystique. Aussi l'auteur de la Theologia Mystica et d'autres ouvrages attribués à l'Aréopagite, fait-il des doctrines de Proclus, sans y apporter grand changement, un système de Christianisme ésotérique. Dieu est l'Unité, innommée, supra-essentielle, supérieure à la Bonté même. C'est donc la théologie négative qui, s'élevant de la créature jusqu'à Dieu, en écartant, l'un après l'autre, tout attribut déterminé, nous amène le plus près de la vérité. Le retour à Dieu est la consommation [86] suprême et le but indiqué par l'enseignement Chrétien. Ces mêmes doctrines furent prêchées, mais avec une ferveur plus ecclésiastique, par Maxime le Confesseur (580-622).<br />Maxime représente à peu près la dernière activité spéculative de l'Église Grecque, mais l'influence des ouvrages du "Pseudo-Denys" fut transmise à l'Occident, au neuvième siècle, par Érigène, dont le génie spéculatif a donné naissance à la scolastique comme au mysticisme du moyen âge. Érigène traduisit en latin l'oeuvre de Denys ainsi que les commentaires de Maxime ; son propre système est, au fond, basé sur les leurs. Érigène adopte la théologie négative ; il déclare que Dieu est un Être sans attributs et qu'il peut par conséquent, non sans raison, être appelé Rien (Aucune Chose ?). De ce Rien ou essence incompréhensible est éternellement créé le monde des idées ou des causes primordiales. C'est là le Verbe ou Fils de Dieu. En Lui existent toutes choses, si, du moins, elles ont une existence réelle. Toute existence est une théophanie. Dieu, comme Il est le commencement de toutes choses, en est aussi la fin. Érigène enseigne le retour à Dieu de toutes choses, sous la forme de l'adunatio ou deificatio de Denys. Tels sont les caractères permanents de ce qu'on peut appeler la philosophie du Mysticisme de notre ère ; le peu de changements avec lequel on les retrouve de siècle en siècle est remarquable 149."</p> <p style="text-align: center;"><em>149 Article "Mysticisme", Encycl. Brit.</em></p> <p style="text-align: center;">Au onzième siècle, Bernard de Clairvaux (1091-1153) et Hugues de Saint-Victor continuent la tradition [87] mystique, ainsi que Richard de Saint-Victor au siècle suivant et, au treizième siècle, saint Bonaventure, le Docteur Séraphique et le grand saint Thomas d'Aquin (1227-1274). Thomas d'Aquin domine l'Europe du moyen âge, autant par la force de son caractère que par son savoir et sa piété. Il voit dans la "Révélation" une première source de nos connaissances qui se répand dans deux canaux, l'Écriture et la tradition ; l'influence du "Pseudo-Denys", évidente dans ses oeuvres, le rattache aux Néoplatoniciens. La deuxième source est la Raison, dont les déversoirs sont la philosophie Platonicienne et les méthodes d'Aristote. Le Christianisme n'eut pas à se féliciter de cette dernière alliance, car Aristote devint un obstacle pour les progrès de la pensée supérieure ; les luttes qu'eut à soutenir Giordano Bruno, le Pythagoricien, devaient en être la preuve. Thomas d'Aquin fut canonisé en 1323, et le grand Dominicain reste le type de cette alliance entre la théologie et la philosophie, à laquelle il a consacré sa vie.<br />Ces hommes appartiennent à la grande Église de l'Europe Occidentale ; ils justifient sa prétention d'avoir reçu en dépôt la torche sainte de la science mystique. Autour d'elle s'élevèrent des sectes nombreuses, jugées hérétiques, mais possédant des traditions exactes de l'enseignement occulte ; tels sont les Cathares et bien d'autres encore, persécutés par une Église jalouse de son autorité et craignant de voir les perles saintes tomber entre des mains profanes. Le quatorzième siècle voit encore, en sainte Elizabeth de Hongrie, rayonner la douceur et la pureté, tandis qu'Eckhart (1261-1329) se montre [88] un digne héritier des Écoles d' Alexandrie. Eckhart enseignait que "le Dieu suprême est l'essence absolue (Wesen) impossible à connaitre, non seulement pour l'homme, mais encore pour Lui-même. Il est l'obscurité, la privation absolue de tout attribut déterminé, le Nicht opposé à l'Ichf ou à l'existence définie et compréhensible. Et cependant Il renferme potentiellement toutes choses ; Sa nature est de parvenir, par un processus triadique, à la conscience de Lui-même, Dieu à la fois triple et unique. La création n'est pas un acte temporel, mais une éternelle nécessité de la nature divine. Je suis aussi nécessaire à Dieu, aimait à dire Eckhart, que Dieu m'est nécessaire. Dans ma connaissance et dans mon amour, Dieu Se connait et S'aime Lui-même 150".<br />À Eckhart succédèrent, au quatorzième siècle, Jean Tauler et Nicolas de Bâle, "l'Ami de Dieu, dans l'Oberland" ; ils donnèrent naissance à la Société des Amis de Dieu, véritables mystiques, continuateurs de la tradition ancienne. Mead fait observer que Thomas d'Aquin, Tauler et Eckhart succédèrent au "Pseudo-Denys", celui-ci à Plotin, Jamblique et Proclus, ces derniers enfin à Platon et Pythagore 151. Tel est le lien qui unit à travers les âges les fidèles de la Sagesse. Un "Ami" fut sans doute l'auteur de Die Deutsche Theologie ; cet ouvrage de dévotion mystique eut la fortune étrange d'être approuvé par Staupitz, le Vicaire Général des Augustins, qui le recommanda à Luther ; celui-ci l'approuva lui-même [89] et le publia en 1516, comme étant un livre à placer immédiatement après la Bible et les écrits de saint Augustin d'Hippone. Un "Ami" encore, Ruysbroeck, dont l'action, jointe à celle de Groot, donna naissance à l'ordre des Frères du Sort commun ou de la Vie Commune, Société à jamais mémorable puisqu'elle a compté parmi ses membres ce prince des mystiques, Thomas A. Kempis (1380-1471), l'auteur de l'immortelle Imitation de Jésus-Christ.</p> <p style="text-align: center;">150 Article "Mysticisme", Encycl. Brit.<br />151 Orpheus, pp. 53, 54.</p> <p style="text-align: center;">Dans les deux siècles suivants, le côté purement intellectuel du mysticisme est plus marqué que le côté extatique, qui domine si fortement dans ces sociétés du quatorzième siècle. Nous trouvons à cette époque le Cardinal Nicolas de Cuse, Giordano Bruno, le chevalier-martyr de la philosophie, et Paracelse, le savant si souvent calomnié qui puisa directement ses connaissances à la source-mère, en Orient, et non pas à ses canaux Helléniques.<br />Le seizième siècle vit naitre Jacob Böhme (1575-1614), "le savetier inspiré", un Initié traversant, en vérité, une période obscure, cruellement persécuté par des hommes ignorants.<br />À cette époque aussi parurent sainte Thérèse, la mystique Espagnole qui eut à subir tant d'oppressions et de souffrances ; saint Jean de la Croix, flamme ardente de profonde dévotion ; enfin, saint François de Sales. Sage fut l'Église Romaine en les canonisant, plus sage que la Réforme, qui persécuta Böhme. Mais l'esprit de la Réforme a toujours été profondément antimystique, et partout où son souffle a passé, les fleurs exquises du mysticisme se sont flétries, comme au souffle du siroco. [90]<br />Rome, après avoir cruellement tourmenté Thérèse, l'avait canonisée après sa mort ! Mais elle méconnut Mme Guyon (1648-1717), une véritable mystique. Au dix-septième siècle, Miguel de Molinos (1627-1696), digne émule de saint Jean de la Croix, montra la dévotion exaltée d'un mystique, sous une forme particulièrement passive : le Quiétisme.<br />Au dix-septième siècle, encore, parut l'école des Platoniciens de Cambridge, dont Henry More (1614-1687) fut un représentant remarquable. Alors aussi vécurent Thomas Vaughan et Robert Fludd, le Rose-Croix, et se forma la Philadelphian Society. William Law (1686-1761), dont la carrière active appartint au dix-huitième siècle, a pu connaitre Saint-Martin (1748-1803). Les ouvrages de ce dernier auteur ont exercé leur fascination sur bien des chercheurs du dix-neuvième siècle 152.<br />N'oublions pas Christian Rosenkreutz (mort vers 1484), dont la Société mystique de la Rose-Croix, formée en 1514, posséda la connaissance vraie et dont l'esprit se retrouve dans "le Comte de Saint-Germain", ce personnage mystérieux qui apparait et disparait dans l'ombre, sous les éclairs livides du dix-huitième siècle expirant. Il faut aussi compter parmi les mystiques certains Quakers, cette secte des "Amis", tant persécutés, qui demandent l'illumination à la Lumière Intérieure et dont l'oreille est tendue sans cesse vers la Voix du Dedans. Il y eut bien d'autres mystiques encore, "dont le monde n'était pas digne", [91] comme cette vraiment charmante et sage Mère Juliane de Norwich, qui vécut au quatorzième siècle. C'étaient là des Chrétiens d'élite, trop peu connus, mais qui justifiaient le Christianisme dans le monde.</p> <p style="text-align: center;"><em>152 Nous devons ces détails à l'article "Mysticisme", dans l'Encyclopcedia Britannica, bien que cette publication ne soit aucunement responsable des opinions exprimées.</em></p> <p style="text-align: center;">Nous saluons, avec respect, ces Enfants de Lumière qui émergent, çà et là, au cours des siècles, mais, il faut bien le reconnaitre, ils ne possédaient pas cette union étroite d'intelligence pénétrante et d'ardente dévotion, que donnait l'entrainement des Mystères ; nous sommes étonnés par leurs sublimes envolées, mais nous ne pouvons que regretter que leurs dons si rares n'aient pas été développés sous cette magnifique disciplina arcani.<br />Alphonse Louis Constant, mieux connu sous son pseudonyme, Éliphas Lévi, s'est exprimé en termes assez justes, au sujet de la disparition des Mystères et la nécessité de les rétablir. "Un grand malheur", dit-il en substance, "est arrivé au Christianisme. En trahissant les Mystères, les faux Gnostiques (par les Gnostiques, j'entends ceux qui savaient, furent les Initiés du Christianisme primitif) amenèrent l'Église à rejeter la Gnose et l'éloignèrent des vérités suprêmes de la Kabbale qui contiennent tous les secrets de la théologie transcendante… Que la science absolue, que la raison la plus haute redeviennent le patrimoine des conducteurs du peuple ; que l'art sacerdotal et l'art royal saisissent le double sceptre des initiations antiques, et une fois encore le monde social émergera du chaos. Cessez de bruler les saintes images, car il faut aux hommes des temples et des images ; mais chassez les mercenaires de la maison de prière. Que les aveugles cessent de conduire les aveugles. Reconstituez [92] la hiérarchie de l'intelligence et de la sainteté. Reconnaissez enfin ceux qui savent comme maitres de ceux qui croient 153."<br />Les Églises reprendront-elles, de nos jours, l'enseignement mystique, les Mystères Mineurs ; prépareront-elles ainsi leurs enfants pour le rétablissement des Grands Mystères ; appelleront-elles de nouveau sur la terre des Instructeurs angéliques, ayant pour Hiérophante le Maitre Divin, Jésus ? – De cette question dépend l'avenir du Christianisme.<br /><em>153 Les Mystères de la magie. Trad. par A.-E. Waite, pp. 58 et 60.</em><br />La citation est tirée, ainsi que celle de la p. 162 du présent volume, de l'ouvrage de A.-E. Waite qui est plutôt une adaptation qu'une traduction de l'oeuvre d'E. Lévi (NDT).</p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>CHAPITRE III </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>—</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong> LE COTE CACHE DU CHRISTIANISME (Fin) </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>– </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LE TÉMOIGNAGE DE L'ÉGLISE</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Il se peut que certaines personnes soient disposées à reconnaitre aux Apôtres et à leurs successeurs immédiats une connaissance des questions spirituelles plus profonde que les notions répandues dans le public Chrétien de cette époque, mais bien peu, sans doute, consentiront à faire un pas de plus et, quittant le cercle enchanté, à voir dans les Mystères de l'Église Primitive le réceptacle de la science sacrée. Nous savons cependant que saint Paul veille à la transmission de l'enseignement oral ; il initie lui-même saint Timothée et lui recommande d'initier, à son tour, d'autres personnes qui transmettront elles-mêmes leur dépôt à d'autres. Les Écritures font donc mention de cette mesure de prévoyance qui s'étend à quatre générations successives ; or, celles-ci remplissent, et bien au-delà, la période précédant les premiers auteurs de l'Église Primitive, qui rendent témoignage à l'existence des Mystères. Parmi ces auteurs, en effet, il y a des élèves directs des Apôtres, [56] bien que les déclarations les plus explicites soient faites par les auteurs séparés des Apôtres par un instructeur intermédiaire. En abordant l'étude de la littérature Chrétienne des premiers siècles, nous nous trouvons immédiatement en présence d'allusions que l'existence des Mystères peut seule expliquer, puis de passages affirmant que les Mystères existent. Nous pouvions évidemment nous y attendre, étant donné le point où le Nouveau Testament a laissé la question, mais il est agréable de voir les prévisions corroborées par les faits.<br />Les premiers témoins sont ceux appelés les Pères Apostoliques, les disciples des Apôtres ; mais il reste fort peu de choses de leurs écrits ; encore ces fragments sont-ils discutés. Les déclarations de ces auteurs, n'ayant pas un caractère de controverse, ne sont pas aussi catégoriques que celles d'écrivains plus récents. Leurs lettres ont pour objet d'encourager les croyants. Polycarpe, évêque de Smyrne et disciple, en même temps qu'Ignace, de saint Jean 92, exprime l'espoir que ses correspondants sont "versés dans les Écritures Saintes et que rien ne reste caché pour eux. Quant à lui-même, ce privilège ne lui est pas encore accordé 93". Barnabas parle de communiquer "une certaine partie de ce qu'il a reçu lui-même 94", et déclare, après une exposition mystique de la Loi : "Nous donc, comprenant le vrai sens de Ses commandements, [57] nous les expliquons comme l'entendait le Seigneur 95." Ignace, évêque d'Antioche et disciple de saint Jean 96, dit de lui-même : "Je ne suis pas encore parfait en Jésus-Christ, car je commence seulement à être disciple et je vous parle comme à mes condisciples 97." Et il parle de ses correspondants comme ayant été "initiés dans les mystères de l'Évangile avec Paul, le saint, le martyr 98". Plus loin il dit encore : "Ne pourrais-je vous écrire des choses plus remplies de mystère ? Mais je crains de le faire, de peur de vous causer du mal, à vous qui n'êtes que des enfants en bas âge. Ne m'en veuillez donc point. Incapables de recevoir des communications de cette importance, elles pourraient vous étouffer. Car moi-même qui suis lié (pour Christ), qui suis capable de comprendre les choses du ciel, les hiérarchies angéliques, les différentes espèces d'anges et d'armées célestes, la différence entre les puissances et les dominations, les distinctions entre les trônes et les autorités, la force immense des éons, la prééminence des chérubins et des séraphins, la sublimité de l'Esprit, le Royaume du Seigneur et, par-dessus tout, l'incomparable majesté du Dieu Tout-Puissant, moi qui connais toutes ces choses, je n'en suis pas, pour cela parfait. Je ne suis pas un disciple comme Paul ou comme Pierre 99." Ce passage est intéressant, car il montre que l'organisation des hiérarchies célestes [58] était un des points communiqués dans les Mystères. Ignace parle encore du Grand Prêtre, de l'Hiérophante "qui a la garde du Lieu Très-Saint et à qui, seul, ont été confiés les secrets de Dieu 100".</p> <p style="text-align: center;"><em>92 Vol. I, Martyre d'Ignace, ch. III. – Les traductions employées sont celles de l'Ante-Nicene Library de Clarke, excellent précis d'Antiquité Chrétienne. Le numéro du volume indiqué en tête des références est celui du volume de cette collection.</em><br /><em>93 Ibid., Épitre de Polycarpe, ch. XII.</em><br /><em>94 Ibid., Épitre de Barnabas, ch. I.</em><br /><em>95 Ibid., ch. X.</em><br /><em>96 Ibid., Martyre d'Ignace, ch. I.</em><br /><em>97 Ibid., Épitre d'Ignace aux Éphésiens, ch. III.</em><br /><em>98 Épitre d'Ignace aux Éphésiens, ch. XII.</em><br /><em>99 Ibid., aux Tralliens, ch. V.</em><br /><em>100 Épitre aux Philadelphiens, ch. IX.</em></p> <p style="text-align: center;">Nous arrivons ensuite à saint Clément d'Alexandrie et à son élève Origène, les deux auteurs des deuxième et troisième siècles qui nous en apprennent le plus sur les Mystères de l'Église primitive. L'atmosphère de l'époque est remplie d'allusions mystiques, mais ces deux Pères nous déclarent d'une manière nette et catégorique que les Mystères étaient une institution reconnue.<br />Or, saint Clément, disciple de Pantaenus, dit de son maitre et de deux autres, que l'on dit être Tatien et Théodote, qu'ils "conservent la tradition de la bienheureuse doctrine directement reçue des saints Apôtres Pierre, Jacques, Jean et Paul 101". Saint Clément n'était donc séparé des Apôtres que par un seul intermédiaire. Il dirigeait l'École de catéchèse, à Alexandrie, en 189 après Jésus-Christ, et mourut vers 220.<br />Origène, né vers 185 après Jésus-Christ, élève de saint Clément, était peut-être le plus savant des Pères de l'Église, et un homme doué de la beauté morale la plus rare. Tels sont les témoins les plus importants affirmant l'existence, dans l'Église Primitive, de véritables Mystères.<br />Les Stromata, ou mélanges, de saint Clément sont notre source d'information en ce qui concerne les [59] Mystères à son époque. Lui-même définit cet ouvrage comme une "réunion de notes Gnostiques, conformes à la vraie philosophie 102" ; il en parle aussi comme de sommaires des leçons qu'il avait reçues de Pantaenus. Le passage est instructif. "Le Seigneur… nous a permis de communiquer de ces Mystères divins et de cette sainte lumière à ceux capables de les recevoir. Il n'a certes pas révélé à la masse ce qui n'appartenait pas à la masse ; mais Il a révélé les Mystères à une minorité à laquelle Il savait qu'ils appartenaient, minorité capable de les recevoir et de s'y conformer. Les choses secrètes se confient oralement et non par écrit, et Dieu fait de même. Et si l'on vient me dire 103 : Il n'y a rien de secret qui ne doive être révélé ni rien de caché qui ne doive être dévoilé, je répondrai, moi, qu'à celui qui écoute en secret les choses secrètes, elles-mêmes, seront manifestées. Voilà ce que prédisait cet oracle. Á l'homme capable d'observer secrètement ce qui lui est confié, ce qui est voilé sera montré comme vérité ; ce qui est caché à la masse sera manifesté à la minorité… Les Mystères sont divulgués sous une forme mystique, afin que la transmission orale soit possible ; mais cette transmission sera faite moins par les mots que par leur sens caché… Les notes que voici sont bien faibles, je le sais, comparées à cet esprit plein de grâce que j'ai eu le privilège de recevoir. Du moins serviront-elles d'image qui rappellera l'archétype à [60] l'homme que le Thyrse a frappé 104." Le Thyrse, soit dit en passant, était la baguette tenue par les Initiés et dont ils touchaient les candidats pendant la cérémonie de l'Initiation. Il offrait un sens mystique et symbolisait, dans les Mystères Mineurs, la moelle épinière et la glande pinéale, et, dans les Grands Mystères, une Verge que connaissent les Occultistes. "Celui que le Thyrse a frappé" signifie donc, en d'autres termes, l'homme initié aux Mystères.</p> <p style="text-align: center;"><em>101 Vol. IV, CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromata, 1. I, ch. I.</em><br /><em>102 Vol. IV, Stromata, 1. I, ch. XXVIII.</em><br /><em>103 Il semble qu'à cette époque déjà il y eut des personnes trouvant mauvais qu'on n'enseignât secrètement aucune vérité !</em></p> <p style="text-align: center;">"Nous n'avons pas la prétention, continue Clément, d'expliquer suffisamment les choses secrètes, loin de là, mais seulement de les rappeler à la mémoire, soit que quelques-unes nous aient échappé, soit dans le but de ne pas les oublier. Bien des choses, je le sais fort bien, nous ont, à la longue, échappé sans avoir été jamais rapportées par écrit… Il y a donc des choses dont nous n'avons pas conservé le souvenir, car la puissance des bienheureux était grande." Les disciples des Grands Êtres en font souvent l'expérience, car la présence du Maitre stimule et appelle à l'activité des facultés normalement encore latentes et que l'élève ne saurait, seul, mettre en jeu. "Certains points qui restèrent longtemps sans être notés par écrit nous ont maintenant échappé ; d'autres ont disparu, l'intelligence en ayant perdu la trace, car les personnes sans expérience ne peuvent facilement les retenir ; ces points, je les mets en lumière dans mes commentaires. J'omets intentionnellement certaines choses, exerçant en cela une sage sélection et craignant [61] de confier à l'écriture ce que je craignais d'exprimer de vive voix. Je n'agis point par jalousie, ce serait mal, mais je crains de voir mes lecteurs les interpréter d'une manière inexacte et trébucher ; suivant le proverbe, ce serait donner une épée à un enfant. Car il est impossible que les matières traitées par écrit ne s'échappent point (ne soient pas divulguées) : même si je ne les publie point personnellement. Mais, alors même qu'elles sont dans le domaine public (l'écriture étant toujours le mode de transmission employé), elles donnent au chercheur qui les interroge des réponses plus profondes que les mots écrits. Elles exigent, en effet, l'aide de quelqu'un, soit de l'auteur, soit d'une personne ayant suivi ses pas. J'indiquerai certains points d'une manière voilée ; j'insisterai sur d'autres ; d'autres enfin ne seront que mentionnés. Je m'efforcerai de parler imperceptiblement, de montrer secrètement et de procéder par démonstration silencieuse 105."</p> <p style="text-align: center;"><em>104 Stromata, 1. I, 13.</em><br /><em>105 Stromata, 1. I, ch. I.</em></p> <p style="text-align: center;">Ce passage suffirait, à lui seul, pour établir l'existence, dans la Primitive Église, d'un enseignement secret. Mais il y en a bien d'autres. Dans le XIIe chapitre de ce même livre Ier, intitulé les Mystères de la Foi qui ne doivent pas être communiqués à tous, Clément déclare que, son travail pouvant tomber sous les yeux de personnes dénuées de sagesse, "il est nécessaire de jeter le voile du Mystère sur les enseignements oraux donnés par le Fils de Dieu". Á celui qui parle, il fallait des lèvres pures, à celui qui écoute, un coeur attentif et pur. "Voilà pourquoi il m'était [62] difficile d'écrire. Aujourd'hui même, je crains, comme il est dit, de jeter les perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds et que, se tournant, ils ne nous déchirent. Car il est difficile de parler de la vraie lumière, en termes absolument clairs et transparents, à des auditeurs d'une nature porcine et indisciplinée. Rien au monde ne semble plus ridicule à la multitude, mais en même temps, rien de plus admirable ni de plus inspirateur pour les âmes nobles. Les sages n'ouvrent point la bouche sur ce qui est dit dans leur assemblée. Mais le Seigneur a commandé de proclamer sur les maisons ce qui avait été dit à l'oreille, prescrivant à ses disciples de recevoir les traditions secrètes de la vraie sagesse, puis de les interpréter hautement et ouvertement. Nous devons donc transmettre aux personnes qui en sont dignes ce qui nous a été dit à l'oreille, sans pourtant communiquer à tout venant le sens des paraboles. On ne trouvera dans ces notes qu'une esquisse ; les vérités y sont clairsemées, afin qu'elles échappent à ceux qui ramassent les semences comme des corneilles ; les semences trouvent-elles un bon cultivateur, chacune germera et produira d<em>u blé."</em><br />Clément aurait pu ajouter que proclamer du haut des maisons signifiait proclamer ou interpréter dans l'assemblée des Parfaits ou initiés et, en aucune façon, de crier la vérité aux passants.<br />Il dit ailleurs : "Les personnes encore aveugles et sourdes, qui ne possèdent ni l'entendement ni la vue nette et pénétrante, facultés de l'âme contemplative… ne sauraient faire partie du coeur divin… C'est pourquoi, [63] fidèles à la méthode secrète, les Égyptiens nommaient adyta et les Hébreux le lieu voilé la Parole véritablement sacrée, véritablement divine et très nécessaire aux hommes, déposée dans le sanctuaire de la vérité. Seules, les personnes consacrées… y avaient accès. Platon lui-même trouvait qu'il n'était pas légitime que les impurs touchassent les purs. Les prophéties et les oracles étaient donc prononcés sous une forme énigmatique. Quant aux Mystères, ils n'étaient pas dévoilés d'emblée à tout venant, mais seulement après certaines purifications et un enseignement préparatoire."<br />Clément s'étend ensuite longuement sur les Symboles, Pythagoriciens, Hébreux, Égyptiens et fait observer que les personnes ignorantes et sans instruction sont incapables d'en saisir le sens. "Mais le Gnostique comprend. Il ne convient donc pas que tout soit indistinctement montré à tous, ni que les bienfaits de la sagesse soient accordés à des hommes dont l'âme n'a jamais, même en rêve, été purifiée (car il n'est pas permis de livrer au premier venu ce qui fut acquis au prix de si laborieux efforts) ; les Mystères de la parole ne doivent pas davantage être expliqués aux profanes." Les Pythagoriciens possédaient, comme Platon, Zénon et Aristote, des enseignements exotériques et des enseignements ésotériques. Les philosophes instituèrent les Mystères, car, "n'était-il pas préférable, pour la sainte et bienheureuse contemplation des choses réelles, qu'elle fût cachée 106 ?" Les Apôtres, eux aussi, approuvaient [64] que "les mystères de la foi fussent voilés", car il existait "des enseignements pour les parfaits". Nous trouvons des allusions à ceci dans l'Épitre aux Colossiens, chapitre I, 9-11 et 25-27.<br />"Il y a donc, d'une part, les Mystères qui étaient restés cachés jusqu'au temps des Apôtres et leur furent confiés tels que le Seigneur les leur donna et que, dissimulés dans l'Ancien Testament, ils furent manifestés aux saints, et, d'autre part, la richesse de ce glorieux mystère parmi les païens, c'est-à-dire la foi et l'espoir en Christ, appelés ailleurs le fondement."<br />Clément cite saint Paul pour montrer que cette "connaissance n'appartient pas à tous", et dit, en se reportant à l'Épitre aux Hébreux, chapitres V et VI, qu' "il existait certainement parmi les Juifs des enseignements oraux" ; il cite ensuite ces mots de saint Barnabé : Dieu a mis en nos coeurs la sagesse et la faculté de comprendre Ses secrets ; et ajoute : "Peu d'hommes sont à même de comprendre ces choses, où subsistent des traces de la tradition Gnostique." – "C'est pourquoi l'instruction qui révèle les choses cachées s'appelle illumination, car l'instructeur seul soulève le toit de l'arche 107."<br />Plus loin, Clément, revenant à saint Paul, commente ces paroles adressées aux Romains : Je sais qu'en me rendant auprès de vous, j'y viendrai avec une pleine bénédiction de Christ 108, et dit que l'Apôtre entend par là "le don spirituel et l'interprétation Gnostique", [65] et qu'il voulait, étant présent, communiquer aux Romains la plénitude du Christ, conformément à la révélation du Mystère resté scellé à travers les âges de l'Éternité, mais aujourd'hui manifesté dans les Écrits prophétiques 109.<br />…Mais à quelques-uns seulement sont montrées, telles qu'elles sont, les choses contenues dans les Mystères. C'est donc avec raison que Platon, parlant de Dieu, dit : "Il nous faut parler en énigmes ; car si quelques feuilles de nos tablettes venaient à s'égarer, sur terre ou sur mer, leur lecture n'apprendrait rien 110."<br />Après s'être étendu considérablement sur certains écrivains Grecs et avoir passé en revue la philosophie, saint Clément déclare que la Gnose "communiquée et révélée par le Fils de Dieu, est la sagesse… Or la Gnose, elle-même est un dépôt qui est parvenu par transmission à quelques hommes ; elle avait été communiquée oralement par les Apôtres 111". Saint Clément décrit très longuement la vie du Gnostique, de l'Initié, et dit en terminant : "Que l'exemple ici donné suffise à qui sait entendre. Car il n'est pas désirable de voiler le mystère, mais seulement de donner, à ceux qui savent, des indications suffisantes pour le leur rappeler 112."</p> <p style="text-align: center;"><em>106 Stromata, ch. IX.</em><br /><em>107 Stromata, 1. V, ch. X.</em><br /><em>108 Rom., XV, 20.</em><br /><em>109 Ibid., XVI, 25, 26 ; la version citée diffère, dans les termes, de la version autorisée Anglicane, mais le sens est le même.</em><br /><em>110 Stromata, 1. V, ch. X.</em><br /><em>111 Ibid., 1. VI, ch. VII.</em></p> <p style="text-align: center;">Regardant l'Écriture comme composée d'allégories et de symboles où se dissimule le sens, afin d'encourager [66] l'esprit d'examen et de préserver les ignorants de certains dangers 113, saint Clément réserve naturellement aux personnes instruites les leçons supérieures. "Notre Gnostique, dit-il, sera profondément instruit 114" ; et ailleurs : "Or, le Gnostique doit être érudit 115." "Les dispositions acquises par un entrainement préparatoire permettent d'assimiler les connaissances plus avancées." "Un homme peut assurément posséder la foi sans avoir rien appris ; mais, nous l'affirmons, il est impossible pour un homme sans instruction de comprendre les choses déclarées dans la foi 116."<br />"Certaines personnes, se croyant douées d'une manière spéciale, ne veulent s'occuper ni de philosophie, ni de logique. Que dis-je ! Elles ne veulent pas apprendre les sciences naturelles. Elles demandent la foi et rien de plus… J'appelle véritablement instruit l'homme qui découvre en toutes choses la vérité, si bien que, empruntant à la géométrie, à la musique, à la grammaire et à la philosophie les éléments qui lui conviennent, il protège la foi contre les attaques… Combien il est nécessaire à l'homme qui doit participer à la puissance divine, de traiter par la méthode philosophique des sujets intellectuels 117 !" "Le Gnostique emploie les différentes branches de la science comme exercices préparatoires auxiliaires 118." Tant saint Clément était éloigné [67] de penser que l'ignorance des illettrés devait donner la mesure des enseignements Chrétiens ! "L'homme familiarisé avec tous les genres de sagesse sera le Gnostique par excellence 119." Ainsi, tout en accueillant les ignorants et les pécheurs, et en trouvant pour eux, dans l'Évangile, ce qui convenait à leurs besoins, Clément ne regardait comme candidats dignes des Mystères que les personnes instruites et pures. "L'Apôtre, distinguant la foi ordinaire de la perfection Gnostique, appelle la première la fondation et parfois le lait 120" ; mais sur cette fondation devait s'élever l'édifice de la Gnose, et la nourriture de l'homme devait remplacer celle de l'enfant. Aucune rudesse, rien de méprisant dans la distinction établie par Clément, mais seulement une constatation faite, avec calme, par un esprit éclairé.</p> <p style="text-align: center;"><em>112 Ibid., 1. VII, ch. XIV.</em><br /><em>113 Stromata, 1. VI ch. XV.</em><br /><em>114 Ibid., 1. VI, ch. X.</em><br /><em>115 Ibid., 1. VI, ch. VII.</em><br /><em>116 Ibid., ch. I.</em><br /><em>117 Stromata, ch. IX.</em><br /><em>118 Ibid., 1. VI, ch. X.</em><br /><em>119 Ibid., 1. VI, ch. XIII.</em></p> <p style="text-align: center;">Malgré toute la préparation du candidat, malgré l'instruction et l'entrainement du disciple, il n'est possible d'avancer que pas à pas dans les vérités transcendantes révélées dans les Mystères ; Clément le donne nettement à entendre dans son commentaire de la vision d'Hermas ; ici encore il indique, à mots couverts, certaines méthodes à suivre pour la lecture des ouvrages occultes. "La Puissance apparue dans la Vision, à Hermas, sous l'apparence de l'Église, ne lui a-t-Elle pas Elle-même donné à transcrire le livre qu'Elle désirait faire connaitre aux élus ? Or, ce livre, Hermas nous dit qu'il le transcrivit littéralement sans parvenir à compléter les syllabes. Il faut [68] entendre par là que l'Écriture ne présente d'obscurité pour personne quand elle est prise dans son sens le plus simple et que cette foi représente l'instruction rudimentaire. D'où aussi l'emploi de cette expression figurée : lire suivant la lettre. Enfin, nous comprenons que l'élucidation Gnostique des Écritures, quand le développement de la foi est déjà considérable, est ici comparée à une lecture suivant les syllabes… Grâce à l'enseignement donné par le Sauveur aux Apôtres, l'interprétation orale des textes sacrés a été transmise jusqu'à nous et gravée, par la puissance de Dieu, sur des coeurs nouveaux, conformément à la rénovation du livre. Voilà pourquoi les Grecs les plus éminents consacrent la grenade à Hermès, qui, disent-ils, représente la parole (les mots ayant besoin d'interprétation). Car la parole dissimule bien des choses… L'histoire de Moïse nous enseigne que cette difficulté d'atteindre la vérité n'existe pas seulement pour ceux qui lisent superficiellement, mais que la grâce de contempler cette vérité n'est pas accordée d'emblée, même aux hommes dont la prérogative est de la connaitre. Le jour où nous serons accoutumés à contempler, comme les Hébreux, la gloire de Moïse, et comme les prophètes d'Israël les visions angéliques, nous deviendrons, nous aussi, capables de regarder en face les splendeurs de la vérité 121."<br />Nous pourrions citer d'autres textes, mais ce qui précède suffira pour établir que saint Clément connaissait l'existence de Mystères dans l'Église, qu'il y avait [69] été admis, enfin qu'il écrivait pour ceux qui y avaient été initiés avec lui.</p> <p style="text-align: center;"><em>120 Vol. XII. Ibid., 1. V, ch. IV.</em><br /><em>121 Stromata, 1. VI, ch. XV.</em></p> <p style="text-align: center;">Son disciple Origène vient, à son tour, nous apporter son témoignage. Origène, dont l'érudition, le courage, la sainteté, la dévotion, l'humilité, l'ardeur, illuminent le siècle, et dont les ouvrages subsistent, semblables à des mines d'or où le chercheur peut découvrir les trésors de la sagesse.<br />Dans sa fameuse dispute contre Celse, le Christianisme eut à subir des attaques qui provoquèrent, de la part d'Origène, une défense des principes chrétiens ; il y fait souvent mention des enseignements secrets 122. Celse ayant attaqué le Christianisme, en alléguant que c'était un système secret, Origène s'élève contre cette opinion et déclare que, si certaines doctrines étaient secrètes, bien d'autres étaient publiques et que ce système d'enseignements exotériques et ésotériques adopté par les Chrétiens était répandu de même parmi les philosophes. On remarquera, dans le passage qui suit, la distinction établie entre la résurrection de Jésus envisagée au point de vue historique et le "mystère de la résurrection".<br />"D'ailleurs, Celse appelant souvent la doctrine chrétienne un système secret, nous devons, ici encore, le réfuter ; car, enfin, le monde entier, ou peu s'en faut, est plus au courant des doctrines prêchées par les chrétiens que des opinions favorites des philosophes ! Qui ne sait que Jésus est né d'une vierge ; qu'Il a été crucifié, que Sa résurrection est un article de [70] foi pour beaucoup de personnes et qu'un jugement général est annoncé, qui punira les méchants comme ils le méritent et récompensera les justes ? Et pourtant le Mystère de la résurrection, étant mal compris, est tourné en ridicule par ceux qui ne croient point. Dans ces conditions, il est complètement absurde d'appeler la doctrine chrétienne un système secret. Si, d'autre part, certaines doctrines cachées à la masse sont révélées après l'enseignement des doctrines exotériques, ce n'est pas là un fait particulier au Christianisme, car il se retrouve dans les systèmes philosophiques, dont certaines vérités sont exotériques et d'autres ésotériques. Parmi les auditeurs de Pythagore, les uns se contentaient de ses affirmations, tandis que d'autres étaient secrètement instruits dans les doctrines qui n'étaient pas jugées communicables à des oreilles profanes et insuffisamment préparées. D'ailleurs, si les nombreux Mystères, partout célébrés en Grèce et dans les contrées barbares, sont tenus secrets, ils n'en sont pas pour cela discrédités. Celse s'efforce donc inutilement de calomnier les doctrines secrètes du Christianisme, puisqu'il ne se fait pas une idée exacte de sa nature 123."<br />Dans ce passage, il est impossible de le nier, Origène place nettement les Mystères Chrétiens dans la même catégorie que ceux du monde Païen et demande qu'une manière d'agir non reprochée à d'autres religions ne devienne pas un sujet d'attaques quand sa présence est constatée dans le Christianisme. [71]<br />Origène déclare, s'opposant toujours aux idées de Celse, que l'Église conserve les enseignements secrets de Jésus ; il invoque en termes précis les explications données par Jésus à Ses disciples, dans Ses paraboles, pour répondre à la comparaison établie par Celse entre les Mystères intérieurs de l'Église de Dieu et le culte des animaux pratiqué en Égypte. "Je n'ai pas encore parlé de l'observance de tout ce qui est écrit dans les Évangiles, car chacun d'eux contient de nombreuses doctrines difficiles à comprendre, non seulement pour la masse, mais aussi pour certains esprits plus intelligents, par exemple une explication très profonde des paraboles adressées par Jésus à ceux du dehors, paraboles dont il réservait l'interprétation complète aux hommes qui avaient dépassé le stade de l'enseignement exotérique et qui venaient vers lui en particulier, dans la maison. Quand le lecteur aura compris cela, il admirera la raison qui a fait dire des uns qu'ils sont au dehors, des autres, qu'ils sont dans la maison."<br />Origène fait ensuite, à mots couverts, une allusion à la "montagne" gravie par Jésus, montagne dont Il redescendit pour aider "ceux qui ne pouvaient Le suivre là où L'accompagnaient Ses disciples 124". Cette allusion se rapporte à "la Montagne de l'initiation", expression mystique bien connue. Moïse, de même, fit le tabernacle selon la forme qui lui avait été montrée sur la montagne 125. Plus loin, Origène y revient à nouveau, disant que "Jésus se montra sur [72] "la Montagne" très différent de ce qu'Il paraissait être à ceux qui ne pouvaient Le suivre aussi haut 126."</p> <p style="text-align: center;"><em>122 Le livre du Contre Celse se trouve dans le vol. X de l'Ante-Nicene Library. Les autres livres se trouvent dans le vol. XXIII.</em><br /><em>123 Vol. X, Origène contre Celse, 1. I, ch. VII.</em><br /><em>124 Origène contre Celse, I. III, ch. XXI.</em><br /><em>125 Ex., XXV, 40 ; XXVI, 30. Cf. Héb., VIII, 5, et IX, 23.</em></p> <p style="text-align: center;">Dans son commentaire du chapitre XV de l'Évangile selon saint Matthieu, Origène dit encore, à propos de l'épisode de la femme Syro-Phénicienne : "Peut-être certaines paroles de Jésus sont-elles des pains qu'il est possible de donner exclusivement, comme à des enfants, aux personnes les plus développées ; d'autres sont, en quelque sorte, les miettes qui viennent du palais et de la table des grands, miettes que certaines âmes viendront, comme des chiens, ramasser."<br />Celse ayant trouvé mauvais que des pécheurs fussent admis dans l'Église, Origène lui répond que l'Église a des remèdes pour les malades, mais aussi, pour les âmes bien portantes, l'étude et la connaissance des choses divines. On apprend aux pécheurs à ne plus pécher ; puis quand ils ont fait des progrès et qu'ils ont été "purifiés par la Parole", "alors seulement nous les invitons à participer à nos Mystères. Car nous parlons de la sagesse parmi ceux qui sont parfaits 127". Les pécheurs viennent demander leur guérison : "Car il y a, dans la divinité de la Parole, des ressources, pour ceux qui sont malades… D'autres, encore, dévoilent aux hommes purs de corps et d'âme la révélation du mystère qui était resté caché depuis le commencement du monde, mais qui aujourd'hui est manifesté par les écrits des prophètes et par [73] l'apparition de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cette apparition se manifeste à tout homme parfait et illumine la raison, dans la connaissance véritable des choses 128." Des apparitions semblables se produisaient, comme nous l'avons constaté, dans les Mystères Païens ; les Mystères de l'Église étaient également visités par des Présences glorieuses. "Dieu le Verbe, dit Origène, fut envoyé aux pécheurs comme un médecin, mais, à ceux qui sont déjà purs et ne pèchent plus 129" comme un Maitre des divins Mystères. "La sagesse n'entrera point dans l'âme d'un homme vil et n'habitera point dans un corps esclave du péché." Voilà pourquoi ces enseignements supérieurs sont exclusivement donnés à ceux qui sont "des athlètes dans la piété comme dans toutes les vertus".</p> <p style="text-align: center;"><em>126 Origène contre Celse, 1. IV, ch. XVI.</em><br /><em>127 Origène contre Celse, 1. III, ch. LIX.</em><br /><em>128 Ibid., ch. LXI.</em><br /><em>129 Ibid., ch. LXII.</em></p> <p style="text-align: center;">Les Chrétiens ne communiquaient pas ces connaissances aux impurs, mais disaient : "Un homme a-t-il des mains pures, élève-t-il, par conséquent, vers Dieu des mains saintes… qu'il vienne à nous… Un homme est-il pur, non seulement de toute souillure, mais encore de transgressions considérées comme moins graves, qu'il se fasse hardiment initier aux Mystères de Jésus que seuls, doivent connaitre les saints et les purs." C'est encore pourquoi, avant le commencement de la cérémonie d'Initiation, le personnage remplissant les fonctions d'Initiateur, suivant les préceptes de Jésus l'Hiérophante, adressait ces paroles significatives à ceux dont le coeur a été purifié : [74] "Que l'homme dont l'âme n'a, depuis longtemps, été consciente d'aucun mal, en particulier depuis qu'il s'est soumis à l'action curative de la Parole, que cet homme reçoive les doctrines communiquées, en secret, par Jésus à Ses vrais disciples." Ainsi commençait "l'Initiation aux Mystères sacrés, des hommes déjà purifiés 130". Ceux-là seuls pouvaient apprendre à connaitre les réalités des mondes invisibles, seuls ils pouvaient pénétrer dans l'enceinte sacrée où, comme autrefois, les anges venaient enseigner et où les leçons se donnaient par la vue directe et non pas seulement par la parole. Il est impossible de ne pas être frappé de la différence entre le ton de ces Chrétiens d'autrefois et celui de leurs successeurs modernes. Pour les premiers, une vie parfaitement pure, la pratique des vertus, l'accomplissement de la Loi Divine, dans tous les détails de la conduite extérieure, la justice irréprochable, n'étaient, comme pour les païens d'ailleurs, que le commencement du chemin, au lieu d'en marquer le terme. Aujourd'hui la religion est considérée comme ayant glorieusement atteint son but, quand elle a fait un Saint ; jadis elle soumettait les Saints à ses énergies suprêmes et, prenant par la main les hommes au coeur pur, les menait jusqu'à la vision béatifique.