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LES ENSEIGNEMENTS DES MAITRES DE LA HIERARCHIE

LE CHRISTIANISME THÉOSOPHIQUE Par Annie BESANT -1922

L'HOMME EST MAITRE DE SA DESTINÉE — (Allocution prononcée le 28 mai 1922)

L'HOMME EST MAITRE DE SA DESTINÉE

(Allocution prononcée le 28 mai 1922)


Ces trois derniers dimanches, je me suis efforcé de vous décrire quelques-unes des étapes, de l'évolution supérieure de l'homme et des obligations qu'elle comporte. Je me propose, ce soir, de vous donner un aperçu des méthodes à l'aide desquelles l'homme, en tant que maitre de son avenir, peut créer, modeler sa propre destinée, et utiliser les lois de la nature pour stimuler l'évolution de son esprit et de son caractère. Peut-être cela vous aidera-t-il à vous rendre compte plus clairement que vous ne l'avez fait jusqu'à présent que nous pouvons, si nous le voulons, accélérer notre marche sur la route du progrès et prendre conscience plus promptement par nous-mêmes de la vérité d'une des plus hautes doctrines religieuses qui soient.
Il y a un peu plus de cinq mille ans, un grand sage, un homme profondément savant, gisait, mourant, sur un champ [27] de bataille. Il était blessé à mort, mais la mort tardait à venir et, tandis qu'il était étendu sur ce champ de bataille, un jeune roi qui bientôt devait prendre possession de son trône, s'approcha de lui et se mit à lui poser de nombreuses questions concernant l'activité et les devoirs d'un roi et le sentier du progrès humain. Il lui posa, entre autres, une question sur laquelle s'est souvent exercé le raisonnement des hommes. Il demanda lequel est le plus puissant de l'effort ou de la destinée. Et la réponse du sage fut : "L'effort est supérieur à la destinée". Plus tard dans l'histoire de l'humanité, l'un des grands instructeurs chrétiens, un Apôtre, écrivait : "Ne vous y trompez point, l'on ne se moque pas de Dieu ; ce qu'un homme sème, il le récolte".
Dans ces deux phrases prononcées si loin de nous dans le temps comme dans l'espace, s'exprime en réalité la loi, une loi qui, si nous la comprenons, devient pour nous une force, un guide et un soutien et qui dans le cas contraire, se joue de nous, nous projetant de ci, de là, nous entrainant comme un fétu de paille emporté par un torrent.
Rendons-nous tout d'abord exactement compte de ce que nous entendons par le mot loi. Il existe, comme vous le savez, deux sortes de lois : les lois naturelles et les lois humaines. On est, en général très porté à employer ce mot d'une manière vague, confondant ainsi les lois faites par l'homme avec ces lois sublimes qui reflètent dans le temps et dans l'espace la nature même de Dieu. C'est pourquoi je m'arrête un instant sur ce mot de loi afin de m'assurer que vous sentez toute la différence qui existe entre les lois de la nature et celles qui peuvent être faites par les hommes.
Une loi humaine est arbitraire, elle résulte de la volonté d'une autorité reconnue par une nation, mais l'autorité qui l'a établie peut ultérieurement la modifier ; elle peut décréter qu'une sanction quelconque punira toute infraction à cette loi ; la sanction n'aura d'ailleurs aucun lien réel avec l'infraction elle-même, elle n'en découlera pas naturellement, mais y sera ajoutée, en vertu du texte de la loi promulguée par l'autorité en question.
Nous savons qu'on peut violer une loi de cette espèce ; si le coupable est découvert, la sanction prévue s'ensuit ; dans le cas contraire, l'homme poursuit son chemin comme si le manquement n'avait pas eu lieu. Mais dans les lois naturelles, nous ne retrouvons aucune de ces caractéristiques de la loi humaine.