<br />Origène fait encore mention de l'enseignement secret quand il discute les arguments de Celse concernant l'opportunité de conserver les coutumes des ancêtres basées sur cette croyance que "les différentes régions terrestres ont été, dès le commencement, [75] assignées en partage à différents Esprits directeurs et distribuées ainsi entre certaines Puissances gouvernantes, mode suivant lequel procède l'administration du monde 131".<br />Origène critique les déductions de Celse, puis il ajoute : "Mais, jugeant probable que certaines personnes habituées à pousser plus avant leurs recherches partageront les idées de ce traité, nous oserons donner quelques aperçus d'un caractère plus profond, renfermant des vues mystiques et secrètes concernant le partage primitif des différentes régions terrestres, dont quelques-unes d'ailleurs sont mentionnées dans l'histoire Grecque elle-même". Origène cite ensuite le Deutéronome, XXXII, 8-9 : Quand le Souverain partagea les nations, quand il dispersa les fils d'Adam, il établit les bornes du peuple suivant le nombre des fils d'Israël, mais la portion du Seigneur fut son peuple, Jacob et Israël la corde de son héritage. Les termes sont ceux de la version des Septante et non ceux de la version autorisée Anglicane, mais ils semblent bien indiquer que le nom de "Seigneur" n'était donné qu'à l'Ange Souverain des Juifs et non pas au "Très-Haut", c'est-à-dire à Dieu. L'ignorance a fait perdre de vue cette distinction ; d'où l'inexactitude de maint passage se rapportant au "Seigneur", quand il est appliqué au "Très-Haut". Nous citerons, comme exemple, Juges, I, 19.</p> <p style="text-align: center;"><em>130 Origène contre Celse, ch. LX.</em><br /><em>131 Vol. XXIII, Origène contre Celse, 1. V, ch. XXV.</em></p> <p style="text-align: center;">Origène raconte alors l'histoire de la Tour de Babel et poursuit en ces termes : "Mais il y aurait, et cela au point de vue mystique, beaucoup à dire sur ces [76] questions. Nous citerons, à ce propos, le passage suivant, de Tobie, XII, 7 : Il est bon de garder le secret d'un roi, afin que la doctrine de la descente des âmes dans des corps (je ne veux pas dire le passage d'un corps à un autre) ne soit pas livrée aux esprits vulgaires, ni les choses saintes données aux chiens, ni les perles jetées devant les pourceaux. Procéder de la sorte serait impie, ce serait trahir les mystérieuses déclarations de la sagesse Divine… Il suffit cependant de représenter, dans le style d'un récit historique, ce qui est destiné à offrir, sous le voile de l'histoire, un sens secret, afin que ceux qui en sont capables parviennent eux-mêmes à s'assimiler tout ce qui a trait à la question 132." Origène interprète ensuite d'une manière plus complète, l'histoire de la Tour de Babel. "En second lieu", dit-il, "que tous ceux qui le peuvent comprennent que, dans les récits donnés sous la forme historique et qui contiennent certaines choses littéralement vraies tout en présentant un sens plus profond 133…"</p> <p style="text-align: center;"><em>132 Origène contre Celse, ch. XXIX.</em><br /><em>133 Ibid., ch. XXXI.</em></p> <p style="text-align: center;">Après s'être efforcé de montrer que le "Seigneur" était plus puissant que les autres Esprits directeurs des différentes régions terrestres, et qu'Il avait envoyé Son peuple au dehors expier ses fautes sous la domination des autres puissances, pour le faire revenir ensuite, avec toutes les nations moins favorisées qui s'y prêtèrent. Origène termine par ces mots : "Comme nous l'avons déjà fait observer, il faut comprendre que nous avons parlé à mots couverts, afin de mettre [77] en lumière les erreurs de ceux qui affirment 134…" comme le faisait Celse.<br />Plus loin, Origène constate que "l'objet du Christianisme est de nous faire acquérir la sagesse", puis il lui dit : "Si maintenant vous prenez les livres écrits après l'époque de Jésus-Christ, vous verrez que ces multitudes de croyants qui écoutent les paraboles sont, pour ainsi dire, au dehors ; ils ne sont dignes que des doctrines exotériques ; les disciples, au contraire, reçoivent en particulier l'explication des paraboles. En effet, Jésus dévoila tout, en secret, à Ses propres disciples, mettant au-dessus du vulgaire ceux qui désiraient connaitre Sa sagesse. Il promit d'ailleurs à ceux qui croient en Lui de leur envoyer des hommes sages et des scribes… Paul, de son côté, dans son énumération des charismata que Dieu accorde à l'homme, met en première ligne la Parole de la Sagesse, en seconde ligne, comme lui étant inférieure, la Science, en troisième ligne, enfin, et plus bas, la Foi. Et, parce qu'il regardait la Parole comme supérieure au don des miracles, il place le don des miracles et des guérisons au-dessous des dons de la Parole 135."<br />Assurément l'Évangile est une aide pour les ignorants, "néanmoins l'éducation, l'étude des meilleurs auteurs et la sagesse sont, non pas un obstacle, mais bien un secours pour l'homme qui désire connaitre Dieu 136". Quant aux inintelligents, "je m'efforce, eux aussi, de les former de mon mieux, malgré mon [78] désir de ne pas faire entrer dans la communauté Chrétienne d'éléments semblables. Car je recherche de préférence les esprits plus cultivés et plus capables, parce qu'ils sont à même de saisir le sens des paroles obscures 137".<br />Nous trouvons ici, clairement énoncées, les anciennes idées Chrétiennes ; elles sont identiques avec les considérations présentées dans le premier chapitre de cet ouvrage. Le Christianisme est ouvert aux ignorants, mais il ne leur est pas exclusivement réservé ; pour les esprits "cultivés et capables", il y a des enseignements profonds.<br />C'est pour eux qu'Origène s'efforce de démontrer que les Écritures Judaïques et Chrétiennes présentent un sens caché sous le voile de récits dont le sens extérieur est choquant et absurde. Il fait ici allusion au serpent et à l'arbre de vie et aux "récits suivants dont la seule lecture pourrait suffire à faire comprendre à un lecteur candide que toutes ces choses avaient, à juste titre, un sens allégorique 138".</p> <p style="text-align: center;"><em>134 Ibid. ch. XXXII.</em><br /><em>135 Origène contre Celse, ch. XLVI.</em><br /><em>136 Origène contre Celse, ch. XLVII-LIV.</em><br /><em>137 Ibid., ch LXXIV.</em></p> <p style="text-align: center;">De nombreux chapitres sont consacrés à ces significations allégoriques et mystiques, cachées dans les paroles de l'Ancien et du Nouveau Testament ; Origène allègue que Moïse, suivant l'habitude des Égyptiens, donnait à ses histoires un sens occulte 139. "Le lecteur veut-il envisager ces récits sans parti pris…", telle est, en résumé, la méthode d'interprétation adoptée par Origène ; "tient-il, d'autre part, à ne [79] pas être induit en erreur, il exercera son jugement pour déterminer les récits qu'il admettra, ceux qu'il prendra au figuré, cherchant à découvrir ce qu'ont voulu dire les auteurs d'inventions semblables, ceux enfin auxquels il refusera de croire, parce qu'ils ont été écrits pour satisfaire certaines personnes. Or, nous disons cela, par anticipation, de tous les écrits renfermés dans les Évangiles concernant Jésus 140."<br />Les exemples d'interprétation mystique de récits Bibliques remplissent une bonne partie du Livre Quatrième ; toute personne désireuse d'étudier cette question pourra le lire en entier.<br />Dans le De Principiis, Origène nous dit que, suivant la doctrine de l'Église, "les Écritures ont pour auteur l'Esprit de Dieu et qu'elles offrent un sens déterminé, non seulement celui qui se découvre à première vue, mais encore un autre qui échappe à la plupart des lecteurs. Car ces (mots) écrits sont les formes de certains Mystères et les images de choses divines. Á cet égard l'Église est unanime à penser que, dans son ensemble, la loi est vraiment spirituelle, que cependant le sens spirituel de la loi n'est pas connu de tous, mais seulement de ceux qui ont reçu l'Esprit-Saint dans la parole de sagesse et de science 141". – Le lecteur qui se rappelle les citations précédentes reconnaitra dans "la parole de sagesse" et "la parole de science" les deux grands enseignements mystiques, spirituel et intellectuel. [80]</p> <p style="text-align: center;"><em>138 Origène contre Celse, 1. IV ch. XXXIX.</em><br /><em>139 Vol. X, Ibid., 1. I, c. XVII et autres.</em><br /><em>140 Ibid., ch. XLII.</em><br /><em>141 Vol. X, De Principiis. Préface, p. 8.</em></p> <p style="text-align: center;">Dans le quatrième livre du De Principiis, Origène explique longuement comment il comprend l'interprétation des Écritures. Elles ont un "corps", c'est-à-dire "le sens ordinaire et historique", une "âme", sens figuré qui peut être intellectuellement saisi, enfin un "esprit", sens intérieur et divin que peuvent seuls connaitre ceux qui possèdent "l'intelligence de Christ". Origène estime que les éléments hétérogènes et impossibles introduits dans l'histoire ont pour objet d'exciter le lecteur intelligent et de l'obliger à chercher une explication plus profonde. Quant aux lecteurs simples, ils lisent sans s'apercevoir des difficultés 142.<br />Le Cardinal Newman, dans Arians of the Fourth Century (les Ariens du Quatrième Siècle), fait quelques remarques intéressantes au sujet de la Disciplina Arcani, mais, avec le scepticisme invétéré du dix-neuvième siècle, ne parvient pas à croire complètement aux "richesses de la gloire du Mystère", ou, sans doute, n'a pas un seul instant jugé possible l'existence d'aussi merveilleuses réalités. Il croyait pourtant à Jésus, à Jésus dont la promesse est claire et catégorique : Je ne vous laisserai point orphelins ; je viendrai à vous. Encore un peu de temps et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez ; parce que je vis, vous aussi vous vivrez. En ce jour-là, vous connaitrez que Je suis en mon Père et que vous êtes en Moi et que Je suis en vous 143. Cette promesse fut largement tenue, [81] car Il vint vers Ses disciples et les instruisit dans Ses Mystères ; ils Le virent alors, bien que le monde ne Le vit plus, et ils surent que le Christ était en eux et que leur vie était celle du Christ.<br />Le Cardinal Newman admet l'existence d'une tradition secrète remontant aux Apôtres, mais suppose qu'elle consistait en doctrines Chrétiennes divulguées plus tard ; il oublie que les hommes déclarés encore incapables de recevoir cet enseignement n'étaient pas des païens, ni même des catéchumènes encore incomplètement instruits, mais des membres de l'Église Chrétienne admis aux sacrements. Il estime que cette tradition secrète fut plus tard "volontairement répandue au dehors, qu'elle se perpétua sous des formes symboliques" et fut incorporée "dans les crédos des premiers Conciles 144". Mais cette thèse est insoutenable, car les doctrines des crédos se trouvent clairement énoncées dans les Évangiles et dans les Épitres, ayant toutes été antérieurement divulguées ; ces doctrines, enfin, les membres de l'Église les possédaient certainement à fond. Ainsi expliquées, les affirmations maintes fois répétées qu'il y avait un enseignement secret n'ont plus aucun sens. Le Cardinal ajoute, par contre, que "tout ce qui n'a pas ainsi reçu un caractère d'authenticité, soit prophéties, soit commentaires sur les dispensations obtenues dans le passé, se trouve, de fait, perdu pour l'Église 145". Au point de vue de l'Église, c'est très probablement, certainement même exact, mais il n'en est pas moins possible de retrouver la doctrine perdue. [82]</p> <p style="text-align: center;"><em>142 De Principiis, ch. I.</em><br /><em>143 S. Jean, XIV, 18-20.</em><br /><em>144 Loc. cit., ch. I, sec. III, p. 55.</em></p> <p style="text-align: center;">Le Cardinal s'exprime en ces termes, au sujet d'Irénée, qui, dans son ouvrage Contre les Hérésies, insiste beaucoup sur l'existence, dans l'Église, d'une Tradition Apostolique :<br />"Il parle ensuite de la puissance et de la clarté des traditions conservées dans l'Église, ces traditions qui contiennent la véritable sagesse des parfaits mentionnée par saint Paul et que les Gnostiques ont la prétention de posséder. Il n'existe pas de preuves péremptoires de l'existence et de l'autorité, dans les temps primitifs, d'une Tradition apostolique, mais il est bien certain qu'une tradition semblable a dû exister, en admettant que les Apôtres causassent et que leurs amis eussent, tout comme d'autres, de la mémoire. Il est impossible de croire qu'ils n'aient pas été amenés à disposer la série des doctrines révélées, plus systématiquement que dans leurs Écrits, dès le moment où leurs convertis se virent exposés aux attaques et aux appréciations erronées des hérétiques, à moins qu'il ne leur ait pas été permis de le faire ; mais cette supposition est à écarter. Les déclarations Apostoliques ainsi motivées auraient, tout naturellement, été conservées, ainsi que ces autres vérités secrètes moins importantes auxquelles saint Paul semble faire allusion et dont les auteurs les plus anciens reconnaissent plus ou moins l'existence, vérités relatives tant aux types de l'Église Juive qu'aux perspectives d'avenir de l'Église Chrétienne. De semblables souvenirs des enseignements apostoliques auraient évidemment été des articles de foi pour les fidèles auxquels ils étaient communiqués : à moins de supposer que, venant d'instructeurs inspirés, ils [83] n'eussent cependant pas une origine divine 146." Dans la section de son ouvrage relative à la méthode "allégorisante" le Cardinal dit encore, trouvant dans le sacrifice d'Isaac et ailleurs "le type de la révélation du Nouveau Testament" : "Pour corroborer cette observation, je ferai observer qu'il semble avoir existé 147 dans l'Église une interprétation traditionnelle de ces types historiques, interprétation remontant aux Apôtres, mais reléguée parmi les doctrines secrètes, comme étant dangereuse pour la majorité des auditeurs. Á coup sûr, saint Paul, dans l'Épitre aux Hébreux, nous donne un exemple d'une tradition semblable et nous montre à la fois son existence et son caractère secret (malgré son origine Juive bien caractérisée), lorsque, après avoir interrompu ses explications et mis en doute la foi de ses frères, il leur communique, non sans hésitation, le sens évangélique du récit concernant Melchisédech, tel qu'il est donné dans le livre de la Genèse 148."<br />Les convulsions sociales et politiques qui marquèrent la fin de l'Empire Romain commençaient à torturer son vaste organisme ; les Chrétiens eux-mêmes se trouvèrent attirés dans la mêlée orageuse des intérêts personnels. Nous trouvons encore mentionnées çà et là certaines connaissances spéciales communiquées aux chefs et aux instructeurs de l'Église, ainsi la connaissance des hiérarchies célestes, des enseignements donnés par les Anges, et d'autres [84] encore. Mais le manque d'élèves qualifiés amena la disparition des Mystères, ils cessèrent d'être une institution dont l'existence était connue de tous, et les enseignements furent communiqués, de plus en plus secrètement, aux âmes de plus en plus rares qui, par leur savoir, leur pureté, leur dévotion, se montraient capables de les recevoir. Il n'y eut plus, désormais, d'écoles enseignant les premiers éléments, et, avec leur disparition, "la porte se ferma".</p> <p style="text-align: center;"><em>145 Loc. cit., ch. I, sec. III, pp. 55-56.</em><br /><em>146 Loc. cit., pp. 54, 55.</em><br /><em>147 "Semble avoir existé" est une expression plutôt faible – étant données les affirmations de Clément et d'Origène – affirmations dont nous avons cité plus haut quelques exemples.</em><br /><em>148 Loc. cit., p. 62.</em></p> <p style="text-align: center;">Il est cependant possible de retrouver dans la Chrétienté deux courants ayant pris leur source dans les Mystères disparus : l'un est le courant de la science mystique ; il descend de la Sagesse, de la Gnose, communiquée dans les Mystères ; l'autre est le courant de la contemplation mystique, issu, lui aussi, de la Gnose ; il mène à l'extase et à la vision spirituelle ; mais cette vision, sans l'aide de la science, atteignit rarement la véritable extase, ou bien elle se perdit dans une foule changeante de formes subtiles hyperphysiques, visibles sous une apparence objective par la vision intérieure ; amenée prématurément par le jeûne, les veilles et des efforts d'attention soutenus, elle naquit, le plus souvent, des pensées et des émotions du visionnaire. Alors même que les formes aperçues n'étaient pas des pensées extériorisées, elles étaient vues à travers une atmosphère déformante d'idées et de croyances préconçues et, par ce fait, perdaient une grande partie de leur valeur. Certaines visions furent cependant bien des visions de choses célestes. Jésus apparut véritablement de temps à autre à Ses adorateurs fervents ; des anges illuminèrent [85] parfois de leur présence la cellule du moine et de la religieuse, la solitude de l'extatique et du chercheur, à l'esprit tendu vers Dieu. Nier la possibilité d'expériences semblables serait saper, dans leurs fondations mêmes, les réalités auxquelles les hommes de toute religion ont le plus surement attaché leur foi et que connait tout Occultiste, la communication entre les Esprits voilés de chair et les Esprits couverts d'enveloppes plus subtiles, le contact entre les intelligences malgré les barrières physiques, l'épanouissement, en l'homme, de la Divinité, la certitude d'une vie au-delà des portes de la mort.<br />Jamais, au cours des siècles qui le séparent de son origine, le Christianisme n'a été entièrement privé de Mystères. "C'est probablement vers la fin du cinquième siècle, au moment où la philosophie ancienne se mourait dans les Écoles d'Athènes, que la philosophie spéculative du Néoplatonisme prit pied définitivement dans la pensée Chrétienne, grâce aux supercheries littéraires du "Pseudo-Denys". Les doctrines du Christianisme étaient déjà si fermement établies que l'Église pouvait le voir, sans inquiétude, interpréter d'une manière symbolique et mystique. Aussi l'auteur de la Theologia Mystica et d'autres ouvrages attribués à l'Aréopagite, fait-il des doctrines de Proclus, sans y apporter grand changement, un système de Christianisme ésotérique. Dieu est l'Unité, innommée, supra-essentielle, supérieure à la Bonté même. C'est donc la théologie négative qui, s'élevant de la créature jusqu'à Dieu, en écartant, l'un après l'autre, tout attribut déterminé, nous amène le plus près de la vérité. Le retour à Dieu est la consommation [86] suprême et le but indiqué par l'enseignement Chrétien. Ces mêmes doctrines furent prêchées, mais avec une ferveur plus ecclésiastique, par Maxime le Confesseur (580-622).<br />Maxime représente à peu près la dernière activité spéculative de l'Église Grecque, mais l'influence des ouvrages du "Pseudo-Denys" fut transmise à l'Occident, au neuvième siècle, par Érigène, dont le génie spéculatif a donné naissance à la scolastique comme au mysticisme du moyen âge. Érigène traduisit en latin l'oeuvre de Denys ainsi que les commentaires de Maxime ; son propre système est, au fond, basé sur les leurs. Érigène adopte la théologie négative ; il déclare que Dieu est un Être sans attributs et qu'il peut par conséquent, non sans raison, être appelé Rien (Aucune Chose ?). De ce Rien ou essence incompréhensible est éternellement créé le monde des idées ou des causes primordiales. C'est là le Verbe ou Fils de Dieu. En Lui existent toutes choses, si, du moins, elles ont une existence réelle. Toute existence est une théophanie. Dieu, comme Il est le commencement de toutes choses, en est aussi la fin. Érigène enseigne le retour à Dieu de toutes choses, sous la forme de l'adunatio ou deificatio de Denys. Tels sont les caractères permanents de ce qu'on peut appeler la philosophie du Mysticisme de notre ère ; le peu de changements avec lequel on les retrouve de siècle en siècle est remarquable 149."</p> <p style="text-align: center;"><em>149 Article "Mysticisme", Encycl. Brit.</em></p> <p style="text-align: center;">Au onzième siècle, Bernard de Clairvaux (1091-1153) et Hugues de Saint-Victor continuent la tradition [87] mystique, ainsi que Richard de Saint-Victor au siècle suivant et, au treizième siècle, saint Bonaventure, le Docteur Séraphique et le grand saint Thomas d'Aquin (1227-1274). Thomas d'Aquin domine l'Europe du moyen âge, autant par la force de son caractère que par son savoir et sa piété. Il voit dans la "Révélation" une première source de nos connaissances qui se répand dans deux canaux, l'Écriture et la tradition ; l'influence du "Pseudo-Denys", évidente dans ses oeuvres, le rattache aux Néoplatoniciens. La deuxième source est la Raison, dont les déversoirs sont la philosophie Platonicienne et les méthodes d'Aristote. Le Christianisme n'eut pas à se féliciter de cette dernière alliance, car Aristote devint un obstacle pour les progrès de la pensée supérieure ; les luttes qu'eut à soutenir Giordano Bruno, le Pythagoricien, devaient en être la preuve. Thomas d'Aquin fut canonisé en 1323, et le grand Dominicain reste le type de cette alliance entre la théologie et la philosophie, à laquelle il a consacré sa vie.<br />Ces hommes appartiennent à la grande Église de l'Europe Occidentale ; ils justifient sa prétention d'avoir reçu en dépôt la torche sainte de la science mystique. Autour d'elle s'élevèrent des sectes nombreuses, jugées hérétiques, mais possédant des traditions exactes de l'enseignement occulte ; tels sont les Cathares et bien d'autres encore, persécutés par une Église jalouse de son autorité et craignant de voir les perles saintes tomber entre des mains profanes. Le quatorzième siècle voit encore, en sainte Elizabeth de Hongrie, rayonner la douceur et la pureté, tandis qu'Eckhart (1261-1329) se montre [88] un digne héritier des Écoles d' Alexandrie. Eckhart enseignait que "le Dieu suprême est l'essence absolue (Wesen) impossible à connaitre, non seulement pour l'homme, mais encore pour Lui-même. Il est l'obscurité, la privation absolue de tout attribut déterminé, le Nicht opposé à l'Ichf ou à l'existence définie et compréhensible. Et cependant Il renferme potentiellement toutes choses ; Sa nature est de parvenir, par un processus triadique, à la conscience de Lui-même, Dieu à la fois triple et unique. La création n'est pas un acte temporel, mais une éternelle nécessité de la nature divine. Je suis aussi nécessaire à Dieu, aimait à dire Eckhart, que Dieu m'est nécessaire. Dans ma connaissance et dans mon amour, Dieu Se connait et S'aime Lui-même 150".<br />À Eckhart succédèrent, au quatorzième siècle, Jean Tauler et Nicolas de Bâle, "l'Ami de Dieu, dans l'Oberland" ; ils donnèrent naissance à la Société des Amis de Dieu, véritables mystiques, continuateurs de la tradition ancienne. Mead fait observer que Thomas d'Aquin, Tauler et Eckhart succédèrent au "Pseudo-Denys", celui-ci à Plotin, Jamblique et Proclus, ces derniers enfin à Platon et Pythagore 151. Tel est le lien qui unit à travers les âges les fidèles de la Sagesse. Un "Ami" fut sans doute l'auteur de Die Deutsche Theologie ; cet ouvrage de dévotion mystique eut la fortune étrange d'être approuvé par Staupitz, le Vicaire Général des Augustins, qui le recommanda à Luther ; celui-ci l'approuva lui-même [89] et le publia en 1516, comme étant un livre à placer immédiatement après la Bible et les écrits de saint Augustin d'Hippone. Un "Ami" encore, Ruysbroeck, dont l'action, jointe à celle de Groot, donna naissance à l'ordre des Frères du Sort commun ou de la Vie Commune, Société à jamais mémorable puisqu'elle a compté parmi ses membres ce prince des mystiques, Thomas A. Kempis (1380-1471), l'auteur de l'immortelle Imitation de Jésus-Christ.</p> <p style="text-align: center;">150 Article "Mysticisme", Encycl. Brit.<br />151 Orpheus, pp. 53, 54.</p> <p style="text-align: center;">Dans les deux siècles suivants, le côté purement intellectuel du mysticisme est plus marqué que le côté extatique, qui domine si fortement dans ces sociétés du quatorzième siècle. Nous trouvons à cette époque le Cardinal Nicolas de Cuse, Giordano Bruno, le chevalier-martyr de la philosophie, et Paracelse, le savant si souvent calomnié qui puisa directement ses connaissances à la source-mère, en Orient, et non pas à ses canaux Helléniques.<br />Le seizième siècle vit naitre Jacob Böhme (1575-1614), "le savetier inspiré", un Initié traversant, en vérité, une période obscure, cruellement persécuté par des hommes ignorants.<br />À cette époque aussi parurent sainte Thérèse, la mystique Espagnole qui eut à subir tant d'oppressions et de souffrances ; saint Jean de la Croix, flamme ardente de profonde dévotion ; enfin, saint François de Sales. Sage fut l'Église Romaine en les canonisant, plus sage que la Réforme, qui persécuta Böhme. Mais l'esprit de la Réforme a toujours été profondément antimystique, et partout où son souffle a passé, les fleurs exquises du mysticisme se sont flétries, comme au souffle du siroco. [90]<br />Rome, après avoir cruellement tourmenté Thérèse, l'avait canonisée après sa mort ! Mais elle méconnut Mme Guyon (1648-1717), une véritable mystique. Au dix-septième siècle, Miguel de Molinos (1627-1696), digne émule de saint Jean de la Croix, montra la dévotion exaltée d'un mystique, sous une forme particulièrement passive : le Quiétisme.<br />Au dix-septième siècle, encore, parut l'école des Platoniciens de Cambridge, dont Henry More (1614-1687) fut un représentant remarquable. Alors aussi vécurent Thomas Vaughan et Robert Fludd, le Rose-Croix, et se forma la Philadelphian Society. William Law (1686-1761), dont la carrière active appartint au dix-huitième siècle, a pu connaitre Saint-Martin (1748-1803). Les ouvrages de ce dernier auteur ont exercé leur fascination sur bien des chercheurs du dix-neuvième siècle 152.<br />N'oublions pas Christian Rosenkreutz (mort vers 1484), dont la Société mystique de la Rose-Croix, formée en 1514, posséda la connaissance vraie et dont l'esprit se retrouve dans "le Comte de Saint-Germain", ce personnage mystérieux qui apparait et disparait dans l'ombre, sous les éclairs livides du dix-huitième siècle expirant. Il faut aussi compter parmi les mystiques certains Quakers, cette secte des "Amis", tant persécutés, qui demandent l'illumination à la Lumière Intérieure et dont l'oreille est tendue sans cesse vers la Voix du Dedans. Il y eut bien d'autres mystiques encore, "dont le monde n'était pas digne", [91] comme cette vraiment charmante et sage Mère Juliane de Norwich, qui vécut au quatorzième siècle. C'étaient là des Chrétiens d'élite, trop peu connus, mais qui justifiaient le Christianisme dans le monde.</p> <p style="text-align: center;"><em>152 Nous devons ces détails à l'article "Mysticisme", dans l'Encyclopcedia Britannica, bien que cette publication ne soit aucunement responsable des opinions exprimées.</em></p> <p style="text-align: center;">Nous saluons, avec respect, ces Enfants de Lumière qui émergent, çà et là, au cours des siècles, mais, il faut bien le reconnaitre, ils ne possédaient pas cette union étroite d'intelligence pénétrante et d'ardente dévotion, que donnait l'entrainement des Mystères ; nous sommes étonnés par leurs sublimes envolées, mais nous ne pouvons que regretter que leurs dons si rares n'aient pas été développés sous cette magnifique disciplina arcani.<br />Alphonse Louis Constant, mieux connu sous son pseudonyme, Éliphas Lévi, s'est exprimé en termes assez justes, au sujet de la disparition des Mystères et la nécessité de les rétablir. "Un grand malheur", dit-il en substance, "est arrivé au Christianisme. En trahissant les Mystères, les faux Gnostiques (par les Gnostiques, j'entends ceux qui savaient, furent les Initiés du Christianisme primitif) amenèrent l'Église à rejeter la Gnose et l'éloignèrent des vérités suprêmes de la Kabbale qui contiennent tous les secrets de la théologie transcendante… Que la science absolue, que la raison la plus haute redeviennent le patrimoine des conducteurs du peuple ; que l'art sacerdotal et l'art royal saisissent le double sceptre des initiations antiques, et une fois encore le monde social émergera du chaos. Cessez de bruler les saintes images, car il faut aux hommes des temples et des images ; mais chassez les mercenaires de la maison de prière. Que les aveugles cessent de conduire les aveugles. Reconstituez [92] la hiérarchie de l'intelligence et de la sainteté. Reconnaissez enfin ceux qui savent comme maitres de ceux qui croient 153."<br />Les Églises reprendront-elles, de nos jours, l'enseignement mystique, les Mystères Mineurs ; prépareront-elles ainsi leurs enfants pour le rétablissement des Grands Mystères ; appelleront-elles de nouveau sur la terre des Instructeurs angéliques, ayant pour Hiérophante le Maitre Divin, Jésus ? – De cette question dépend l'avenir du Christianisme.<br /><em>153 Les Mystères de la magie. Trad. par A.-E. Waite, pp. 58 et 60.</em><br />La citation est tirée, ainsi que celle de la p. 162 du présent volume, de l'ouvrage de A.-E. Waite qui est plutôt une adaptation qu'une traduction de l'oeuvre d'E. Lévi (NDT).</p> CHAPITRE IV — LE CHRIST HISTORIQUE 2019-06-23T14:21:00+00:00 2019-06-23T14:21:00+00:00 http://www.hierarchie.eu/le-christianisme-esoterique-ou-les-mysteres-mineurs-par-annie-besant-1903/1107-chapitre-iv-le-christ-historique Super User bon.christo@free.fr <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>CHAPITRE IV </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>— </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LE CHRIST HISTORIQUE</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Nous avons déjà montré, dans le chapitre Ier, les points identiques communs à toutes les religions de ce monde. Nous avons vu que l'étude de ces croyances, symboles, rites, cérémonies, histoires et fêtes commémoratives identiques a fait naitre une école moderne qui leur donne une source commune : l'ignorance humaine, et une interprétation naïve de phénomènes naturels. Ces identités ont fourni des armes pour frapper tour à tour chaque religion, et les attaques les plus effectives portées contre le Christianisme et l'existence historique de son Fondateur ont puisé leur force à cette source. Au moment d'aborder maintenant l'étude de la vie du Christ – l'étude du Christianisme, de ses sacrements, de ses doctrines – il serait dangereux d'ignorer les faits rassemblés par la Mythologie Comparée ; compris comme ils doivent l'être, ces faits cesseront d'être des adversaires et deviendront des alliés. Comme nous l'avons vu, les Apôtres et leurs successeurs n'hésitaient pas à voir, dans l'Ancien Testament, un sens [94] allégorique et mystique beaucoup plus important que le sens historique – sans cependant nier celui-ci – et ils ne se faisaient aucun scrupule d'enseigner aux fidèles instruits, que certains de ces récits, historiques en apparence, étaient au fond purement allégoriques. La nécessité de bien comprendre ce fait n'est peut-être jamais plus grande qu'en étudiant l'histoire de Jésus surnommé le Christ – car, en négligeant de démêler les fils embrouillés et de chercher où les symboles ont été pris pour des évènements et les allégories pour de l'histoire, le récit perd pour nous ce qu'il offre de plus instructif, et sa beauté ce qu'elle a de plus rare. Nous ne saurions trop insister sur ce fait que le Christianisme gagne – au lieu de perdre – quand, suivant l'exhortation de l'Apôtre, la science vient s'ajouter à la foi et à la vertu 154. Certaines personnes ont peur d'affaiblir le Christianisme en laissant la raison l'étudier et trouvent "dangereux" de reconnaitre à des évènements, considérés jusqu'ici comme historiques, un sens plus profond – mythique ou mystique. Or, ce serait, au contraire, fortifier le Christianisme, et l'étudiant découvre avec joie que la perle de grand prix luit d'un orient plus pur et plus éclatant quand la couche d'ignorance disparait et en laisse voir les couleurs.</p> <p style="text-align: center;"><em>154 II, S. Pierre, 1, 5.</em></p> <p style="text-align: center;">Aujourd'hui deux écoles sont en présence, dont la rivalité acharnée a pour sujet l'histoire du grand Instructeur Hébreu. Pour la première, il n'y a dans les relations de Sa vie que des mythes et des légendes [95] ayant pour objet d'expliquer certains phénomènes naturels, vestiges d'une manière pittoresque de présenter certains faits – d'inculquer aux esprits ignorants certaines grandes classifications d'évènements naturels qui, par leur importance propre, se prêtaient à des enseignements moraux. Les partisans de cette manière de voir forment une école bien définie, comptant parmi ses membres beaucoup d'hommes très cultivés et fort intelligents ; une foule de personnes moins instruites leur font cortège et insistent avec une ardeur immodérée sur leurs vues les plus subversives. Cette école a pour rivaux ceux dont la foi est le Christianisme orthodoxe ; pour ceux-ci, toute la vie de Jésus est de l'histoire, sans mélange d'éléments légendaires ou mythiques ; ils affirment qu'il faut y voir uniquement la biographie d'un homme né en Palestine il y a environ dix-neuf siècles, auquel il est arrivé tout ce que les Évangiles rapportent ; ces récits ne sont, pour eux, que les annales d'une vie à la fois divine et humaine. Les deux écoles sont donc irréconciliables – l'une affirmant que tout est légende – l'autre maintenant que tout est histoire. De nombreuses opinions intermédiaires, recevant la dénomination générale de "libre-pensée", regardent le récit des Évangiles comme un mélange de légende et d'histoire, mais n'offrent aucun mode d'interprétation précis et rationnel – aucune explication satisfaisante de cet ensemble complexe. Nous trouvons, en outre, dans le sein de l'Église Chrétienne, un nombre considérable et toujours croissant de Chrétiens fidèles, pieux et cultivés, d'hommes et de femmes doués d'une foi sincère et d'aspirations religieuses, mais [96] qui voient dans les Évangiles plus que l'histoire d'un Homme Divin. S'appuyant sur les Écritures, ils affirment que l'histoire de Jésus renferme un sens plus profond et plus important que le sens superficiel et – sans nier le caractère historique de Jésus – soutiennent que LE CHRIST est plus que Jésus homme et qu'Il a un sens mystique. Ils basent leur opinion sur des paroles comme celles de saint Paul:<br />Mes chers enfants, pour qui je ressens de nouveau les douleurs de l'enfantement jusqu'à ce que Christ soit formé en vous 155. Saint Paul ne parle évidemment pas ici d'un Jésus historique – mais bien d'une manifestation de l'âme humaine, où il voit la formation de Christ. Ailleurs le même Instructeur déclare que, même s'il a connu Christ selon la chair, il ne le connait plus de cette manière 156 ; il nous donne forcément à conclure que, tout en reconnaissant le Christ selon la chair – Jésus – il s'est élevé à une conception supérieure qui éclipse celle du Christ historique. Beaucoup de nos contemporains penchent vers cette manière de voir et, en présence des faits réunis par la Religion Comparée, déroutés par les contradictions des Évangiles, se heurtent à des problèmes qu'ils ne pourront résoudre tant qu'ils resteront liés au sens superficiel des Écritures, ils s'écrient, désespérés, que la lettre tue, mais que l'esprit vivifie et cherchent à découvrir un sens vaste et profond dans un récit aussi ancien que les religions de la terre et qui toujours a été le centre et l'âme de [97] chacune des religions où il a reparu. Ces penseurs qui cherchent leur voie – trop isolés les uns des autres et trop indécis encore pour qu'on puisse les regarder comme une école – semblent, d'une part, tendre la main à ceux qui voient partout des légendes, en leur demandant d'accepter une base historique ; de l'autre, ils mettent leurs frères Chrétiens en garde contre un danger sans cesse grandissant – celui de perdre entièrement le sens spirituel, en voulant se cramponner au sens littéral et unique que les progrès de la science contemporaine ne permettent plus de défendre. Oui – nous risquons de perdre "l'histoire du Christ" avec cette conception du Christ qui a soutenu et inspiré des millions de belles âmes, en Orient et en Occident. Peu importe que le Christ reçoive des noms différents ou qu'il soit adoré sous d'autres formes ; nous risquons de laisser échapper la perle de grand prix et d'être appauvris à jamais.</p> <p style="text-align: center;"><em>155 II, Gal., IV, 19.</em></p> <p style="text-align: center;">Ce qui est nécessaire, pour détourner ce danger, c'est de démêler les différents fils de l'histoire du Christ et de les ranger côte à côte – le fil historique, le fil légendaire, le fil mystique. Ces fils ont été réunis en un seul, et c'est un grand malheur pour les esprits sérieux ; en les démêlant, nous découvrirons que le savoir, loin de le déprécier, rend plus précieux le récit évangélique et que, pour ce récit comme pour tout ce qui est basé sur la vérité, plus la lumière est vive, plus elle révèle de beautés.<br />Nous étudierons d'abord le Christ historique, puis le Christ mythique, en troisième lieu le Christ mystique – et nous constaterons que la fusion d'éléments tirés de ces trois aspects nous donne le Jésus-Christ [98] des Églises. Tous trois contribuent à constituer la Figure grandiose et pathétique qui règne souverainement sur les émotions et sur la pensée des Chrétiens – l'Homme de Douleur, le Sauveur, Celui qui aime les hommes, leur Seigneur.</p> <p style="text-align: center;"><em>156 2 Cor., V, 16.</em></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>CHAPITRE IV </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>— </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LE CHRIST HISTORIQUE</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Nous avons déjà montré, dans le chapitre Ier, les points identiques communs à toutes les religions de ce monde. Nous avons vu que l'étude de ces croyances, symboles, rites, cérémonies, histoires et fêtes commémoratives identiques a fait naitre une école moderne qui leur donne une source commune : l'ignorance humaine, et une interprétation naïve de phénomènes naturels. Ces identités ont fourni des armes pour frapper tour à tour chaque religion, et les attaques les plus effectives portées contre le Christianisme et l'existence historique de son Fondateur ont puisé leur force à cette source. Au moment d'aborder maintenant l'étude de la vie du Christ – l'étude du Christianisme, de ses sacrements, de ses doctrines – il serait dangereux d'ignorer les faits rassemblés par la Mythologie Comparée ; compris comme ils doivent l'être, ces faits cesseront d'être des adversaires et deviendront des alliés. Comme nous l'avons vu, les Apôtres et leurs successeurs n'hésitaient pas à voir, dans l'Ancien Testament, un sens [94] allégorique et mystique beaucoup plus important que le sens historique – sans cependant nier celui-ci – et ils ne se faisaient aucun scrupule d'enseigner aux fidèles instruits, que certains de ces récits, historiques en apparence, étaient au fond purement allégoriques. La nécessité de bien comprendre ce fait n'est peut-être jamais plus grande qu'en étudiant l'histoire de Jésus surnommé le Christ – car, en négligeant de démêler les fils embrouillés et de chercher où les symboles ont été pris pour des évènements et les allégories pour de l'histoire, le récit perd pour nous ce qu'il offre de plus instructif, et sa beauté ce qu'elle a de plus rare. Nous ne saurions trop insister sur ce fait que le Christianisme gagne – au lieu de perdre – quand, suivant l'exhortation de l'Apôtre, la science vient s'ajouter à la foi et à la vertu 154. Certaines personnes ont peur d'affaiblir le Christianisme en laissant la raison l'étudier et trouvent "dangereux" de reconnaitre à des évènements, considérés jusqu'ici comme historiques, un sens plus profond – mythique ou mystique. Or, ce serait, au contraire, fortifier le Christianisme, et l'étudiant découvre avec joie que la perle de grand prix luit d'un orient plus pur et plus éclatant quand la couche d'ignorance disparait et en laisse voir les couleurs.</p> <p style="text-align: center;"><em>154 II, S. Pierre, 1, 5.