Et d'abord, une loi naturelle ne peut être violée. Elle est intangible, immuable. L'homme peut la négliger, alors la loi le frappe. Il se peut que l'homme l'ignore, il n'en supporte pas moins les conséquences douloureuses de ce manquement, bien qu'il résulte de son ignorance, la loi ne pouvant changer. L'effet qui suit l'infraction à une loi est non pas une sanction arbitraire, mais une conséquence inévitable… [28]
L'existence d'une telle loi et de beaucoup d'autres lois semblables en oeuvre autour de nous, peut, à première vue, donner à l'homme l'impression qu'il n'est qu'une créature sans défense, entouré de lois immuables et réduit à l'impuissance, puisqu'il ne doit en négliger aucune.
Mais à mesure que la connaissance se substitue à l'ignorance, il se dégage de l'étude et de la compréhension de ces lois inviolables non pas le sentiment de notre impuissance, mais au contraire la conscience de notre force. Et peu à peu l'homme apprend à se convaincre de ce que, précisément du fait de l'inviolabilité des lois naturelles, il peut se mouvoir librement parmi elles à condition seulement de les connaitre. Il peut faire plus encore ; il peut se servir de ces lois et, en superposant leur force à la sienne propre, accomplir ce qui sans elles lui eût été impossible.
C'est justement cette immuabilité qui permet l'existence de la science, l'existence d'une sécurité quelconque, puisque nul n'a le pouvoir de s'opposer à la loi. En avançant dans notre étude, nous arrivons à comprendre cette grande vérité exprimée par un savant qui s'était assimilée en partie à l'esprit des lois de la Nature : "La Nature est vaincue par l'obéissance". Au fur et à mesure que grandit et se développe notre connaissance, nous constatons un accroissement constant de notre faculté d'action, car la découverte des lois naturelles et la collaboration avec elles n'ont pas pour effet de paralyser, mais de stimuler nos capacités. Nous apprenons donc lentement et insensiblement que l'homme peut devenir le maitre de la nature par l'obéissance à ses lois, par l'utilisation de ses forces ; que c'est le fait de l'ignorance de nous représenter la loi comme nous réduisant à l'impuissance ; par la connaissance nous pouvons prendre en main notre avenir. Tel est le sentiment de certitude causé par l'existence de ces lois inviolables, par la connaissance de leur organisation, de leur action et de leurs effets inévitables. C'est par lui qu'il nous est possible d'avancer rapidement sur le chemin montant, et cette loi naturelle n'est en son essence qu'une conséquence intangible, le résultat de la loi qui suit celle-ci inévitablement. Car la loi étant immuable, ses effets le sont également. Ces faits une fois clairement reconnus, le seul parti sensé que nous puissions adopter est d'apprendre quelles sont ces lois, d'étudier la nature afin de découvrir leurs inévitables conséquences ; alors, les ayant découvertes et ayant observé les rapports qui existent entre elles, nous entrerons en possession d'une liberté qui, dans d'autres conditions, nous échapperait infailliblement. C'est parce que nous pouvons nous reposer sur une loi, parce que nous en connaissons les effets inévitables et que nous avons étudié ces effets, qu'il nous est possible de nous rendre compte si le projet que nous formons est réalisable, le but que nous nous proposons d'atteindre [29] accessible. Puis, avançant dans notre étude, nous constatons peu à peu qu'une loi naturelle peut en contrebalancer une autre, que ce qu'une loi semble déclarer impossible peut parfois être réalisé si l'on sait opposer à la loi qui nous fait obstacle l'action d'une autre loi qui nous soit favorable. Finalement, nous apprenons à nous diriger librement dans ce grand royaume de la nature, instruits de ses lois et les employant comme des forces pour nous amener au but que nous nous sommes fixé.