</em></p> <p style="text-align: center;">Aujourd'hui deux écoles sont en présence, dont la rivalité acharnée a pour sujet l'histoire du grand Instructeur Hébreu. Pour la première, il n'y a dans les relations de Sa vie que des mythes et des légendes [95] ayant pour objet d'expliquer certains phénomènes naturels, vestiges d'une manière pittoresque de présenter certains faits – d'inculquer aux esprits ignorants certaines grandes classifications d'évènements naturels qui, par leur importance propre, se prêtaient à des enseignements moraux. Les partisans de cette manière de voir forment une école bien définie, comptant parmi ses membres beaucoup d'hommes très cultivés et fort intelligents ; une foule de personnes moins instruites leur font cortège et insistent avec une ardeur immodérée sur leurs vues les plus subversives. Cette école a pour rivaux ceux dont la foi est le Christianisme orthodoxe ; pour ceux-ci, toute la vie de Jésus est de l'histoire, sans mélange d'éléments légendaires ou mythiques ; ils affirment qu'il faut y voir uniquement la biographie d'un homme né en Palestine il y a environ dix-neuf siècles, auquel il est arrivé tout ce que les Évangiles rapportent ; ces récits ne sont, pour eux, que les annales d'une vie à la fois divine et humaine. Les deux écoles sont donc irréconciliables – l'une affirmant que tout est légende – l'autre maintenant que tout est histoire. De nombreuses opinions intermédiaires, recevant la dénomination générale de "libre-pensée", regardent le récit des Évangiles comme un mélange de légende et d'histoire, mais n'offrent aucun mode d'interprétation précis et rationnel – aucune explication satisfaisante de cet ensemble complexe. Nous trouvons, en outre, dans le sein de l'Église Chrétienne, un nombre considérable et toujours croissant de Chrétiens fidèles, pieux et cultivés, d'hommes et de femmes doués d'une foi sincère et d'aspirations religieuses, mais [96] qui voient dans les Évangiles plus que l'histoire d'un Homme Divin. S'appuyant sur les Écritures, ils affirment que l'histoire de Jésus renferme un sens plus profond et plus important que le sens superficiel et – sans nier le caractère historique de Jésus – soutiennent que LE CHRIST est plus que Jésus homme et qu'Il a un sens mystique. Ils basent leur opinion sur des paroles comme celles de saint Paul:<br />Mes chers enfants, pour qui je ressens de nouveau les douleurs de l'enfantement jusqu'à ce que Christ soit formé en vous 155. Saint Paul ne parle évidemment pas ici d'un Jésus historique – mais bien d'une manifestation de l'âme humaine, où il voit la formation de Christ. Ailleurs le même Instructeur déclare que, même s'il a connu Christ selon la chair, il ne le connait plus de cette manière 156 ; il nous donne forcément à conclure que, tout en reconnaissant le Christ selon la chair – Jésus – il s'est élevé à une conception supérieure qui éclipse celle du Christ historique. Beaucoup de nos contemporains penchent vers cette manière de voir et, en présence des faits réunis par la Religion Comparée, déroutés par les contradictions des Évangiles, se heurtent à des problèmes qu'ils ne pourront résoudre tant qu'ils resteront liés au sens superficiel des Écritures, ils s'écrient, désespérés, que la lettre tue, mais que l'esprit vivifie et cherchent à découvrir un sens vaste et profond dans un récit aussi ancien que les religions de la terre et qui toujours a été le centre et l'âme de [97] chacune des religions où il a reparu. Ces penseurs qui cherchent leur voie – trop isolés les uns des autres et trop indécis encore pour qu'on puisse les regarder comme une école – semblent, d'une part, tendre la main à ceux qui voient partout des légendes, en leur demandant d'accepter une base historique ; de l'autre, ils mettent leurs frères Chrétiens en garde contre un danger sans cesse grandissant – celui de perdre entièrement le sens spirituel, en voulant se cramponner au sens littéral et unique que les progrès de la science contemporaine ne permettent plus de défendre. Oui – nous risquons de perdre "l'histoire du Christ" avec cette conception du Christ qui a soutenu et inspiré des millions de belles âmes, en Orient et en Occident. Peu importe que le Christ reçoive des noms différents ou qu'il soit adoré sous d'autres formes ; nous risquons de laisser échapper la perle de grand prix et d'être appauvris à jamais.</p> <p style="text-align: center;"><em>155 II, Gal., IV, 19.</em></p> <p style="text-align: center;">Ce qui est nécessaire, pour détourner ce danger, c'est de démêler les différents fils de l'histoire du Christ et de les ranger côte à côte – le fil historique, le fil légendaire, le fil mystique. Ces fils ont été réunis en un seul, et c'est un grand malheur pour les esprits sérieux ; en les démêlant, nous découvrirons que le savoir, loin de le déprécier, rend plus précieux le récit évangélique et que, pour ce récit comme pour tout ce qui est basé sur la vérité, plus la lumière est vive, plus elle révèle de beautés.<br />Nous étudierons d'abord le Christ historique, puis le Christ mythique, en troisième lieu le Christ mystique – et nous constaterons que la fusion d'éléments tirés de ces trois aspects nous donne le Jésus-Christ [98] des Églises. Tous trois contribuent à constituer la Figure grandiose et pathétique qui règne souverainement sur les émotions et sur la pensée des Chrétiens – l'Homme de Douleur, le Sauveur, Celui qui aime les hommes, leur Seigneur.</p> <p style="text-align: center;"><em>156 2 Cor., V, 16.</em></p> LE CHRIST HISTORIQUE OU JÉSUS GUÉRISSEUR ET INSTRUCTEUR 2019-06-23T14:25:09+00:00 2019-06-23T14:25:09+00:00 http://www.hierarchie.eu/le-christianisme-esoterique-ou-les-mysteres-mineurs-par-annie-besant-1903/1108-le-christ-historique-ou-jesus-guerisseur-et-instructeur Super User bon.christo@free.fr <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LE CHRIST HISTORIQUE OU JÉSUS GUÉRISSEUR ET INSTRUCTEUR</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Le fil de la biographie de Jésus peut être séparé sans difficulté des deux autres auxquels il s'enlace ; nous en faciliterons l'étude en nous reportant à ces annales du passé que les personnes compétentes peuvent vérifier par elles-mêmes et dont certains détails concernant le Maitre Hébreu ont été donnés au monde par H. P. Blavatsky et d'autres personnes encore, compétentes en matière d'investigations occultes. Beaucoup de lecteurs seront sans doute tentés de critiquer l'emploi du mot "compétent", quand il s'agit d'occultisme. Et pourtant cette expression signifie simplement une personne arrivée, par des études et un entrainement spéciaux, à acquérir des connaissances spéciales et à développer en elle-même des facultés lui permettant d'exprimer une opinion basée sur une connaissance personnelle et directe de l'objet dont elle s'occupe. Nous disons que Huxley est compétent en biologie – qu'un Senior Wrangler 157 est compétent en mathématiques ou [99] que Lyell est compétent en géologie. Nous pouvons, de même, appeler compétent en occultisme un homme arrivé – d'abord à approfondir intellectuellement certaines théories fondamentales concernant la constitution de l'homme et de l'univers – ensuite à développer en lui-même les facultés susceptibles de développement quand on se consacre à des études appropriées et qui permettent d'étudier sur soi-même la nature, dans ses opérations les plus obscures. Un homme peut naitre avec des dispositions pour les mathématiques et, en cultivant ces dispositions pendant des années, développer considérablement ses facultés de mathématicien. Un homme peut, de même, naitre avec certaines facultés qui sont le propre de l'Âme et les développer par un entrainement et une discipline déterminés. Cet homme consacre-t-il ces facultés développées à l'étude des mondes invisibles, il devient compétent en matière de Science Occulte et peut vérifier, à volonté, les annales dont j'ai parlé plus haut. Ces vérifications sont inaccessibles aux personnes ordinaires, tout comme un ouvrage de mathématiques écrit en symboles de mathématiques pures est un livre fermé pour les personnes ignorant cette science. Ces connaissances ne sont pas plus inaccessibles que d'autres. L'homme né avec une certaine disposition et qui la développe, arrive à acquérir les notions correspondantes ; celui qui nait sans dispositions spéciales ou qui, les possédant, ne les cultive pas, doit se résigner à rester ignorant. Telles sont les conditions partout imposées à qui veut s'instruire ; elles s'appliquent à l'Occultisme comme à toute autre science. [100]</p> <p style="text-align: center;"><em>157 Universitaire (NDT).</em></p> <p style="text-align: center;">Les annales occultes confirment sur certains points le récit des Évangiles et le contredisent sur d'autres ; elles nous montrent la vie de Jésus et nous permettent, par-là, de la dégager des mythes qui l'entourent.<br />L'enfant dont le nom Hébreu a été changé en celui de Jésus naquit en Palestine, l'an 105 avant Jésus-Christ, sous le consulat de Publius Rutilus Rufus et de Cnæus Mallius Maximus. Ses parents étaient pauvres, mais de bonne famille ; il fut instruit dans la connaissance des Écritures Hébraïques ; sa ferveur religieuse et une gravité naturelle précoce décidèrent ses parents à le consacrer à la vie religieuse et ascétique. Peu après un séjour à Jérusalem – où le jeune homme montra son extraordinaire intelligence et son ardeur à s'instruire en se rendant dans le Temple auprès des docteurs – il fut envoyé dans le désert de la Judée méridionale, pour y être l'élève d'une communauté Essénienne. Á l'âge de dix-neuf ans il entra dans le monastère Essénien qui se trouvait près du mont Serbal – monastère très fréquenté par les savants allant de Perse et des Indes en Égypte ; une magnifique bibliothèque d'ouvrages occultes – dont plusieurs originaires de l'Inde Transhimalayenne – y avait été formée. De cet asile de l'érudition mystique, Jésus se rendit plus tard en Égypte. La doctrine secrète, qui était l'âme de la secte Essénienne, lui ayant été entièrement communiquée, il reçut, en Égypte, l'initiation et devint disciple de la Loge unique et sublime à laquelle toute grande religion doit son Fondateur. L'Égypte était restée, pour le monde, un des centres où l'on gardait les vrais Mystères, dont tous les Mystères semi-publics ne sont [101] qu'un pâle et lointain reflet. Les Mystères historiquement connus comme Égyptiens étaient l'ombre de la réalité "sur la Montagne 158", et c'est en Égypte que le jeune Hébreu reçut la consécration solennelle le préparant à la Prêtrise Royale qu'il devait atteindre plus tard. Sa pureté surhumaine, sa dévotion débordante étaient telles que, dans sa virilité pleine de grâce, il s'élevait d'une manière extraordinaire au-dessus des ascètes farouches parmi lesquels il avait été formé, répandant sur les Juifs sévères qui l'entouraient le parfum d'une sagesse accompagnée de tendresse et de suavité – comme un rosier, transporté dans un désert, y répandrait ses effluves embaumés sur la plaine stérile. Le charme dominateur de sa pureté immaculée entourait son front comme d'un radieux halo, et ses paroles, bien que rares, respiraient toujours la douceur et l'amour, éveillaient, même chez les plus rudes natures, une douceur momentanée, chez les plus inflexibles une sensibilité passagère. Jésus vécut ainsi pendant vingt-neuf années de son existence mortelle, croissant en grâce.</p> <p style="text-align: center;"><em>158 Origène contre Celse, 1. IV, ch. XVI (IdDT).</em></p> <p style="text-align: center;">Cette pureté surhumaine et cette ferveur religieuse rendaient Jésus – homme et disciple – digne de servir de temple et d'habitation à une Puissance plus auguste, à une Présence immense. L'heure avait sonné où allait se produire l'une de ces manifestations Divines qui, périodiquement, viennent aider l'humanité quand une impulsion nouvelle est nécessaire pour hâter l'évolution spirituelle des hommes, quand parait à l'horizon une civilisation nouvelle. [102]<br />Les siècles allaient donner naissance au monde Occidental, et la sous-race Teutonique 159 allait relever le sceptre impérial que laissait échapper la main défaillante de Rome. Avant son avènement, un Sauveur du Monde devait apparaitre et bénir l'Hercule-enfant, encore au berceau.<br />Un puissant "Fils de Dieu" allait s'incarner sur la terre – un Instructeur suprême plein de grâce et de vérité 160, un être dans lequel habiterait au plus haut point de la Sagesse Divine, véritablement "le Verbe" fait chair, un torrent de Lumière et de Vie surabondantes, une Fontaine d'où jaillirait à flots la vie. Le Seigneur de toute Compassion et de toute sagesse – tel est Son nom – quittant le séjour des Régions Secrètes, apparut dans le monde des hommes.<br />Il lui fallait un tabernacle humain, une forme humaine, le corps d'un homme ; or, où trouver un homme plus digne d'abandonner son corps pour un acte de renoncement joyeux et volontaire, à un Être devant lequel les Anges et les hommes s'inclinent avec la vénération la plus profonde – que cet Hébreu d'entre les Hébreux le plus pur – le plus noble des "Parfaits", dont le corps sans souillure et le caractère immaculé étaient comme la fleur même de l'humanité ? L'homme Jésus se présenta volontairement au sacrifice, "s'offrit sans tache" au Seigneur [103] d'amour qui prit cette jeune enveloppe pour tabernacle et l'habita pendant trois années de vie mortelle.</p> <p style="text-align: center;"><em>159 La sous-race Teutonique est, dans la classification théosophique, la cinquième de la quatrième race : elle comprend la plupart des populations du centre et de l'occident de l'Europe, notamment la majorité des Anglais, Allemands, Français (NDT).</em><br /><em>160 Saint Jean, 1, 14.</em></p> <p style="text-align: center;">Cette époque est marquée, dans les traditions réunies dans les Évangiles, par le Baptême de Jésus, quand le Saint-Esprit se montre descendant du ciel comme une colombe et demeurant sur Lui 161, et qu'une voix céleste s'écrie : "C'est ici mon fils bien aimé ; écoutez-Le". Jésus, véritablement "le Fils bienaimé en qui le père met toute son affection 162", Jésus "se mit dès lors à prêcher 163" et fut ce mystère merveilleux : "Dieu manifesté en chair 164". Jésus est Dieu, mais Il n'est pas le seul, car : "N'est-il pas écrit dans votre loi : – J'ai dit : vous êtes des dieux ? – Si la loi a appelé "dieux" ceux à qui la parole de Dieu a été adressée, et si l'Écriture ne peut être rejetée, comment pouvez-vous dire à celui que le Père a consacré et qu'il a envoyé dans le monde "tu blasphèmes" parce que j'ai dit : "Je suis le Fils de Dieu 165 ?" Les hommes sont véritablement tous Dieux par l'Esprit qui habite en eux, mais le Dieu suprême ne se manifeste pas chez tous, comme chez ce Fils bienaimé du Très-Haut.<br />Cette Présence ainsi manifestée, nous pouvons à juste titre lui donner le nom de "Christ" ; c'est Lui qui vient sous la forme de Jésus homme, parcourant les montagnes et les plaines de la Palestine, enseignant et guérissant, entouré de disciples choisis [104] parmi les âmes les plus avancées. Le charme rare de Son amour souverain, qui répandait autour de Lui comme les rayons d'un soleil, attirait à Lui les hommes souffrants, fatigués, accablés ; la magie subtilement tendre de Sa Sagesse pleine de bonté rendait plus pures, plus nobles et plus belles les vies qui entraient en contact avec la Sienne. Par des paraboles et un langage lumineusement imagé, Il instruisit les foules ignorantes qui se pressaient autour de Lui et, mettant en jeu les forces de l'Esprit pur, guérit de nombreux malades par la parole ou le toucher, renforçant les énergies magnétiques de Son corps immaculé par la force irrésistible de Sa vie intérieure. Rejeté par Ses frères Esséniens parmi lesquels il avait d'abord poursuivi Sa tâche (et dont les arguments hostiles à sa résolution de vivre une vie aimante et laborieuse sont résumés dans le récit de la tentation), parce qu'Il apportait au peuple la sagesse spirituelle regardée par eux comme leur plus précieux et plus secret trésor et parce que son amour sans limites accueillait les déclassés et les dégradés et s'adressait, dans les plus humbles comme dans les plus élevés, au Roi Divin, Il ne vit que trop tôt s'amasser autour de Lui les sombres nuages de la haine et du soupçon. Les docteurs et les magistrats de Son peuple en vinrent bientôt à Le regarder avec jalousie et colère ; Sa spiritualité était pour leur matérialisme un reproche continuel ; Sa puissance, la démonstration tacite mais permanente de leur faiblesse. Trois années à peine après Son baptême, l'orage qui Le menaçait éclata, et le corps humain de [105] Jésus expia le crime d'avoir servi de sanctuaire à la Présence glorieuse d'un Instructeur plus qu'humain.<br />La petite troupe de disciples choisis auxquels Jésus avait confié le dépôt de Ses instructions fut ainsi privée de la présence physique de son Maitre avant d'avoir assimilé Sa doctrine – mais c'étaient des âmes déjà hautes et développées, prêtes à recevoir la Sagesse et capables de la transmettre à des hommes moins avancés. Le plus impressionnable était "le disciple que Jésus aimait" ; jeune, zélé, fervent, profondément dévoué à son Maitre, il partageait Son esprit d'inépuisable amour. Saint Jean représenta, pendant le siècle qui suivit le départ physique du Christ, l'esprit de dévotion mystique qui aspire à l'extase, à la vision du Divin, à l'union avec Lui. Saint Paul, au contraire, le grand Apôtre qui vint plus tard, représente dans les Mystères le côté de la Sagesse.</p> <p style="text-align: center;">Le Maitre n'oublia pas Sa promesse de venir à eux quand le monde ne Le verrait plus 166 et, pendant plus de cinquante années, les visita, revêtu de Son corps spirituel subtil, continuant les leçons commencées quand Il était avec eux et les formant dans la connaissance des vérités occultes. La plupart des disciples habitaient en commun, dans un lieu retiré situé sur les confins de la Judée ; n'attirant pas l'attention parmi les nombreuses communautés semblables en apparence à la leur, ils étudiaient les vérités profondes que le Maitre leur avait enseignées et développaient en leur âme "les dons de l'Esprit". [106]</p> <p style="text-align: center;"><em>161 Saint Jean, I, 32.</em><br /><em>162 Saint Matth., III, 17.</em><br /><em>163 Ibid., IV, 17.</em><br /><em>164 1 Tim., III, 16.</em><br /><em>165 Saint Jean, X, 34-36.</em><br /><em>166 Saint Jean, XIV, 18, 19.</em></p> <p style="text-align: center;">Ces leçons, commencées quand Il vivait Physiquement auprès d'eux et qu'Il poursuivit après avoir quitté Son corps, formèrent la base des "Mystères de Jésus" que nous avons vus gardés par l'Église Primitive et servirent de vie intérieure – de noyau – aux éléments hétérogènes d'où sortit plus tard le Christianisme ecclésiastique.<br />Nous possédons, dans un fragment remarquable intitulé Pistis Sophia, un document du plus haut intérêt, traitant de la doctrine secrète et écrit par le fameux Valentin. Il est dit dans cet ouvrage que, pendant les onze années qui suivirent Sa mort, Jésus instruisit Ses disciples jusqu'à "la région des premiers statuts seulement et jusqu'à la région du premier mystère, du mystère qui est derrière le voile 167". Ils n'avaient pas encore appris la répartition des ordres angéliques, dont quelques-uns sont mentionnés par Ignace 168. Puis Jésus, étant "sur la Montagne" avec Ses disciples, après avoir reçu Son vêtement mystique, la connaissance de toutes les régions et les Paroles de Pouvoir qui en sont la clef, poursuivit l'instruction de Ses disciples et leur fit cette promesse : "Je vous rendrai parfaits en toute perfection, depuis les mystères de l'intérieur jusqu'aux mystères de l'extérieur. Je vous remplirai de l'Esprit, et ainsi vous serez appelés spirituels, parfaits en toute perfection 169." Alors Jésus leur parla de la Sophia ou Sagesse, de sa tentative de s'élever jusqu'au Très-Haut suivie par sa chute au sein de la matière, de [107] ses appels à la Lumière en qui elle avait eu foi ; Il leur dit que Jésus fut envoyé pour l'arracher du chaos, la couronner de Sa lumière et faire cesser son esclavage. Il leur parla encore du Mystère suprême, ineffable, le plus simple et le plus clair de tous, bien qu'il soit le plus élevé, Mystère qu'un renoncement absolu au monde permet seul de connaitre 170. Cette connaissance transforme les hommes en Christs, car de tels "hommes sont Moi-Même et Je suis ces hommes", et Christ est Le Mystère suprême 171. Sachant cela, "les hommes sont transformés en lumière pure et sont amenés au sein de la lumière 172". Et Jésus accomplit pour Ses disciples la grande cérémonie de l'Initiation, le baptême "qui conduit au séjour de la vérité et au séjour de la lumière", et leur prescrivit de la célébrer à leur tour pour d'autres, qui en seraient dignes : "Cachez pourtant ce mystère, ne le communiquez pas à tous, mais à celui-là (seul) qui observera toutes les choses que Je vous ai dites dans mes commandements 173."</p> <p style="text-align: center;"><em>167 Valentin, trad. de G. R. S. MEAD, Pistis Sophia, 1. I, 1.</em><br /><em>168 Ante, p. 77.</em><br /><em>169 Ibid., p. 60.</em><br /><em>170 Ante, 1. II, 218.</em><br /><em>171 Ibid., 230.</em><br /><em>172 Ibid., 357.</em><br /><em>173 Ibid., 377.</em></p> <p style="text-align: center;">Après quoi, leur instruction étant complète, les apôtres retournèrent dans le monde, pour y prêcher, toujours aidés par leur Maitre.<br />Or, ces mêmes disciples et leurs premiers collègues notèrent de mémoire toutes les paroles et toutes les paraboles qu'ils avaient entendu prononcer en public par le Maitre et réunirent avec un grand zèle tous les récits qu'il leur fut possible de trouver, les rédigeant [108] également, et faisaient circuler ces recueils parmi tous ceux qui, peu à peu, s'attachaient à leur petite communauté. Les recueils ainsi formés diffèrent entre eux, chaque membre de la communauté rédigeant ce qu'il se rappelait personnellement, en y ajoutant un choix fait parmi les récits des autres. Les enseignements intérieurs donnés par le Christ à Ses disciples d'élite ne furent pas notés par écrit, mais communiqués oralement aux personnes jugées dignes de les recevoir – à des étudiants réunis en communautés peu nombreuses, afin de mener une vie retirée, tout en restant en relation avec le groupe central.<br />Le Christ historique est donc un Être glorieux appartenant à la grande hiérarchie spirituelle qui dirige l'évolution spirituelle de l'humanité ; Il employa, pendant environ trois années, le corps humain du disciple Jésus et consacra la dernière de ces trois années à enseigner en public, parcourant la Samarie et la Judée ; Il guérit les maladies et accomplit d'autres actes occultes remarquables ; Il S'entoura d'une petite troupe de disciples qu'Il forma dans la connaissance des vérités intimes de la vie spirituelle ; Il attira les hommes à Lui par Son amour et Sa douceur extraordinaires et la haute sagesse que respirait Sa personne ; enfin, Il fut mis à mort pour blasphème, ayant enseigné que la Divinité habitait en lui comme en tous les hommes. Il vint donner à la vie spirituelle de ce monde une impulsion nouvelle, communiquer de nouveau la doctrine intéressant la vie spirituelle, montrer une fois encore à l'humanité le chemin étroit qui existait de tout temps, proclamer l'existence du "Royaume des Cieux", de l'Initiation [109] conduisant à cette connaissance de Dieu qui est la vie éternelle, faire entrer enfin dans ce Royaume quelques élus capables de transmettre leur savoir à d'autres. Autour de cette Glorieuse Figure s'amassèrent les mythes qui L'unissent à la longue suite de Ses prédécesseurs ; ces mythes donnent sous une forme allégorique l'histoire de toutes les carrières semblables, car ils symbolisent l'action du Logos dans l'Univers et l'évolution supérieure de l'âme humaine individuelle.<br />Il ne faudrait pas supposer que le Christ cessa d'agir pour Ses disciples après avoir institué les Mystères ou qu'Il se borna désormais à y faire de rares apparitions. Cet Être Puissant qui avait pris pour véhicule le corps de Jésus et dont la protection veille sans cesse sur l'évolution spirituelle de la cinquième Race, remit l'Église naissante entre les fortes mains du saint disciple qui Lui avait sacrifié son corps. Atteignant la perfection de l'évolution humaine, Jésus devint un des Maitres de la Sagesse et se chargea spécialement du Christianisme, qu'Il chercha toujours à guider dans la bonne voie, à protéger, à garder et à fortifier. C'était Lui l'Hiérophante des Mystères Chrétiens, le Maitre direct des Initiés ; c'était la Sienne, l'inspiration qui alimentait, dans l'Église, la flamme de la Gnose, jusqu'au jour où la masse envahissante de l'ignorance devint si grande que Son souffle même ne put empêcher la flamme de s'éteindre. C'était Son travail patient qui donnait à tant d'âmes la force de supporter les ténèbres et de conserver précieusement l'étincelle de l'aspiration mystique, la soif d'atteindre le Dieu Caché. C'était Lui qui versait à [110] flots la vérité dans les intelligences aptes à la recevoir – si bien que les mains, se rencontrant à travers les siècles, se passèrent la torche de la connaissance, sans qu'elle ne s'éteignît jamais. C'était la Sienne, la Figure qui se tenait près de la roue du supplice et dans la flamme des buchers, encourageant Ses confesseurs et Ses martyrs et remplissant leur coeur de Sa paix. C'était Lui qui soulevait l'éloquence tonnante de Savonarole – guidait la sagesse d'Érasme – inspirait l'éthique profonde de Spinoza, dans sa divine ivresse. C'était Son énergie qui poussait Roger Bacon, Galilée, Paracelse, à sonder la nature. C'était Sa beauté qui attirait Fra Angelico, Raphaël et Léonard de Vinci – qui inspirait le génie de Michel-Ange – qui brillait pour Murillo – qui permit d'élever ces merveilles du monde : le Dôme de Milan, Saint-Marc de Venise et la cathédrale de Florence. C'étaient Ses harmonies qui chantèrent dans les messes de Mozart, les sonates de Beethoven, les oratorios d'Haendel, les fugues de Bach, l'austère splendeur de Brahms. C'était Sa Présence qui soutenait les mystiques solitaires, les occultistes persécutés, les chercheurs patients, dans leur poursuite de la vérité. Par la persuasion et par la menace – par l'éloquence d'un saint François et les sarcasmes d'un Voltaire – par la douce soumission d'un Thomas A. Kempis et la rudesse virile d'un Luther, Il s'efforça d'instruire et de réveiller, d'attirer à la sainteté ou l'éloignement du mal par la souffrance. Depuis tant de siècles Il a lutté, il a combattu et jamais – bien qu'Il eût à porter le pesant fardeau des Églises – jamais Il ne laissa sans réponse ou sans consolation un seul coeur [111] humain dont l'appel montait vers Lui. Il S'efforce aujourd'hui de détourner pour le Christianisme une partie du grand fleuve de Sagesse qui descend sur l'humanité altérée ; Il cherche au sein des Églises des hommes capables d'entendre la Sagesse et de répondre, quand il demandera des messagers pour la transmettre à son troupeau : "Me voici, envoie moi."</p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LE CHRIST HISTORIQUE OU JÉSUS GUÉRISSEUR ET INSTRUCTEUR</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Le fil de la biographie de Jésus peut être séparé sans difficulté des deux autres auxquels il s'enlace ; nous en faciliterons l'étude en nous reportant à ces annales du passé que les personnes compétentes peuvent vérifier par elles-mêmes et dont certains détails concernant le Maitre Hébreu ont été donnés au monde par H. P. Blavatsky et d'autres personnes encore, compétentes en matière d'investigations occultes. Beaucoup de lecteurs seront sans doute tentés de critiquer l'emploi du mot "compétent", quand il s'agit d'occultisme. Et pourtant cette expression signifie simplement une personne arrivée, par des études et un entrainement spéciaux, à acquérir des connaissances spéciales et à développer en elle-même des facultés lui permettant d'exprimer une opinion basée sur une connaissance personnelle et directe de l'objet dont elle s'occupe. Nous disons que Huxley est compétent en biologie – qu'un Senior Wrangler 157 est compétent en mathématiques ou [99] que Lyell est compétent en géologie. Nous pouvons, de même, appeler compétent en occultisme un homme arrivé – d'abord à approfondir intellectuellement certaines théories fondamentales concernant la constitution de l'homme et de l'univers – ensuite à développer en lui-même les facultés susceptibles de développement quand on se consacre à des études appropriées et qui permettent d'étudier sur soi-même la nature, dans ses opérations les plus obscures. Un homme peut naitre avec des dispositions pour les mathématiques et, en cultivant ces dispositions pendant des années, développer considérablement ses facultés de mathématicien. Un homme peut, de même, naitre avec certaines facultés qui sont le propre de l'Âme et les développer par un entrainement et une discipline déterminés. Cet homme consacre-t-il ces facultés développées à l'étude des mondes invisibles, il devient compétent en matière de Science Occulte et peut vérifier, à volonté, les annales dont j'ai parlé plus haut. Ces vérifications sont inaccessibles aux personnes ordinaires, tout comme un ouvrage de mathématiques écrit en symboles de mathématiques pures est un livre fermé pour les personnes ignorant cette science. Ces connaissances ne sont pas plus inaccessibles que d'autres. L'homme né avec une certaine disposition et qui la développe, arrive à acquérir les notions correspondantes ; celui qui nait sans dispositions spéciales ou qui, les possédant, ne les cultive pas, doit se résigner à rester ignorant. Telles sont les conditions partout imposées à qui veut s'instruire ; elles s'appliquent à l'Occultisme comme à toute autre science. [100]</p> <p style="text-align: center;"><em>157 Universitaire (NDT).</em></p> <p style="text-align: center;">Les annales occultes confirment sur certains points le récit des Évangiles et le contredisent sur d'autres ; elles nous montrent la vie de Jésus et nous permettent, par-là, de la dégager des mythes qui l'entourent.<br />L'enfant dont le nom Hébreu a été changé en celui de Jésus naquit en Palestine, l'an 105 avant Jésus-Christ, sous le consulat de Publius Rutilus Rufus et de Cnæus Mallius Maximus. Ses parents étaient pauvres, mais de bonne famille ; il fut instruit dans la connaissance des Écritures Hébraïques ; sa ferveur religieuse et une gravité naturelle précoce décidèrent ses parents à le consacrer à la vie religieuse et ascétique. Peu après un séjour à Jérusalem – où le jeune homme montra son extraordinaire intelligence et son ardeur à s'instruire en se rendant dans le Temple auprès des docteurs – il fut envoyé dans le désert de la Judée méridionale, pour y être l'élève d'une communauté Essénienne. Á l'âge de dix-neuf ans il entra dans le monastère Essénien qui se trouvait près du mont Serbal – monastère très fréquenté par les savants allant de Perse et des Indes en Égypte ; une magnifique bibliothèque d'ouvrages occultes – dont plusieurs originaires de l'Inde Transhimalayenne – y avait été formée. De cet asile de l'érudition mystique, Jésus se rendit plus tard en Égypte. La doctrine secrète, qui était l'âme de la secte Essénienne, lui ayant été entièrement communiquée, il reçut, en Égypte, l'initiation et devint disciple de la Loge unique et sublime à laquelle toute grande religion doit son Fondateur. L'Égypte était restée, pour le monde, un des centres où l'on gardait les vrais Mystères, dont tous les Mystères semi-publics ne sont [101] qu'un pâle et lointain reflet. Les Mystères historiquement connus comme Égyptiens étaient l'ombre de la réalité "sur la Montagne 158", et c'est en Égypte que le jeune Hébreu reçut la consécration solennelle le préparant à la Prêtrise Royale qu'il devait atteindre plus tard. Sa pureté surhumaine, sa dévotion débordante étaient telles que, dans sa virilité pleine de grâce, il s'élevait d'une manière extraordinaire au-dessus des ascètes farouches parmi lesquels il avait été formé, répandant sur les Juifs sévères qui l'entouraient le parfum d'une sagesse accompagnée de tendresse et de suavité – comme un rosier, transporté dans un désert, y répandrait ses effluves embaumés sur la plaine stérile. Le charme dominateur de sa pureté immaculée entourait son front comme d'un radieux halo, et ses paroles, bien que rares, respiraient toujours la douceur et l'amour, éveillaient, même chez les plus rudes natures, une douceur momentanée, chez les plus inflexibles une sensibilité passagère. Jésus vécut ainsi pendant vingt-neuf années de son existence mortelle, croissant en grâce.</p> <p style="text-align: center;"><em>158 Origène contre Celse, 1. IV, ch. XVI (IdDT).</em></p> <p style="text-align: center;">Cette pureté surhumaine et cette ferveur religieuse rendaient Jésus – homme et disciple – digne de servir de temple et d'habitation à une Puissance plus auguste, à une Présence immense. L'heure avait sonné où allait se produire l'une de ces manifestations Divines qui, périodiquement, viennent aider l'humanité quand une impulsion nouvelle est nécessaire pour hâter l'évolution spirituelle des hommes, quand parait à l'horizon une civilisation nouvelle. [102]<br />Les siècles allaient donner naissance au monde Occidental, et la sous-race Teutonique 159 allait relever le sceptre impérial que laissait échapper la main défaillante de Rome. Avant son avènement, un Sauveur du Monde devait apparaitre et bénir l'Hercule-enfant, encore au berceau.<br />Un puissant "Fils de Dieu" allait s'incarner sur la terre – un Instructeur suprême plein de grâce et de vérité 160, un être dans lequel habiterait au plus haut point de la Sagesse Divine, véritablement "le Verbe" fait chair, un torrent de Lumière et de Vie surabondantes, une Fontaine d'où jaillirait à flots la vie. Le Seigneur de toute Compassion et de toute sagesse – tel est Son nom – quittant le séjour des Régions Secrètes, apparut dans le monde des hommes.<br />Il lui fallait un tabernacle humain, une forme humaine, le corps d'un homme ; or, où trouver un homme plus digne d'abandonner son corps pour un acte de renoncement joyeux et volontaire, à un Être devant lequel les Anges et les hommes s'inclinent avec la vénération la plus profonde – que cet Hébreu d'entre les Hébreux le plus pur – le plus noble des "Parfaits", dont le corps sans souillure et le caractère immaculé étaient comme la fleur même de l'humanité ? L'homme Jésus se présenta volontairement au sacrifice, "s'offrit sans tache" au Seigneur [103] d'amour qui prit cette jeune enveloppe pour tabernacle et l'habita pendant trois années de vie mortelle.</p> <p style="text-align: center;"><em>159 La sous-race Teutonique est, dans la classification théosophique, la cinquième de la quatrième race : elle comprend la plupart des populations du centre et de l'occident de l'Europe, notamment la majorité des Anglais, Allemands, Français (NDT).</em><br /><em>160 Saint Jean, 1, 14.</em></p> <p style="text-align: center;">Cette époque est marquée, dans les traditions réunies dans les Évangiles, par le Baptême de Jésus, quand le Saint-Esprit se montre descendant du ciel comme une colombe et demeurant sur Lui 161, et qu'une voix céleste s'écrie : "C'est ici mon fils bien aimé ; écoutez-Le". Jésus, véritablement "le Fils bienaimé en qui le père met toute son affection 162", Jésus "se mit dès lors à prêcher 163" et fut ce mystère merveilleux : "Dieu manifesté en chair 164". Jésus est Dieu, mais Il n'est pas le seul, car : "N'est-il pas écrit dans votre loi : – J'ai dit : vous êtes des dieux ? – Si la loi a appelé "dieux" ceux à qui la parole de Dieu a été adressée, et si l'Écriture ne peut être rejetée, comment pouvez-vous dire à celui que le Père a consacré et qu'il a envoyé dans le monde "tu blasphèmes" parce que j'ai dit : "Je suis le Fils de Dieu 165 ?" Les hommes sont véritablement tous Dieux par l'Esprit qui habite en eux, mais le Dieu suprême ne se manifeste pas chez tous, comme chez ce Fils bienaimé du Très-Haut.<br />Cette Présence ainsi manifestée, nous pouvons à juste titre lui donner le nom de "Christ" ; c'est Lui qui vient sous la forme de Jésus homme, parcourant les montagnes et les plaines de la Palestine, enseignant et guérissant, entouré de disciples choisis [104] parmi les âmes les plus avancées. Le charme rare de Son amour souverain, qui répandait autour de Lui comme les rayons d'un soleil, attirait à Lui les hommes souffrants, fatigués, accablés ; la magie subtilement tendre de Sa Sagesse pleine de bonté rendait plus pures, plus nobles et plus belles les vies qui entraient en contact avec la Sienne. Par des paraboles et un langage lumineusement imagé, Il instruisit les foules ignorantes qui se pressaient autour de Lui et, mettant en jeu les forces de l'Esprit pur, guérit de nombreux malades par la parole ou le toucher, renforçant les énergies magnétiques de Son corps immaculé par la force irrésistible de Sa vie intérieure. Rejeté par Ses frères Esséniens parmi lesquels il avait d'abord poursuivi Sa tâche (et dont les arguments hostiles à sa résolution de vivre une vie aimante et laborieuse sont résumés dans le récit de la tentation), parce qu'Il apportait au peuple la sagesse spirituelle regardée par eux comme leur plus précieux et plus secret trésor et parce que son amour sans limites accueillait les déclassés et les dégradés et s'adressait, dans les plus humbles comme dans les plus élevés, au Roi Divin, Il ne vit que trop tôt s'amasser autour de Lui les sombres nuages de la haine et du soupçon. Les docteurs et les magistrats de Son peuple en vinrent bientôt à Le regarder avec jalousie et colère ; Sa spiritualité était pour leur matérialisme un reproche continuel ; Sa puissance, la démonstration tacite mais permanente de leur faiblesse. Trois années à peine après Son baptême, l'orage qui Le menaçait éclata, et le corps humain de [105] Jésus expia le crime d'avoir servi de sanctuaire à la Présence glorieuse d'un Instructeur plus qu'humain.<br />La petite troupe de disciples choisis auxquels Jésus avait confié le dépôt de Ses instructions fut ainsi privée de la présence physique de son Maitre avant d'avoir assimilé Sa doctrine – mais c'étaient des âmes déjà hautes et développées, prêtes à recevoir la Sagesse et capables de la transmettre à des hommes moins avancés. Le plus impressionnable était "le disciple que Jésus aimait" ; jeune, zélé, fervent, profondément dévoué à son Maitre, il partageait Son esprit d'inépuisable amour. Saint Jean représenta, pendant le siècle qui suivit le départ physique du Christ, l'esprit de dévotion mystique qui aspire à l'extase, à la vision du Divin, à l'union avec Lui. Saint Paul, au contraire, le grand Apôtre qui vint plus tard, représente dans les Mystères le côté de la Sagesse.</p> <p style="text-align: center;">Le Maitre n'oublia pas Sa promesse de venir à eux quand le monde ne Le verrait plus 166 et, pendant plus de cinquante années, les visita, revêtu de Son corps spirituel subtil, continuant les leçons commencées quand Il était avec eux et les formant dans la connaissance des vérités occultes. La plupart des disciples habitaient en commun, dans un lieu retiré situé sur les confins de la Judée ; n'attirant pas l'attention parmi les nombreuses communautés semblables en apparence à la leur, ils étudiaient les vérités profondes que le Maitre leur avait enseignées et développaient en leur âme "les dons de l'Esprit". [106]</p> <p style="text-align: center;"><em>161 Saint Jean, I, 32.</em><br /><em>162 Saint Matth., III, 17.</em><br /><em>163 Ibid., IV, 17.</em><br /><em>164 1 Tim., III, 16.</em><br /><em>165 Saint Jean, X, 34-36.</em><br /><em>166 Saint Jean, XIV, 18, 19.</em></p> <p style="text-align: center;">Ces leçons, commencées quand Il vivait Physiquement auprès d'eux et qu'Il poursuivit après avoir quitté Son corps, formèrent la base des "Mystères de Jésus" que nous avons vus gardés par l'Église Primitive et servirent de vie intérieure – de noyau – aux éléments hétérogènes d'où sortit plus tard le Christianisme ecclésiastique.<br />Nous possédons, dans un fragment remarquable intitulé Pistis Sophia, un document du plus haut intérêt, traitant de la doctrine secrète et écrit par le fameux Valentin. Il est dit dans cet ouvrage que, pendant les onze années qui suivirent Sa mort, Jésus instruisit Ses disciples jusqu'à "la région des premiers statuts seulement et jusqu'à la région du premier mystère, du mystère qui est derrière le voile 167". Ils n'avaient pas encore appris la répartition des ordres angéliques, dont quelques-uns sont mentionnés par Ignace 168. Puis Jésus, étant "sur la Montagne" avec Ses disciples, après avoir reçu Son vêtement mystique, la connaissance de toutes les régions et les Paroles de Pouvoir qui en sont la clef, poursuivit l'instruction de Ses disciples et leur fit cette promesse : "Je vous rendrai parfaits en toute perfection, depuis les mystères de l'intérieur jusqu'aux mystères de l'extérieur. Je vous remplirai de l'Esprit, et ainsi vous serez appelés spirituels, parfaits en toute perfection 169." Alors Jésus leur parla de la Sophia ou Sagesse, de sa tentative de s'élever jusqu'au Très-Haut suivie par sa chute au sein de la matière, de [107] ses appels à la Lumière en qui elle avait eu foi ; Il leur dit que Jésus fut envoyé pour l'arracher du chaos, la couronner de Sa lumière et faire cesser son esclavage. Il leur parla encore du Mystère suprême, ineffable, le plus simple et le plus clair de tous, bien qu'il soit le plus élevé, Mystère qu'un renoncement absolu au monde permet seul de connaitre 170. Cette connaissance transforme les hommes en Christs, car de tels "hommes sont Moi-Même et Je suis ces hommes", et Christ est Le Mystère suprême 171. Sachant cela, "les hommes sont transformés en lumière pure et sont amenés au sein de la lumière 172". Et Jésus accomplit pour Ses disciples la grande cérémonie de l'Initiation, le baptême "qui conduit au séjour de la vérité et au séjour de la lumière", et leur prescrivit de la célébrer à leur tour pour d'autres, qui en seraient dignes : "Cachez pourtant ce mystère, ne le communiquez pas à tous, mais à celui-là (seul) qui observera toutes les choses que Je vous ai dites dans mes commandements 173."</p> <p style="text-align: center;"><em>167 Valentin, trad. de G. R. S. MEAD, Pistis Sophia, 1. I, 1.</em><br /><em>168 Ante, p. 77.</em><br /><em>169 Ibid., p. 60.</em><br /><em>170 Ante, 1. II, 218.</em><br /><em>171 Ibid., 230.</em><br /><em>172 Ibid., 357.</em><br /><em>173 Ibid., 377.</em></p> <p style="text-align: center;">Après quoi, leur instruction étant complète, les apôtres retournèrent dans le monde, pour y prêcher, toujours aidés par leur Maitre.