Permettez-moi de prendre un exemple simple et banal pour vous donner une idée exacte de ce que j'avance. Il y a une loi bien connue qui établit que l'eau ne bout qu'à une certaine température, dans des conditions données, au niveau de la mer. Consultons les données scientifiques courantes et nous verrons qu'au niveau de la mer, l'eau bout à cent degrés. Si nous faisons une ascension en montagne, nous constaterons que l'eau bout à une température plus basse et à mesure que nous nous élevons, l'ébullition se produira de plus en plus rapidement. Là-dessus, on pensera :
"Puisqu'il en est ainsi et qu'on ne peut faire bouillir l'eau normalement, il n'est pas possible, au cours d'une grande ascension, de se réconforter d'une tasse de thé, car l'eau bout trop vite et le thé sera, par conséquent, mauvais". Mais l'homme de science répondra à cela : "Vous vous trompez, l'on peut contrebalancer cette loi ; l'on peut obtenir l'atmosphère normale en employant précisément la vapeur produite par l'ébullition prématurée de notre eau ; il suffit de l'envoyer dans un appareil grâce auquel elle fera pression sur l'eau, suppléant ainsi à la pression atmosphérique trop faible. En continuant l'opération vous arriverez finalement à obtenir l'ébullition à la température normale, simplement par le jeu combiné de deux lois qui se contrarient". Cela est vrai de toutes les lois naturelles. L'exemple que j'ai choisi est enfantin, les écoliers l'apprennent en classe, mais c'est un symbole de toutes les lois importantes qui nous environnent et nous montrent qu'il nous est possible d'équilibrer ces lois les unes au moyen des autres et que ce que nous avons à faire est de neutraliser celles qui nous sont contraires et de mettre à profit celles qui nous sont favorables. Quelle influence cette manière d'agir a-t-elle sur notre destinée ? Laissez-moi vous citer un dicton mahométan bien connu : "Tout homme vient au monde avec son destin lié autour du cou". Le caractère de l'être humain est le facteur le plus important de sa destinée. Un caractère noble et élevé, une volonté puissante le soutiendront à travers obstacles et dangers jusqu'au but qu'il a décidé d'atteindre. Un caractère faible est à la merci des circonstances extérieures ; un caractère vicieux s'égare et fait le malheur de celui qui le possède. Le dicton musulman renferme donc une profonde vérité : l'enfant en venant au monde y apporte son [30] caractère, et c'est ce caractère qui joue un rôle prépondérant dans sa destinée.
On a dit que l'homme devient ce à quoi il pense, le caractère étant modelé par la pensée. Pour dégager cette grande loi de cause et d'effet, la loi et ses conséquences, il nous faut la considérer plus attentivement et isoler les éléments qui composent ce fil du destin que nous tissons à chaque moment de notre existence.
Si nous cherchons à diviser ce fil, nous voyons qu'il est fait de trois fils secondaires et que chacun d'eux est régi par sa propre loi. La première est que la pensée crée le caractère, la seconde, que le désir crée l'occasion et la troisième, que les conditions de notre avenir sont créées par le fait que nous répandons actuellement autour de nous soit le bonheur soit le malheur ; telles sont les trois grandes lois qu'il nous faut comprendre et faire agir, si nous désirons tenir en mains notre destinée.
Nous allons les analyser l'une après l'autre. Ce qui donne en effet sa valeur à l'enseignement théosophique que j'expose ce soir devant vous, c'est le fait de prendre les commandements d'une religion, les déclarations des livres saints, de les étudier et d'en dégager tous les détails afin de les rendre féconds et utiles et de nous enseigner à les mettre en pratique. Prenons la première de ces lois : la pensée édifie le caractère. Ainsi exprimée d'une manière générale, il peut paraitre difficile d'en vérifier par soi-même l'exactitude et cependant une expérience directe ou une découverte que nous refaisons par nous-mêmes a cent fois plus de valeur que la parole d'un conférencier, quel qu'il soit, ou qu'une déclaration par ouï-dire et qui n'est par conséquent pas expérimentale. Permettez-moi donc d'indiquer comment chacun de nous peut vérifier cette loi et s'en démontrer la valeur à lui-même.
En vous exposant cette expérience, laissez-moi vous rappeler que toute recherche directe relative à un phénomène naturel exige de la patience dans son exécution. Il nous faut travailler avec suite et persévérance si nous voulons vérifier par nous-mêmes quelque loi naturelle. Voici donc la méthode à employer pour contrôler la vérité de la loi qui établit que la pensée édifie le caractère. Il faut examiner son propre caractère et prendre note de ses points faibles, puis ceci étant fait et les faiblesses enregistrées, pour ainsi dire, il n'y faut plus penser. La moitié des gens de bonne volonté sont dans l'erreur à ce sujet ; ils pensent à un défaut et le déplorent, se tourmentent et perdent de vue le fait que si la pensée est constructrice, en la fixant sur une faiblesse on la développe au lieu de s'en débarrasser.
Lorsqu'on s'est découvert un point faible, mettons l'inexactitude dans l'expression, qui est en réalité un manque de [31] véracité – lorsqu'on a établi qu'on dit des inexactitudes, il faut prendre l'opposé de ce défaut : la véracité.
C'est toujours le contraire d'une faiblesse qu'il faut choisir comme sujet de réflexion, et dans le cas particulier chaque matin, avant de quitter notre chambre, il faut prendre le temps de penser avec calme et fermeté à la vérité. Tout en y pensant, prenons bien soin que l'effort ne nous fatigue pas outre mesure ; peu de gens se rendent compte s'ils ne l'ont expérimenté, combien il est fatigant de penser avec suite à une seule et même chose. A l'instant où l'on commence à fixer sa pensée, la voilà qui s'échappe ailleurs et l'on se retrouve pensant à quelque chose de tout différent. Le seul moyen d'apprendre à maintenir sa pensée sur le sujet que l'on s'est proposé est de ramener vers lui autant de fois qu'il le faudra l'esprit vagabond. Mais gardons-nous de trop prolonger ces exercices, car la pensée fatigue et notre cerveau qui en est l'organe ne doit pas être soumis à une tension exagérée. Bien des gens se font du tort en pratiquant ce genre de méditation, faute de comprendre qu'ils exigent de leur cerveau un travail inaccoutumé en l'obligeant à se plier devant la volonté et, en prolongeant cet exercice, ils surmènent leur cerveau ou s'attirent des maux de tête ou tout autre symptôme de fatigue trop grande.
Faites cette expérience pendant deux ou trois minutes seulement au début, cela vous paraitra bien assez long et durant cette réflexion, efforcez-vous de ne pas permettre à votre esprit d'errer si peu que ce soit. L'on peut, si l'on veut, employer une formule verbale quelconque pour fixer le mental mais il faut qu'elle se rapporte à cette question de vérité. Par exemple : "Je suis l'Esprit et l'Esprit est Vérité", ou quelque phrase de ce genre qui aide à maintenir l'esprit fixé sur ce point pendant le temps voulu.
Ceci fait, vous allez à vos occupations et ayant l'habitude de vous exprimer d'une manière inexacte, vous ne tardez pas à dire quelque chose qui n'est pas conforme à la vérité. Mais après avoir pratiqué pendant quelques jours cette courte méditation quotidienne sur la vérité, aussitôt après avoir fait une déclaration inexacte, la pensée suivante vous viendra à l'esprit : "J'ai pensé à la vérité et voilà que je manque d'exactitude". Il vous faut persévérer dans la pratique de cette méditation jusqu'à en arriver à ce que la constatation d'une inexactitude sur le point d'être commise en précède l'expression. Vous pourrez alors vous dominer et cesser de vous servir des termes inexacts que vous employiez par négligence. De cette manière l'on fait germer en soi l'habitude de l'exacte expression de la vérité et l'on persévère ainsi durant des semaines, des mois peut-être. Peu à peu l'on découvre que l'habitude créée par la pensée grandit et nous rend incapables d'exprimer une chose d'une façon inexacte. Tous les petits mensonges de la vie [32] sociale nous deviennent impossibles, toutes les formules irréfléchies et qui ne correspondent pas à l'état d'esprit de ceux qui les emploient ne peuvent nous venir à l'esprit. À force de nous exercer avec persévérance, nous en arrivons à découvrir que nous sommes devenus sincères sans nous apercevoir de ce que nous acquérions cette grande vertu. Cela devient une habitude, une habitude invétérée, puis une vertu immuable et plus n'est besoin pour répondre, de réflexion ni d'attention, c'est automatiquement que nous disons la vérité.