<br />Or, ces mêmes disciples et leurs premiers collègues notèrent de mémoire toutes les paroles et toutes les paraboles qu'ils avaient entendu prononcer en public par le Maitre et réunirent avec un grand zèle tous les récits qu'il leur fut possible de trouver, les rédigeant [108] également, et faisaient circuler ces recueils parmi tous ceux qui, peu à peu, s'attachaient à leur petite communauté. Les recueils ainsi formés diffèrent entre eux, chaque membre de la communauté rédigeant ce qu'il se rappelait personnellement, en y ajoutant un choix fait parmi les récits des autres. Les enseignements intérieurs donnés par le Christ à Ses disciples d'élite ne furent pas notés par écrit, mais communiqués oralement aux personnes jugées dignes de les recevoir – à des étudiants réunis en communautés peu nombreuses, afin de mener une vie retirée, tout en restant en relation avec le groupe central.<br />Le Christ historique est donc un Être glorieux appartenant à la grande hiérarchie spirituelle qui dirige l'évolution spirituelle de l'humanité ; Il employa, pendant environ trois années, le corps humain du disciple Jésus et consacra la dernière de ces trois années à enseigner en public, parcourant la Samarie et la Judée ; Il guérit les maladies et accomplit d'autres actes occultes remarquables ; Il S'entoura d'une petite troupe de disciples qu'Il forma dans la connaissance des vérités intimes de la vie spirituelle ; Il attira les hommes à Lui par Son amour et Sa douceur extraordinaires et la haute sagesse que respirait Sa personne ; enfin, Il fut mis à mort pour blasphème, ayant enseigné que la Divinité habitait en lui comme en tous les hommes. Il vint donner à la vie spirituelle de ce monde une impulsion nouvelle, communiquer de nouveau la doctrine intéressant la vie spirituelle, montrer une fois encore à l'humanité le chemin étroit qui existait de tout temps, proclamer l'existence du "Royaume des Cieux", de l'Initiation [109] conduisant à cette connaissance de Dieu qui est la vie éternelle, faire entrer enfin dans ce Royaume quelques élus capables de transmettre leur savoir à d'autres. Autour de cette Glorieuse Figure s'amassèrent les mythes qui L'unissent à la longue suite de Ses prédécesseurs ; ces mythes donnent sous une forme allégorique l'histoire de toutes les carrières semblables, car ils symbolisent l'action du Logos dans l'Univers et l'évolution supérieure de l'âme humaine individuelle.<br />Il ne faudrait pas supposer que le Christ cessa d'agir pour Ses disciples après avoir institué les Mystères ou qu'Il se borna désormais à y faire de rares apparitions. Cet Être Puissant qui avait pris pour véhicule le corps de Jésus et dont la protection veille sans cesse sur l'évolution spirituelle de la cinquième Race, remit l'Église naissante entre les fortes mains du saint disciple qui Lui avait sacrifié son corps. Atteignant la perfection de l'évolution humaine, Jésus devint un des Maitres de la Sagesse et se chargea spécialement du Christianisme, qu'Il chercha toujours à guider dans la bonne voie, à protéger, à garder et à fortifier. C'était Lui l'Hiérophante des Mystères Chrétiens, le Maitre direct des Initiés ; c'était la Sienne, l'inspiration qui alimentait, dans l'Église, la flamme de la Gnose, jusqu'au jour où la masse envahissante de l'ignorance devint si grande que Son souffle même ne put empêcher la flamme de s'éteindre. C'était Son travail patient qui donnait à tant d'âmes la force de supporter les ténèbres et de conserver précieusement l'étincelle de l'aspiration mystique, la soif d'atteindre le Dieu Caché. C'était Lui qui versait à [110] flots la vérité dans les intelligences aptes à la recevoir – si bien que les mains, se rencontrant à travers les siècles, se passèrent la torche de la connaissance, sans qu'elle ne s'éteignît jamais. C'était la Sienne, la Figure qui se tenait près de la roue du supplice et dans la flamme des buchers, encourageant Ses confesseurs et Ses martyrs et remplissant leur coeur de Sa paix. C'était Lui qui soulevait l'éloquence tonnante de Savonarole – guidait la sagesse d'Érasme – inspirait l'éthique profonde de Spinoza, dans sa divine ivresse. C'était Son énergie qui poussait Roger Bacon, Galilée, Paracelse, à sonder la nature. C'était Sa beauté qui attirait Fra Angelico, Raphaël et Léonard de Vinci – qui inspirait le génie de Michel-Ange – qui brillait pour Murillo – qui permit d'élever ces merveilles du monde : le Dôme de Milan, Saint-Marc de Venise et la cathédrale de Florence. C'étaient Ses harmonies qui chantèrent dans les messes de Mozart, les sonates de Beethoven, les oratorios d'Haendel, les fugues de Bach, l'austère splendeur de Brahms. C'était Sa Présence qui soutenait les mystiques solitaires, les occultistes persécutés, les chercheurs patients, dans leur poursuite de la vérité. Par la persuasion et par la menace – par l'éloquence d'un saint François et les sarcasmes d'un Voltaire – par la douce soumission d'un Thomas A. Kempis et la rudesse virile d'un Luther, Il s'efforça d'instruire et de réveiller, d'attirer à la sainteté ou l'éloignement du mal par la souffrance. Depuis tant de siècles Il a lutté, il a combattu et jamais – bien qu'Il eût à porter le pesant fardeau des Églises – jamais Il ne laissa sans réponse ou sans consolation un seul coeur [111] humain dont l'appel montait vers Lui. Il S'efforce aujourd'hui de détourner pour le Christianisme une partie du grand fleuve de Sagesse qui descend sur l'humanité altérée ; Il cherche au sein des Églises des hommes capables d'entendre la Sagesse et de répondre, quand il demandera des messagers pour la transmettre à son troupeau : "Me voici, envoie moi."</p> CHAPITRE V — LE CHRIST MYTHIQUE 2019-06-23T14:38:22+00:00 2019-06-23T14:38:22+00:00 http://www.hierarchie.eu/le-christianisme-esoterique-ou-les-mysteres-mineurs-par-annie-besant-1903/1109-chapitre-v-le-christ-mythique Super User bon.christo@free.fr <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>CHAPITRE V </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>— </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LE CHRIST MYTHIQUE</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Nous avons déjà vu comment la Mythologie Comparée sert d'arme pour combattre la Religion ; ses coups les plus dangereux ont été portés contre le Christ. La mise au monde par une Vierge le "Jour de Noël", le massacre des Innocents, les miracles du Christ et Ses enseignements, Sa crucifixion, Sa résurrection et Son ascension, tous ces évènements que présente l'histoire de Sa vie, on nous les montre de même dans les récits d'autres vies et ces identités servent d'argument pour mettre en doute son existence historique. En ce qui concerne les miracles et la doctrine, nous n'insisterons pas. La plupart des grands Instructeurs, nous le reconnaissons, ont accompli des actes qui, sur le plan physique, semblent miraculeux à Leurs contemporains, mais – comme les occultistes le savent – sont dus à l'emploi de facultés propres à tout Initié au-dessus d'un certain grade. Nous reconnaissons aussi que la doctrine de Jésus ne Lui appartient pas exclusivement ; mais, si l'étudiant de la Mythologie Comparée croit avoir [113] prouvé que l'inspiration divine n'existe pas, en montrant l'identité des enseignements moraux donnés par Manou, par le Bouddha, par Jésus, l'occultiste déclare que Jésus devait forcément répéter les enseignements de Ses prédécesseurs, puisqu'Il était envoyé par la même Loge. Les vérités profondes concernant l'Esprit Divin et l'Esprit Humain étaient aussi absolues vingt mille ans avant la naissance de Jésus en Palestine qu'après Sa venue. Affirmer que le monde a été privé d'une semblable doctrine et que l'homme a été laissé dans les ténèbres morales depuis son origine jusqu'à une époque plus ancienne que la nôtre de vingt siècles, équivaut à dire qu'il y avait une humanité sans Maitre, des enfants sans Père, des âmes demandant à grands cris la lumière, au sein de ténèbres qui restaient muettes – idée aussi blasphématoire envers Dieu qu'elle est désolante pour l'homme – théorie contredite par l'apparition de tant de Sages, par l'existence de littératures sublimes, pendant des milliers de siècles, avant l'avènement du Christ.<br />Reconnaissant donc en Jésus le Grand Maitre de l'Occident, le messager suprême envoyé par la Loge au monde occidental, il nous reste à résoudre une difficulté qui a détaché beaucoup de personnes du Christianisme. Pourquoi les fêtes commémoratives d'évènements arrivés dans la vie de Jésus se retrouvent-elles dans les religions plus anciennes que le Christianisme et y rappellent-elles des évènements identiques survenus dans la vie d'autres instructeurs ?<br />La Mythologie Comparée est venue, dans les temps modernes, poser cette question ; elle est née il y a environ un siècle, ayant fait son apparition avec [114] l'Histoire Abrégée de différents cultes de Dulaure, l'Origine de tous les cultes de Dupuis, le Hindu Pantheon de Moor et l'Anacalypsis de Godfrey Higgins. Ces ouvrages furent suivis d'une foule d'autres, toujours plus scientifiques et plus exacts dans leur manière de réunir et de comparer les faits, si bien qu'il est devenu impossible, pour une personne instruite, même de mettre en doute les identités et les ressemblances qui se présentent partout. De nos jours, aucun Chrétien, à moins d'être illettré, ne voudrait soutenir que les Symboles, cérémonies et rites Chrétiens sont uniques. Parmi les personnes sans instruction, nous voyons bien encore la foi naïve marcher de pair avec l'ignorance des faits, mais, en dehors de cette catégorie, aucun Chrétien, même le plus fervent, ne nie que le Christianisme a beaucoup de points communs avec des religions plus anciennes. On sait d'ailleurs que, dans les premiers siècles "après Jésus-Christ", ces ressemblances étaient reconnues de tous et que la Mythologie Comparée moderne ne fait que répéter, avec plus de précision, ce qui était universellement admis dans l'Église Primitive. Justin martyr, par exemple, ne se lasse pas de citer les religions de son temps et, si un adversaire moderne du Christianisme voulait réunir un grand nombre de cas où la doctrine Chrétienne est identique à celle de religions plus anciennes, il ne saurait suivre de meilleurs guides que les apologistes du deuxième siècle. Il cite les enseignements, les récits, les Symboles Païens et s'appuie sur le fait même de leur identité à ceux du Christianisme, pour montrer qu'il ne faut pas rejeter ces derniers à la légère, comme inadmissibles. [115] "Les auteurs, dit Justin martyr, qui nous ont transmis les mythes des poètes, ne fournissent point de preuves aux jeunes gens qui les étudient. Quant à nous, nous allons démontrer qu'ils sont dus à l'inspiration de méchants démons et destinés à tromper et à dévoyer la race humaine. Car, ayant entendu proclamer par les prophètes la venue du Christ et le châtiment par le feu des hommes impies, ces démons firent apparaitre certains hommes sous le nom de fils de Jupiter, espérant par-là donner l'impression que ce qu'on dit du Christ n'est qu'un conte merveilleux du même genre que les récits des poètes." "À vrai dire, les démons, ayant entendu le prophète prescrire ces ablutions, inspirèrent à ceux qui pénètrent dans leurs temples pour offrir des libations et des holocaustes, l'idée de s'asperger de la même façon ; ils ont amené de même leurs fidèles à se laver entièrement en quittant le temple." "Les méchants démons l'ont imitée (la Cène) dans les mystères de Mithra et prescrivent de célébrer un rite analogue 174." "Quant à moi, je ris en découvrant le méchant déguisement dont les esprits malins ont affublé les doctrines divines du Christianisme, afin d'en détourner les autres hommes 175."<br />Ces identités étaient donc regardées comme l'oeuvre des démons – comme des copies d'originaux Chrétiens répandues à profusion dans le monde, antérieurement au Christ, pour nuire à la réception de la vérité quand elle apparaitrait. Il est difficile de voir [116] dans les doctrines les plus anciennes des copies et dans les plus récentes les originaux – mais, sans discuter avec Justin martyr, si les copies ont précédé les originaux, ou les originaux les copies, nous acceptons son témoignage quand il déclare que ces identités existaient entre les croyances répandues à cette époque dans l'Empire Romain et la religion nouvelle qu'il défendait lui-même.<br />Tertullien est tout aussi catégorique ; il mentionne en ces termes l'objection faite, de son temps également, au Christianisme : "Les peuples qui n'ont aucune notion de ce que l'Esprit peut accomplir attribuent à leurs idoles la faculté de communiquer à l'eau des propriétés identiques." – "Je reconnais le fait, répond très franchement Tertullien, mais ces gens-là emploient, sans s'en douter, une eau privée de toute efficacité. Certaines ablutions accompagnent en effet leur initiation à des rites sacrés propres à une Isis ou à un Mithra célèbres ; ils honorent les Dieux eux-mêmes par des ablutions… Aux jeux Apollinaires et Éleunisiens ils sont baptisés et supposent qu'ils obtiendront ainsi la régénération et la rémission des peines méritées par leurs parjures. Nous reconnaissons le fait et constatons ici encore le zèle du diable cherchant à imiter les choses de Dieu en baptisant, lui aussi, ses serviteurs 176."</p> <p style="text-align: center;"><em>174 Vol. II, Justin Martyr, Première Apologie, §§, liv. LXII et LXXI.</em><br /><em>175 Vol. II, Justin Martyr, Deuxième Apologie, § XIII.</em><br /><em>176 TERTULLIEN, Du Baptême, ch. V.</em></p> <p style="text-align: center;">Pour résoudre le problème de ces identités, il faut étudier le Christ Mythique – le Christ des mythes ou légendes solaires – car ces mythes sont les formes [117] pittoresques sous lesquelles ont été données au monde certaines vérités profondes.<br />Or, un "mythe" ne répond en aucune façon à l'idée qu'on s'en fait généralement ; ce n'est pas une histoire fantastique reposant sur un fait ou même dépourvue de toute base réelle. Le mythe est infiniment plus vrai que l'histoire ; l'histoire ne nous montre que des ombres, le mythe nous parle des corps qui les produisent. "Ce qui est en haut est analogue à ce qui est en bas…" Nous pouvons ajouter que ce qui est en haut précède ce qui est en bas. Notre système a été édifié suivant certains grands principes ; ces principes, des lois déterminées en assurent l'application détaillée ; certains Êtres personnifient ces principes ; les lois sont Leurs modes d'action. D'innombrables êtres de grade inférieur servent de véhicules – d'agents – d'instruments à leurs activités ; parmi ces derniers se trouvent des Égos humains qui leur sont associés dans cette tâche et jouent un rôle dans le grand drame cosmique. Tous ces travailleurs, appartenant aux mondes invisibles, projettent leurs ombres sur la matière physique, et ces ombres sont des "choses", les corps, les objets qui composent l'univers physique. Ces ombres ne donnent qu'une pauvre idée des objets dont elles proviennent ; ce ne sont que des silhouettes présentant, au lieu de détails, une obscurité uniforme ; elles ont une longueur et une largeur, mais aucune profondeur.<br />L'histoire est un récit, très imparfait et souvent défiguré, du jeu capricieux de ces ombres dans le monde irréel de la matière physique. Il suffit d'avoir [118] vu des ombres chinoises habilement réglées et d'avoir comparé les mouvements exécutés derrière l'écran où se projettent les ombres au jeu des ombres sur l'écran, pour se faire une idée très nette de la nature illusoire des ombres-actions et pouvoir en déduire plusieurs analogies suggestives 177.</p> <p style="text-align: center;"><em>177 L'étudiant lirait avec avantage les pages de Platon sur la "Caverne et ses habitants", en se rappelant que Platon était un Initié (République, 1. VII).</em></p> <p style="text-align: center;">Le mythe est le récit des mouvements de ceux qui projettent leurs ombres, et le langage employé pour ce récit est ce qu'on appelle le langage symbolique. Ici-bas nous employons des mots pour représenter les objets ; le mot "table", par exemple, est le symbole d'un objet déterminé d'un certain genre. Or, sur des plans plus élevés, les symboles représentent également des objets ; ils constituent un alphabet pittoresque employé par tous les auteurs de mythes, et chacun possède un sens déterminé. Un symbole sert à représenter un certain objet, tout comme nos mots servent à distinguer les objets entre eux. La connaissance des symboles est donc nécessaire pour lire un mythe ; car les premiers auteurs des grands mythes ont toujours été des Initiés, habitués à employer le langage symbolique et qui naturellement emploient les symboles dans leur sens fixe et conventionnel.<br />Un symbole offre un sens principal, puis différents sens secondaires qui se rattachent au premier. Le Soleil, par exemple, est le symbole du Logos ; c'est là son sens principal ou primaire. Mais le Soleil marque aussi l'incarnation du Logos – ou encore l'un quelconque des grands Envoyés qui Le représentent [119] momentanément – comme un ambassadeur représente son Roi. Les grands Initiés chargés de missions spéciales, qui S'incarnent parmi les hommes et vivent avec eux pendant quelque temps, comme Rois ou Instructeurs, seraient désignés par le symbole du Soleil. Individuellement parlant, ce symbole ne leur appartient pas, mais il leur est conféré par leur dignité.<br />Tous ceux qui sont représentés par ce symbole offrent certaines particularités, se trouvent dans certaines situations, suivent certains modes d'activité pendant leurs vies terrestres. Le Soleil est l'ombre physique ou, comme il est appelé, le corps du Logos ; par suite, son cours annuel représente Son activité, mais d'une manière imparfaite : telle une ombre représentant les mouvements de l'objet qui la cause. Le Logos, "le Fils de Dieu" descendu sur le plan matériel, a pour ombre le cours annuel du Soleil ; cette vérité nous est présentée dans le Mythe Solaire. De même, une incarnation du Logos, ou de l'un de Ses grands ambassadeurs, représentera aussi comme une ombre, dans Son corps d'homme, cette activité du Logos. Les biographies de ces ambassadeurs offrent donc forcément des points identiques. Bien plus, l'absence de ces points indiquerait immédiatement que la personne en question n'était pas un ambassadeur plénipotentiaire, mais que sa mission était moins haute.<br />Le Mythe Solaire est donc un récit exposant tout d'abord l'activité du Logos ou Verbe dans le Cosmos ; subsidiairement, il raconte la vie d'un être qui est, soit une incarnation du Logos, soit un de Ses ambassadeurs. [120] Le Héros du mythe est généralement représenté comme un Dieu ou Demi-Dieu, et sa carrière – comme l'aura fait comprendre ce qui précède – sera déterminée par le cours du Soleil, cet astre étant l'ombre du Logos. La partie du trajet parcourue pendant la vie humaine est celle qui tombe entre le solstice d'hiver et l'arrivée au zénith, en été. Le Héros nait au solstice d'hiver, meurt à l'équinoxe de printemps et, vainqueur de la mort, monte au ciel.<br />À cet égard, la citation suivante est intéressante, bien que l'auteur, se plaçant à un point de vue plus général, envisage le mythe comme une allégorie représentant des vérités sous-jacentes :<br />"La légende", a dit Alfred de Vigny, "est souvent plus vraie que l'histoire, car elle ne raconte pas des faits souvent incomplets et avortés, mais le génie même de grands hommes et de grandes nations." – Cette belle pensée peut s'appliquer admirablement à l'Évangile, car l'Évangile n'est pas seulement le récit du passé, c'est encore le récit de tout ce qui est et de tout ce qui sera éternellement. Toujours le Sauveur du monde sera adoré par les rois de l'intelligence, représentés par les Mages. Toujours Il multipliera le pain Eucharistique pour nourrir et réconforter les âmes ; toujours, quand nous L'invoquerons dans la nuit et dans la tempête, Il viendra vers nous, marchant sur les eaux ; toujours Il étendra Sa main pour nous faire franchir la crête des vagues ; toujours Il guérira nos maladies et nous rendra la lumière ; toujours, à Ses fidèles, Il apparaitra lumineux et [121] transfiguré, sur le Thabor, interprétant la loi de Moïse et modérant le zèle d'Elie 178."<br />Comme nous le verrons, les Mythes sont intimement liés aux Mystères, car les Mystères consistaient, en partie, à montrer dans des tableaux animés les évènements des mondes supérieurs prenant corps dans les mythes. Dans les pseudo-Mystères, des fragments incomplets des tableaux animés montrés dans les véritables Mystères étaient même représentés dans un drame et sur une scène, par des acteurs. Beaucoup de mythes secondaires sont précisément ces drames mis en paroles.<br />Rien de plus clair, dans ces grandes lignes, que l'histoire du Dieu Solaire ; sa vie laborieuse occupe les six premiers mois de l'année solaire, les six derniers étant une période de protection et de conservation générales ; il nait toujours au solstice d'hiver, après le jour le plus court de l'année, à minuit, le 24 décembre, quand le signe Virgo s'élève au-dessus de l'horizon ; né au moment où parait ce signe, il est toujours mis au monde par une vierge qui conserve sa virginité après la naissance de l'Enfant Solaire, comme la Virgo céleste demeure intacte et pure quand, dans les cieux, elle donne naissance au Soleil. L'enfant est faible et débile comme un nouveau-né ; il est venu au monde quand les jours sont les plus courts et les nuits les plus longues (nous sommes au nord de l'équateur) ; son enfance est entourée de dangers et, tout d'abord, le règne des ténèbres est beaucoup plus [122] long que le sien ; il survit néanmoins à tous ces périls qui le menacent, et le jour <br />s'allonge à mesure que s'approche l'équinoxe de printemps ; enfin arrive le moment de son passage, la crucifixion, dont la date varie chaque année. Certaines sculptures représentent le Dieu Solaire entouré par le cercle de l'horizon ; sa tête et ses pieds touchent le cercle au nord et au sud, ses mains étendues le touchent à l'est et à l'ouest. "Il a été crucifié." Puis il s'élève triomphant et monte au ciel ; il murit l'épi et sa grappe et donne de sa propre vie pour former leur substance et par eux, le corps de ses adorateurs. Le Dieu né à l'aube du 25 décembre est toujours crucifié à l'équinoxe vernal et donne toujours sa vie pour nourrir ses adorateurs. Tels sont les caractères les plus saillants du Dieu Solaire. La date de la naissance est fixe, celle de la mort est variable, et ce fait devient des plus significatifs quand nous nous rappelons que la première répond à une position solaire fixe et la seconde à une position variable. "Pâques" est une fête variable, calculée d'après les positions relatives du soleil et de la lune. Ce serait là une manière impossible de fixer chaque année l'anniversaire d'un évènement historique, tandis que c'est une manière très naturelle, ou mieux inévitable, de calculer une fête solaire. Ces dates changeantes ne se rapportent pas à l'histoire d'un homme, mais au Héros du mythe solaire.</p> <p style="text-align: center;"><em>178 ÉLIPHAS Lévi, The Mysteries of Magic, p. 48. V. note p. 92 (NDT).</em></p> <p style="text-align: center;">Les mêmes évènements se retrouvent dans la vie des différents Dieux Solaires, et l'antiquité nous en donne d'innombrables exemples. L'Isis Égyptienne – comme Marie de Bethléem – était Notre-Dame Immaculée, [123] l'Etoile de la Mer, la Reine du Ciel, la Mère de Dieu ; nous la voyons représentée debout sur le croissant, couronnée d'étoiles ; elle nourrit le jeune Horus, et la chaise où la mère est assise, l'enfant sur ses genoux, porte une croix sur le revers du dossier. La Virgo du Zodiaque est représentée, dans certains dessins anciens, comme une femme allaitant un enfant ; elle est le type de toutes les Madones à venir, portant des Enfants divins, et montre l'origine du symbole ; Devaki est, de même, représentée tenant dans ses bras le divin Krishna, comme l'est également Mylitta ou Istar à Babylone, toujours avec la couronne d'étoiles ; l'enfant Tammuz est sur ses genoux. Mercure et Hercule, Persée et les Dioscures, Mithra et Zarathoustra étaient tous de naissance à la fois divine et humaine.<br />Le rapport entre le solstice d'hiver et Jésus est également significatif. La naissance de Mithra était célébrée, au solstice d'hiver, avec de grandes réjouissances ; Horus, lui aussi était né à cette date : "Sa naissance est un des plus grands mystères de la religion (Égyptienne). Des peintures murales la représentant se trouvaient dans les temples… Il était le fils de la Divinité. Á Noël, ou le jour correspondant à notre fête, son image était portée hors du sanctuaire avec des cérémonies spéciales, comme à Rome l'image du Bambino est encore portée hors des églises et montrée en public 179." [124]<br />Relativement au choix du 25 décembre comme date de la naissance de Jésus, Williamson s'exprime en ces termes :<br />"Tous les chrétiens savent que le 25 décembre est maintenant la fête, reconnue, de la naissance de Jésus, mais peu de personnes savent qu'il n'en a pas toujours été ainsi. Cent trente-six dates différentes, dit-on, furent choisies par différentes sectes chrétiennes. Lightfoot place cet évènement au 15 septembre, d'autres en février ou aout. Épiphane mentionne deux sectes dont l'une célébrait Noël en juin, l'autre en juillet. La question fut définitivement réglée par le pape Jules Ier, en 337 ap. JC ; et saint Chrysostome, écrivant en 390, dit : "À Rome ce jour-là (c'est-à-dire le 25 décembre) vient aussi d'être choisi comme celui de la naissance de Christ afin que les païens, étant occupés par leurs cérémonies (les Brumalia, en l'honneur de Bacchus), – les Chrétiens puissent célébrer leurs propres rites sans être molestés". Gibbon, dans la Décadence et la Chute de l'Empire Romain, dit aussi : "Les Romains (Chrétiens), tout aussi ignorants que leurs frères relativement à la date de Sa naissance (celle du Christ), choisirent pour la fêter solennellement, le 25 décembre, moment des Brumalia du solstice d'hiver où les Païens célèbrent chaque année la naissance du Soleil." King, dans Gnostics and their remains, dit à son tour : "L'antique fête célébrée le 25 décembre en l'honneur de la naissance de l'Être Invincible 180, et marquée [125] par les grands jeux au Cirque, se rapporta ensuite à la commémoration de la naissance de Christ, dont la date exacte, comme l'avouent de nombreux Pères de l'Église était alors, comme aujourd'hui, inconnue." De nos jours enfin, suivant le Chanoine Farrar : "Tout effort pour découvrir le mois et le jour de la Nativité est inutile. Nous n'avons aucune donnée qui nous permette de les déterminer, même d'une manière approximative." Nous pouvons conclure de ce qui précède que la fête du solstice d'hiver a été, dans l'antiquité, célébrée dans les pays les plus éloignés les uns des autres, en l'honneur de la naissance d'un Dieu qu'on appelle presque invariablement un Sauveur et dont la mère est nommée Vierge immaculée. Enfin, les ressemblances frappantes dont nous avons donné des exemples, non seulement entre les naissances, mais aussi entre les vies de ces Dieux Sauveurs, sont beaucoup trop nombreuses pour s'expliquer par une simple coïncidence 181."<br />En ce qui concerne le Bouddha, il nous est possible de constater la manière dont un mythe s'attache à un personnage historique. L'histoire de Sa vie est bien connue et, dans la plupart des récits Indiens, Sa naissance est simplement celle d'un homme ; mais d'après la relation Chinoise, II est né d'une vierge – Mâyâdevi – le mythe archaïque trouvant en Lui un nouveau Héros. [126]<br />Williamson nous dit aussi que, chez les peuples Celtiques, on allumait et on allume encore des feux sur les collines ; ces feux, que les Irlandais et les montagnards Ecossais appellent Bheil ou Baaltinne, portent ainsi le nom de Bel, Bal ou Baal – l'ancienne divinité des Celtes – le Dieu-Soleil – bien qu'ils soient maintenant allumés en l'honneur du Christ 182.<br />Envisagée sous son véritable jour, la fête de Noël ne pourrait que présenter de nouveaux motifs de se réjouir et un caractère plus sacré, puisque les serviteurs de Christ, y voyant la répétition d'une antique solennité, la retrouveraient dans le monde entier et loin – bien loin – en remontant le cours des siècles. Les cloches de Noël résonnent donc à travers l'histoire de l'humanité, et la nuit des temps nous renvoie l'écho de leurs harmonies vibrantes. Ce n'est pas la possession exclusive, mais bien l'acceptation universelle qui est la marque distinctive de la vérité.</p> <p style="text-align: center;"><em>179 BONWICK, Egyptian Belief, p. 157. Cité dans The Great Law, de WILLIAMSON, p. 26.</em><br /><em>180 La fête "Natalis Solis Invicti" le jour de la naissance de l'Invincible Soleil.</em><br /><em>181 WILLIAMSON, The Great Law, pp. 40-42. Les personnes désirant étudier cette question ne sauraient mieux faire que de lire The Great Law, dont l'auteur est un homme profondément religieux et un chrétien.</em><br /><em>182 WILLIAMSON, Ibid., pp. 36, 37.</em></p> <p style="text-align: center;">La date de la mort – comme nous l'avons dit plus haut – n'est pas une date fixe comme celle de la naissance. La première est calculée d'après les positions relatives du Soleil et de la Lune à l'équinoxe de printemps, qui varie chaque année, et la mort de tous les Héros Solaires est célébrée à cette époque. L'animal qui symbolise le Héros est le signe du Zodiaque, dans lequel, à son époque, le Soleil atteint l'équinoxe vernal ; or celui-ci varie suivant la précession des équinoxes. En Assyrie, Oannes avait pour signe Pisces, le Poisson ; il était représenté sous cette forme. Mithra coïncide avec le Taureau ; aussi chevauche-t-il [127] sur un Taureau. Osiris était adoré sous la forme d'Osiris-Apis ou Sérapis – le Taureau. Á Babylone, Mérodach était adoré sous la forme d'un Taureau – comme l'était Astarté en Syrie. Quand le soleil est en Ariès – le Bélier ou l'Agneau – Osiris est représenté sous la forme du Bélier ; il en est de même d'Astarté et de Jupiter Ammon, et c'est encore le même animal qui devient le symbole de Jésus, l'Agneau de Dieu. On trouve partout sculpté, dans les catacombes, l'Agneau comme symbole de Jésus ; Il est souvent aussi représenté appuyé contre une croix. Williamson dit à ce sujet : "L'Agneau finit par être représenté sur la croix, mais ce ne fut que lors du sixième synode de Constantinople, réuni vers 680, qu'il fut décidé de remplacer le symbole primitif par une figure humaine attachée sur la croix. Ce décret fut confirmé par le pape Adrien Ier 183." Le Poisson, symbole des plus anciens, est également appliqué à Jésus, et c'est ainsi qu'Il est représenté dans les catacombes.<br />La mort et la résurrection du Héros Solaire arrive au moment – ou presque au moment – de l'équinoxe vernal, aussi invariablement que sa naissance au solstice d'hiver. C'est le moment où Osiris, tombé sous les coups de Typhon, est représenté sur le cercle de l'horizon, les bras étendus, comme un crucifié. Cette attitude indiquait primitivement, non pas la souffrance, mais la bénédiction. Chaque année, à l'équinoxe de printemps, la mort de Tammuz était pleurée en Babylonie et en Syrie ; même coutume en [128] Syrie et en Grèce pour Adonis, en Phrygie pour Attis, "représenté sous la forme d'un homme attaché, un agneau à ses pieds 184". La mort de Mithra était célébrée d'une manière analogue en Perse, et celle de Bacchus et de Dionysos – un seul et même Héros – en Grèce. Au Mexique nous retrouvons la même idée, comme toujours rappelée par la croix.<br />Dans tous ces pays, au deuil pour la mort succèdent immédiatement les réjouissances pour la résurrection. Notons, à ce propos, le fait intéressant que le mot "Easter" 185 comme l'ont constaté les chercheurs, dérive du nom d'Ishtar, vierge et mère de Tammuz immolé.</p> <p style="text-align: center;"><em>183 The Great Law, p. 116.</em><br /><em>184 The Great Law, p. 56.</em></p> <p style="text-align: center;">Il est également intéressant de constater que le jeûne précédant la mort, à l'équinoxe de printemps – notre Carême – se retrouve au Mexique, à Babylone, en Assyrie, en Égypte, en Perse, en Asie Mineure ; dans certains cas, sa durée est également de quarante jours 186.<br />Dans les Pseudo-Mystères, l'histoire du Dieu-Soleil était représentée sous la forme d'un drame ; dans les anciens Mystères, l'Initié la reproduisait dans sa propre vie ; voilà pourquoi les "mythes" solaires et les grands faits de l'Initiation se trouvèrent confondus. Voilà pourquoi, quand Christ, le Maitre, devint le Christ des Mystères, les légendes des Héros plus anciens célébrés dans ces Mystères se rattachèrent à Lui et que ces récits furent renouvelés, le plus récent des Instructeurs divins représentant dès lors le Logos solaire. Alors aussi la fête de Sa nativité [129] devint la date immémoriale où le Soleil naquit de la Vierge, où l'allégresse des armées célestes remplit le ciel de minuit, où Très tôt – très tôt – Christ est né<br />La grande légende du Soleil s'étant rattachée à la personne du Christ, le signe de l'Agneau devint celui de Sa crucifixion, comme celui de la Vierge était devenu celui de Sa nativité. Nous avons vu que, si le Taureau était consacré à Mithra et le Poisson à Oannes, l'Agneau l'était à Christ. La raison est toujours la même : l'Agneau était le signe de l'équinoxe vernal, à l'époque historique où il franchit le grand cercle de l'horizon et fut re crucifié dans l'espace.<br />Ces Mythes Solaires, qui se répètent à travers les âges, chaque fois avec un Héros de nom différent, l'étudiant ne peut les méconnaitre, bien qu'ils puissent, naturellement et à juste titre, être ignorés de l'adorateur. Sont-ils employés comme une arme pour amoindrir ou détruire la majestueuse figure du Christ, il faut, non pas nier les faits, mais comprendre le sens profond de ces récits et les vérités spirituelles exprimées d'une manière voilée par ces légendes.<br />Pourquoi ces légendes se sont-elles mêlées à l'histoire de Jésus ? Pourquoi se sont-elles cristallisées autour de Lui, personnage historique ?<br /><br />Ces récits ne se rapportent pas, au fond, à un homme déterminé nommé Jésus, mais bien au Christ universel – à un homme symbolisant un Être Divin et représentant une vérité naturelle fondamentale – à un homme investi d'une certaine charge, placé vis-à-vis de l'humanité dans certaines conditions caractéristiques, ayant [130] avec elle des rapports particuliers qui se renouvèlent d'âge en âge, à mesure que les générations succèdent aux générations, les races aux races. Jésus est donc, comme tous Ses prédécesseurs, "le Fils de l'Homme", titre particulier et distinctif, celui d'une fonction et non d'un individu. Le Christ du Mythe Solaire était le Christ des Mystères et nous trouvons dans le Christ mythique le secret du Christ mystique.</p> <p style="text-align: center;"><em>185 Easter est le nom de Pâques en anglais (NDT).</em><br /><em>186 The Great Law, pp. 120-123.</em></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>CHAPITRE V </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>— </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LE CHRIST MYTHIQUE</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Nous avons déjà vu comment la Mythologie Comparée sert d'arme pour combattre la Religion ; ses coups les plus dangereux ont été portés contre le Christ. La mise au monde par une Vierge le "Jour de Noël", le massacre des Innocents, les miracles du Christ et Ses enseignements, Sa crucifixion, Sa résurrection et Son ascension, tous ces évènements que présente l'histoire de Sa vie, on nous les montre de même dans les récits d'autres vies et ces identités servent d'argument pour mettre en doute son existence historique. En ce qui concerne les miracles et la doctrine, nous n'insisterons pas. La plupart des grands Instructeurs, nous le reconnaissons, ont accompli des actes qui, sur le plan physique, semblent miraculeux à Leurs contemporains, mais – comme les occultistes le savent – sont dus à l'emploi de facultés propres à tout Initié au-dessus d'un certain grade. Nous reconnaissons aussi que la doctrine de Jésus ne Lui appartient pas exclusivement ; mais, si l'étudiant de la Mythologie Comparée croit avoir [113] prouvé que l'inspiration divine n'existe pas, en montrant l'identité des enseignements moraux donnés par Manou, par le Bouddha, par Jésus, l'occultiste déclare que Jésus devait forcément répéter les enseignements de Ses prédécesseurs, puisqu'Il était envoyé par la même Loge. Les vérités profondes concernant l'Esprit Divin et l'Esprit Humain étaient aussi absolues vingt mille ans avant la naissance de Jésus en Palestine qu'après Sa venue. Affirmer que le monde a été privé d'une semblable doctrine et que l'homme a été laissé dans les ténèbres morales depuis son origine jusqu'à une époque plus ancienne que la nôtre de vingt siècles, équivaut à dire qu'il y avait une humanité sans Maitre, des enfants sans Père, des âmes demandant à grands cris la lumière, au sein de ténèbres qui restaient muettes – idée aussi blasphématoire envers Dieu qu'elle est désolante pour l'homme – théorie contredite par l'apparition de tant de Sages, par l'existence de littératures sublimes, pendant des milliers de siècles, avant l'avènement du Christ.<br />Reconnaissant donc en Jésus le Grand Maitre de l'Occident, le messager suprême envoyé par la Loge au monde occidental, il nous reste à résoudre une difficulté qui a détaché beaucoup de personnes du Christianisme. Pourquoi les fêtes commémoratives d'évènements arrivés dans la vie de Jésus se retrouvent-elles dans les religions plus anciennes que le Christianisme et y rappellent-elles des évènements identiques survenus dans la vie d'autres instructeurs ?<br />La Mythologie Comparée est venue, dans les temps modernes, poser cette question ; elle est née il y a environ un siècle, ayant fait son apparition avec [114] l'Histoire Abrégée de différents cultes de Dulaure, l'Origine de tous les cultes de Dupuis, le Hindu Pantheon de Moor et l'Anacalypsis de Godfrey Higgins. Ces ouvrages furent suivis d'une foule d'autres, toujours plus scientifiques et plus exacts dans leur manière de réunir et de comparer les faits, si bien qu'il est devenu impossible, pour une personne instruite, même de mettre en doute les identités et les ressemblances qui se présentent partout. De nos jours, aucun Chrétien, à moins d'être illettré, ne voudrait soutenir que les Symboles, cérémonies et rites Chrétiens sont uniques. Parmi les personnes sans instruction, nous voyons bien encore la foi naïve marcher de pair avec l'ignorance des faits, mais, en dehors de cette catégorie, aucun Chrétien, même le plus fervent, ne nie que le Christianisme a beaucoup de points communs avec des religions plus anciennes. On sait d'ailleurs que, dans les premiers siècles "après Jésus-Christ", ces ressemblances étaient reconnues de tous et que la Mythologie Comparée moderne ne fait que répéter, avec plus de précision, ce qui était universellement admis dans l'Église Primitive. Justin martyr, par exemple, ne se lasse pas de citer les religions de son temps et, si un adversaire moderne du Christianisme voulait réunir un grand nombre de cas où la doctrine Chrétienne est identique à celle de religions plus anciennes, il ne saurait suivre de meilleurs guides que les apologistes du deuxième siècle. Il cite les enseignements, les récits, les Symboles Païens et s'appuie sur le fait même de leur identité à ceux du Christianisme, pour montrer qu'il ne faut pas rejeter ces derniers à la légère, comme inadmissibles. [115] "Les auteurs, dit Justin martyr, qui nous ont transmis les mythes des poètes, ne fournissent point de preuves aux jeunes gens qui les étudient. Quant à nous, nous allons démontrer qu'ils sont dus à l'inspiration de méchants démons et destinés à tromper et à dévoyer la race humaine. Car, ayant entendu proclamer par les prophètes la venue du Christ et le châtiment par le feu des hommes impies, ces démons firent apparaitre certains hommes sous le nom de fils de Jupiter, espérant par-là donner l'impression que ce qu'on dit du Christ n'est qu'un conte merveilleux du même genre que les récits des poètes." "À vrai dire, les démons, ayant entendu le prophète prescrire ces ablutions, inspirèrent à ceux qui pénètrent dans leurs temples pour offrir des libations et des holocaustes, l'idée de s'asperger de la même façon ; ils ont amené de même leurs fidèles à se laver entièrement en quittant le temple." "Les méchants démons l'ont imitée (la Cène) dans les mystères de Mithra et prescrivent de célébrer un rite analogue 174." "Quant à moi, je ris en découvrant le méchant déguisement dont les esprits malins ont affublé les doctrines divines du Christianisme, afin d'en détourner les autres hommes 175."<br />Ces identités étaient donc regardées comme l'oeuvre des démons – comme des copies d'originaux Chrétiens répandues à profusion dans le monde, antérieurement au Christ, pour nuire à la réception de la vérité quand elle apparaitrait. Il est difficile de voir [116] dans les doctrines les plus anciennes des copies et dans les plus récentes les originaux – mais, sans discuter avec Justin martyr, si les copies ont précédé les originaux, ou les originaux les copies, nous acceptons son témoignage quand il déclare que ces identités existaient entre les croyances répandues à cette époque dans l'Empire Romain et la religion nouvelle qu'il défendait lui-même.<br />Tertullien est tout aussi catégorique ; il mentionne en ces termes l'objection faite, de son temps également, au Christianisme : "Les peuples qui n'ont aucune notion de ce que l'Esprit peut accomplir attribuent à leurs idoles la faculté de communiquer à l'eau des propriétés identiques." – "Je reconnais le fait, répond très franchement Tertullien, mais ces gens-là emploient, sans s'en douter, une eau privée de toute efficacité. Certaines ablutions accompagnent en effet leur initiation à des rites sacrés propres à une Isis ou à un Mithra célèbres ; ils honorent les Dieux eux-mêmes par des ablutions… Aux jeux Apollinaires et Éleunisiens ils sont baptisés et supposent qu'ils obtiendront ainsi la régénération et la rémission des peines méritées par leurs parjures. Nous reconnaissons le fait et constatons ici encore le zèle du diable cherchant à imiter les choses de Dieu en baptisant, lui aussi, ses serviteurs 176."