Je m'entretenais une fois avec un juge indou, nous parlions de la méditation. Il me dit qu'il avait médité durant presque toute sa vie, puis il ajouta que pendant quarante ans, il avait médité sur la vérité. Je lui demandai quel avait été le résultat de toute ces années de méditation, car les Indous sont patients et n'hésitent pas à consacrer des années à poursuivre le but qu'ils ont résolu d'atteindre. Le résultat auquel parvint le juge indou fut qu'il en arriva à pouvoir constater sans réflexion ni raisonnement quand on ne lui disait pas la vérité. La vérité en vint à faire si complètement partie de sa nature que lorsqu'un mensonge était prononcé devant lui, il le blessait, comme une fausse note blesse l'oreille du musicien. Étant juge et ayant constamment affaire à des témoins, ces longues années consacrées à édifier en lui-même la vérité lui furent d'une immense utilité car lorsqu'un témoin était à la barre, il savait s'il disait la vérité, non pas grâce à un raisonnement mais par la vibration produite en son mental et qui détonait si la déclaration était fausse. L'intellect est vérité et reconnait la vérité sans hésitation. L'intelligence discute, se soumet à la logique, n'aboutit souvent à une conclusion que par une voie longue et détournée ; mais l'aspect supérieur de l'esprit, l'intellect qui fait partie de l'image reflétée par Dieu Lui-même en l'homme, l'intellect est vérité. La couche de matière qui lui sert de véhicule est affectée par les vibrations résultant des pensées extérieures et répond par une dissonance lorsqu'elle est impressionnée par une fausseté, précisément parce qu'étant de nature divine, elle est vérité. C'est cela qu'était arrivé à établir le juge en question.
Il ne nous faut pas quarante ans, tant s'en faut, pour établir en nous une habitude de pensée. Nous pouvons édifier notre caractère, affermissant en nous une vertu après l'autre, une énergie après l'autre par l'utilisation volontaire de la loi qui établit que la pensée modèle le caractère. Nous pouvons nous démontrer à nous-mêmes que telle est l'expression de la vérité et si même en une seule occasion nous constatons que, grâce à la pensée, nous sommes devenus forts là où nous étions faibles jadis, nous serons convaincus de l'existence de la loi et il nous sera possible de façonner pièce à pièce notre caractère. N'en faisons pas trop à la fois, n'essayons pas de devenir [33] parfaits tout d'un coup. Prenons nos faiblesses l'une après l'autre et transformons-les en énergies au moyen de la pensée. De cette façon, notre caractère qui subsiste d'une vie à l'autre, se perfectionnera sans cesse, et à mesure que se succèderont nos existences, nous viendrons au monde doués d'un caractère meilleur et plus noble. Et comme le facteur le plus important de la destinée est le caractère, c'est en créant celui-ci que nous deviendrons maitres de notre destinée. Occupons-nous à présent de la loi suivante qui est plus simple. Le désir crée l'occasion de sa réalisation. Le désir est la force naturelle qui s'extériorise, attirée par un objet désirable. Nous sommes entourés d'objets qui nous sont des causes de plaisir ou de peine. Notre désir nous pousse vers l'objet qui nous donne du plaisir, il nous éloigne de celui qui nous cause de la souffrance. Entre le désir et l'objet désirable s'établit un lien magnétique et aussi surement que l'aimant attire le fer doux, aussi immanquablement notre désir attire à nous l'objet désiré. Des obstacles peuvent s'interposer, des difficultés surgir, mais inévitablement le désir en question s'accomplira, parfois même dans la vie actuelle, parfois dans des vies subséquentes. Si nous pouvions connaitre le passé d'un homme dont on dit qu'il a de la chance, qu'il transforme en or tout ce qu'il touche, nous constaterions probablement qu'il a désiré ardemment la richesse, qu'il l'a poursuivie avec persévérance, qu'il y a aspiré de toutes ses forces, a travaillé et peut-être même commis des actes répréhensibles pour l'atteindre, de sorte que ce désir a dû forcément s'accomplir ; voilà pourquoi il est devenu cet homme qui semble avoir tant de chance qu'il inspire l'envie. C'est son désir qui lui en a fourni l'occasion. Prenons donc garde à ce que nous désirons. Ne laissons pas nos désirs errer à l'aventure et changer sans cesse d'objet. Il nous faut nous assurer de la valeur de la chose désirée, car elle sera inévitablement notre partage dans l'avenir et elle pourrait ne nous laisser qu'un gout de cendre dans la bouche. Nombreux sont ceux qui, ayant ambitionné la richesse, l'ont obtenue pour découvrir alors qu'elle est plutôt un fardeau qu'une joie. Nombreux aussi, ceux qui, ayant réussi à atteindre quelque autre objet désiré, en ont tiré plus de peine que de jouissance.
Mesurons nos désirs, essayons de percevoir où ils aboutiront ; pesons la valeur de l'objet que nous désirons et peu à peu nous apprendrons naturellement à ne désirer que des choses justes, pures, bonnes et qui nous élèvent. Car nous saurons que si la possession d'une chose désirable nous met en conflit avec la Loi divine, elle porte inévitablement en elle des germes de souffrance destinés à nous enseigner à ne point négliger une Loi qui est divine. Réfléchissons à nos désirs, mesurons-les, pesons-les et tâchons d'en apercevoir les résultats. Ceci est tout particulièrement important pour les jeunes qui, plongés dans [34] un monde dont ils n'ont encore que peu l'expérience en cette vie, peuvent aisément s'égarer en quête de distractions et de plaisirs qui, en fin de compte, ne leur rapporteront que souffrance. Pour chacun de nous cette surveillance attentive de nos désirs est nécessaire car c'est seulement lorsque ceux-ci sont en harmonie avec la Volonté divine que leur accomplissement devient une source de joie et non une occasion de souffrance.
La troisième loi en question concerne le milieu, les conditions de vie et s'exerce parfois d'une manière bien curieuse et cependant bien naturelle. La nature du milieu et des conditions où nous vivons est en fin de compte le résultat de l'influence que nous exerçons sur nos semblables. N'avez-vous jamais observé le cas d'un homme malheureux au milieu des plus grandes richesses ? Peut-être vous êtes-vous demandé comment il est possible que dans cette situation faite pour le rendre heureux et satisfait, un tel homme puisse se sentir malheureux. Si, en quête d'une explication, nous jetons un coup d'oeil dans le passé de la personne en question (comme certains l'ont fait dans des cas analogues), nous constaterons que la possibilité lui est donnée dans sa vie actuelle de se procurer les choses les plus désirables parce que jadis, dans un passé lointain, il a fourni cette même possibilité à beaucoup de ses semblables, mais qu'ayant eu pour ce faire un motif égoïste, il est malheureux à présent en dépit des circonstances les plus favorables. Prenons un exemple. Voici un homme qui donne une grande étendue de terrain pour doter d'un parc une ville surpeuplée. Ce don est une source de joies nombreuses pour les autres. Les enfants jouent dans ce parc, des femmes fatiguées s'y reposent, des hommes viennent s'y recréer après le travail quotidien. Grâce à cette donation, l'individu en question a donc procuré de la joie à de nombreux êtres mais il ne l'a pas fait pour l'amour du prochain ; il a été déterminé par quelque motif égoïste. Peut-être désirait-il obtenir une décoration ou un poste en vue. L'intention était mauvaise bien que l'acte en lui-même fût fertile en résultats heureux. Or, la loi est immuable. Ayant donné du bonheur aux autres, il est placé dans des conditions qui sont de nature à le rendre heureux ; mais sa générosité ayant été basée sur l'égoïsme, il se sent malheureux malgré tout. Cette conclusion vous semblera peut-être arbitraire ; tout ce que je puis dire c'est qu'il est possible d'examiner et de retracer le passé d'un être en remontant le cours de ses existences successives et qu'en procédant de la sorte on perçoit le mécanisme des lois sublimes dont j'ai tracé ici une brève esquisse.
La première d'entre elles qui concerne la pensée, nous pouvons nous en prouver à nous-mêmes la réalité. Quant à la seconde, qui a trait aux désirs, nous pouvons avoir occasion de la vérifier au cours de l'existence même où ces désirs sont [35] éprouvés. Il peut nous arriver de rencontrer une personne qui, ayant éprouvé un désir ardent d'aller dans un pays déterminé, s'y trouve enfin après des années et nous dise combien elle a aspiré à connaitre ce pays. L'occasion lui en a été donnée. Même dans la vie actuelle l'on peut parfois attirer à soi ce que l'on désire, mais pas toujours.