</p> <p style="text-align: center;"><em>174 Vol. II, Justin Martyr, Première Apologie, §§, liv. LXII et LXXI.</em><br /><em>175 Vol. II, Justin Martyr, Deuxième Apologie, § XIII.</em><br /><em>176 TERTULLIEN, Du Baptême, ch. V.</em></p> <p style="text-align: center;">Pour résoudre le problème de ces identités, il faut étudier le Christ Mythique – le Christ des mythes ou légendes solaires – car ces mythes sont les formes [117] pittoresques sous lesquelles ont été données au monde certaines vérités profondes.<br />Or, un "mythe" ne répond en aucune façon à l'idée qu'on s'en fait généralement ; ce n'est pas une histoire fantastique reposant sur un fait ou même dépourvue de toute base réelle. Le mythe est infiniment plus vrai que l'histoire ; l'histoire ne nous montre que des ombres, le mythe nous parle des corps qui les produisent. "Ce qui est en haut est analogue à ce qui est en bas…" Nous pouvons ajouter que ce qui est en haut précède ce qui est en bas. Notre système a été édifié suivant certains grands principes ; ces principes, des lois déterminées en assurent l'application détaillée ; certains Êtres personnifient ces principes ; les lois sont Leurs modes d'action. D'innombrables êtres de grade inférieur servent de véhicules – d'agents – d'instruments à leurs activités ; parmi ces derniers se trouvent des Égos humains qui leur sont associés dans cette tâche et jouent un rôle dans le grand drame cosmique. Tous ces travailleurs, appartenant aux mondes invisibles, projettent leurs ombres sur la matière physique, et ces ombres sont des "choses", les corps, les objets qui composent l'univers physique. Ces ombres ne donnent qu'une pauvre idée des objets dont elles proviennent ; ce ne sont que des silhouettes présentant, au lieu de détails, une obscurité uniforme ; elles ont une longueur et une largeur, mais aucune profondeur.<br />L'histoire est un récit, très imparfait et souvent défiguré, du jeu capricieux de ces ombres dans le monde irréel de la matière physique. Il suffit d'avoir [118] vu des ombres chinoises habilement réglées et d'avoir comparé les mouvements exécutés derrière l'écran où se projettent les ombres au jeu des ombres sur l'écran, pour se faire une idée très nette de la nature illusoire des ombres-actions et pouvoir en déduire plusieurs analogies suggestives 177.</p> <p style="text-align: center;"><em>177 L'étudiant lirait avec avantage les pages de Platon sur la "Caverne et ses habitants", en se rappelant que Platon était un Initié (République, 1. VII).</em></p> <p style="text-align: center;">Le mythe est le récit des mouvements de ceux qui projettent leurs ombres, et le langage employé pour ce récit est ce qu'on appelle le langage symbolique. Ici-bas nous employons des mots pour représenter les objets ; le mot "table", par exemple, est le symbole d'un objet déterminé d'un certain genre. Or, sur des plans plus élevés, les symboles représentent également des objets ; ils constituent un alphabet pittoresque employé par tous les auteurs de mythes, et chacun possède un sens déterminé. Un symbole sert à représenter un certain objet, tout comme nos mots servent à distinguer les objets entre eux. La connaissance des symboles est donc nécessaire pour lire un mythe ; car les premiers auteurs des grands mythes ont toujours été des Initiés, habitués à employer le langage symbolique et qui naturellement emploient les symboles dans leur sens fixe et conventionnel.<br />Un symbole offre un sens principal, puis différents sens secondaires qui se rattachent au premier. Le Soleil, par exemple, est le symbole du Logos ; c'est là son sens principal ou primaire. Mais le Soleil marque aussi l'incarnation du Logos – ou encore l'un quelconque des grands Envoyés qui Le représentent [119] momentanément – comme un ambassadeur représente son Roi. Les grands Initiés chargés de missions spéciales, qui S'incarnent parmi les hommes et vivent avec eux pendant quelque temps, comme Rois ou Instructeurs, seraient désignés par le symbole du Soleil. Individuellement parlant, ce symbole ne leur appartient pas, mais il leur est conféré par leur dignité.<br />Tous ceux qui sont représentés par ce symbole offrent certaines particularités, se trouvent dans certaines situations, suivent certains modes d'activité pendant leurs vies terrestres. Le Soleil est l'ombre physique ou, comme il est appelé, le corps du Logos ; par suite, son cours annuel représente Son activité, mais d'une manière imparfaite : telle une ombre représentant les mouvements de l'objet qui la cause. Le Logos, "le Fils de Dieu" descendu sur le plan matériel, a pour ombre le cours annuel du Soleil ; cette vérité nous est présentée dans le Mythe Solaire. De même, une incarnation du Logos, ou de l'un de Ses grands ambassadeurs, représentera aussi comme une ombre, dans Son corps d'homme, cette activité du Logos. Les biographies de ces ambassadeurs offrent donc forcément des points identiques. Bien plus, l'absence de ces points indiquerait immédiatement que la personne en question n'était pas un ambassadeur plénipotentiaire, mais que sa mission était moins haute.<br />Le Mythe Solaire est donc un récit exposant tout d'abord l'activité du Logos ou Verbe dans le Cosmos ; subsidiairement, il raconte la vie d'un être qui est, soit une incarnation du Logos, soit un de Ses ambassadeurs. [120] Le Héros du mythe est généralement représenté comme un Dieu ou Demi-Dieu, et sa carrière – comme l'aura fait comprendre ce qui précède – sera déterminée par le cours du Soleil, cet astre étant l'ombre du Logos. La partie du trajet parcourue pendant la vie humaine est celle qui tombe entre le solstice d'hiver et l'arrivée au zénith, en été. Le Héros nait au solstice d'hiver, meurt à l'équinoxe de printemps et, vainqueur de la mort, monte au ciel.<br />À cet égard, la citation suivante est intéressante, bien que l'auteur, se plaçant à un point de vue plus général, envisage le mythe comme une allégorie représentant des vérités sous-jacentes :<br />"La légende", a dit Alfred de Vigny, "est souvent plus vraie que l'histoire, car elle ne raconte pas des faits souvent incomplets et avortés, mais le génie même de grands hommes et de grandes nations." – Cette belle pensée peut s'appliquer admirablement à l'Évangile, car l'Évangile n'est pas seulement le récit du passé, c'est encore le récit de tout ce qui est et de tout ce qui sera éternellement. Toujours le Sauveur du monde sera adoré par les rois de l'intelligence, représentés par les Mages. Toujours Il multipliera le pain Eucharistique pour nourrir et réconforter les âmes ; toujours, quand nous L'invoquerons dans la nuit et dans la tempête, Il viendra vers nous, marchant sur les eaux ; toujours Il étendra Sa main pour nous faire franchir la crête des vagues ; toujours Il guérira nos maladies et nous rendra la lumière ; toujours, à Ses fidèles, Il apparaitra lumineux et [121] transfiguré, sur le Thabor, interprétant la loi de Moïse et modérant le zèle d'Elie 178."<br />Comme nous le verrons, les Mythes sont intimement liés aux Mystères, car les Mystères consistaient, en partie, à montrer dans des tableaux animés les évènements des mondes supérieurs prenant corps dans les mythes. Dans les pseudo-Mystères, des fragments incomplets des tableaux animés montrés dans les véritables Mystères étaient même représentés dans un drame et sur une scène, par des acteurs. Beaucoup de mythes secondaires sont précisément ces drames mis en paroles.<br />Rien de plus clair, dans ces grandes lignes, que l'histoire du Dieu Solaire ; sa vie laborieuse occupe les six premiers mois de l'année solaire, les six derniers étant une période de protection et de conservation générales ; il nait toujours au solstice d'hiver, après le jour le plus court de l'année, à minuit, le 24 décembre, quand le signe Virgo s'élève au-dessus de l'horizon ; né au moment où parait ce signe, il est toujours mis au monde par une vierge qui conserve sa virginité après la naissance de l'Enfant Solaire, comme la Virgo céleste demeure intacte et pure quand, dans les cieux, elle donne naissance au Soleil. L'enfant est faible et débile comme un nouveau-né ; il est venu au monde quand les jours sont les plus courts et les nuits les plus longues (nous sommes au nord de l'équateur) ; son enfance est entourée de dangers et, tout d'abord, le règne des ténèbres est beaucoup plus [122] long que le sien ; il survit néanmoins à tous ces périls qui le menacent, et le jour <br />s'allonge à mesure que s'approche l'équinoxe de printemps ; enfin arrive le moment de son passage, la crucifixion, dont la date varie chaque année. Certaines sculptures représentent le Dieu Solaire entouré par le cercle de l'horizon ; sa tête et ses pieds touchent le cercle au nord et au sud, ses mains étendues le touchent à l'est et à l'ouest. "Il a été crucifié." Puis il s'élève triomphant et monte au ciel ; il murit l'épi et sa grappe et donne de sa propre vie pour former leur substance et par eux, le corps de ses adorateurs. Le Dieu né à l'aube du 25 décembre est toujours crucifié à l'équinoxe vernal et donne toujours sa vie pour nourrir ses adorateurs. Tels sont les caractères les plus saillants du Dieu Solaire. La date de la naissance est fixe, celle de la mort est variable, et ce fait devient des plus significatifs quand nous nous rappelons que la première répond à une position solaire fixe et la seconde à une position variable. "Pâques" est une fête variable, calculée d'après les positions relatives du soleil et de la lune. Ce serait là une manière impossible de fixer chaque année l'anniversaire d'un évènement historique, tandis que c'est une manière très naturelle, ou mieux inévitable, de calculer une fête solaire. Ces dates changeantes ne se rapportent pas à l'histoire d'un homme, mais au Héros du mythe solaire.</p> <p style="text-align: center;"><em>178 ÉLIPHAS Lévi, The Mysteries of Magic, p. 48. V. note p. 92 (NDT).</em></p> <p style="text-align: center;">Les mêmes évènements se retrouvent dans la vie des différents Dieux Solaires, et l'antiquité nous en donne d'innombrables exemples. L'Isis Égyptienne – comme Marie de Bethléem – était Notre-Dame Immaculée, [123] l'Etoile de la Mer, la Reine du Ciel, la Mère de Dieu ; nous la voyons représentée debout sur le croissant, couronnée d'étoiles ; elle nourrit le jeune Horus, et la chaise où la mère est assise, l'enfant sur ses genoux, porte une croix sur le revers du dossier. La Virgo du Zodiaque est représentée, dans certains dessins anciens, comme une femme allaitant un enfant ; elle est le type de toutes les Madones à venir, portant des Enfants divins, et montre l'origine du symbole ; Devaki est, de même, représentée tenant dans ses bras le divin Krishna, comme l'est également Mylitta ou Istar à Babylone, toujours avec la couronne d'étoiles ; l'enfant Tammuz est sur ses genoux. Mercure et Hercule, Persée et les Dioscures, Mithra et Zarathoustra étaient tous de naissance à la fois divine et humaine.<br />Le rapport entre le solstice d'hiver et Jésus est également significatif. La naissance de Mithra était célébrée, au solstice d'hiver, avec de grandes réjouissances ; Horus, lui aussi était né à cette date : "Sa naissance est un des plus grands mystères de la religion (Égyptienne). Des peintures murales la représentant se trouvaient dans les temples… Il était le fils de la Divinité. Á Noël, ou le jour correspondant à notre fête, son image était portée hors du sanctuaire avec des cérémonies spéciales, comme à Rome l'image du Bambino est encore portée hors des églises et montrée en public 179." [124]<br />Relativement au choix du 25 décembre comme date de la naissance de Jésus, Williamson s'exprime en ces termes :<br />"Tous les chrétiens savent que le 25 décembre est maintenant la fête, reconnue, de la naissance de Jésus, mais peu de personnes savent qu'il n'en a pas toujours été ainsi. Cent trente-six dates différentes, dit-on, furent choisies par différentes sectes chrétiennes. Lightfoot place cet évènement au 15 septembre, d'autres en février ou aout. Épiphane mentionne deux sectes dont l'une célébrait Noël en juin, l'autre en juillet. La question fut définitivement réglée par le pape Jules Ier, en 337 ap. JC ; et saint Chrysostome, écrivant en 390, dit : "À Rome ce jour-là (c'est-à-dire le 25 décembre) vient aussi d'être choisi comme celui de la naissance de Christ afin que les païens, étant occupés par leurs cérémonies (les Brumalia, en l'honneur de Bacchus), – les Chrétiens puissent célébrer leurs propres rites sans être molestés". Gibbon, dans la Décadence et la Chute de l'Empire Romain, dit aussi : "Les Romains (Chrétiens), tout aussi ignorants que leurs frères relativement à la date de Sa naissance (celle du Christ), choisirent pour la fêter solennellement, le 25 décembre, moment des Brumalia du solstice d'hiver où les Païens célèbrent chaque année la naissance du Soleil." King, dans Gnostics and their remains, dit à son tour : "L'antique fête célébrée le 25 décembre en l'honneur de la naissance de l'Être Invincible 180, et marquée [125] par les grands jeux au Cirque, se rapporta ensuite à la commémoration de la naissance de Christ, dont la date exacte, comme l'avouent de nombreux Pères de l'Église était alors, comme aujourd'hui, inconnue." De nos jours enfin, suivant le Chanoine Farrar : "Tout effort pour découvrir le mois et le jour de la Nativité est inutile. Nous n'avons aucune donnée qui nous permette de les déterminer, même d'une manière approximative." Nous pouvons conclure de ce qui précède que la fête du solstice d'hiver a été, dans l'antiquité, célébrée dans les pays les plus éloignés les uns des autres, en l'honneur de la naissance d'un Dieu qu'on appelle presque invariablement un Sauveur et dont la mère est nommée Vierge immaculée. Enfin, les ressemblances frappantes dont nous avons donné des exemples, non seulement entre les naissances, mais aussi entre les vies de ces Dieux Sauveurs, sont beaucoup trop nombreuses pour s'expliquer par une simple coïncidence 181."<br />En ce qui concerne le Bouddha, il nous est possible de constater la manière dont un mythe s'attache à un personnage historique. L'histoire de Sa vie est bien connue et, dans la plupart des récits Indiens, Sa naissance est simplement celle d'un homme ; mais d'après la relation Chinoise, II est né d'une vierge – Mâyâdevi – le mythe archaïque trouvant en Lui un nouveau Héros. [126]<br />Williamson nous dit aussi que, chez les peuples Celtiques, on allumait et on allume encore des feux sur les collines ; ces feux, que les Irlandais et les montagnards Ecossais appellent Bheil ou Baaltinne, portent ainsi le nom de Bel, Bal ou Baal – l'ancienne divinité des Celtes – le Dieu-Soleil – bien qu'ils soient maintenant allumés en l'honneur du Christ 182.<br />Envisagée sous son véritable jour, la fête de Noël ne pourrait que présenter de nouveaux motifs de se réjouir et un caractère plus sacré, puisque les serviteurs de Christ, y voyant la répétition d'une antique solennité, la retrouveraient dans le monde entier et loin – bien loin – en remontant le cours des siècles. Les cloches de Noël résonnent donc à travers l'histoire de l'humanité, et la nuit des temps nous renvoie l'écho de leurs harmonies vibrantes. Ce n'est pas la possession exclusive, mais bien l'acceptation universelle qui est la marque distinctive de la vérité.</p> <p style="text-align: center;"><em>179 BONWICK, Egyptian Belief, p. 157. Cité dans The Great Law, de WILLIAMSON, p. 26.</em><br /><em>180 La fête "Natalis Solis Invicti" le jour de la naissance de l'Invincible Soleil.</em><br /><em>181 WILLIAMSON, The Great Law, pp. 40-42. Les personnes désirant étudier cette question ne sauraient mieux faire que de lire The Great Law, dont l'auteur est un homme profondément religieux et un chrétien.</em><br /><em>182 WILLIAMSON, Ibid., pp. 36, 37.</em></p> <p style="text-align: center;">La date de la mort – comme nous l'avons dit plus haut – n'est pas une date fixe comme celle de la naissance. La première est calculée d'après les positions relatives du Soleil et de la Lune à l'équinoxe de printemps, qui varie chaque année, et la mort de tous les Héros Solaires est célébrée à cette époque. L'animal qui symbolise le Héros est le signe du Zodiaque, dans lequel, à son époque, le Soleil atteint l'équinoxe vernal ; or celui-ci varie suivant la précession des équinoxes. En Assyrie, Oannes avait pour signe Pisces, le Poisson ; il était représenté sous cette forme. Mithra coïncide avec le Taureau ; aussi chevauche-t-il [127] sur un Taureau. Osiris était adoré sous la forme d'Osiris-Apis ou Sérapis – le Taureau. Á Babylone, Mérodach était adoré sous la forme d'un Taureau – comme l'était Astarté en Syrie. Quand le soleil est en Ariès – le Bélier ou l'Agneau – Osiris est représenté sous la forme du Bélier ; il en est de même d'Astarté et de Jupiter Ammon, et c'est encore le même animal qui devient le symbole de Jésus, l'Agneau de Dieu. On trouve partout sculpté, dans les catacombes, l'Agneau comme symbole de Jésus ; Il est souvent aussi représenté appuyé contre une croix. Williamson dit à ce sujet : "L'Agneau finit par être représenté sur la croix, mais ce ne fut que lors du sixième synode de Constantinople, réuni vers 680, qu'il fut décidé de remplacer le symbole primitif par une figure humaine attachée sur la croix. Ce décret fut confirmé par le pape Adrien Ier 183." Le Poisson, symbole des plus anciens, est également appliqué à Jésus, et c'est ainsi qu'Il est représenté dans les catacombes.<br />La mort et la résurrection du Héros Solaire arrive au moment – ou presque au moment – de l'équinoxe vernal, aussi invariablement que sa naissance au solstice d'hiver. C'est le moment où Osiris, tombé sous les coups de Typhon, est représenté sur le cercle de l'horizon, les bras étendus, comme un crucifié. Cette attitude indiquait primitivement, non pas la souffrance, mais la bénédiction. Chaque année, à l'équinoxe de printemps, la mort de Tammuz était pleurée en Babylonie et en Syrie ; même coutume en [128] Syrie et en Grèce pour Adonis, en Phrygie pour Attis, "représenté sous la forme d'un homme attaché, un agneau à ses pieds 184". La mort de Mithra était célébrée d'une manière analogue en Perse, et celle de Bacchus et de Dionysos – un seul et même Héros – en Grèce. Au Mexique nous retrouvons la même idée, comme toujours rappelée par la croix.<br />Dans tous ces pays, au deuil pour la mort succèdent immédiatement les réjouissances pour la résurrection. Notons, à ce propos, le fait intéressant que le mot "Easter" 185 comme l'ont constaté les chercheurs, dérive du nom d'Ishtar, vierge et mère de Tammuz immolé.</p> <p style="text-align: center;"><em>183 The Great Law, p. 116.</em><br /><em>184 The Great Law, p. 56.</em></p> <p style="text-align: center;">Il est également intéressant de constater que le jeûne précédant la mort, à l'équinoxe de printemps – notre Carême – se retrouve au Mexique, à Babylone, en Assyrie, en Égypte, en Perse, en Asie Mineure ; dans certains cas, sa durée est également de quarante jours 186.<br />Dans les Pseudo-Mystères, l'histoire du Dieu-Soleil était représentée sous la forme d'un drame ; dans les anciens Mystères, l'Initié la reproduisait dans sa propre vie ; voilà pourquoi les "mythes" solaires et les grands faits de l'Initiation se trouvèrent confondus. Voilà pourquoi, quand Christ, le Maitre, devint le Christ des Mystères, les légendes des Héros plus anciens célébrés dans ces Mystères se rattachèrent à Lui et que ces récits furent renouvelés, le plus récent des Instructeurs divins représentant dès lors le Logos solaire. Alors aussi la fête de Sa nativité [129] devint la date immémoriale où le Soleil naquit de la Vierge, où l'allégresse des armées célestes remplit le ciel de minuit, où Très tôt – très tôt – Christ est né<br />La grande légende du Soleil s'étant rattachée à la personne du Christ, le signe de l'Agneau devint celui de Sa crucifixion, comme celui de la Vierge était devenu celui de Sa nativité. Nous avons vu que, si le Taureau était consacré à Mithra et le Poisson à Oannes, l'Agneau l'était à Christ. La raison est toujours la même : l'Agneau était le signe de l'équinoxe vernal, à l'époque historique où il franchit le grand cercle de l'horizon et fut re crucifié dans l'espace.<br />Ces Mythes Solaires, qui se répètent à travers les âges, chaque fois avec un Héros de nom différent, l'étudiant ne peut les méconnaitre, bien qu'ils puissent, naturellement et à juste titre, être ignorés de l'adorateur. Sont-ils employés comme une arme pour amoindrir ou détruire la majestueuse figure du Christ, il faut, non pas nier les faits, mais comprendre le sens profond de ces récits et les vérités spirituelles exprimées d'une manière voilée par ces légendes.<br />Pourquoi ces légendes se sont-elles mêlées à l'histoire de Jésus ? Pourquoi se sont-elles cristallisées autour de Lui, personnage historique ?<br /><br />Ces récits ne se rapportent pas, au fond, à un homme déterminé nommé Jésus, mais bien au Christ universel – à un homme symbolisant un Être Divin et représentant une vérité naturelle fondamentale – à un homme investi d'une certaine charge, placé vis-à-vis de l'humanité dans certaines conditions caractéristiques, ayant [130] avec elle des rapports particuliers qui se renouvèlent d'âge en âge, à mesure que les générations succèdent aux générations, les races aux races. Jésus est donc, comme tous Ses prédécesseurs, "le Fils de l'Homme", titre particulier et distinctif, celui d'une fonction et non d'un individu. Le Christ du Mythe Solaire était le Christ des Mystères et nous trouvons dans le Christ mythique le secret du Christ mystique.</p> <p style="text-align: center;"><em>185 Easter est le nom de Pâques en anglais (NDT).</em><br /><em>186 The Great Law, pp. 120-123.</em></p> CHAPITRE VI — LE CHRIST MYSTIQUE 2019-06-23T14:57:11+00:00 2019-06-23T14:57:11+00:00 http://www.hierarchie.eu/le-christianisme-esoterique-ou-les-mysteres-mineurs-par-annie-besant-1903/1110-chapitre-vi-le-christ-mystique Super User bon.christo@free.fr <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>CHAPITRE VI </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>— </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LE CHRIST MYSTIQUE</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Nous abordons maintenant le sens plus intime qui donne à l'histoire du Christ son véritable pouvoir sur le coeur humain. Nous approchons de cette inépuisable vie qui sort en bouillonnant des profondeurs d'une source invisible ; ses flots resplendissants descendent sur Celui qui la représente, et, par la vertu de ce baptême, tous les coeurs vont au Christ et sentent qu'il leur serait presque plus facile de rejeter les faits présentés par l'histoire que de nier ce qu'ils reconnaissaient intuitivement comme une vérité essentielle et suprême de la vie d'en haut. Nous nous approchons du portique sacré donnant accès aux Mystères ; nous soulevons un coin du voile qui cache le sanctuaire à nos yeux.<br />Comme nous l'avons constaté, nous trouvons reconnue partout, même aux époques les plus reculées, l'existence d'un enseignement caché – d'une doctrine secrète que communiquent, sous des conditions sévères [132] et rigoureuses, à des candidats acceptés, les Maitres de la Sagesse. Des candidats ainsi qualifiés recevaient l'initiation aux "Mystères", nom qui, dans l'antiquité, comportait, comme nous l'avons vu, tout ce qu'il y a de plus spirituel dans la religion, de plus profond dans la philosophie, de plus précieux dans la science. Autrefois tout grand Instructeur avait passé par les Mystères, et les plus grands en étaient les Hiérophantes. Tous ceux qui allèrent vers l'humanité pour lui parler des mondes invisibles avaient franchi le portail de l'Initiation et appris le secret des lèvres mêmes des Êtres Saints ; tous ceux qui parurent firent le même récit, dont les mythes solaires sont invariablement des versions identiques dans leurs grandes lignes et ne différant que par la couleur locale.<br />Ce récit est, en principe, celui de la descente du Logos au sein de la matière. C'est à juste titre que le Logos a pour symbole le Dieu-Soleil – puisque le Soleil est Son corps et qu'Il est souvent appelé "Celui qui habite dans le Soleil". Sous un de Ses aspects le Christ des Mystères et le Logos descendant dans la matière, et le grand Mythe du Soleil est cette sublime vérité sous la forme de l'enseignement populaire. Comme il arrive toujours – l'Instructeur Divin qui apporta la Sagesse Antique et la proclama de nouveau dans le monde fut considéré comme une manifestation spéciale du Logos – et le Jésus des Églises devint graduellement le centre des récits qui appartenaient à cet Être exalté. Jésus S'identifia ainsi, dans la nomenclature Chrétienne avec la Seconde Personne de la Trinité – avec le Logos ou Verbe [133] Divin 187, et les grandes dates dont parle le Mythe du Dieu-Soleil devinrent les grandes dates de l'histoire de Jésus regardé comme la Divinité incarnée – comme le "Christ Mystique". Comme, dans l'univers, ou macrocosme, le Christ des Mystères représente le Logos, la Seconde Personne de la Trinité – de même, dans l'homme, ou microcosme, Il représente le second aspect de l'Esprit Divin dans l'homme – nommé pour cette raison, dans l'homme, "le Christ 188". – Le second aspect du Christ des Mystères est donc la vie de l'Initié – la vie qui s'ouvre au postulant après la première grande Initiation marquant la naissance du Christ dans l'homme. Pour rendre cela tout à fait intelligible, il faut considérer les conditions imposées au candidat qui se présente à l'Initiation et aussi la nature de l'Esprit qui est dans l'homme.<br />Ceux-là seuls pouvaient être regardés comme candidats à l'Initiation qui étaient déjà bons, humainement parlant, et se conformaient à la loi d'une manière absolue. – Purs – saints – sans souillures – sans péché – vivant sans transgression – telles sont quelques-unes des épithètes qui leur étaient appliquées 189. De plus ils devaient être intelligents et offrir des facultés mentales bien développées et bien [134] exercées 190. L'évolution qui, dans les vies successives, a le monde pour théâtre – le développement et la soumission des facultés intellectuelles, des émotions, du sens moral – les leçons des religions exotériques – l'accomplissement des devoirs regardé comme un moyen d'avancement – les efforts pour aider et relever son prochain – tout cela constitue la vie ordinaire d'un homme qui évolue. Quand il a fait tout cela, cet homme est devenu "bon" – le "Chrêstos" des Grecs – et cette qualité, il doit l'acquérir avant de pouvoir devenir le "Christos" – l'Oint. Étant parvenu à vivre d'une manière vertueuse au point de vue exotérique, il devient candidat à la vie ésotérique et commence à se préparer à l'initiation, c'est-à-dire à satisfaire à certaines exigences.</p> <p style="text-align: center;"><em>187 Voyez à ce sujet le commencement de l'Évangile selon saint Jean, I, 1-5. Le terme Logos (la Parole), appliqué au Dieu manifesté qui façonne la matière – ("Toutes choses ont été faites par Elle") – est Platonicien, et par conséquent, dérivé directement des Mystères. Bien longtemps avant Platon, le mot Vâk – la Voix – ayant la même origine, était employé parmi les Indous.</em><br /><em>188 Ante, p. 126.</em><br /><em>189 Ante, pp. 98-99.</em><br /><em>190 Ante, p. 90.</em></p> <p style="text-align: center;">Ces exigences déterminent les qualités qu'il doit acquérir, et tant qu'il lutte pour les faire naitre en lui-même, il marche – suivant une expression quelquefois employée – dans le Sentier de la Probation – le Sentier qui mène à la "Porte Étroite", qui donne accès au "Chemin Étroit", au "Sentier de la Sainteté", au "Chemin de la Croix". Le candidat n'est pas supposé pouvoir développer ces qualités d'une manière parfaite, mais il doit les avoir poussées toutes assez loin avant que le Christ puisse naitre en lui ; il doit préparer une demeure pure à cet Enfant divin qui va grandir en lui.<br />La première de ces qualités – elles sont mentales et morales – est le Discernement. Il faut entendre [135] par-là que le postulant doit commencer à établir intellectuellement une distinction entre l'Éternel et le Temporaire – entre le Réel et l'Illusoire – entre le Céleste et le Terrestre. – Les choses visibles ne sont que pour un temps, mais les invisibles sont éternelles, dit l'Apôtre 191. Les hommes sont victimes d'une illusion permanente causée par le monde visible qui les empêche de percevoir l'invisible. Le postulant doit apprendre à distinguer entre ces deux mondes ; ce qui est irréel, pour le monde, doit devenir réel pour lui, car c'est la seule manière de marcher par la foi et non par la vue 192. – C'est encore ainsi qu'un homme devient un de ceux dont l'Apôtre parle dans ce verset : La nourriture solide est pour les hommes faits, dont la pratique a exercé les facultés à discerner ce qui est bon et mauvais 193. – Le sentiment de l'irréel doit ensuite faire naitre le Dégout de l'irréel et du passager – de ces déchets de l'existence, incapables de rassasier et qui ne sauraient assouvir que des pourceaux 194. – Ce stade, Jésus le décrit en termes énergiques : – Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs, bien plus – s'il ne hait pas sa propre vie, il ne peut être mon disciple. 195. – C'est là une parole "dure", assurément, mais de cette haine naitra un amour plus profond, plus véritable ; il faut passer par là pour atteindre la Porte Étroite. [136]</p> <p style="text-align: center;"><em>191 2 Cor. IV, 18.</em><br /><em>192 2 Cor., V, 7.</em><br /><em>193 Héb., V, 14.</em><br /><em>194 Saint Luc, XV, 16.</em><br /><em>195 Ibid., XI, 26.</em></p> <p style="text-align: center;">Le postulant doit ensuite apprendre à devenir maitre de ses pensées et, par-là, maitre de ses actions ; car, pour la vue intérieure, la pensée et l'action ne font qu'un : – Quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur 196. – Il faut acquérir la faculté d'endurer, car ceux qui aspirent à suivre "le Chemin de la Croix" devront affronter de longues et amères souffrances, et ils doivent pouvoir les endurer, comme s'ils voyaient Celui qui est invisible 197. – Aux qualités qui précèdent il faut joindre la Tolérance – pour être l'enfant de Celui qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et répand sa pluie sur les justes et sur les injustes 198 – un disciple de Celui qui invita Ses Apôtres à ne point empêcher un homme d'employer Son nom, bien qu'il ne suivît point le Maitre avec eux 199. – Le postulant doit encore acquérir la Foi, pour laquelle rien n'est impossible 200 et l'Équilibre décrit par l'Apôtre 201. – Il doit enfin ne rechercher que les choses qui sont en haut 202 et désirer avec ardeur le bonheur de voir Dieu et de s'unir à Lui 203. – Quand un homme a fait entrer ces qualités dans son caractère, il est considéré comme étant prêt pour l'Initiation, et les Gardiens des Mystères lui ouvriront la porte Étroite. [137] C'est ainsi – mais seulement ainsi – qu'il devient un candidat prêt à être agréé.<br />L'Esprit, dans l'homme, est le don du Dieu Suprême et réunit les trois aspects de l'Existence divine – l'Intelligence, l'Amour et la Volonté – puisqu'il est l'Image de Dieu. Au cours de son évolution, il commence par développer l'aspect de l'Intelligence – il développe les facultés mentales – et cette évolution s'accomplit dans la vie journalière. Ce développement, poussé très loin et parallèlement au développement moral, amène l'homme qui progresse à devenir candidat. – Le deuxième aspect de l'esprit est l'Amour ; son évolution est celle du Christ. Dans les véritable Mystères, cette évolution s'accomplit ; la vie du disciple est le Drame des Mystères, et les phrases en sont marquées par les Grandes Initiations. Dans les Mystères célébrés sur le plan physique ces Initiations étaient représentées sous une forme dramatique, et les cérémonies copiaient, à différents égards, "le modèle" toujours manifesté "sur la Montagne" – car elles étaient ces ombres, dans un âge de décadence, des formidables Réalités du monde spirituel.</p> <p style="text-align: center;"><em>196 Saint Matth., V, 27.</em><br /><em>197 Héb., XI, 27.</em><br /><em>198 Saint Matth., V, 45.</em><br /><em>199 Saint Luc, XI, 49.</em><br /><em>200 Saint Matth., XVII, 20.</em><br /><em>201 2 Cor., VI, 8-10.</em><br /><em>202 Col., III, 1.</em><br /><em>203 Saint Matth., 8, et Saint Jean, XVII, 21.</em></p> <p style="text-align: center;">Le Christ Mystique est donc double – d'abord le Logos, Deuxième Personne de la Trinité, descendant dans la matière – puis l'Amour, ou deuxième aspect de l'Esprit Divin évoluant en l'homme. L'un représente des processus cosmiques accomplis jadis ; il est la racine du Mythe Solaire ; l'autre représente un processus qui s'accomplit dans l'individu – phase dernière de l'évolution humaine – et a déterminé l'apparition, dans le Mythe, de nouveaux et nombreux détails ; tous deux se retrouvent dans le récit des [138] Évangiles, et leur union nous présente l'Image du "Christ Mystique".<br />Considérons tout d'abord le Christ Cosmique, c'est-à-dire la Divinité qui S'entoure de matière – la façon dont S'incarne le Logos et dont Dieu Se revêt de "chair".<br />La matière destinée à former notre système solaire ayant été séparée de celle dont l'océan incommensurable remplit l'espace, la Troisième Personne de la Trinité, le Saint-Esprit, déverse Sa Vie dans cette matière, pour l'animer et lui permettre de prendre forme. La matière, condensée, est ensuite façonnée par la vie du Deuxième Logos ou Seconde Personne de la Trinité, qui Se sacrifie en S'enfermant dans les limites matérielles et devient ainsi "l'Homme Céleste" ; dans Son Corps toutes les formes existent – de Son Corps toutes les formes font partie. Tel est le processus cosmique représenté dramatiquement dans les Mystères ; dans les véritables Mystères, il était montré en action dans l'espace ; dans les Mystères du plan physique, il était représenté au moyen des méthodes magiques ou autres – pour certains détails, même, par des acteurs.</p> <p style="text-align: center;"><em>204 Gen., I, 2.</em><br /><em>205 Saint Jean, I, 3.</em></p> <p style="text-align: center;">La progression est très clairement indiquée dans la Bible. Quand l'Esprit de Dieu se mouvait sur les eaux – dans les ténèbres qui étaient sur la face de l'abime 204 – l'immense abime de la matière n'avait pas de formes ; il était vide, il commençait. La Forme fut donnée par le Logos – la Parole, dont il est écrit : Toutes choses ont été faites par Elle, et rien [139] de ce qui a été fait n'a été fait sans Elle 205. Comme l'a dit C. W. Leadbeater en termes excellents : "Le résultat de ce premier grand efflux (le mouvement de l'Esprit), est l'éveil de cette vitalité inouïe, merveilleuse, qui pénètre toute matière, bien que celle-ci paraisse inerte à notre vue physique si imparfaite ; les atomes des plans divers, électrisés par elle, développent des attractions et des répulsions, latentes jusque-là, et entrent dans toute espèce de combinaisons 206."</p> <p style="text-align: center;">Quand le travail de l'Esprit est achevé – et alors seulement – le Logos, le Christ Cosmique et Mystique, peut Se revêtir de matière ; Il entre alors, véritablement, dans le sein de la Vierge – dans le sein de la Matière encore vierge et infertile. Cette matière avait été vivifiée par le Saint-Esprit, qui – planant au-dessus de la Vierge – avait versé Sa vie dans la matière, la préparant ainsi à recevoir la vie du Deuxième Logos ; Celui-ci la prend alors pour véhicule de Son énergie. C'est ainsi que Christ S'incarne et Se fait chair ; "Tu n'as point méprisé le sein de la Vierge."<br />Dans les traductions Latine et Anglaise du texte original Grec du Symbole de Nicée et dans le passage exprimant cette période de la descente de Christ, les prépositions ont été changées et, avec elles, le sens lui-même. Le texte original dit : "… et fut incarné du Saint-Esprit et de la Vierge Marie" ; tandis que [140] la traduction dit :… "et fut incarné par le Saint-Esprit, de la Vierge Marie 207". Le Christ "ne Se revêt pas seulement de la matière vierge, mais de la matière déjà imprégnée, palpitante, de la vie du Troisième Logos 208 ; si bien que la vie et la matière L'entourent comme d'un double vêtement 209".<br />Telle est la descente du Logos dans la matière, décrite comme la naissance donnée au Christ par une Vierge ; elle devient, dans le Mythe Solaire, la naissance du Dieu-Soleil, au moment où se lève le signe Virgo.<br />Alors commence l'action du Logos sur la matière. Dans le Mythe, le symbole de cette période primitive est l'enfance du Héros. La majestueuse puissance du Logos se plie à l'extrême faiblesse de l'enfance et fait à peine sentir sa présence aux formes si fragiles dont elle est l'âme. La matière emprisonne – semble vouloir tuer son Roi-Enfant – dont la gloire est voilée par les limites qu'Il S'est imposées. Lentement Il façonne la matière pour une destinée sublime. II l'amène à sa maturité – puis Lui-Même S'étend sur la croix de la matière afin de pouvoir répandre, de cette croix, toutes les puissances de Sa vie sacrifiée. C'est le Logos dont Platon dit qu'Il est comme une croix étendue sur l'univers : c'est l'Homme Céleste debout dans l'espace, les bras ouverts pour bénir ; c'est le Christ crucifié dont la mort sur la croix de la matière imprègne toute la matière de Sa vie. Il semble mort, enseveli, disparu – mais Il Se relève, [141] vêtu de la matière au sein de laquelle Il avait semblé périr et porte au ciel Son corps matériel, maintenant radieux, où ce corps, recevant la vie qui émane du Père, devient le véhicule des vies humaines immortelles. C'est la vie du Logos qui forme le vêtement de l'âme humaine ; ce vêtement Il le donne afin que l'homme vive à travers les âges et parvienne "à l'état d'homme fait" – à la hauteur "de Sa propre stature". Nous sommes véritablement revêtus de Lui – d'abord matériellement – puis spirituellement. Il S'est sacrifié pour amener beaucoup de Ses fils à la gloire et Il est toujours avec nous ; oui, jusqu'à la fin de cet âge.</p> <p style="text-align: center;"><em>206 Le Crédo chrétien, par C. W. Leadbeater, p. 34. Précieux petit volume et d'un intérêt captivant, mettant en lumière le véritable sens du Crédo.</em><br /><em>207 Le Crédo chrétien, pp 57, 58.</em><br /><em>208 Nom donné au Saint-Esprit.</em><br /><em>209 Le Crédo chrétien, p. 59.</em></p> <p style="text-align: center;">La crucifixion de Christ est donc une partie du grand sacrifice cosmique. La représentation allégorique de cette crucifixion, dans les Mystères du plan physique, et le symbole sacré de l'homme crucifié dans l'espace se matérialisèrent au point de devenir une véritable mort subie sur la croix et un crucifix portant un être humain expirant. C'est alors que cette histoire – aujourd'hui celle d'un homme – fut appliquée à l'Instructeur Divin, Jésus, et devint l'histoire de Sa mort physique – tandis que la naissance de l'enfant d'une vierge, le bas âge entouré de périls, la résurrection et l'ascension devinrent également des incidents de Sa vie humaine. Les Mystères disparurent, mais leurs représentations grandioses et saisissantes de l'oeuvre cosmique accomplie par le Logos entourèrent et rehaussèrent la figure vénérée de l'Instructeur de la Judée ; le Christ Cosmique des Mystères devint ainsi, sous les traits de Jésus historique – la Figure centrale de l'Église Chrétienne. [142]<br />Mais il y a plus. Un autre fait donne à l'Histoire du Christ un caractère de fascination suprême : c'est que, dans les Mystères, il est encore un Christ, intimement lié et cher au coeur humain – le Christ de l'Esprit humain – le Christ qui existe en chacun de nous, y nait et y vit, est crucifié, ressuscite d'entre les morts et monte au ciel, dans les souffrances et dans le triomphe de tout "Fils de l'Homme".</p> <p style="text-align: center;"><em>210 Ante, p. 129, et Gal., VI, 10.</em></p> <p style="text-align: center;">La vie de tout initié aux véritables Mystères – aux Mystères célestes – est retracée, dans ses grandes lignes, par la biographie des Évangiles. Voilà pourquoi saint Paul parle, comme nous l'avons constaté 210, de la naissance, de l'évolution et de la pleine maturité du Christ dans le disciple. Tout homme est potentiellement un Christ et le développement, en lui, de la vie du Christ, suit, d'une manière générale, le récit des Évangiles dans ses incidents marquants ; ceux-ci, comme nous l'avons vu, ont un caractère universel et non particulier.<br />Cinq grandes Initiations se succèdent dans la vie d'un Christ ; chacune marque un degré atteint, dans son développement, par la Vie de l'Amour. Ces Initiations sont accordées aujourd'hui comme dans le passé ; la dernière indique le triomphe final de l'Homme qui, arrivé à la Divinité, a dépassé le niveau de l'humanité, en devenant un Sauveur du monde.<br />Suivons l'histoire de cette carrière qui, sans cesse, se répète dans le domaine des expériences spirituelles et voyons l'Initié reproduisant dans sa propre vie l'existence du Christ. [143]<br />À la première grande Initiation, le Christ nait dans le disciple, qui réalise alors pour la première fois en lui-même l'effusion de l'Amour divin et éprouve cette transformation étrangement merveilleuse par laquelle il se sent un avec tout ce qui vit. C'est la "Seconde Naissance", accueillie avec allégresse par les êtres célestes – car le disciple est né dans "le Royaume de Dieu", comme un de ces "petits", comme un "petit enfant". Tels sont les noms toujours donnés aux nouveaux Initiés. Ainsi l'entendait Jésus, quand il disait : Si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez point dans le Royaume des Cieux 211. Certains auteurs Chrétiens du commencement de notre ère disent – en termes significatifs – que Jésus "naquit dans une caverne" – "l'étable" des Évangiles. Or, la "Caverne de l'Initiation" est un terme ancien bien connu ; c'est toujours là que nait l'Initié. Au-dessus de la caverne où est le petit enfant brille "l'Etoile de l'Initiation" – cette Etoile qui resplendit toujours dans l'Orient quand nait un Christ-Enfant. Chacun de ces Enfants est entouré de dangers et de menaces – de périls étranges auxquels ne sont pas exposés les autres enfants, car il est oint du chrême de la nouvelle naissance et les Puissances Ténébreuses du monde invisible cherchent sans cesse sa perte. Malgré toutes ces épreuves, il atteint l'âge viril – car le Christ étant né, ne peut jamais mourir – le Christ dont le développement a commencé ne peut faiblir dans son évolution. Sa vie s'épanouit en beauté et en force, [144] grandissant sans cesse en sagesse et en spiritualité, jusqu'au moment de la deuxième grande Initiation – le Baptême du Christ par l'Eau et par l'Esprit – qui lui confère les pouvoirs <br />nécessaires à un Instructeur destiné à parcourir le monde et à accomplir la tâche du "Fils bienaimé".