Dans le troisième cas, la preuve est encore plus difficile à faire au cours d'une seule vie, mais ceux qu'on nomme parfois les Connaisseurs du Karma – Karma signifie action, c'est le nom de cette grande loi – ceux-là nous ont dit qu'il en est ainsi et quelques-uns d'entre nous ont été à même de percevoir le jeu de cette grande loi de cause et d'effet surtout en ce qui concerne les existences humaines successives.
La seule chose qui me reste à vous dire est pour vous mettre en garde en quelque sorte. J'ai eu l'occasion de dire que l'idée de la loi exerce une influence parfois paralysante. Ceci n'est vrai que pour ceux qui ne connaissent la loi qu'en partie. Seul l'étudiant novice dit : "C'est mon Karma, je n'y puis rien". C'est une erreur de considérer une circonstance quelle qu'elle soit comme inévitable parce qu'elle est le résultat de causes passées. Ces causes ne peuvent être changées, elles sont derrière nous ; mais il nous est donné d'agir dans le présent de manière à en prévenir les effets, en leur opposant une force qui les modifie. Je choisis un exemple qui peut être d'une utilité pratique. On fait la connaissance d'une personne et elle ne vous plaît pas. Il n'est pas rare qu'un sentiment d'antagonisme se fasse jour quand deux étrangers se rencontrent. Beaucoup d'entre nous l'ont éprouvé. Lorsque c'est le cas, éloignons-nous de la personne en question ; cela signifie qu'un tort a été causé, qu'il soit venu de notre côté ou du sien. Si nous entrons en relations, la dette résultant d'une injustice commise doit être payée par le coupable et il s'ensuit de la souffrance. En conséquence, évitons cette personne, mais ne demeurons pas inactifs en la matière. Envoyons-lui chaque jour, volontairement, de propos délibéré, une pensée de bonne volonté, même si cela nous parait bien artificiel au début. Efforçons-nous d'envoyer à cette personne une bonne pensée et peu à peu, le jeu de cette loi effacera, harmonisera le mal qui a été fait précédemment jusqu'à ce qu'ayant mis en pratique cette ligne de conduite pendant des semaines ou des mois nous constations à l'occasion d'une nouvelle rencontre, que l'antagonisme a disparu. C'est nous qui l'avons annihilé, contrebalancé, par le bien que nous avons fait en pensant à notre adversaire.
Voilà donc quelques-uns des résultats pratiques qui découlent de l'étude de la Loi. Grâce à elle, nous découvrons qu'il nous est donné de modifier ce qui nous semble mauvais ; nous constatons que notre caractère est en notre pouvoir, que nous pouvons faire naitre les occasions qui nous sont favorables, enfin que [36] notre bonheur et notre malheur sont entre nos mains et dépendent de la joie et de la souffrance que nous distribuons à nos semblables. Lorsque cette loi nous paraitra évidente, lorsque par l'observation, par l'étude et par une méditation approfondie sur cette étude, l'existence nous en semblera irréfutable, alors nous aurons conquis la puissance nécessaire à l'édification de notre destinée à venir. Nous serons alors en mesure de former en nous-mêmes le caractère qui nous guidera vers le bonheur et le progrès dans une existence ultérieure. Nous nous convaincrons de ce qu'en chacun de nous réside ce pouvoir créateur et que, de même qu'un sculpteur qui voit en lui-même l'image de quelque exquise statue, peut tailler le marbre brut à la ressemblance de cette idée et faire naitre de la beauté là où il n'y avait qu'un bloc informe et grossier, de même nous, qui ne sommes actuellement que des cailloux informes, où git cachée l'image de la Divinité, nous, ciseleurs de notre destinée, nous pouvons débarrasser de la gangue qui l'enserre, l'image qui demeure en nous. Nous pouvons supprimer toutes les excroissances, extirper toutes les imperfections, l'oeil sans cesse fixé sur ce que nous désirons devenir. Nous constaterons alors que c'est cela même qui se développera en nous et nous deviendrons les constructeurs de cet homme divin dont la semence a été placée en nous par Dieu Lui-même et dont l'épanouissement a constitué l'oeuvre de nos existences ; et cette divine image rayonnera une lueur resplendissante qui contribuera à la beauté et à la rédemption de l'Univers.


FIN DU LIVRE

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