</p> <p style="text-align: center;"><em>211 Saint Matth., XVIII, 2.</em></p> <p style="text-align: center;">Alors l'Esprit divin descend, à flots, sur lui, et la gloire du Père invisible l'éclaire de sa pure lumière. Mais, quittant ce lieu de bénédiction, il est conduit par l'Esprit dans le désert, et, de nouveau, exposé à l'épreuve de tentations terribles. Car maintenant les pouvoirs de l'Esprit se développent en lui, et les Êtres Obscurs s'efforcent de lui faire abandonner sa route ; ils emploient pour cela ces pouvoirs eux-mêmes et l'invitent à les faire servir à son propre salut, au lieu de se reposer sur son Père avec une patiente confiance. Dans les transitions brusques et soudaines qui mettent à l'épreuve sa force et sa foi, le chuchotement du Tentateur incarné succède à la voix du Père – et les sables du désert brulent ses pieds que lavaient naguère les ondes fraiches de la rivière sainte. Vainqueur de ces tentations, il se rend parmi les hommes afin de consacrer à leur service les pouvoirs qu'il n'avait pas voulu mettre en jeu pour son propre usage – et lui, qui avait refusé de changer une pierre en pain pour apaiser sa propre faim, nourrit avec quelques pains cinq mille hommes, sans compter des femmes et des enfants.<br />Sa vie de service incessant traverse alors de nouveau une courte période de gloire – quand il gravit une haute montagne, à part – la Montagne sacrée de l'Initiation. Là il est transfiguré et rencontre quelques-uns [145] de ses grands Prédécesseurs – Êtres Puissants qui jadis avaient suivi le même chemin. Il reçoit ainsi la troisième grande Initiation – puis l'ombre de sa Passion prochaine s'étend sur lui et il tourne résolument son visage vers Jérusalem, repoussant les paroles tentatrices de ses disciples – Jérusalem, où l'attend le baptême du Saint-Esprit et du Feu. Après la Nativité – la persécution d'Hérode ; après le baptême – la tentation dans le désert ; après la transfiguration – l'entrée dans la dernière étape du Chemin de la Croix. C'est ainsi que toujours l'épreuve succède au triomphe, jusqu'à ce que le but soit atteint.<br />La vie de l'amour ne cesse de grandir – toujours plus riche et plus parfaite – la présence lumineuse du Fils de Dieu se montrant dans le Fils de l'Homme, jusqu'à l'heure imminente de la bataille finale ; la quatrième grande Initiation le fait alors entrer triomphalement à Jérusalem – en vue de Gethsémané et du Calvaire. Il est maintenant le Christ prêt à s'offrir – prêt à se sacrifier sur la croix. Le moment est venu, pour lui, d'affronter la cruelle agonie du Jardin – là s'endorment ceux mêmes qu'il a choisis, pendant qu'il se débat contre sa mortelle angoisse. Il demande, un instant, que la coupe passe loin de lui – mais sa volonté puissante triomphe ; il étend la main pour saisir la coupe et boire ; dans sa solitude, un ange vient à lui pour le fortifier – comme les anges ont coutume de le faire quand ils voient un fils de l'Homme fléchissant sous le faix de son agonie. Il boit la coupe amère de la trahison, de l'abandon, du reniement et, seul au milieu de ses ennemis qui le raillent [146] il s'avance vers sa suprême et terrible épreuve. Torturé par la douleur physique, transpercé par les cruelles épines du soupçon, dépouillé, aux yeux du monde, de son vêtement immaculé, laissé entre les mains de ses ennemis, abandonné en apparence par Dieu et par les hommes, il supporte tout avec patience et, dans sa détresse extrême, attend tristement le secours. Il lui reste à souffrir sur la croix, à mourir à la vie de la forme, à renoncer entièrement à la vie du monde inférieur ; environné d'ennemis triomphants et moqueurs, l'horreur de la grande obscurité l'enveloppe et, dans ces ténèbres, il subit l'assaut de toutes les forces du mal ; sa vision intérieure se voile ; il se trouve seul – complètement seul ; enfin, son coeur héroïque, s'affaissant dans le désespoir, pousse un cri vers le Père, qui semble l'avoir abandonné. L'âme humaine affronte, dans une solitude absolue, l'intolérable torture d'une apparente défaite. Mais, faisant appel à toute la force d'un "esprit indomptable", faisant le sacrifice de la vie inférieure, acceptant sa mort de plein gré, abandonnant le corps du désir, l'Initié descend aux enfers – car toutes les régions de l'Univers qu'il va secourir doivent lui être connues ; tous les déshérités doivent être atteints par son amour infini. S'élançant alors du sein des ténèbres, il revoit la lumière, se sent de nouveau le Fils, inséparable du Père, auquel il appartient, s'élève vers la vie qui n'a point de fin, rayonnant de joie, dans la certitude d'avoir bravé et vaincu la mort, assez fort désormais pour prêter à tout enfant des hommes un secours infini, capable de répandre sa vie dans toute âme qui lutte. Il demeure encore, [147] pour un temps, parmi ses disciples, les instruit, leur dévoile les mystères des mondes spirituels, les prépare à suivre le sentier qu'il a lui-même parcouru – puis, sa vie terrestre étant terminée, il monte vers le Père et, par la cinquième grande Initiation, devient le Maitre triomphant – le trait d'union entre Dieu et l'homme.<br />Telle était l'histoire – vécue, dans les véritables Mystères d'autrefois, comme dans ceux d'aujourd'hui – représentée sous une forme dramatique et symbolique dans les Mystères du plan physique, qui ne lèvent le voile qu'à demi. Tel est le Christ des Mystères sous son double aspect – Logos et homme – cosmique et individuel. Comment s'étonner que cette histoire, vaguement comprise par les mystiques, sans même qu'ils la connussent, soit indissolublement unie au coeur humain et que toute noble vie trouve en elle son inspiration ? Le Christ du coeur humain est, presque toujours, Jésus envisagé comme le Christ humain mystique, qui lutte, souffre, meurt, et finalement triomphe – l'Homme en qui l'humanité a été vue sacrifiée et ressuscitée – dont la victoire promet la victoire à tous ceux qui, semblables à Lui, sont fidèles jusqu'à la mort et au-delà – le Christ qui jamais ne sera oublié tant que le monde aura besoin de Sauveurs et que des Sauveurs se sacrifieront pour l'humanité.</p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>CHAPITRE VI </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>— </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LE CHRIST MYSTIQUE</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Nous abordons maintenant le sens plus intime qui donne à l'histoire du Christ son véritable pouvoir sur le coeur humain. Nous approchons de cette inépuisable vie qui sort en bouillonnant des profondeurs d'une source invisible ; ses flots resplendissants descendent sur Celui qui la représente, et, par la vertu de ce baptême, tous les coeurs vont au Christ et sentent qu'il leur serait presque plus facile de rejeter les faits présentés par l'histoire que de nier ce qu'ils reconnaissaient intuitivement comme une vérité essentielle et suprême de la vie d'en haut. Nous nous approchons du portique sacré donnant accès aux Mystères ; nous soulevons un coin du voile qui cache le sanctuaire à nos yeux.<br />Comme nous l'avons constaté, nous trouvons reconnue partout, même aux époques les plus reculées, l'existence d'un enseignement caché – d'une doctrine secrète que communiquent, sous des conditions sévères [132] et rigoureuses, à des candidats acceptés, les Maitres de la Sagesse. Des candidats ainsi qualifiés recevaient l'initiation aux "Mystères", nom qui, dans l'antiquité, comportait, comme nous l'avons vu, tout ce qu'il y a de plus spirituel dans la religion, de plus profond dans la philosophie, de plus précieux dans la science. Autrefois tout grand Instructeur avait passé par les Mystères, et les plus grands en étaient les Hiérophantes. Tous ceux qui allèrent vers l'humanité pour lui parler des mondes invisibles avaient franchi le portail de l'Initiation et appris le secret des lèvres mêmes des Êtres Saints ; tous ceux qui parurent firent le même récit, dont les mythes solaires sont invariablement des versions identiques dans leurs grandes lignes et ne différant que par la couleur locale.<br />Ce récit est, en principe, celui de la descente du Logos au sein de la matière. C'est à juste titre que le Logos a pour symbole le Dieu-Soleil – puisque le Soleil est Son corps et qu'Il est souvent appelé "Celui qui habite dans le Soleil". Sous un de Ses aspects le Christ des Mystères et le Logos descendant dans la matière, et le grand Mythe du Soleil est cette sublime vérité sous la forme de l'enseignement populaire. Comme il arrive toujours – l'Instructeur Divin qui apporta la Sagesse Antique et la proclama de nouveau dans le monde fut considéré comme une manifestation spéciale du Logos – et le Jésus des Églises devint graduellement le centre des récits qui appartenaient à cet Être exalté. Jésus S'identifia ainsi, dans la nomenclature Chrétienne avec la Seconde Personne de la Trinité – avec le Logos ou Verbe [133] Divin 187, et les grandes dates dont parle le Mythe du Dieu-Soleil devinrent les grandes dates de l'histoire de Jésus regardé comme la Divinité incarnée – comme le "Christ Mystique". Comme, dans l'univers, ou macrocosme, le Christ des Mystères représente le Logos, la Seconde Personne de la Trinité – de même, dans l'homme, ou microcosme, Il représente le second aspect de l'Esprit Divin dans l'homme – nommé pour cette raison, dans l'homme, "le Christ 188". – Le second aspect du Christ des Mystères est donc la vie de l'Initié – la vie qui s'ouvre au postulant après la première grande Initiation marquant la naissance du Christ dans l'homme. Pour rendre cela tout à fait intelligible, il faut considérer les conditions imposées au candidat qui se présente à l'Initiation et aussi la nature de l'Esprit qui est dans l'homme.<br />Ceux-là seuls pouvaient être regardés comme candidats à l'Initiation qui étaient déjà bons, humainement parlant, et se conformaient à la loi d'une manière absolue. – Purs – saints – sans souillures – sans péché – vivant sans transgression – telles sont quelques-unes des épithètes qui leur étaient appliquées 189. De plus ils devaient être intelligents et offrir des facultés mentales bien développées et bien [134] exercées 190. L'évolution qui, dans les vies successives, a le monde pour théâtre – le développement et la soumission des facultés intellectuelles, des émotions, du sens moral – les leçons des religions exotériques – l'accomplissement des devoirs regardé comme un moyen d'avancement – les efforts pour aider et relever son prochain – tout cela constitue la vie ordinaire d'un homme qui évolue. Quand il a fait tout cela, cet homme est devenu "bon" – le "Chrêstos" des Grecs – et cette qualité, il doit l'acquérir avant de pouvoir devenir le "Christos" – l'Oint. Étant parvenu à vivre d'une manière vertueuse au point de vue exotérique, il devient candidat à la vie ésotérique et commence à se préparer à l'initiation, c'est-à-dire à satisfaire à certaines exigences.</p> <p style="text-align: center;"><em>187 Voyez à ce sujet le commencement de l'Évangile selon saint Jean, I, 1-5. Le terme Logos (la Parole), appliqué au Dieu manifesté qui façonne la matière – ("Toutes choses ont été faites par Elle") – est Platonicien, et par conséquent, dérivé directement des Mystères. Bien longtemps avant Platon, le mot Vâk – la Voix – ayant la même origine, était employé parmi les Indous.</em><br /><em>188 Ante, p. 126.</em><br /><em>189 Ante, pp. 98-99.</em><br /><em>190 Ante, p. 90.</em></p> <p style="text-align: center;">Ces exigences déterminent les qualités qu'il doit acquérir, et tant qu'il lutte pour les faire naitre en lui-même, il marche – suivant une expression quelquefois employée – dans le Sentier de la Probation – le Sentier qui mène à la "Porte Étroite", qui donne accès au "Chemin Étroit", au "Sentier de la Sainteté", au "Chemin de la Croix". Le candidat n'est pas supposé pouvoir développer ces qualités d'une manière parfaite, mais il doit les avoir poussées toutes assez loin avant que le Christ puisse naitre en lui ; il doit préparer une demeure pure à cet Enfant divin qui va grandir en lui.<br />La première de ces qualités – elles sont mentales et morales – est le Discernement. Il faut entendre [135] par-là que le postulant doit commencer à établir intellectuellement une distinction entre l'Éternel et le Temporaire – entre le Réel et l'Illusoire – entre le Céleste et le Terrestre. – Les choses visibles ne sont que pour un temps, mais les invisibles sont éternelles, dit l'Apôtre 191. Les hommes sont victimes d'une illusion permanente causée par le monde visible qui les empêche de percevoir l'invisible. Le postulant doit apprendre à distinguer entre ces deux mondes ; ce qui est irréel, pour le monde, doit devenir réel pour lui, car c'est la seule manière de marcher par la foi et non par la vue 192. – C'est encore ainsi qu'un homme devient un de ceux dont l'Apôtre parle dans ce verset : La nourriture solide est pour les hommes faits, dont la pratique a exercé les facultés à discerner ce qui est bon et mauvais 193. – Le sentiment de l'irréel doit ensuite faire naitre le Dégout de l'irréel et du passager – de ces déchets de l'existence, incapables de rassasier et qui ne sauraient assouvir que des pourceaux 194. – Ce stade, Jésus le décrit en termes énergiques : – Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs, bien plus – s'il ne hait pas sa propre vie, il ne peut être mon disciple. 195. – C'est là une parole "dure", assurément, mais de cette haine naitra un amour plus profond, plus véritable ; il faut passer par là pour atteindre la Porte Étroite. [136]</p> <p style="text-align: center;"><em>191 2 Cor. IV, 18.</em><br /><em>192 2 Cor., V, 7.</em><br /><em>193 Héb., V, 14.</em><br /><em>194 Saint Luc, XV, 16.</em><br /><em>195 Ibid., XI, 26.</em></p> <p style="text-align: center;">Le postulant doit ensuite apprendre à devenir maitre de ses pensées et, par-là, maitre de ses actions ; car, pour la vue intérieure, la pensée et l'action ne font qu'un : – Quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur 196. – Il faut acquérir la faculté d'endurer, car ceux qui aspirent à suivre "le Chemin de la Croix" devront affronter de longues et amères souffrances, et ils doivent pouvoir les endurer, comme s'ils voyaient Celui qui est invisible 197. – Aux qualités qui précèdent il faut joindre la Tolérance – pour être l'enfant de Celui qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et répand sa pluie sur les justes et sur les injustes 198 – un disciple de Celui qui invita Ses Apôtres à ne point empêcher un homme d'employer Son nom, bien qu'il ne suivît point le Maitre avec eux 199. – Le postulant doit encore acquérir la Foi, pour laquelle rien n'est impossible 200 et l'Équilibre décrit par l'Apôtre 201. – Il doit enfin ne rechercher que les choses qui sont en haut 202 et désirer avec ardeur le bonheur de voir Dieu et de s'unir à Lui 203. – Quand un homme a fait entrer ces qualités dans son caractère, il est considéré comme étant prêt pour l'Initiation, et les Gardiens des Mystères lui ouvriront la porte Étroite. [137] C'est ainsi – mais seulement ainsi – qu'il devient un candidat prêt à être agréé.<br />L'Esprit, dans l'homme, est le don du Dieu Suprême et réunit les trois aspects de l'Existence divine – l'Intelligence, l'Amour et la Volonté – puisqu'il est l'Image de Dieu. Au cours de son évolution, il commence par développer l'aspect de l'Intelligence – il développe les facultés mentales – et cette évolution s'accomplit dans la vie journalière. Ce développement, poussé très loin et parallèlement au développement moral, amène l'homme qui progresse à devenir candidat. – Le deuxième aspect de l'esprit est l'Amour ; son évolution est celle du Christ. Dans les véritable Mystères, cette évolution s'accomplit ; la vie du disciple est le Drame des Mystères, et les phrases en sont marquées par les Grandes Initiations. Dans les Mystères célébrés sur le plan physique ces Initiations étaient représentées sous une forme dramatique, et les cérémonies copiaient, à différents égards, "le modèle" toujours manifesté "sur la Montagne" – car elles étaient ces ombres, dans un âge de décadence, des formidables Réalités du monde spirituel.</p> <p style="text-align: center;"><em>196 Saint Matth., V, 27.</em><br /><em>197 Héb., XI, 27.</em><br /><em>198 Saint Matth., V, 45.</em><br /><em>199 Saint Luc, XI, 49.</em><br /><em>200 Saint Matth., XVII, 20.</em><br /><em>201 2 Cor., VI, 8-10.</em><br /><em>202 Col., III, 1.</em><br /><em>203 Saint Matth., 8, et Saint Jean, XVII, 21.</em></p> <p style="text-align: center;">Le Christ Mystique est donc double – d'abord le Logos, Deuxième Personne de la Trinité, descendant dans la matière – puis l'Amour, ou deuxième aspect de l'Esprit Divin évoluant en l'homme. L'un représente des processus cosmiques accomplis jadis ; il est la racine du Mythe Solaire ; l'autre représente un processus qui s'accomplit dans l'individu – phase dernière de l'évolution humaine – et a déterminé l'apparition, dans le Mythe, de nouveaux et nombreux détails ; tous deux se retrouvent dans le récit des [138] Évangiles, et leur union nous présente l'Image du "Christ Mystique".<br />Considérons tout d'abord le Christ Cosmique, c'est-à-dire la Divinité qui S'entoure de matière – la façon dont S'incarne le Logos et dont Dieu Se revêt de "chair".<br />La matière destinée à former notre système solaire ayant été séparée de celle dont l'océan incommensurable remplit l'espace, la Troisième Personne de la Trinité, le Saint-Esprit, déverse Sa Vie dans cette matière, pour l'animer et lui permettre de prendre forme. La matière, condensée, est ensuite façonnée par la vie du Deuxième Logos ou Seconde Personne de la Trinité, qui Se sacrifie en S'enfermant dans les limites matérielles et devient ainsi "l'Homme Céleste" ; dans Son Corps toutes les formes existent – de Son Corps toutes les formes font partie. Tel est le processus cosmique représenté dramatiquement dans les Mystères ; dans les véritables Mystères, il était montré en action dans l'espace ; dans les Mystères du plan physique, il était représenté au moyen des méthodes magiques ou autres – pour certains détails, même, par des acteurs.</p> <p style="text-align: center;"><em>204 Gen., I, 2.</em><br /><em>205 Saint Jean, I, 3.</em></p> <p style="text-align: center;">La progression est très clairement indiquée dans la Bible. Quand l'Esprit de Dieu se mouvait sur les eaux – dans les ténèbres qui étaient sur la face de l'abime 204 – l'immense abime de la matière n'avait pas de formes ; il était vide, il commençait. La Forme fut donnée par le Logos – la Parole, dont il est écrit : Toutes choses ont été faites par Elle, et rien [139] de ce qui a été fait n'a été fait sans Elle 205. Comme l'a dit C. W. Leadbeater en termes excellents : "Le résultat de ce premier grand efflux (le mouvement de l'Esprit), est l'éveil de cette vitalité inouïe, merveilleuse, qui pénètre toute matière, bien que celle-ci paraisse inerte à notre vue physique si imparfaite ; les atomes des plans divers, électrisés par elle, développent des attractions et des répulsions, latentes jusque-là, et entrent dans toute espèce de combinaisons 206."</p> <p style="text-align: center;">Quand le travail de l'Esprit est achevé – et alors seulement – le Logos, le Christ Cosmique et Mystique, peut Se revêtir de matière ; Il entre alors, véritablement, dans le sein de la Vierge – dans le sein de la Matière encore vierge et infertile. Cette matière avait été vivifiée par le Saint-Esprit, qui – planant au-dessus de la Vierge – avait versé Sa vie dans la matière, la préparant ainsi à recevoir la vie du Deuxième Logos ; Celui-ci la prend alors pour véhicule de Son énergie. C'est ainsi que Christ S'incarne et Se fait chair ; "Tu n'as point méprisé le sein de la Vierge."<br />Dans les traductions Latine et Anglaise du texte original Grec du Symbole de Nicée et dans le passage exprimant cette période de la descente de Christ, les prépositions ont été changées et, avec elles, le sens lui-même. Le texte original dit : "… et fut incarné du Saint-Esprit et de la Vierge Marie" ; tandis que [140] la traduction dit :… "et fut incarné par le Saint-Esprit, de la Vierge Marie 207". Le Christ "ne Se revêt pas seulement de la matière vierge, mais de la matière déjà imprégnée, palpitante, de la vie du Troisième Logos 208 ; si bien que la vie et la matière L'entourent comme d'un double vêtement 209".<br />Telle est la descente du Logos dans la matière, décrite comme la naissance donnée au Christ par une Vierge ; elle devient, dans le Mythe Solaire, la naissance du Dieu-Soleil, au moment où se lève le signe Virgo.<br />Alors commence l'action du Logos sur la matière. Dans le Mythe, le symbole de cette période primitive est l'enfance du Héros. La majestueuse puissance du Logos se plie à l'extrême faiblesse de l'enfance et fait à peine sentir sa présence aux formes si fragiles dont elle est l'âme. La matière emprisonne – semble vouloir tuer son Roi-Enfant – dont la gloire est voilée par les limites qu'Il S'est imposées. Lentement Il façonne la matière pour une destinée sublime. II l'amène à sa maturité – puis Lui-Même S'étend sur la croix de la matière afin de pouvoir répandre, de cette croix, toutes les puissances de Sa vie sacrifiée. C'est le Logos dont Platon dit qu'Il est comme une croix étendue sur l'univers : c'est l'Homme Céleste debout dans l'espace, les bras ouverts pour bénir ; c'est le Christ crucifié dont la mort sur la croix de la matière imprègne toute la matière de Sa vie. Il semble mort, enseveli, disparu – mais Il Se relève, [141] vêtu de la matière au sein de laquelle Il avait semblé périr et porte au ciel Son corps matériel, maintenant radieux, où ce corps, recevant la vie qui émane du Père, devient le véhicule des vies humaines immortelles. C'est la vie du Logos qui forme le vêtement de l'âme humaine ; ce vêtement Il le donne afin que l'homme vive à travers les âges et parvienne "à l'état d'homme fait" – à la hauteur "de Sa propre stature". Nous sommes véritablement revêtus de Lui – d'abord matériellement – puis spirituellement. Il S'est sacrifié pour amener beaucoup de Ses fils à la gloire et Il est toujours avec nous ; oui, jusqu'à la fin de cet âge.</p> <p style="text-align: center;"><em>206 Le Crédo chrétien, par C. W. Leadbeater, p. 34. Précieux petit volume et d'un intérêt captivant, mettant en lumière le véritable sens du Crédo.</em><br /><em>207 Le Crédo chrétien, pp 57, 58.</em><br /><em>208 Nom donné au Saint-Esprit.</em><br /><em>209 Le Crédo chrétien, p. 59.</em></p> <p style="text-align: center;">La crucifixion de Christ est donc une partie du grand sacrifice cosmique. La représentation allégorique de cette crucifixion, dans les Mystères du plan physique, et le symbole sacré de l'homme crucifié dans l'espace se matérialisèrent au point de devenir une véritable mort subie sur la croix et un crucifix portant un être humain expirant. C'est alors que cette histoire – aujourd'hui celle d'un homme – fut appliquée à l'Instructeur Divin, Jésus, et devint l'histoire de Sa mort physique – tandis que la naissance de l'enfant d'une vierge, le bas âge entouré de périls, la résurrection et l'ascension devinrent également des incidents de Sa vie humaine. Les Mystères disparurent, mais leurs représentations grandioses et saisissantes de l'oeuvre cosmique accomplie par le Logos entourèrent et rehaussèrent la figure vénérée de l'Instructeur de la Judée ; le Christ Cosmique des Mystères devint ainsi, sous les traits de Jésus historique – la Figure centrale de l'Église Chrétienne. [142]<br />Mais il y a plus. Un autre fait donne à l'Histoire du Christ un caractère de fascination suprême : c'est que, dans les Mystères, il est encore un Christ, intimement lié et cher au coeur humain – le Christ de l'Esprit humain – le Christ qui existe en chacun de nous, y nait et y vit, est crucifié, ressuscite d'entre les morts et monte au ciel, dans les souffrances et dans le triomphe de tout "Fils de l'Homme".</p> <p style="text-align: center;"><em>210 Ante, p. 129, et Gal., VI, 10.</em></p> <p style="text-align: center;">La vie de tout initié aux véritables Mystères – aux Mystères célestes – est retracée, dans ses grandes lignes, par la biographie des Évangiles. Voilà pourquoi saint Paul parle, comme nous l'avons constaté 210, de la naissance, de l'évolution et de la pleine maturité du Christ dans le disciple. Tout homme est potentiellement un Christ et le développement, en lui, de la vie du Christ, suit, d'une manière générale, le récit des Évangiles dans ses incidents marquants ; ceux-ci, comme nous l'avons vu, ont un caractère universel et non particulier.<br />Cinq grandes Initiations se succèdent dans la vie d'un Christ ; chacune marque un degré atteint, dans son développement, par la Vie de l'Amour. Ces Initiations sont accordées aujourd'hui comme dans le passé ; la dernière indique le triomphe final de l'Homme qui, arrivé à la Divinité, a dépassé le niveau de l'humanité, en devenant un Sauveur du monde.<br />Suivons l'histoire de cette carrière qui, sans cesse, se répète dans le domaine des expériences spirituelles et voyons l'Initié reproduisant dans sa propre vie l'existence du Christ. [143]<br />À la première grande Initiation, le Christ nait dans le disciple, qui réalise alors pour la première fois en lui-même l'effusion de l'Amour divin et éprouve cette transformation étrangement merveilleuse par laquelle il se sent un avec tout ce qui vit. C'est la "Seconde Naissance", accueillie avec allégresse par les êtres célestes – car le disciple est né dans "le Royaume de Dieu", comme un de ces "petits", comme un "petit enfant". Tels sont les noms toujours donnés aux nouveaux Initiés. Ainsi l'entendait Jésus, quand il disait : Si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez point dans le Royaume des Cieux 211. Certains auteurs Chrétiens du commencement de notre ère disent – en termes significatifs – que Jésus "naquit dans une caverne" – "l'étable" des Évangiles. Or, la "Caverne de l'Initiation" est un terme ancien bien connu ; c'est toujours là que nait l'Initié. Au-dessus de la caverne où est le petit enfant brille "l'Etoile de l'Initiation" – cette Etoile qui resplendit toujours dans l'Orient quand nait un Christ-Enfant. Chacun de ces Enfants est entouré de dangers et de menaces – de périls étranges auxquels ne sont pas exposés les autres enfants, car il est oint du chrême de la nouvelle naissance et les Puissances Ténébreuses du monde invisible cherchent sans cesse sa perte. Malgré toutes ces épreuves, il atteint l'âge viril – car le Christ étant né, ne peut jamais mourir – le Christ dont le développement a commencé ne peut faiblir dans son évolution. Sa vie s'épanouit en beauté et en force, [144] grandissant sans cesse en sagesse et en spiritualité, jusqu'au moment de la deuxième grande Initiation – le Baptême du Christ par l'Eau et par l'Esprit – qui lui confère les pouvoirs <br />nécessaires à un Instructeur destiné à parcourir le monde et à accomplir la tâche du "Fils bienaimé".</p> <p style="text-align: center;"><em>211 Saint Matth., XVIII, 2.</em></p> <p style="text-align: center;">Alors l'Esprit divin descend, à flots, sur lui, et la gloire du Père invisible l'éclaire de sa pure lumière. Mais, quittant ce lieu de bénédiction, il est conduit par l'Esprit dans le désert, et, de nouveau, exposé à l'épreuve de tentations terribles. Car maintenant les pouvoirs de l'Esprit se développent en lui, et les Êtres Obscurs s'efforcent de lui faire abandonner sa route ; ils emploient pour cela ces pouvoirs eux-mêmes et l'invitent à les faire servir à son propre salut, au lieu de se reposer sur son Père avec une patiente confiance. Dans les transitions brusques et soudaines qui mettent à l'épreuve sa force et sa foi, le chuchotement du Tentateur incarné succède à la voix du Père – et les sables du désert brulent ses pieds que lavaient naguère les ondes fraiches de la rivière sainte. Vainqueur de ces tentations, il se rend parmi les hommes afin de consacrer à leur service les pouvoirs qu'il n'avait pas voulu mettre en jeu pour son propre usage – et lui, qui avait refusé de changer une pierre en pain pour apaiser sa propre faim, nourrit avec quelques pains cinq mille hommes, sans compter des femmes et des enfants.<br />Sa vie de service incessant traverse alors de nouveau une courte période de gloire – quand il gravit une haute montagne, à part – la Montagne sacrée de l'Initiation. Là il est transfiguré et rencontre quelques-uns [145] de ses grands Prédécesseurs – Êtres Puissants qui jadis avaient suivi le même chemin. Il reçoit ainsi la troisième grande Initiation – puis l'ombre de sa Passion prochaine s'étend sur lui et il tourne résolument son visage vers Jérusalem, repoussant les paroles tentatrices de ses disciples – Jérusalem, où l'attend le baptême du Saint-Esprit et du Feu. Après la Nativité – la persécution d'Hérode ; après le baptême – la tentation dans le désert ; après la transfiguration – l'entrée dans la dernière étape du Chemin de la Croix. C'est ainsi que toujours l'épreuve succède au triomphe, jusqu'à ce que le but soit atteint.<br />La vie de l'amour ne cesse de grandir – toujours plus riche et plus parfaite – la présence lumineuse du Fils de Dieu se montrant dans le Fils de l'Homme, jusqu'à l'heure imminente de la bataille finale ; la quatrième grande Initiation le fait alors entrer triomphalement à Jérusalem – en vue de Gethsémané et du Calvaire. Il est maintenant le Christ prêt à s'offrir – prêt à se sacrifier sur la croix. Le moment est venu, pour lui, d'affronter la cruelle agonie du Jardin – là s'endorment ceux mêmes qu'il a choisis, pendant qu'il se débat contre sa mortelle angoisse. Il demande, un instant, que la coupe passe loin de lui – mais sa volonté puissante triomphe ; il étend la main pour saisir la coupe et boire ; dans sa solitude, un ange vient à lui pour le fortifier – comme les anges ont coutume de le faire quand ils voient un fils de l'Homme fléchissant sous le faix de son agonie. Il boit la coupe amère de la trahison, de l'abandon, du reniement et, seul au milieu de ses ennemis qui le raillent [146] il s'avance vers sa suprême et terrible épreuve. Torturé par la douleur physique, transpercé par les cruelles épines du soupçon, dépouillé, aux yeux du monde, de son vêtement immaculé, laissé entre les mains de ses ennemis, abandonné en apparence par Dieu et par les hommes, il supporte tout avec patience et, dans sa détresse extrême, attend tristement le secours. Il lui reste à souffrir sur la croix, à mourir à la vie de la forme, à renoncer entièrement à la vie du monde inférieur ; environné d'ennemis triomphants et moqueurs, l'horreur de la grande obscurité l'enveloppe et, dans ces ténèbres, il subit l'assaut de toutes les forces du mal ; sa vision intérieure se voile ; il se trouve seul – complètement seul ; enfin, son coeur héroïque, s'affaissant dans le désespoir, pousse un cri vers le Père, qui semble l'avoir abandonné. L'âme humaine affronte, dans une solitude absolue, l'intolérable torture d'une apparente défaite. Mais, faisant appel à toute la force d'un "esprit indomptable", faisant le sacrifice de la vie inférieure, acceptant sa mort de plein gré, abandonnant le corps du désir, l'Initié descend aux enfers – car toutes les régions de l'Univers qu'il va secourir doivent lui être connues ; tous les déshérités doivent être atteints par son amour infini. S'élançant alors du sein des ténèbres, il revoit la lumière, se sent de nouveau le Fils, inséparable du Père, auquel il appartient, s'élève vers la vie qui n'a point de fin, rayonnant de joie, dans la certitude d'avoir bravé et vaincu la mort, assez fort désormais pour prêter à tout enfant des hommes un secours infini, capable de répandre sa vie dans toute âme qui lutte. Il demeure encore, [147] pour un temps, parmi ses disciples, les instruit, leur dévoile les mystères des mondes spirituels, les prépare à suivre le sentier qu'il a lui-même parcouru – puis, sa vie terrestre étant terminée, il monte vers le Père et, par la cinquième grande Initiation, devient le Maitre triomphant – le trait d'union entre Dieu et l'homme.<br />Telle était l'histoire – vécue, dans les véritables Mystères d'autrefois, comme dans ceux d'aujourd'hui – représentée sous une forme dramatique et symbolique dans les Mystères du plan physique, qui ne lèvent le voile qu'à demi. Tel est le Christ des Mystères sous son double aspect – Logos et homme – cosmique et individuel. Comment s'étonner que cette histoire, vaguement comprise par les mystiques, sans même qu'ils la connussent, soit indissolublement unie au coeur humain et que toute noble vie trouve en elle son inspiration ? Le Christ du coeur humain est, presque toujours, Jésus envisagé comme le Christ humain mystique, qui lutte, souffre, meurt, et finalement triomphe – l'Homme en qui l'humanité a été vue sacrifiée et ressuscitée – dont la victoire promet la victoire à tous ceux qui, semblables à Lui, sont fidèles jusqu'à la mort et au-delà – le Christ qui jamais ne sera oublié tant que le monde aura besoin de Sauveurs et que des Sauveurs se sacrifieront pour l'humanité.</p> CHAPITRE VII — LA RÉDEMPTION 2019-06-23T15:03:56+00:00 2019-06-23T15:03:56+00:00 http://www.hierarchie.eu/le-christianisme-esoterique-ou-les-mysteres-mineurs-par-annie-besant-1903/1111-chapitre-vii-la-redemption Super User bon.christo@free.fr <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>CHAPITRE VII </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>—</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LA RÉDEMPTION</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Nous allons étudier maintenant certains aspects de la Vie du Christ, tels que nous les présentent les doctrines Chrétiennes. Dans les enseignements exotériques, ils ne semblent se rapporter qu'à la Personne du Christ ; dans les enseignements ésotériques, ils s'appliquent assurément à Lui, puisque, dans leur sens primaire, le plus étendu et le plus profond, ils font partie des modes d'action du Logos, mais ne sont présents que par reflet dans le Christ, et par suite dans toute Âme-Christ qui suit le chemin de la Croix ; étudiés sous ce jour, ils apparaitront profondément vrais ; sous leur forme exotérique, au contraire, ils déroutent souvent l'intelligence et froissent les sentiments.<br />La doctrine de la Rédemption vient en première ligne. Non seulement elle a provoqué des attaques acharnées venant du dehors, mais encore elle a fait le tourment, au sein du Christianisme, de bien des consciences sensibles. Certains esprits profondément Chrétiens appartenant à la seconde moitié du dix-neuvième [149] siècle, ont été torturés par leurs doutes concernant cette doctrine de l'Église, ils se sont efforcés de l'envisager et de la présenter sous une forme qui atténue ou rend acceptables, par des explications, les notions plus naïves basées sur une interprétation inintelligente de quelques textes extrêmement mystiques. Il faudrait ici, plus peut-être que partout ailleurs, se rappeler cet avertissement de saint Pierre 212 :… Paul, notre bienaimé frère ; vous l'a aussi écrit, selon la sagesse qui lui a été donnée comme il le dit, d'ailleurs, dans toutes les lettres où il aborde ces sujets, lettres qui, en certains passages, sont difficiles à comprendre et que des personnes ignorantes et mal affermies tordent aussi les autres Écritures. Car les textes qui nous parlent de l'identité du Christ avec les hommes Ses frères ont été tordus de manière à Le montrer substitué juridiquement à ceux-ci ; on y a vu, par suite, une manière d'éviter les conséquences du péché, au lieu d'un encouragement à la vertu.</p> <p style="text-align: center;"><em>212 II Saint Pierre, III, 15-16.</em></p> <p style="text-align: center;">Suivant l'enseignement généralement donné, dans l'Église Primitive, au sujet de la Rédemption, Christ, Représentant de l'Humanité, brava et vainquit Satan, représentant des Puissances Ténébreuses, qui retenait l'humanité en esclavage, lui arracha sa captive et la remit en liberté. Petit à petit, à mesure que les docteurs Chrétiens perdaient le sentiment des vérités spirituelles et qu'ils altéraient, par leur intolérance et leur dureté croissantes, l'idée du Père aimant et pur dont parlait le Christ, ils Le montrèrent irrité [150] contre l'homme que Christ ne sauvait plus désormais des liens du mal, mais bien de la colère Divine. Puis des expressions juridiques se glissèrent dans les textes et matérialisèrent encore une idée jadis spirituelle – jusqu'à ce que le plan de la rédemption fût esquissé, pour la défense de l'homme. – "Ce fut Anselme, dans son grand ouvrage, Cur deus Homo, qui donna un corps à l'idée du plan de la rédemption, et la doctrine qui avait lentement grandi dans la théologie Chrétienne reçut désormais le sceau de l'Église. Á l'époque de la Réforme, les Catholiques Romains et les Protestants voyaient, les uns et les autres, dans la rédemption opérée par le Christ, un remplacement et une substitution ; ils sont d'accord sur ce point. Je préfère laisser la parole aux théologiens Chrétiens ; ils exposeront eux-mêmes les caractères de la rédemption… D'après Luther : Christ a véritablement et effectivement éprouvé, pour toute l'humanité, la colère de Dieu, la malédiction et la mort. C'est à la colère, dit Flavel, à la colère non mitigée d'un Dieu infini, aux tortures même de l'enfer, que Christ a été livré, et cela par la main de son propre père. Suivant l'homélie Anglicane : Le péché arrache Dieu du ciel pour lui faire subir les horreurs et les souffrances de la mort. L'homme, brandon de l'enfer et esclave du diable, fut racheté par la mort de son fils unique et bienaimé ; l'ardeur de Son courroux – Son courroux ardent – ne pouvait être apaisé que par Jésus, tant Lui étaient agréables le sacrifice et l'oblation de la vie de son fils. Edwards, en esprit logique, comprit toute l'injustice qu'il y avait à ce que le péché fût deux fois puni, et les peines de l'enfer, punition du péché, [151] deux fois infligées – d'abord à Jésus, remplaçant de l'humanité – puis à une partie de l'humanité regardée comme perdue. Aussi Edwards se voit-il forcé, et la plupart des Calvinistes avec lui, de réserver la rédemption pour les élus seuls ; suivant son expression, Christ n'a pas porté les péchés du monde, mais ceux des élus, il a souffert non pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés. Edwards adhère néanmoins à l'idée de la substitution et rejette la rédemption universelle par la raison même que la meilleure manière de prouver que le Christ n'est mort pour personne – dans le sens où les Chrétiens l'ont compris jusqu'à présent – est de croire qu'il est mort pour tous. Christ, déclare-t-il, a subi la colère de Dieu, pour les péchés des hommes. Dieu a fait tomber sur Christ sa colère et Christ a subi les souffrances de l'enfer méritées par les péchés des hommes. Owen regarde les souffrances de Christ comme une large et précieuse compensation offerte à la justice de Dieu pour tous les péchés des élus, et dit que Christ subit la même punition qui les attendait infailliblement 213.<br />Pour montrer que ces doctrines continuent à être prêchées dans les églises, j'ajoutais :<br />"Stroud fait boire à Christ la coupe de la colère divine. Suivant Jenkins, Il a souffert comme s'Il eût été désavoué, réprouvé et abandonné de Dieu. Dwight considère qu'Il a subi la haine et le mépris de Dieu. Suivant l'évêque Jeune, quand l'homme eut été jusqu'au bout dans le mal, Christ eut pis encore à [152] souffrir : Il tomba dans les mains de son père. Les nuages de la colère divine – dit l'archevêque Thomson dans un sermon – s'amassèrent sur toute la race humaine, mais l'orage ne fondit que sur Jésus. Il s'attira pour nous la malédiction et la colère. Liddon partage cette manière de voir : Les apôtres, dit-il, nous enseignent que l'humanité est en esclavage et que Christ paie sur la croix leur rançon. Christ crucifié se dévoue et se fait maudire volontairement. Liddon va jusqu'à parler du degré précis d'ignominie et de souffrance exigé pour la rédemption, et dit que la victime divine paya au-delà de ce qui était nécessaire 214."<br />Telles sont les opinions contre lesquelles s'élève le docteur Mc Leod Campbell – un homme érudit et profondément religieux – dans son ouvrage bien connu, On the Atonement, livre rempli de pensées vraies et belles. F. D. Maurice, et d'autres Chrétiens encore, se sont efforcés de délivrer le Christianisme du fardeau d'une doctrine aussi contraire à toute notion vraie concernant les relations entre l'homme et Dieu.<br />Il n'en est pas moins vrai qu'en donnant un regard en arrière aux effets produits par cette doctrine, nous constatons que la croyance en elle, même sous sa forme juridique – et pour nous naïvement exotérique – accompagne parfois, chez les Chrétiens, un développement moral extrêmement avancé ; que certains Chrétiens et certaines Chrétiennes admirables y ont puisé leur force, leur inspiration et leur paix. [153]</p> <p style="text-align: center;"><em>213 A. BESANT, Essay on the Atonement (Essai sur la Rédemption).</em><br /><em>214 A. BESANT, loc. cit.</em></p> <p style="text-align: center;">Il serait injuste de ne pas reconnaitre le fait. Or, quand un fait se présente à nous, d'apparence surprenante et anormale, il est bon de s'y arrêter et de chercher à le comprendre. Si cette doctrine ne renfermait que ce qu'y voient ses adversaires, tant dans les Églises qu'au dehors – si, dans sa véritable signification, elle était aussi répulsive pour la conscience et l'intelligence qu'elle l'est pour beaucoup de Chrétiens réfléchis, elle n'eût pas, certainement, exercé sur la pensée et sur le coeur des hommes une fascination irrésistible, ni fait naitre tant d'actes d'abnégation héroïque – tant d'exemples de renoncement profondément touchants, en faveur de l'humanité. Il doit y avoir, dans cette doctrine, quelque chose de plus que ce qu'on voit à la surface – un principe profond dont la vie a nourri ceux qu'elle a inspirés ; si nous l'étudions comme faisant partie des Mystères Mineurs, nous découvrons la vie cachée, inconsciemment absorbée par ces natures d'élite, par ces âmes dont l'union avec la vie était si étroite que la forme dont elle se voile ne les arrêtait pas.<br />Envisageons cette doctrine comme un des Mystères Mineurs et nous éprouverons, en l'étudiant, le sentiment que, pour la pénétrer, il faut un certain degré de développement spirituel – un certain éveil de la vision interne. Pour la bien comprendre, il est nécessaire que son esprit ait déjà commencé à grandir dans notre vie, et ceux-là seuls qui se font une idée pratique de ce que peut signifier le renoncement seront capables d'entrevoir le sens de l'enseignement ésotérique, quand il montre, dans cette doctrine, la manifestation typique de la Loi du Sacrifice. Nous [154] ne saurions la comprendre dans son application au Christ, sans y voir une manifestation particulière d'une loi universelle – l'image ici-bas du Modèle qui est là-haut – nous montrant, dans une vie humaine concrète, ce que signifie le sacrifice.<br />La Loi du Sacrifice est au fond de notre système solaire comme de tous les autres ; elle est la base de tous les univers ; elle est la racine de l'évolution et seule la rend intelligible ; dans la doctrine de la Rédemption, elle prend une forme concrète, se personnifiant dans les hommes arrivés à un certain degré de développement spirituel qui leur permet de réaliser leur unité avec l'humanité et de devenir – réellement et véritablement – les Sauveurs des hommes.<br />Toutes les grandes religions de ce monde ont déclaré que l'univers prenait naissance dans un acte de sacrifice ; toutes ont incorporé l'idée de sacrifice dans leurs rites les plus solennels. Suivant l'Indouisme, l'aurore de la manifestation est un sacrifice 215 et l'humanité émane d'un sacrifice 216 ; c'est la Divinité qui Se sacrifie 217 ; le sacrifice a pour objet la manifestation ; la Divinité ne peut Se manifester avant Elle 218, l'acte de sacrifice est appelé "l'aurore" de la création.<br />La religion de Zoroastre enseignait que, dans L'Existence illimitée, impossible à comprendre et à nommer, un sacrifice fut accompli et que la Divinité manifestée [155] apparut. Ahuramazdâo naquit d'un acte de sacrifice 219.<br />Dans la religion Chrétienne la même idée se retrouve dans ces mots – l'Agneau immolé dès la fondation du monde… immolé à l'origine des choses – expression ne pouvant se rapporter qu'à la grande vérité : un monde ne peut être fondé tant que la Divinité n'a pas accompli un acte de sacrifice. Cet acte, dit-il, consiste, pour la Divinité, à Se limiter afin de Se manifester. – "La Loi du Sacrifice devrait peut-être s'appeler plus exactement la Loi de la Manifestation, ou encore la Loi de l'Amour et de la Vie – car partout, dans l'univers, du plus haut au plus bas, elle est la cause de la manifestation et de la vie 220."</p> <p style="text-align: center;"><em>215 Brihadâranyakopanishat, I, I, 1.</em><br /><em>216 Bhagavad Gîtâ, III 10.</em><br /><em>217 Brihadâranyakopanishat, I, II, 7.</em><br /><em>218 Mundakopanishat, II, II, 1.</em><br /><em>219 HAUG, Essais sur les Parsis, pp. 12-14.</em><br /><em>220 W. WILLIAMSON, The Great Law, p. 406.</em></p> <p style="text-align: center;">"Or, en considérant ce monde physique comme étant le plus à notre portée, nous constatons que toute la vie qu'il renferme, tout développement, tout progrès – qu'il s'agisse d'unités ou de groupes – a pour condition un sacrifice continuel. Les minéraux sont sacrifiés aux végétaux – les végétaux aux animaux – et les uns et les autres à l'homme – l'homme à ses semblables – jusqu'à ce qu'enfin les formes supérieures se désagrègent de nouveau et viennent renforcer de leurs éléments constitutifs le règne le plus bas. Les sacrifices se succèdent d'une manière ininterrompue, du plus bas au plus haut, et le progrès n'a pour signe essentiel que le sacrifice, d'abord involontaire et imposé, devient volontaire et librement accepté. Ceux que l'intelligence de l'homme [156] a placés le plus haut – ceux à qui son coeur s'attache le plus sont ces victimes suprêmes – ces âmes de héros qui luttèrent, souffrirent et moururent afin que leur race tirât profit de leurs douleurs. Si le monde est l'oeuvre du Logos – si le progrès du monde a pour loi, dans son ensemble comme dans ses détails, le sacrifice, – il faut bien que la Loi du Sacrifice se rattache à la nature même du Logos et qu'elle ait sa racine dans la Nature Divine. Un instant de réflexion nous montrera ensuite que l'existence d'un monde, d'un univers, n'est possible qu'à une seule condition : il faut que l'Existence Unique Se soumette à des restrictions et rende ainsi la manifestation possible ; il faut que le Logos Lui-même soit ce Dieu volontairement limité – limité pour Se manifester – manifesté pour amener l'univers à l'existence. Une limitation volontaire et une manifestation semblable ne peuvent être qu'un acte suprême de sacrifice ; aussi, comment s'étonner que partout le monde porte la marque de sa naissance et que la Loi du Sacrifice soit la loi de l'être – la loi des vies filiales.<br />Cette limitation volontaire étant un acte de sacrifice qui a pour but d'appeler à l'existence des vies individuelles et de leur faire partager la béatitude Divine, elle est, bien véritablement, un acte de substitution – un acte accompli pour l'amour d'autrui. Aussi – comme nous l'avons déjà montré, le progrès a-t-il pour signe le sacrifice devenu volontaire et librement consenti et nous reconnaissons que l'humanité est parvenue à sa perfection dans l'homme qui se donne pour ses semblables et, au prix de sa propre [157] souffrance, acquiert pour sa race quelque avantage sublime.<br />C'est ici, dans ces régions transcendantes, que se trouve la vérité essentielle du sacrifice pour autrui. Ce sacrifice a été présenté d'une manière qui le dégrade et le fausse – mais la vérité spirituelle qui en est l'âme nous le rend indestructible et éternel ; il est la source d'où jaillit l'énergie spirituelle qui – sous mille formes et de mille manières – rachète le monde au péché et le fait rentrer dans la maison paternelle – en Dieu 221."<br />Quand le Logos quitte le Sein du Père – en ce jour où Il est dit être engendré 222 – à l'aurore du Jour de la Création ou de la Manifestation – quand, par Lui, Dieu fait les mondes 223 – le Logos Se circonscrit volontairement Lui-même – façonne en quelque sorte une sphère enveloppant la Vie Divine – apparait comme un orbe Divinement radieux, la Substance Divine ou Esprit étant à l'intérieur et la limitation, ou Matière, à l'extérieur. Ce voile matériel rend possible la naissance du Logos : c'est Marie, la Mère du monde, nécessaire pour que l'Éternel puisse Se manifester dans les bornes du temps – Se manifester pour former les mondes.<br />C'est dans cette circonscription ou limitation que consiste l'acte de sacrifice, acte volontaire accompli par amour, afin que de Lui d'autres vies puissent naitre. Une manifestation semblable a été considérée [158] comme une mort, car, auprès de l'existence inimaginable de Dieu en Lui-même, un tel emprisonnement dans la matière peut véritablement s'appeler ainsi. Elle a été regardée, nous l'avons vu plus haut, comme une crucifixion au sein de la matière et, représentée de cette façon. Telle est la véritable origine du symbole de la croix – qu'il s'agisse de la croix dite de forme Grecque, symbolisant l'action vivifiante exercée par le Saint-Esprit sur la matière, ou de la croix dite Latine, représentant l'Homme Céleste – le Christ Supérieur 224.</p> <p style="text-align: center;"><em>221 A. BESANT, Nineteenth Century, juin 1895, The Atonement.</em><br /><em>222 Héb., 1, 5.</em><br /><em>223 Ibid., 2.</em><br /><em>224 C. W. LEADBEATER, The Christian Creed, pp. 74, 76.</em></p> <p style="text-align: center;">"En remontant jusque dans la nuit des temps, pour y rechercher les origines du symbolisme de la croix Latine, les investigateurs s'attendaient à voir disparaitre la figure et subsister seul l'emblème cruciforme qu'ils supposaient plus ancien ; or, il arriva précisément le contraire, et ils constatèrent avec surprise que la croix finit par disparaitre, laissant isolée la figure aux bras étendus. Celle-ci cesse d'impliquer aucune idée de souffrance ou de chagrin – bien qu'elle parle de sacrifice ; elle est plutôt, maintenant, le symbole de la joie la plus pure qui puisse se trouver dans le monde, la joie de donner librement, car elle représente l'Homme Divin, debout dans l'espace, les bras étendus pour bénir, répandant Ses dons sur l'humanité entière, Se prodiguant Lui-même dans toutes les directions, descendant dans cette "mer épaisse" de matière où Il Se laisse enserrer, enfermer, [159] emprisonner, afin que, par cette descente, nous puissions être appelés à l'existence 225."<br />Ce sacrifice est perpétuel, car, dans cet univers infiniment varié, il n'est pas de forme qui ne recouvre cette vie et ne l'ait pour âme : c'est le "Coeur du Silence" du Rituel Égyptien, le "Dieu Caché". Ce sacrifice est le secret de l'évolution. La Vie Divine, emprisonnée dans une forme, exerce vers l'extérieur une pression constante, afin que la forme puisse se dilater – mais cette pression est douce, de peur que la forme ne se brise avant d'avoir atteint la limite extrême d'expansion dont elle est susceptible. Avec une patience, une prudence, un tact infinis, l'Être Divin maintient la pression qui dilate, sans mettre en jeu une puissance qui pourrait détruire. Dans toute forme – dans le minéral, dans le végétal, dans l'homme, cette énergie expansive du Logos agit sans cesse. Telle est la force évolutive – la vie qui habite les formes et les fait progresser ; la science l'entrevoit mais en ignore l'origine. Le botaniste nous parle d'une énergie qui réside dans la plante et sans cesse la fait croitre ; il ignore comment, il ignore pourquoi ; il se borne à nommer cette énergie la vis a fronte, parce qu'il constate sa présence ou plutôt ses résultats. Elle existe dans d'autres formes tout comme dans le monde végétal et les rend de plus en plus aptes à exprimer la vie qu'elles contiennent. Une forme quelconque atteint-elle la limite du développement dont elle est susceptible, ne présente-t-elle plus aucun avantage à son âme – ce germe du Logos [160] au-dessus duquel Il plane – Il retire alors Son énergie, et la forme se désagrège : c'est ce que nous appelons la mort et sa décomposition. Mais l'âme est auprès de Lui ; Il façonne pour elle une forme nouvelle, et la mort de l'ancienne est la naissance de l'âme à une vie plus large. Si nous voyions par les yeux de l'Esprit au lieu de voir par les yeux de la chair, nous ne pleurerions pas sur une forme – ce n'est qu'un cadavre restituant les éléments dont il a été bâti – mais nous verrions, avec joie, la vie en progrès passer dans une forme plus haute, pour développer sous l'action d'un processus invariable les forces encore latentes en elle.</p> <p style="text-align: center;"><em>225 C. W. LEADBEATHR, op. cit., pp. 76, 77.</em></p> <p style="text-align: center;">Ce sacrifice perpétuel du Logos permet à toutes les vies d'exister ; il est le principe vivant qui permet l'éternel devenir de l'univers. Cette vie est Une mais elle revêt des formes innombrables qu'elle tend à réunir en maitrisant avec douceur leur résistance. Par-là elle est une force d'unification 226 qui permet aux vies séparées de devenir graduellement conscientes de leur unité ; elle tend à développer dans chacun une soi-conscience qui finira par se reconnaitre une avec toutes les autres, comme elle reconnaitra l'Unité et la divinité de sa racine.<br />Tel est le grand – l'incessant sacrifice. On voit qu'il consiste en une effusion de Vie, déterminée par l'Amour – effusion volontaire et joyeuse de Lui-même, [161] afin de créer d'autres centres individuels. C'est là la joie de ton maitre 227, dans laquelle entre le fidèle serviteur ; et ces mots sont suivis par la déclaration significative que – dans les enfants et dans les hommes secourus ou négligés – Il avait eu faim et soif, qu'Il avait été malade, étranger, prisonnier. Pour l'Esprit libéré de toute entrave, se donner est une joie, et il se sent vivre d'une manière d'autant plus intense que sa vie se répand plus généreusement. Plus il donne, plus Il se développe – car la croissance de la vie a pour loi qu'elle augmente en se dépensant et non pas en empruntant au-dehors – en donnant et non en prenant. Le Sacrifice est donc essentiellement une cause de joie. Le Logos Se répand au-dehors pour créer un monde et – voyant le travail de Son âme – Il est satisfait 228.<br />Le mot a pourtant fini par impliquer une idée de douleur. Tout rite de sacrifice religieux présente un élément de souffrance – quand ce ne serait qu'une perte légère éprouvée par l'homme qui sacrifie. Il est bon de comprendre comment l'expression de "Sacrifice" est arrivée à évoquer distinctement une idée de souffrance.<br />Nous en trouvons l'explication en nous plaçant au point de vue, non plus de la Vie qui se manifeste, mais des formes qu'elle revêt – et en envisageant la question du sacrifice comme elle apparait, vue du côté des formes. Se donner est la vie même de la Vie – mais prendre est la vie ou la conservation [162] de la forme ; car la forme s'use par l'action ; elle diminue par l'effort ; pour continuer à exister, elle est obligée de prendre autour d'elle des<br />226 Le mot Atonement, pris dans son sens habituel, signifie expiation et par suite rédemption – mais étymologiquement, At-one-ment, mot qui se trouve ici dans le texte, signifie la réunion d'éléments séparés en un seul. Il n'existe pas en français de mot offrant ce double sens. (NDT)</p> <p style="text-align: center;"><em>227 Saint Matth., 21, 23, 31-45.</em><br /><em>228 Esaïe, LIII, 11.</em></p> <p style="text-align: center;">éléments nouveaux et de réparer ainsi les pertes qu'elle éprouve ; autrement elle se réduirait et finirait par disparaitre. La forme ne saurait se maintenir sans saisir et sans garder, sans assimiler enfin ce qu'elle a saisi ; la condition de son développement est de prendre et d'absorber ce qu'elle trouve à sa portée dans les régions de l'univers qui s'étendent autour d'elle. Á mesure que la conscience s'identifie davantage avec la forme et la considère graduellement comme elle-même, le sacrifice prend un aspect pénible. L'homme sent que le don, la cession, la perte de ce qu'il a acquis est incompatible, au fond, avec le maintien de la forme ; aussi la Loi du Sacrifice perd-elle son caractère de joie pour revêtir un caractère douloureux.<br />L'homme avait à apprendre, par la destruction continuelle des formes et par les souffrances inséparables de cette destruction, qu'il ne devait pas s'identifier avec les formes passagères et changeantes, mais bien avec la vie, persistante et toujours croissante ; cette leçon, l'homme ne l'a pas seulement reçue de la nature extérieure ; il la doit encore aux enseignements précis des grands Instructeurs qui lui ont donné ses religions.<br />Les religions de ce monde permettent de reconnaitre quatre grands degrés dans l'enseignement de la Loi du Sacrifice. Tout d'abord l'homme apprend à sacrifier une partie de ses possessions matérielles pour s'assurer une prospérité matérielle plus grande ; [163] il sacrifie, aux hommes sous forme d'aumônes, aux Dieux sous forme d'offrandes ; les Écritures Indoue, Zoroastrienne, Hébraïque, que dis-je, toutes les Écritures du monde nous parlent de ces sacrifices. L'homme renonce à des objets dont il fait cas afin de s'assurer une prospérité future, pour lui-même, sa famille, sa communauté, son peuple. Il requiert par le sacrifice présent un avantage futur. La seconde leçon est un peu plus difficile. Le gain à s'assurer par le sacrifice n'est plus la prospérité physique ni un bien matériel, mais la béatitude céleste. Il faut gagner le ciel et obtenir le bonheur d'outre-tombe ; c'est là que les sacrifices consentis pendant la vie terrestre trouvent leur récompense.<br />L'homme fit un grand pas en avant, le jour Où il apprit à renoncer aux objets de sa convoitise physique pour s'assurer dans l'avenir un bien qu'il ne pouvait pas voir et dont il ne pouvait prouver l'existence. Il apprit ainsi à sacrifier le visible à l'invisible et, par-là, s'éleva d'un degré sur l'échelle de l'Être ; car telle est la fascination exercée par les objets visibles et tangibles que le fait, pour un homme, de leur préférer un monde invisible auquel il croit est une preuve d'énergie considérable et de progrès marqué vers la réalisation de ce monde invisible. Que de fois des hommes ont subi le martyre ou bravé la honte – que de fois ils ont appris à porter dans la solitude le fardeau de toutes les souffrances, de toute la détresse, de toutes les humiliations que leurs semblables pouvaient leur infliger ! Ils regardent au-delà du tombeau. Assurément, un ardent désir d'obtenir la gloire céleste subsistait encore en eux, mais c'est une [164] très grande chose que de supporter ici-bas la solitude et de n'avoir de compagnons que dans le monde spirituel, de persister dans la vie intérieure quand la vie extérieure n'est qu'une torture sans fin.<br />Une troisième leçon reste à apprendre. L'homme constate maintenant qu'il fait partie d'une vie plus vaste ; il consent à se sacrifier pour le bien de tous et acquiert par-là la force de reconnaitre que le sacrifice est bon – qu'une partie, un fragment, une unité de la Vie Totale, doit se subordonner à l'ensemble. L'homme apprend à bien agir sans se préoccuper de ce qui résultera pour lui-même – à faire son devoir sans penser aux conséquences personnelles – à endurer parce qu'il est bon d'endurer et sans songer à une récompense – à donner parce que l'humanité a droit à ses dons et sans être poussé par l'idée que le Seigneur les lui rendra. L'âme héroïque est dès lors prête à recevoir la quatrième leçon : elle apprend que toutes les possessions du fragment séparé doivent être offertes, l'Esprit n'étant pas en réalité distinct de la Vie Divine mais en faisant partie ; enfin, l'homme se répand au-dehors comme étant un fragment de la Vie Universelle et, dans l'expression de cette Vie, partage la joie de son Seigneur.<br />C'est dans les trois premiers stades que le sacrifice présente un caractère pénible. Dans le premier, les souffrances sont minimes ; dans le second, la vie physique et toutes les possessions terrestres peuvent être demandées ; le troisième est la période critique où la croissance et l'évolution de l'âme humaine sont mises à l'épreuve… Car, dans ce stade, le devoir peut exiger tout ce qui semble constituer la vie, et [165] l'homme qui se sent encore un avec la forme, tout en se sachant, en théorie, au-dessus d'elle, voit que tout ce qu'il connait comme sa vie est exigé de lui. "Si j'en fais l'abandon – se demande-t-il – que va-t-il me rester ?" La conscience elle-même semble devoir sombrer dans ce sacrifice, car il lui faut renoncer à tout ce qu'elle regarde comme réel et, au-delà elle ne voit rien à saisir en échange. Une conviction irrésistible, une voix impérieuse demandent à l'homme d'abandonner sa vie même. Reculer c'est persister dans la vie de la sensation, dans la vie intellectuelle, dans la vie de ce monde. Mais en conservant les joies qu'il n'a pas la résolution d'abandonner, l'homme éprouve un désenchantement constant, des désirs que rien n'assouvit, des regrets sans fin ; il est dégouté des plaisirs terrestres ; il réalise toute la vérité de cette parole du Christ : Celui qui veut sauver sa vie la perdra 229 ; il voit qu'il n'aime la vie et qu'il ne s'y est cramponné que pour la perdre en réalité. L'homme se décide-t-il, au contraire, à tout risquer pour obéir à la voie impérieuse ; renonce-t-il à son existence ? Alors, dans ce sacrifice, il la retrouve pour la vie éternelle 230 ; il constate en même temps que la vie sacrifiée n'était qu'une mort dans la vie, que tous les objets abandonnés étaient une illusion et qu'il a trouvé la réalité. La détermination à prendre éprouve le métal de l'âme. L'or pur s'échappe seul du creuset flamboyant où la vie a semblé périr, mais où elle a pris naissance. L'homme découvre [166] ensuite, avec joie, que la vie ainsi trouvée est désormais à tous et non point pour le moi séparé, que l'abandon du moi séparé a permis à l'homme de se connaitre véritablement lui-même et qu'en sacrifiant les limites qui semblaient être la condition même de la vie, il s'est au fond répandu dans des formes sans nombre, en vertu d'une vie qui ne finit point 231.<br />Telle est, dans ses grandes lignes, la loi du Sacrifice ; elle a pour base le Sacrifice fondamental consenti par le Logos – ce Sacrifice dont tous les autres ne seront que des reflets.<br />Nous avons vu comment l'homme Jésus, le disciple Hébreu, fit joyeusement abandon de Son corps, afin qu'une Vie plus auguste pût descendre ici-bas et s'incarner dans la forme ainsi volontairement sacrifiée par Lui – comment, en vertu de cet acte, Il devint un Christ parfait, pour être le Protecteur du Christianisme et répandre Sa vie dans la grande religion fondée par l'Être Puissant avec lequel Il S'était identifié par son Sacrifice. Nous avons vu l'Âme-Christ recevoir l'une après l'autre les grandes Initiations – naissant d'abord comme un petit enfant, entrant ensuite dans le fleuve des douleurs terrestres, dont les eaux doivent lui conférer le baptême du ministère actif, transfiguré sur la Montagne, théâtre de son dernier combat et triomphant de la mort. Nous allons voir maintenant dans quel sens c'est une rédemption et comment la Loi du Sacrifice trouve, dans la vie du Christ, son expression parfaite. [167] Le commencement de ce que nous pouvons appeler le ministère du Christ parvenu à la virilité est marqué par cette compassion profonde et inlassable pour les souffrances du monde, que symbolise la descente dans le fleuve. La vie du Christ doit désormais se résumer dans cette phrase : Il allait de lieu en lieu, faisant du bien ; car ceux qui sacrifient leur vie séparée afin de devenir le canal de la Vie Divine ne peuvent avoir en ce monde d'autre intérêt que de servir leurs semblables. Le Christ apprend à s'identifier avec la conscience de ceux qui l'entourent, à sentir comme ils sentent, à penser comme ils pensent, à partager leurs joies et leurs peines ; il fait passer dans sa vie journalière, à l'état de veille, ce sentiment de son unité avec autrui qu'il constate d'une manière effective sur les plans supérieurs. Sa sympathie doit arriver à vibrer dans une harmonie parfaite, avec l'accord multiple de la vie humaine, afin de pouvoir réunir en lui-même les vies humaine et divine et devenir un médiateur entre le ciel et la terre.</p> <p style="text-align: center;">229 Saint Matth., XVI, 25.<br />230 Saint Jean, XII, 25.<br />231 Héb., VII, 16.</p> <p style="text-align: center;">Des pouvoirs se manifestent maintenant en sa personne, car l'Esprit s'est posé sur lui ; les hommes commencent à voir en lui un de ceux qui sont capables d'aider leurs frères plus jeunes dans le chemin de la vie ; ils l'entourent ; ils sentent la force qui émane de lui, la Vie divine travaillant dans le Fils, dans l'Envoyé du Très-Haut. Les âmes affamées vont à lui ; il les rassasie du pain de vie ; les âmes qui souffrent du péché s'approchent de lui ; il les guérit en prononçant la parole de vie qui chasse la maladie et rend à l'âme la santé ; les âmes aveuglées par l'ignorance recherchent sa présence ; il dessille leurs [168] yeux par la lumière de sa sagesse. Ce qui caractérise, avant tout, son ministère c'est que les plus humbles et les plus pauvres, les plus désespérés et les plus dégradés ne sentent, en l'approchant, aucune muraille qui les sépare de lui et n'éprouvent, en se serrant autour de lui, qu'un accueil bienveillant – jamais la répulsion. Car, de sa personne, rayonne un amour qui comprend tout et, par conséquent, ne saurait vouloir repousser personne. Quel que soit le manque de développement d'une âme, jamais elle ne sent l'Âme-Christ au-dessus d'elle ; elle la voit plutôt à ses côtés, foulant d'un pied humain le même sol – et cependant remplie de je ne sais quel pouvoir étrange qui a le don de la relever elle-même et de faire naitre, en elle aussi, des élans inconnus et des inspirations nouvelles.<br />Ainsi vit et travaille le Christ – véritable Sauveur d'hommes – jusqu'au jour où il lui faut apprendre une autre leçon et perdre momentanément la conscience de cette Vie divine dont la sienne n'a cessé de devenir l'expression de plus en plus fidèle. Et cette leçon est celle-ci : le véritable centre de la Vie Divine est en nous : il n'est pas au-dehors. Le Soi a son centre dans toute âme humaine. Oui "le centre est partout" – car Christ est en tous et Dieu en Christ. Aucune vie incarnée – rien de "ce qui est hors de l'Éternel 232" ne saurait aider le Christ dans sa détresse. Il lui faut apprendre que la véritable unité du Père et du Fils se trouve au-dedans, et non au-dehors, et cette leçon demande l'isolement absolu [169] dans cette heure où il se sent abandonné par le Dieu qui est extérieur à son âme. L'épreuve approche. Il adjure ceux qui l'entourent de veiller avec lui pendant cette heure obscure, mais toutes les sympathies humaines lui font défaut, toutes les affections humaines le trahissent ; il ne lui reste plus pour refuge que l'Esprit divin. Poussant alors un cri vers son Père, auquel il se sent consciemment uni, il lui adresse cette prière : "S'il est possible, que ce calice passe loin de moi !"<br />Ayant supporté les angoisses dans la solitude, sans autre appui que ce secours Divin, le Christ est digne d'affronter la dernière épreuve. Le Dieu du dehors disparait ; seul le Dieu intérieur lui reste. – Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ! – tel est le cri amer de son amour inquiet et de sa frayeur. L'isolement suprême descend sur lui, et il se sent abandonné et seul. Jamais cependant le Père n'est plus près du Fils que dans cette heure d'abandon ; car, tandis que le Christ touche le fond de cet abime douloureux, l'aube triomphale commence à poindre. Il comprend qu'il doit devenir le Dieu qu'il implore et – en éprouvant la dernière douleur de la séparation – il découvre l'unité éternelle, il sent jaillir en lui-même la source de la vie, il se sait éternel.<br />Nul ne peut devenir un véritable Sauveur d'hommes ni partager, avec une sympathie parfaite, toutes les souffrances humaines, sans avoir affronté et vaincu la douleur, la crainte et la mort, avec la seule aide du Dieu intérieur. Que dis-je ! La souffrance n'existe pas, tant que cette conscience persiste intégralement, [CE 170] car la lumière d'en haut rend ici-bas les ténèbres impossibles, et la douleur n'est pas la douleur quand elle est supportée sous le sourire de Dieu ! Il existe une autre souffrance qui attend l'homme – qui attend tout Sauveur de l'humanité : c'est l'obscurité qui voile la conscience humaine et lui dérobe jusqu'au plus faible rayon de lumière. Il faut connaitre le désespoir affreux éprouvé par l'âme humaine quand les ténèbres l'entourent et que la conscience, cherchant à tâtons, ne trouve aucune main qu'elle puisse serrer. Ces ténèbres – tout Fils de l'Homme doit y descendre avant que puisse sonner l'heure de son ascension triomphante. L'amertume indicible de cette expérience, tout Christ doit la gouter avant de pouvoir sauver parfaitement 233 ceux qui, par lui, cherchent le Divin.</p> <p style="text-align: center;"><em>232 La Lumière sur le Sentier, § 8.</em></p> <p style="text-align: center;"><br />Un être comme celui-là est, en vérité, devenu Divin – un Sauveur d'hommes, et il se consacre désormais dans le monde à la tâche que toutes ces épreuves avaient pour but de préparer. Sur lui doivent fondre toutes les forces hostiles à l'humanité, afin qu'en lui elles soient transformées en forces secourables ; il devient ainsi, sur la terre, un de ces centres de Paix qui transmuent les forces agressives dont l'homme ne soutiendrait pas l'assaut. Oui – les Christs de ce monde sont les centres de Paix dans lesquels se déversent toutes les forces tumultueuses ; elles s'y transforment et ne sont plus, quand elles se répandent ensuite au-dehors, que des forces concourant à produire l'harmonie. [171]<br />Les souffrances du Christ qui n'est pas encore parfait sont causées, en partie, par cette mise d'accord, dans le monde, des forces discordantes. Bien qu'il soit un Fils, il doit être formé par la souffrance et ainsi arriver à la perfection 234. L'humanité serait déchirée par infiniment plus de luttes, et de dissensions, sans les disciples – Christs futurs – qui vivent au milieu d'elle et transforment beaucoup de forces dangereuses en forces de paix.<br />Le Christ, est-il dit, souffre "pour les hommes". – Sa force remplace leur faiblesse, Sa pureté, leur péché, Sa sagesse, leur ignorance. Rien n'est plus vrai, car le Christ S'est tellement identifié avec les hommes qu'ils partagent avec Lui et Lui avec eux. Il ne se substitue pas à eux, mais prend leurs vies dans la Sienne et répand Sa vie dans la leur. Ayant atteint le plan de l'unité, Il peut faire partager à autrui tout ce qu'Il y gagne, donner tout ce qu'Il y acquiert. Il domine le plan où la séparativité règne, et, jetant les yeux sur les âmes séparées les unes des autres, Il peut atteindre chacune, tandis qu'elles-mêmes ne peuvent communiquer. L'eau venant de niveaux supérieurs peut se répandre dans de nombreuses conduites s'ouvrant toutes au courant qui les alimente, sans cesser d'être étanches les unes pour les autres. Le Christ peut, de même, déverser en toute âme Sa vie. La seule condition pour qu'Il puisse faire partager Sa force à un frère plus jeune, c'est que, dans la vie séparée, la conscience humaine ait la volonté de s'ouvrir au principe divin, se montre capable de recevoir [172] la vie mise à sa portée et prenne possession de ce don généreusement offert. Car tel est le respect de Dieu pour cet Esprit, qui est Lui-même incarné dans l'homme, qu'Il ne verse dans l'âme humaine des flots de force et de vie que si elle consent à les recevoir. L'effusion d'en haut doit trouver en bas une porte ouverte. Á la nature supérieure qui veut donner, la nature inférieure doit répondre en se montrant susceptible de recevoir. C'est là le trait d'union entre le Christ et l'homme – ce que les Églises ont appelé l'effusion de la "grâce". Voilà ce qu'il faut entendre par "la foi" nécessaire pour que la grâce puisse agir. Suivant l'expression de Giordano Bruno, l'âme humaine a des fenêtres qu'elle peut fermer hermétiquement. Au-dehors, le soleil brille, la lumière est constante. Que les fenêtres s'ouvrent, et le soleil entrera. La lumière de Dieu vient frapper les fenêtres de toute âme humaine et, quand les fenêtres la laissent entrer, l'âme est illuminée. Dieu ne saurait changer – mais l'homme change, et sa volonté doit rester libre : autrement la Vie divine qui est en lui serait entravée dans son évolution régulière.</p> <p style="text-align: center;"><em>233 Héb., VII, 25.</em><br /><em>234 Héb., V, 8, 9.</em></p> <p style="text-align: center;">C'est ainsi que, dans tout Christ qui S'élève, toute l'humanité s'élève d'un degré et que, par Sa sagesse, l'ignorance du monde entier devient moins profonde. Chaque homme est moins faible, grâce à Sa force qui descend sur l'humanité entière et pénètre dans les âmes séparées. De cette doctrine, interprétée d'une manière étroite et, par conséquent, mal comprise, est sortie l'idée de la Rédemption par substitution, envisagée comme une transaction, pour ainsi dire juridique, entre Dieu et l'homme – transaction en [173] vertu de laquelle Jésus S'est mis à la place du pécheur. Les Églises n'ont pas su comprendre qu'un Être parvenu aussi haut ne fait véritablement qu'un avec Ses frères. L'identité de nature a été prise pour une substitution personnelle ; aussi la vérité spirituelle a-t-elle disparu dans la doctrine cruelle d'un marché juridique.<br />"Il comprend dès lors sa place ici-bas et l'oeuvre qu'Il doit accomplir dans la nature : être un Sauveur – expier les péchés des hommes ; Il Se tient dans le coeur central du monde, le Saint des Saints, comme Grand Prêtre de l'Humanité ; Il est un avec tous Ses frères – non par substitution, mais par l'identité d'une vie commune. Les hommes pèchent-ils – le Christ Se fait pécheur avec eux, afin que Sa pureté puisse effacer leurs souillures ; sont-ils dans la tristesse – Il est, en eux, l'Homme de douleur ; tout coeur brisé brise le Sien. Des âmes sont-elles dans la joie – Il est joyeux avec elles, en elles il répand le bonheur. Des âmes sont-elles dans le besoin – Il en souffre avec elles, afin de pouvoir les combler de Ses richesses<br />surabondantes ; Il possède tout – elles peuvent donc tout posséder avec Lui. Il est Parfait – elles deviennent parfaites avec Lui. Il est fort – qui donc pourrait, à Ses côtés, se sentir faible ? Il S'est élevé afin de répandre le flot de Ses grâces sur tous ceux qui sont au-dessous de Lui, et Il vit afin que tous puissent partager Sa vie. Son élévation est, pour le monde entier, une cause de relèvement, et le chemin est, pour tous les hommes, plus facile à suivre, parce qu'Il les a précédés. [174]<br />Tout fils de l'homme peut ainsi devenir un Fils de Dieu manifesté, un Sauveur du monde ; chacun de ces Fils est Dieu manifesté en chair 235 – le rédempteur qui aide l'humanité entière – la puissance vivante qui renouvèle toutes choses. Une seule condition est nécessaire pour permettre à cette puissance de se manifester dans l'âme individuelle : il faut que l'âme ouvre la porte et laisse entrer le Christ, qui pénétrant tout, ne saurait pourtant entrer de force et contre la volonté de Son frère. La volonté humaine a la faculté de faire opposition à Dieu comme à l'homme ; or, il faut qu'elle s'associe à l'action divine de plein gré, sans aucune contrainte extérieure. Ainsi l'exige la loi évolutive. Que la volonté ouvre la porte et la vie inondera l'âme. Tant que la porte reste close, la vie ne pourra qu'exhaler son ineffable parfum, afin que cet arôme exquis réussisse à franchir la barrière que la force ne peut renverser."<br />Voilà – en partie – ce qu'il faut entendre par un Christ. Mais comment la plume matérielle pourrait-elle donner une image de ce qui est immortel ? Comment des mots pourraient-ils décrire ce qui défie la parole ? Aucune langue ne peut exprimer – l'intelligence sans lumière d'en haut ne peut comprendre ce mystère : le Fils uni au Père portant dans Son sein les fils des hommes 236.</p> <p style="text-align: center;">235 1 Tim., III, 16.<br />236 ANNIE BESANT, Theosophical Review, déc. 1898, pp. 344-345.</p> <p style="text-align: center;">Pour s'élever un jour jusqu'à une vie semblable, il faut, dès aujourd'hui, dans cette vie inférieure, [175] commencer à marcher sous l'ombre de la Croix, sans mettre en doute la possibilité de cet avenir exalté, car ce serait douter du Dieu intérieur. "Avoir foi en soi-même" – est un des enseignements qui résultent pour nous d'une conception supérieure de la nature humaine, car cette foi est, en réalité, la croyance au Dieu intérieur. Il y a une manière de placer la vie journalière sous l'ombre de la vie du Christ, c'est de faire de tout acte un sacrifice – de l'accomplir, non pour l'avantage personnel qui en résultera, mais pour ce qu'il rapportera aux autres et – dans cette vie terre à terre, vie d'humbles devoirs, d'actes mesquins, d'intérêts vulgaires – de changer le motif et, par-là, de tout transformer. Rien, dans la vie extérieure n'en sera pour cela modifié. Quel que soit le genre de vie, le sacrifice est possible, quel que soit le milieu, Dieu peut être servi. L'éveil de la spiritualité n'est pas marqué par l'action mais par la manière dont l'action est faite. Ce n'est pas des circonstances, mais bien de notre attitude vis-à-vis d'elles que dépend notre développement. – "A vrai dire, ce symbole de la croix peut nous servir de pierre de touche, ici-bas, pour distinguer le bien du mal, dans bien des moments difficiles. Les seules actions dignes de la vie du disciple – est-il dit dans un recueil de maximes occultes – sont celles qu'illumine la lumière de la croix. – Il faut entendre par là que l'aspirant doit avoir pour mobile la ferveur d'un amour prêt à tous les sacrifices. Nous retrouvons un peu plus loin la même pensée : Quand un homme entre dans le sentier, il dépose son coeur sur la Croix ; quand la croix et le coeur ne font plus [176] qu'un, le but est atteint. – Ceci nous permettra peut-être de déterminer notre degré d'avancement, en examinant si c'est l'égoïsme ou l'oubli de nous-mêmes qui domine dans notre vie 237."<br />Toute vie qui commence à se former ainsi prépare la caverne où le Christ-Enfant devra naitre ; elle ne sera plus qu'une rédemption ininterrompue, divinisant de plus en plus les éléments humains. Toute vie semblable s'épanouira dans la vie d'un "Fils bienaimé," et rayonnera, un jour, de la gloire du Christ. Tout homme peut tendre vers ce but en faisant le sacrifice de tous ses actes et de toutes ses facultés, jusqu'au moment où l'or sera séparé de toute impureté et où le métal pur subsistera seul.<br />237 C. W. LEADBEATER, le Crédo chrétien, p. 82.</p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>CHAPITRE VII </strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>—</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><span style="font-size: 18pt;"><strong>LA RÉDEMPTION</strong></span></p> <p style="text-align: center;"><br />Nous allons étudier maintenant certains aspects de la Vie du Christ, tels que nous les présentent les doctrines Chrétiennes. Dans les enseignements exotériques, ils ne semblent se rapporter qu'à la Personne du Christ ; dans les enseignements ésotériques, ils s'appliquent assurément à Lui, puisque, dans leur sens primaire, le plus étendu et le plus profond, ils font partie des modes d'action du Logos, mais ne sont présents que par reflet dans le Christ, et par suite dans toute Âme-Christ qui suit le chemin de la Croix ; étudiés sous ce jour, ils apparaitront profondément vrais ; sous leur forme exotérique, au contraire, ils déroutent souvent l'intelligence et froissent les sentiments.<br />La doctrine de la Rédemption vient en première ligne. Non seulement elle a provoqué des attaques acharnées venant du dehors, mais encore elle a fait le tourment, au sein du Christianisme, de bien des consciences sensibles. Certains esprits profondément Chrétiens appartenant à la seconde moitié du dix-neuvième [149] siècle, ont été torturés par leurs doutes concernant cette doctrine de l'Église, ils se sont efforcés de l'envisager et de la présenter sous une forme qui atténue ou rend acceptables, par des explications, les notions plus naïves basées sur une interprétation inintelligente de quelques textes extrêmement mystiques. Il faudrait ici, plus peut-être que partout ailleurs, se rappeler cet avertissement de saint Pierre 212 :… Paul, notre bienaimé frère ; vous l'a aussi écrit, selon la sagesse qui lui a été donnée comme il le dit, d'ailleurs, dans toutes les lettres où il aborde ces sujets, lettres qui, en certains passages, sont difficiles à comprendre et que des personnes ignorantes et mal affermies tordent aussi les autres Écritures. Car les textes qui nous parlent de l'identité du Christ avec les hommes Ses frères ont été tordus de manière à Le montrer substitué juridiquement à ceux-ci ; on y a vu, par suite, une manière d'éviter les conséquences du péché, au lieu d'un encouragement à la vertu.</p> <p style="text-align: center;"><em>212 II Saint Pierre, III, 15-16.</em></p> <p style="text-align: center;">Suivant l'enseignement généralement donné, dans l'Église Primitive, au sujet de la Rédemption, Christ, Représentant de l'Humanité, brava et vainquit Satan, représentant des Puissances Ténébreuses, qui retenait l'humanité en esclavage, lui arracha sa captive et la remit en liberté. Petit à petit, à mesure que les docteurs Chrétiens perdaient le sentiment des vérités spirituelles et qu'ils altéraient, par leur intolérance et leur dureté croissantes, l'idée du Père aimant et pur dont parlait le Christ, ils Le montrèrent irrité [150] contre l'homme que Christ ne sauvait plus désormais des liens du mal, mais bien de la colère Divine. Puis des expressions juridiques se glissèrent dans les textes et matérialisèrent encore une idée jadis spirituelle – jusqu'à ce que le plan de la rédemption fût esquissé, pour la défense de l'homme. – "Ce fut Anselme, dans son grand ouvrage, Cur deus Homo, qui donna un corps à l'idée du plan de la rédemption, et la doctrine qui avait lentement grandi dans la théologie Chrétienne reçut désormais le sceau de l'Église. Á l'époque de la Réforme, les Catholiques Romains et les Protestants voyaient, les uns et les autres, dans la rédemption opérée par le Christ, un remplacement et une substitution ; ils sont d'accord sur ce point. Je préfère laisser la parole aux théologiens Chrétiens ; ils exposeront eux-mêmes les caractères de la rédemption… D'après Luther : Christ a véritablement et effectivement éprouvé, pour toute l'humanité, la colère de Dieu, la malédiction et la mort. C'est à la colère, dit Flavel, à la colère non mitigée d'un Dieu infini, aux tortures même de l'enfer, que Christ a été livré, et cela par la main de son propre père. Suivant l'homélie Anglicane : Le péché arrache Dieu du ciel pour lui faire subir les horreurs et les souffrances de la mort. L'homme, brandon de l'enfer et esclave du diable, fut racheté par la mort de son fils unique et bienaimé ; l'ardeur de Son courroux – Son courroux ardent – ne pouvait être apaisé que par Jésus, tant Lui étaient agréables le sacrifice et l'oblation de la vie de son fils. Edwards, en esprit logique, comprit toute l'injustice qu'il y avait à ce que le péché fût deux fois puni, et les peines de l'enfer, punition du péché, [151] deux fois infligées – d'abord à Jésus, remplaçant de l'humanité – puis à une partie de l'humanité regardée comme perdue. Aussi Edwards se voit-il forcé, et la plupart des Calvinistes avec lui, de réserver la rédemption pour les élus seuls ; suivant son expression, Christ n'a pas porté les péchés du monde, mais ceux des élus, il a souffert non pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés. Edwards adhère néanmoins à l'idée de la substitution et rejette la rédemption universelle par la raison même que la meilleure manière de prouver que le Christ n'est mort pour personne – dans le sens où les Chrétiens l'ont compris jusqu'à présent – est de croire qu'il est mort pour tous. Christ, déclare-t-il, a subi la colère de Dieu, pour les péchés des hommes. Dieu a fait tomber sur Christ sa colère et Christ a subi les souffrances de l'enfer méritées par les péchés des hommes. Owen regarde les souffrances de Christ comme une large et précieuse compensation offerte à la justice de Dieu pour tous les péchés des élus, et dit que Christ subit la même punition qui les attendait infailliblement 213.<br />Pour montrer que ces doctrines continuent à être prêchées dans les églises, j'ajoutais :<br />"Stroud fait boire à Christ la coupe de la colère divine. Suivant Jenkins, Il a souffert comme s'Il eût été désavoué, réprouvé et abandonné de Dieu. Dwight considère qu'Il a subi la haine et le mépris de Dieu. Suivant l'évêque Jeune, quand l'homme eut été jusqu'au bout dans le mal, Christ eut pis encore à [152] souffrir : Il tomba dans les mains de son père. Les nuages de la colère divine – dit l'archevêque Thomson dans un sermon – s'amassèrent sur toute la race humaine, mais l'orage ne fondit que sur Jésus. Il s'attira pour nous la malédiction et la colère. Liddon partage cette manière de voir : Les apôtres, dit-il, nous enseignent que l'humanité est en esclavage et que Christ paie sur la croix leur rançon. Christ crucifié se dévoue et se fait maudire volontairement. Liddon va jusqu'à parler du degré précis d'ignominie et de souffrance exigé pour la rédemption, et dit que la victime divine paya au-delà de ce qui était nécessaire 214."<br />Telles sont les opinions contre lesquelles s'élève le docteur Mc Leod Campbell – un homme érudit et profondément religieux – dans son ouvrage bien connu, On the Atonement, livre rempli de pensées vraies et belles. F. D. Maurice, et d'autres Chrétiens encore, se sont efforcés de délivrer le Christianisme du fardeau d'une doctrine aussi contraire à toute notion vraie concernant les relations entre l'homme et Dieu.<br />Il n'en est pas moins vrai qu'en donnant un regard en arrière aux effets produits par cette doctrine, nous constatons que la croyance en elle, même sous sa forme juridique – et pour nous naïvement exotérique – accompagne parfois, chez les Chrétiens, un développement moral extrêmement avancé ; que certains Chrétiens et certaines Chrétiennes admirables y ont puisé leur force, leur inspiration et leur paix. [153]</p> <p style="text-align: center;"><em>213 A. BESANT, Essay on the Atonement (Essai sur la Rédemption).</em><br /><em>214 A. BESANT, loc. cit.</em></p> <p style="text-align: center;">Il serait injuste de ne pas reconnaitre le fait. Or, quand un fait se présente à nous, d'apparence surprenante et anormale, il est bon de s'y arrêter et de chercher à le comprendre. Si cette doctrine ne renfermait que ce qu'y voient ses adversaires, tant dans les Églises qu'au dehors – si, dans sa véritable signification, elle était aussi répulsive pour la conscience et l'intelligence qu'elle l'est pour beaucoup de Chrétiens réfléchis, elle n'eût pas, certainement, exercé sur la pensée et sur le coeur des hommes une fascination irrésistible, ni fait naitre tant d'actes d'abnégation héroïque – tant d'exemples de renoncement profondément touchants, en faveur de l'humanité. Il doit y avoir, dans cette doctrine, quelque chose de plus que ce qu'on voit à la surface – un principe profond dont la vie a nourri ceux qu'elle a inspirés ; si nous l'étudions comme faisant partie des Mystères Mineurs, nous découvrons la vie cachée, inconsciemment absorbée par ces natures d'élite, par ces âmes dont l'union avec la vie était si étroite que la forme dont elle se voile ne les arrêtait pas.<br />Envisageons cette doctrine comme un des Mystères Mineurs et nous éprouverons, en l'étudiant, le sentiment que, pour la pénétrer, il faut un certain degré de développement spirituel – un certain éveil de la vision interne. Pour la bien comprendre, il est nécessaire que son esprit ait déjà commencé à grandir dans notre vie, et ceux-là seuls qui se font une idée pratique de ce que peut signifier le renoncement seront capables d'entrevoir le sens de l'enseignement ésotérique, quand il montre, dans cette doctrine, la manifestation typique de la Loi du Sacrifice. Nous [154] ne saurions la comprendre dans son application au Christ, sans y voir une manifestation particulière d'une loi universelle – l'image ici-bas du Modèle qui est là-haut – nous montrant, dans une vie humaine concrète, ce que signifie le sacrifice.<br />La Loi du Sacrifice est au fond de notre système solaire comme de tous les autres ; elle est la base de tous les univers ; elle est la racine de l'évolution et seule la rend intelligible ; dans la doctrine de la Rédemption, elle prend une forme concrète, se personnifiant dans les hommes arrivés à un certain degré de développement spirituel qui leur permet de réaliser leur unité avec l'humanité et de devenir – réellement et véritablement – les Sauveurs des hommes.<br />Toutes les grandes religions de ce monde ont déclaré que l'univers prenait naissance dans un acte de sacrifice ; toutes ont incorporé l'idée de sacrifice dans leurs rites les plus solennels. Suivant l'Indouisme, l'aurore de la manifestation est un sacrifice 215 et l'humanité émane d'un sacrifice 216 ; c'est la Divinité qui Se sacrifie 217 ; le sacrifice a pour objet la manifestation ; la Divinité ne peut Se manifester avant Elle 218, l'acte de sacrifice est appelé "l'aurore" de la création.<br />La religion de Zoroastre enseignait que, dans L'Existence illimitée, impossible à comprendre et à nommer, un sacrifice fut accompli et que la Divinité manifestée [155] apparut. Ahuramazdâo naquit d'un acte de sacrifice 219.<br />Dans la religion Chrétienne la même idée se retrouve dans ces mots – l'Agneau immolé dès la fondation du monde… immolé à l'origine des choses – expression ne pouvant se rapporter qu'à la grande vérité : un monde ne peut être fondé tant que la Divinité n'a pas accompli un acte de sacrifice. Cet acte, dit-il, consiste, pour la Divinité, à Se limiter afin de Se manifester. – "La Loi du Sacrifice devrait peut-être s'appeler plus exactement la Loi de la Manifestation, ou encore la Loi de l'Amour et de la Vie – car partout, dans l'univers, du plus haut au plus bas, elle est la cause de la manifestation et de la vie 220."</p> <p style="text-align: center;"><em>215 Brihadâranyakopanishat, I, I, 1.</em><br /><em>216 Bhagavad Gîtâ, III 10.</em><br /><em>217 Brihadâranyakopanishat, I, II, 7.</em><br /><em>218 Mundakopanishat, II, II, 1.</em><br /><em>219 HAUG, Essais sur les Parsis, pp. 12-14.</em><br /><em>220 W. WILLIAMSON, The Great Law, p. 406.</em></p> <p style="text-align: center;">"Or, en considérant ce monde physique comme étant le plus à notre portée, nous constatons que toute la vie qu'il renferme, tout développement, tout progrès – qu'il s'agisse d'unités ou de groupes – a pour condition un sacrifice continuel. Les minéraux sont sacrifiés aux végétaux – les végétaux aux animaux – et les uns et les autres à l'homme – l'homme à ses semblables – jusqu'à ce qu'enfin les formes supérieures se désagrègent de nouveau et viennent renforcer de leurs éléments constitutifs le règne le plus bas. Les sacrifices se succèdent d'une manière ininterrompue, du plus bas au plus haut, et le progrès n'a pour signe essentiel que le sacrifice, d'abord involontaire et imposé, devient volontaire et librement accepté. Ceux que l'intelligence de l'homme [156] a placés le plus haut – ceux à qui son coeur s'attache le plus sont ces victimes suprêmes – ces âmes de héros qui luttèrent, souffrirent et moururent afin que leur race tirât profit de leurs douleurs. Si le monde est l'oeuvre du Logos – si le progrès du monde a pour loi, dans son ensemble comme dans ses détails, le sacrifice, – il faut bien que la Loi du Sacrifice se rattache à la nature même du Logos et qu'elle ait sa racine dans la Nature Divine. Un instant de réflexion nous montrera ensuite que l'existence d'un monde, d'un univers, n'est possible qu'à une seule condition : il faut que l'Existence Unique Se soumette à des restrictions et rende ainsi la manifestation possible ; il faut que le Logos Lui-même soit ce Dieu volontairement limité – limité pour Se manifester – manifesté pour amener l'univers à l'existence. Une limitation volontaire et une manifestation semblable ne peuvent être qu'un acte suprême de sacrifice ; aussi, comment s'étonner que partout le monde porte la marque de sa naissance et que la Loi du Sacrifice soit la loi de l'être – la loi des vies filiales.<br />Cette limitation volontaire étant un acte de sacrifice qui a pour but d'appeler à l'existence des vies individuelles et de leur faire partager la béatitude Divine, elle est, bien véritablement, un acte de substitution – un acte accompli pour l'amour d'autrui. Aussi – comme nous l'avons déjà montré, le progrès a-t-il pour signe le sacrifice devenu volontaire et librement consenti et nous reconnaissons que l'humanité est parvenue à sa perfection dans l'homme qui se donne pour ses semblables et, au prix de sa propre [157] souffrance, acquiert pour sa race quelque avantage sublime.<br />C'est ici, dans ces régions transcendantes, que se trouve la vérité essentielle du sacrifice pour autrui. Ce sacrifice a été présenté d'une manière qui le dégrade et le fausse – mais la vérité spirituelle qui en est l'âme nous le rend indestructible et éternel ; il est la source d'où jaillit l'énergie spirituelle qui – sous mille formes et de mille manières – rachète le monde au péché et le fait rentrer dans la maison paternelle – en Dieu 221."<br />Quand le Logos quitte le Sein du Père – en ce jour où Il est dit être engendré 222 – à l'aurore du Jour de la Création ou de la Manifestation – quand, par Lui, Dieu fait les mondes 223 – le Logos Se circonscrit volontairement Lui-même – façonne en quelque sorte une sphère enveloppant la Vie Divine – apparait comme un orbe Divinement radieux, la Substance Divine ou Esprit étant à l'intérieur et la limitation, ou Matière, à l'extérieur. Ce voile matériel rend possible la naissance du Logos : c'est Marie, la Mère du monde, nécessaire pour que l'Éternel puisse Se manifester dans les bornes du temps – Se manifester pour former les mondes.<br />C'est dans cette circonscription ou limitation que consiste l'acte de sacrifice, acte volontaire accompli par amour, afin que de Lui d'autres vies puissent naitre. Une manifestation semblable a été considérée [158] comme une mort, car, auprès de l'existence inimaginable de Dieu en Lui-même, un tel emprisonnement dans la matière peut véritablement s'appeler ainsi. Elle a été regardée, nous l'avons vu plus haut, comme une crucifixion au sein de la matière et, représentée de cette façon. Telle est la véritable origine du symbole de la croix – qu'il s'agisse de la croix dite de forme Grecque, symbolisant l'action vivifiante exercée par le Saint-Esprit sur la matière, ou de la croix dite Latine, représentant l'Homme Céleste – le Christ Supérieur 224.</p> <p style="text-align: center;"><em>221 A. BESANT, Nineteenth Century, juin 1895, The Atonement.</em><br /><em>222 Héb., 1, 5.</em><br /><em>223 Ibid., 2.</em><br /><em>224 C. W. LEADBEATER, The Christian Creed, pp. 74, 76.</em></p> <p style="text-align: center;">"En remontant jusque dans la nuit des temps, pour y rechercher les origines du symbolisme de la croix Latine, les investigateurs s'attendaient à voir disparaitre la figure et subsister seul l'emblème cruciforme qu'ils supposaient plus ancien ; or, il arriva précisément le contraire, et ils constatèrent avec surprise que la croix finit par disparaitre, laissant isolée la figure aux bras étendus. Celle-ci cesse d'impliquer aucune idée de souffrance ou de chagrin – bien qu'elle parle de sacrifice ; elle est plutôt, maintenant, le symbole de la joie la plus pure qui puisse se trouver dans le monde, la joie de donner librement, car elle représente l'Homme Divin, debout dans l'espace, les bras étendus pour bénir, répandant Ses dons sur l'humanité entière, Se prodiguant Lui-même dans toutes les directions, descendant dans cette "mer épaisse" de matière où Il Se laisse enserrer, enfermer, [159] emprisonner, afin que, par cette descente, nous puissions être appelés à l'existence 225."<br />Ce sacrifice est perpétuel, car, dans cet univers infiniment varié, il n'est pas de forme qui ne recouvre cette vie et ne l'ait pour âme : c'est le "Coeur du Silence" du Rituel Égyptien, le "Dieu Caché". Ce sacrifice est le secret de l'évolution. La Vie Divine, emprisonnée dans une forme, exerce vers l'extérieur une pression constante, afin que la forme puisse se dilater – mais cette pression est douce, de peur que la forme ne se brise avant d'avoir atteint la limite extrême d'expansion dont elle est susceptible. Avec une patience, une prudence, un tact infinis, l'Être Divin maintient la pression qui dilate, sans mettre en jeu une puissance qui pourrait détruire. Dans toute forme – dans le minéral, dans le végétal, dans l'homme, cette énergie expansive du Logos agit sans cesse. Telle est la force évolutive – la vie qui habite les formes et les fait progresser ; la science l'entrevoit mais en ignore l'origine. Le botaniste nous parle d'une énergie qui réside dans la plante et sans cesse la fait croitre ; il ignore comment, il ignore pourquoi ; il se borne à nommer cette énergie la vis a fronte, parce qu'il constate sa présence ou plutôt ses résultats. Elle existe dans d'autres formes tout comme dans le monde végétal et les rend de plus en plus aptes à exprimer la vie qu'elles contiennent. Une forme quelconque atteint-elle la limite du développement dont elle est susceptible, ne présente-t-elle plus aucun avantage à son âme – ce germe du Logos [160] au-dessus duquel Il plane – Il retire alors Son énergie, et la forme se désagrège : c'est ce que nous appelons la mort et sa décomposition. Mais l'âme est auprès de Lui ; Il façonne pour elle une forme nouvelle, et la mort de l'ancienne est la naissance de l'âme à une vie plus large. Si nous voyions par les yeux de l'Esprit au lieu de voir par les yeux de la chair, nous ne pleurerions pas sur une forme – ce n'est qu'un cadavre restituant les éléments dont il a été bâti – mais nous verrions, avec joie, la vie en progrès passer dans une forme plus haute, pour développer sous l'action d'un processus invariable les forces encore latentes en elle.</p> <p style="text-align: center;"><em>225 C. W. LEADBEATHR, op. cit., pp. 76, 77.</em></p> <p style="text-align: center;">Ce sacrifice perpétuel du Logos permet à toutes les vies d'exister ; il est le principe vivant qui permet l'éternel devenir de l'univers. Cette vie est Une mais elle revêt des formes innombrables qu'elle tend à réunir en maitrisant avec douceur leur résistance. Par-là elle est une force d'unification 226 qui permet aux vies séparées de devenir graduellement conscientes de leur unité ; elle tend à développer dans chacun une soi-conscience qui finira par se reconnaitre une avec toutes les autres, comme elle reconnaitra l'Unité et la divinité de sa racine.<br />Tel est le grand – l'incessant sacrifice. On voit qu'il consiste en une effusion de Vie, déterminée par l'Amour – effusion volontaire et joyeuse de Lui-même, [161] afin de créer d'autres centres individuels. C'est là la joie de ton maitre 227, dans laquelle entre le fidèle serviteur ; et ces mots sont suivis par la déclaration significative que – dans les enfants et dans les hommes secourus ou négligés – Il avait eu faim et soif, qu'Il avait été malade, étranger, prisonnier. Pour l'Esprit libéré de toute entrave, se donner est une joie, et il se sent vivre d'une manière d'autant plus intense que sa vie se répand plus généreusement. Plus il donne, plus Il se développe – car la croissance de la vie a pour loi qu'elle augmente en se dépensant et non pas en empruntant au-dehors – en donnant et non en prenant. Le Sacrifice est donc essentiellement une cause de joie. Le Logos Se répand au-dehors pour créer un monde et – voyant le travail de Son âme – Il est satisfait 228.<br />Le mot a pourtant fini par impliquer une idée de douleur. Tout rite de sacrifice religieux présente un élément de souffrance – quand ce ne serait qu'une perte légère éprouvée par l'homme qui sacrifie. Il est bon de comprendre comment l'expression de "Sacrifice" est arrivée à évoquer distinctement une idée de souffrance.<br />Nous en trouvons l'explication en nous plaçant au point de vue, non plus de la Vie qui se manifeste, mais des formes qu'elle revêt – et en envisageant la question du sacrifice comme elle apparait, vue du côté des formes. Se donner est la vie même de la Vie – mais prendre est la vie ou la conservation [162] de la forme ; car la forme s'use par l'action ; elle diminue par l'effort ; pour continuer à exister, elle est obligée de prendre autour d'elle des<br />226 Le mot Atonement, pris dans son sens habituel, signifie expiation et par suite rédemption – mais étymologiquement, At-one-ment, mot qui se trouve ici dans le texte, signifie la réunion d'éléments séparés en un seul. Il n'existe pas en français de mot offrant ce double sens. (NDT)</p> <p style="text-align: center;"><em>227 Saint Matth., 21, 23, 31-45.</em><br /><em>228 Esaïe, LIII, 11.</em></p> <p style="text-align: center;">éléments nouveaux et de réparer ainsi les pertes qu'elle éprouve ; autrement elle se réduirait et finirait par disparaitre. La forme ne saurait se maintenir sans saisir et sans garder, sans assimiler enfin ce qu'elle a saisi ; la condition de son développement est de prendre et d'absorber ce qu'elle trouve à sa portée dans les régions de l'univers qui s'étendent autour d'elle. Á mesure que la conscience s'identifie davantage avec la forme et la considère graduellement comme elle-même, le sacrifice prend un aspect pénible. L'homme sent que le don, la cession, la perte de ce qu'il a acquis est incompatible, au fond, avec le maintien de la forme ; aussi la Loi du Sacrifice perd-elle son caractère de joie pour revêtir un caractère douloureux.<br />L'homme avait à apprendre, par la destruction continuelle des formes et par les souffrances inséparables de cette destruction, qu'il ne devait pas s'identifier avec les formes passagères et changeantes, mais bien avec la vie, persistante et toujours croissante ; cette leçon, l'homme ne l'a pas seulement reçue de la nature extérieure ; il la doit encore aux enseignements précis des grands Instructeurs qui lui ont donné ses religions.<br />Les religions de ce monde permettent de reconnaitre quatre grands degrés dans l'enseignement de la Loi du Sacrifice. Tout d'abord l'homme apprend à sacrifier une partie de ses possessions matérielles pour s'assurer une prospérité matérielle plus grande ; [163] il sacrifie, aux hommes sous forme d'aumônes, aux Dieux sous forme d'offrandes ; les Écritures Indoue, Zoroastrienne, Hébraïque, que dis-je, toutes les Écritures du monde nous parlent de ces sacrifices. L'homme renonce à des objets dont il fait cas afin de s'assurer une prospérité future, pour lui-même, sa famille, sa communauté, son peuple. Il requiert par le sacrifice présent un avantage futur. La seconde leçon est un peu plus difficile. Le gain à s'assurer par le sacrifice n'est plus la prospérité physique ni un bien matériel, mais la béatitude céleste. Il faut gagner le ciel et obtenir le bonheur d'outre-tombe ; c'est là que les sacrifices consentis pendant la vie terrestre trouvent leur récompense.<br />L'homme fit un grand pas en avant, le jour Où il apprit à renoncer aux objets de sa convoitise physique pour s'assurer dans l'avenir un bien qu'il ne pouvait pas voir et dont il ne pouvait prouver l'existence. Il apprit ainsi à sacrifier le visible à l'invisible et, par-là, s'éleva d'un degré sur l'échelle de l'Être ; car telle est la fascination exercée par les objets visibles et tangibles que le fait, pour un homme, de leur préférer un monde invisible auquel il croit est une preuve d'énergie considérable et de progrès marqué vers la réalisation de ce monde invisible. Que de fois des hommes ont subi le martyre ou bravé la honte – que de fois ils ont appris à porter dans la solitude le fardeau de toutes les souffrances, de toute la détresse, de toutes les humiliations que leurs semblables pouvaient leur infliger ! Ils regardent au-delà du tombeau. Assurément, un ardent désir d'obtenir la gloire céleste subsistait encore en eux, mais c'est une [164] très grande chose que de supporter ici-bas la solitude et de n'avoir de compagnons que dans le monde spirituel, de persister dans la vie intérieure quand la vie extérieure n'est qu'une torture sans fin.<br />Une troisième leçon reste à apprendre. L'homme constate maintenant qu'il fait partie d'une vie plus vaste ; il consent à se sacrifier pour le bien de tous et acquiert par-là la force de reconnaitre que le sacrifice est bon – qu'une partie, un fragment, une unité de la Vie Totale, doit se subordonner à l'ensemble. L'homme apprend à bien agir sans se préoccuper de ce qui résultera pour lui-même – à faire son devoir sans penser aux conséquences personnelles – à endurer parce qu'il est bon d'endurer et sans songer à une récompense – à donner parce que l'humanité a droit à ses dons et sans être poussé par l'idée que le Seigneur les lui rendra. L'âme héroïque est dès lors prête à recevoir la quatrième leçon : elle apprend que toutes les possessions du fragment séparé doivent être offertes, l'Esprit n'étant pas en réalité distinct de la Vie Divine mais en faisant partie ; enfin, l'homme se répand au-dehors comme étant un fragment de la Vie Universelle et, dans l'expression de cette Vie, partage la joie de son Seigneur.<br />C'est dans les trois premiers stades que le sacrifice présente un caractère pénible. Dans le premier, les souffrances sont minimes ; dans le second, la vie physique et toutes les possessions terrestres peuvent être demandées ; le troisième est la période critique où la croissance et l'évolution de l'âme humaine sont mises à l'épreuve… Car, dans ce stade, le devoir peut exiger tout ce qui semble constituer la vie, et [165] l'homme qui se sent encore un avec la forme, tout en se sachant, en théorie, au-dessus d'elle, voit que tout ce qu'il connait comme sa vie est exigé de lui. "Si j'en fais l'abandon – se demande-t-il – que va-t-il me rester ?" La conscience elle-même semble devoir sombrer dans ce sacrifice, car il lui faut renoncer à tout ce qu'elle regarde comme réel et, au-delà elle ne voit rien à saisir en échange. Une conviction irrésistible, une voix impérieuse demandent à l'homme d'abandonner sa vie même. Reculer c'est persister dans la vie de la sensation, dans la vie intellectuelle, dans la vie de ce monde. Mais en conservant les joies qu'il n'a pas la résolution d'abandonner, l'homme éprouve un désenchantement constant, des désirs que rien n'assouvit, des regrets sans fin ; il est dégouté des plaisirs terrestres ; il réalise toute la vérité de cette parole du Christ : Celui qui veut sauver sa vie la perdra 229 ; il voit qu'il n'aime la vie et qu'il ne s'y est cramponné que pour la perdre en réalité. L'homme se décide-t-il, au contraire, à tout risquer pour obéir à la voie impérieuse ; renonce-t-il à son existence ? Alors, dans ce sacrifice, il la retrouve pour la vie éternelle 230 ; il constate en même temps que la vie sacrifiée n'était qu'une mort dans la vie, que tous les objets abandonnés étaient une illusion et qu'il a trouvé la réalité. La détermination à prendre éprouve le métal de l'âme. L'or pur s'échappe seul du creuset flamboyant où la vie a semblé périr, mais où elle a pris naissance. L'homme découvre [166] ensuite, avec joie, que la vie ainsi trouvée est désormais à tous et non point pour le moi séparé, que l'abandon du moi séparé a permis à l'homme de se connaitre véritablement lui-même et qu'en sacrifiant les limites qui semblaient être la condition même de la vie, il s'est au fond répandu dans des formes sans nombre, en vertu d'une vie qui ne finit point 231.<br />Telle est, dans ses grandes lignes, la loi du Sacrifice ; elle a pour base le Sacrifice fondamental consenti par le Logos – ce Sacrifice dont tous les autres ne seront que des reflets.<br />Nous avons vu comment l'homme Jésus, le disciple Hébreu, fit joyeusement abandon de Son corps, afin qu'une Vie plus auguste pût descendre ici-bas et s'incarner dans la forme ainsi volontairement sacrifiée par Lui – comment, en vertu de cet acte, Il devint un Christ parfait, pour être le Protecteur du Christianisme et répandre Sa vie dans la grande religion fondée par l'Être Puissant avec lequel Il S'était identifié par son Sacrifice. Nous avons vu l'Âme-Christ recevoir l'une après l'autre les grandes Initiations – naissant d'abord comme un petit enfant, entrant ensuite dans le fleuve des douleurs terrestres, dont les eaux doivent lui conférer le baptême du ministère actif, transfiguré sur la Montagne, théâtre de son dernier combat et triomphant de la mort. Nous allons voir maintenant dans quel sens c'est une rédemption et comment la Loi du Sacrifice trouve, dans la vie du Christ, son expression parfaite. [167] Le commencement de ce que nous pouvons appeler le ministère du Christ parvenu à la virilité est marqué par cette compassion profonde et inlassable pour les souffrances du monde, que symbolise la descente dans le fleuve. La vie du Christ doit désormais se résumer dans cette phrase : Il allait de lieu en lieu, faisant du bien ; car ceux qui sacrifient leur vie séparée afin de devenir le canal de la Vie Divine ne peuvent avoir en ce monde d'autre intérêt que de servir leurs semblables. Le Christ apprend à s'identifier avec la conscience de ceux qui l'entourent, à sentir comme ils sentent, à penser comme ils pensent, à partager leurs joies et leurs peines ; il fait passer dans sa vie journalière, à l'état de veille, ce sentiment de son unité avec autrui qu'il constate d'une manière effective sur les plans supérieurs. Sa sympathie doit arriver à vibrer dans une harmonie parfaite, avec l'accord multiple de la vie humaine, afin de pouvoir réunir en lui-même les vies humaine et divine et devenir un médiateur entre le ciel et la terre.</p> <p style="text-align: center;">229 Saint Matth., XVI, 25.<br />230 Saint Jean, XII, 25.<br />231 Héb., VII, 16.</p> <p style="text-align: center;">Des pouvoirs se manifestent maintenant en sa personne, car l'Esprit s'est posé sur lui ; les hommes commencent à voir en lui un de ceux qui sont capables d'aider leurs frères plus jeunes dans le chemin de la vie ; ils l'entourent ; ils sentent la force qui émane de lui, la Vie divine travaillant dans le Fils, dans l'Envoyé du Très-Haut. Les âmes affamées vont à lui ; il les rassasie du pain de vie ; les âmes qui souffrent du péché s'approchent de lui ; il les guérit en prononçant la parole de vie qui chasse la maladie et rend à l'âme la santé ; les âmes aveuglées par l'ignorance recherchent sa présence ; il dessille leurs [168] yeux par la lumière de sa sagesse. Ce qui caractérise, avant tout, son ministère c'est que les plus humbles et les plus pauvres, les plus désespérés et les plus dégradés ne sentent, en l'approchant, aucune muraille qui les sépare de lui et n'éprouvent, en se serrant autour de lui, qu'un accueil bienveillant – jamais la répulsion. Car, de sa personne, rayonne un amour qui comprend tout et, par conséquent, ne saurait vouloir repousser personne. Quel que soit le manque de développement d'une âme, jamais elle ne sent l'Âme-Christ au-dessus d'elle ; elle la voit plutôt à ses côtés, foulant d'un pied humain le même sol – et cependant remplie de je ne sais quel pouvoir étrange qui a le don de la relever elle-même et de faire naitre, en elle aussi, des élans inconnus et des inspirations nouvelles.<br />Ainsi vit et travaille le Christ – véritable Sauveur d'hommes – jusqu'au jour où il lui faut apprendre une autre leçon et perdre momentanément la conscience de cette Vie divine dont la sienne n'a cessé de devenir l'expression de plus en plus fidèle. Et cette leçon est celle-ci : le véritable centre de la Vie Divine est en nous : il n'est pas au-dehors. Le Soi a son centre dans toute âme humaine. Oui "le centre est partout" – car Christ est en tous et Dieu en Christ. Aucune vie incarnée – rien de "ce qui est hors de l'Éternel 232" ne saurait aider le Christ dans sa détresse. Il lui faut apprendre que la véritable unité du Père et du Fils se trouve au-dedans, et non au-dehors, et cette leçon demande l'isolement absolu [169] dans cette heure où il se sent abandonné par le Dieu qui est extérieur à son âme. L'épreuve approche. Il adjure ceux qui l'entourent de veiller avec lui pendant cette heure obscure, mais toutes les sympathies humaines lui font défaut, toutes les affections humaines le trahissent ; il ne lui reste plus pour refuge que l'Esprit divin. Poussant alors un cri vers son Père, auquel il se sent consciemment uni, il lui adresse cette prière : "S'il est possible, que ce calice passe loin de moi !"<br />Ayant supporté les angoisses dans la solitude, sans autre appui que ce secours Divin, le Christ est digne d'affronter la dernière épreuve. Le Dieu du dehors disparait ; seul le Dieu intérieur lui reste. – Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ! – tel est le cri amer de son amour inquiet et de sa frayeur. L'isolement suprême descend sur lui, et il se sent abandonné et seul. Jamais cependant le Père n'est plus près du Fils que dans cette heure d'abandon ; car, tandis que le Christ touche le fond de cet abime douloureux, l'aube triomphale commence à poindre. Il comprend qu'il doit devenir le Dieu qu'il implore et – en éprouvant la dernière douleur de la séparation – il découvre l'unité éternelle, il sent jaillir en lui-même la source de la vie, il se sait éternel.<br />Nul ne peut devenir un véritable Sauveur d'hommes ni partager, avec une sympathie parfaite, toutes les souffrances humaines, sans avoir affronté et vaincu la douleur, la crainte et la mort, avec la seule aide du Dieu intérieur. Que dis-je ! La souffrance n'existe pas, tant que cette conscience persiste intégralement, [CE 170] car la lumière d'en haut rend ici-bas les ténèbres impossibles, et la douleur n'est pas la douleur quand elle est supportée sous le sourire de Dieu ! Il existe une autre souffrance qui attend l'homme – qui attend tout Sauveur de l'humanité : c'est l'obscurité qui voile la conscience humaine et lui dérobe jusqu'au plus faible rayon de lumière. Il faut connaitre le désespoir affreux éprouvé par l'âme humaine quand les ténèbres l'entourent et que la conscience, cherchant à tâtons, ne trouve aucune main qu'elle puisse serrer. Ces ténèbres – tout Fils de l'Homme doit y descendre avant que puisse sonner l'heure de son ascension triomphante. L'amertume indicible de cette expérience, tout Christ doit la gouter avant de pouvoir sauver parfaitement 233 ceux qui, par lui, cherchent le Divin.</p> <p style="text-align: center;"><em>232 La Lumière sur le Sentier, § 8.</em></p> <p style="text-align: center;"><br />Un être comme celui-là est, en vérité, devenu Divin – un Sauveur d'hommes, et il se consacre désormais dans le monde à la tâche que toutes ces épreuves avaient pour but de préparer. Sur lui doivent fondre toutes les forces hostiles à l'humanité, afin qu'en lui elles soient transformées en forces secourables ; il devient ainsi, sur la terre, un de ces centres de Paix qui transmuent les forces agressives dont l'homme ne soutiendrait pas l'assaut. Oui – les Christs de ce monde sont les centres de Paix dans lesquels se déversent toutes les forces tumultueuses ; elles s'y transforment et ne sont plus, quand elles se répandent ensuite au-dehors, que des forces concourant à produire l'harmonie. [171]<br />Les souffrances du Christ qui n'est pas encore parfait sont causées, en partie, par cette mise d'accord, dans le monde, des forces discordantes. Bien qu'il soit un Fils, il doit être formé par la souffrance et ainsi arriver à la perfection 234. L'humanité serait déchirée par infiniment plus de luttes, et de dissensions, sans les disciples – Christs futurs – qui vivent au milieu d'elle et transforment beaucoup de forces dangereuses en forces de paix.<br />Le Christ, est-il dit, souffre "pour les hommes". – Sa force remplace leur faiblesse, Sa pureté, leur péché, Sa sagesse, leur ignorance. Rien n'est plus vrai, car le Christ S'est tellement identifié avec les hommes qu'ils partagent avec Lui et Lui avec eux. Il ne se substitue pas à eux, mais prend leurs vies dans la Sienne et répand Sa vie dans la leur. Ayant atteint le plan de l'unité, Il peut faire partager à autrui tout ce qu'Il y gagne, donner tout ce qu'Il y acquiert. Il domine le plan où la séparativité règne, et, jetant les yeux sur les âmes séparées les unes des autres, Il peut atteindre chacune, tandis qu'elles-mêmes ne peuvent communiquer. L'eau venant de niveaux supérieurs peut se répandre dans de nombreuses conduites s'ouvrant toutes au courant qui les alimente, sans cesser d'être étanches les unes pour les autres. Le Christ peut, de même, déverser en toute âme Sa vie. La seule condition pour qu'Il puisse faire partager Sa force à un frère plus jeune, c'est que, dans la vie séparée, la conscience humaine ait la volonté de s'ouvrir au principe divin, se montre capable de recevoir [172] la vie mise à sa portée et prenne possession de ce don généreusement offert. Car tel est le respect de Dieu pour cet Esprit, qui est Lui-même incarné dans l'homme, qu'Il ne verse dans l'âme humaine des flots de force et de vie que si elle consent à les recevoir. L'effusion d'en haut doit trouver en bas une porte ouverte. Á la nature supérieure qui veut donner, la nature inférieure doit répondre en se montrant susceptible de recevoir. C'est là le trait d'union entre le Christ et l'homme – ce que les Églises ont appelé l'effusion de la "grâce". Voilà ce qu'il faut entendre par "la foi" nécessaire pour que la grâce puisse agir. Suivant l'expression de Giordano Bruno, l'âme humaine a des fenêtres qu'elle peut fermer hermétiquement. Au-dehors, le soleil brille, la lumière est constante. Que les fenêtres s'ouvrent, et le soleil entrera. La lumière de Dieu vient frapper les fenêtres de toute âme humaine et, quand les fenêtres la laissent entrer, l'âme est illuminée. Dieu ne saurait changer – mais l'homme change, et sa volonté doit rester libre : autrement la Vie divine qui est en lui serait entravée dans son évolution régulière.</p> <p style="text-align: center;"><em>233 Héb., VII, 25.</em><br /><em>234 Héb., V, 8, 9.</em></p> <p style="text-align: center;">C'est ainsi que, dans tout Christ qui S'élève, toute l'humanité s'élève d'un degré et que, par Sa sagesse, l'ignorance du monde entier devient moins profonde. Chaque homme est moins faible, grâce à Sa force qui descend sur l'humanité entière et pénètre dans les âmes séparées. De cette doctrine, interprétée d'une manière étroite et, par conséquent, mal comprise, est sortie l'idée de la Rédemption par substitution, envisagée comme une transaction, pour ainsi dire juridique, entre Dieu et l'homme – transaction en [173] vertu de laquelle Jésus S'est mis à la place du pécheur. Les Églises n'ont pas su comprendre qu'un Être parvenu aussi haut ne fait véritablement qu'un avec Ses frères. L'identité de nature a été prise pour une substitution personnelle ; aussi la vérité spirituelle a-t-elle disparu dans la doctrine cruelle d'un marché juridique.<br />"Il comprend dès lors sa place ici-bas et l'oeuvre qu'Il doit accomplir dans la nature : être un Sauveur – expier les péchés des hommes ; Il Se tient dans le coeur central du monde, le Saint des Saints, comme Grand Prêtre de l'Humanité ; Il est un avec tous Ses frères – non par substitution, mais par l'identité d'une vie commune. Les hommes pèchent-ils – le Christ Se fait pécheur avec eux, afin que Sa pureté puisse effacer leurs souillures ; sont-ils dans la tristesse – Il est, en eux, l'Homme de douleur ; tout coeur brisé brise le Sien. Des âmes sont-elles dans la joie – Il est joyeux avec elles, en elles il répand le bonheur. Des âmes sont-elles dans le besoin – Il en souffre avec elles, afin de pouvoir les combler de Ses richesses<br />surabondantes ; Il possède tout – elles peuvent donc tout posséder avec Lui. Il est Parfait – elles deviennent parfaites avec Lui. Il est fort – qui donc pourrait, à Ses côtés, se sentir faible ? Il S'est élevé afin de répandre le flot de Ses grâces sur tous ceux qui sont au-dessous de Lui, et Il vit afin que tous puissent partager Sa vie. Son élévation est, pour le monde entier, une cause de relèvement, et le chemin est, pour tous les hommes, plus facile à suivre, parce qu'Il les a précédés. [174]<br />Tout fils de l'homme peut ainsi devenir un Fils de Dieu manifesté, un Sauveur du monde ; chacun de ces Fils est Dieu manifesté en chair 235 – le rédempteur qui aide l'humanité entière – la puissance vivante qui renouvèle toutes choses. Une seule condition est nécessaire pour permettre à cette puissance de se manifester dans l'âme individuelle : il faut que l'âme ouvre la porte et laisse entrer le Christ, qui pénétrant tout, ne saurait pourtant entrer de force et contre la volonté de Son frère. La volonté humaine a la faculté de faire opposition à Dieu comme à l'homme ; or, il faut qu'elle s'associe à l'action divine de plein gré, sans aucune contrainte extérieure. Ainsi l'exige la loi évolutive. Que la volonté ouvre la porte et la vie inondera l'âme. Tant que la porte reste close, la vie ne pourra qu'exhaler son ineffable parfum, afin que cet arôme exquis réussisse à franchir la barrière que la force ne peut renverser."<br />Voilà – en partie – ce qu'il faut entendre par un Christ. Mais comment la plume matérielle pourrait-elle donner une image de ce qui est immortel ? Comment des mots pourraient-ils décrire ce qui défie la parole ? Aucune langue ne peut exprimer – l'intelligence sans lumière d'en haut ne peut comprendre ce mystère : le Fils uni au Père portant dans Son sein les fils des hommes 236.</p> <p style="text-align: center;">235 1 Tim., III, 16.<br />236 ANNIE BESANT, Theosophical Review, déc. 1898, pp. 344-345.</p> <p style="text-align: center;">Pour s'élever un jour jusqu'à une vie semblable, il faut, dès aujourd'hui, dans cette vie inférieure, [175] commencer à marcher sous l'ombre de la Croix, sans mettre en doute la possibilité de cet avenir exalté, car ce serait douter du Dieu intérieur. "Avoir foi en soi-même" – est un des enseignements qui résultent pour nous d'une conception supérieure de la nature humaine, car cette foi est, en réalité, la croyance au Dieu intérieur. Il y a une manière de placer la vie journalière sous l'ombre de la vie du Christ, c'est de faire de tout acte un sacrifice – de l'accomplir, non pour l'avantage personnel qui en résultera, mais pour ce qu'il rapportera aux autres et – dans cette vie terre à terre, vie d'humbles devoirs, d'actes mesquins, d'intérêts vulgaires – de changer le motif et, par-là, de tout transformer. Rien, dans la vie extérieure n'en sera pour cela modifié. Quel que soit le genre de vie, le sacrifice est possible, quel que soit le milieu, Dieu peut être servi. L'éveil de la spiritualité n'est pas marqué par l'action mais par la manière dont l'action est faite. Ce n'est pas des circonstances, mais bien de notre attitude vis-à-vis d'elles que dépend notre développement. – "A vrai dire, ce symbole de la croix peut nous servir de pierre de touche, ici-bas, pour distinguer le bien du mal, dans bien des moments difficiles. Les seules actions dignes de la vie du disciple – est-il dit dans un recueil de maximes occultes – sont celles qu'illumine la lumière de la croix. – Il faut entendre par là que l'aspirant doit avoir pour mobile la ferveur d'un amour prêt à tous les sacrifices. Nous retrouvons un peu plus loin la même pensée : Quand un homme entre dans le sentier, il dépose son coeur sur la Croix ; quand la croix et le coeur ne font plus [176] qu'un, le but est atteint. – Ceci nous permettra peut-être de déterminer notre degré d'avancement, en examinant si c'est l'égoïsme ou l'oubli de nous-mêmes qui domine dans notre vie 237."<br />Toute vie qui commence à se former ainsi prépare la caverne où le Christ-Enfant devra naitre ; elle ne sera plus qu'une rédemption ininterrompue, divinisant de plus en plus les éléments humains. Toute vie semblable s'épanouira dans la vie d'un "Fils bienaimé," et rayonnera, un jour, de la gloire du Christ. Tout homme peut tendre vers ce but en faisant le sacrifice de tous ses actes et de toutes ses facultés, jusqu'au moment où l'or sera séparé de toute impureté et où le métal pur subsistera seul.<br />237 C. W. LEADBEATER, le Crédo chrétien, p. 82.</p>