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LES ENSEIGNEMENTS DES MAITRES DE LA HIERARCHIE

LES LOIS FONDAMENTALES DE LA THÉOSOPHIE Par Annie BESANT - 1910

QU'EST-CE QUE LA THÉOSOPHIE ?

QU'EST-CE QUE LA THÉOSOPHIE ?


La Théosophie a, ces temps derniers, été un grand sujet de préoccupation ; aussi, ai-je voulu mettre à profit mon séjour parmi vous en vous donnant une série de conférences dans lesquelles je vous esquisserai les grandes lignes et les enseignements de ce sujet aujourd'hui si discuté : la Théosophie. Je ferai en sorte, que, même sans étude spéciale, chacun de vous sera capable, je l'espère, d'en comprendre l'idée directrice et le but. Telle sera notre tâche durant les cinq semaines qui vont suivre. Je m'efforcerai d'exposer clairement cette question, évitant autant que possible les termes trop spéciaux, afin qu'elle soit saisie facilement par toute personne d'une intelligence et d'une éducation moyennes. [2]
Je ne prétends pas que la Théosophie puisse être, sous tous ses aspects, mise à la portée des gens sans instruction ou sans éducation qui n'ont pas l'habitude de réfléchir ; mais ceux qui possèdent une intelligence et une culture ordinaires, ceux qui sont accoutumés à appliquer leur pensée aux affaires courantes de la vie, n'ont besoin de rien de plus que d'une attention soutenue et d'une facilité de compréhension ne dépassant pas la moyenne, pour avoir une vue d'ensemble de ces grands enseignements et des points qui s'y rattachent. Certains de ces enseignements sont si simples que même le moins instruit peut en tirer une ligne de conduite ; mais l'enchainement qui les relie les uns aux autres, la vie qui forme une vaste synthèse du tout, sont des conceptions plus difficiles dont la compréhension nécessite un certain niveau intellectuel.
* * *
La Théosophie, sous sa forme actuelle, est apparue en l'année 1875, mais, en elle-même, elle est aussi ancienne que l'humanité civilisée et pensante. Elle fut connue dans le monde sous bien des noms, dans les différentes langues du genre humain, mais, malgré [3] leur diversité, ces noms ont toujours eu la même signification.
La Théosophie fut de nouveau proclamée de nos jours pour contrebalancer les progrès rapides et inquiétants du matérialisme dans les nations qui marchent en tête de la civilisation.
À mesure que la science étendait le champ de ses connaissances, elle s'engageait de plus en plus dans la voie matérialiste ; l'agnosticisme devenait la principale caractéristique de l'homme de science. À cette période critique, et grâce à la mentalité spéciale de l'Occident, l'idée se répandait que si l'homme peut connaitre, dans le monde extérieur, tout ce qui est observable par les sens, tout ce que sa raison peut déduire de ces observations ou édifier sur elles comme bases, par contre, il n'existe aucun instrument qui soit à sa disposition pour l'acquisition d'autres connaissances ; aucun autre moyen n'existe, pour l'homme, d'entrer en contact plus intime avec l'univers qui l'entoure. Par suite, impossibilité d'apprendre quoi que ce soit de l'éternel et profond problème de la vie, de l'origine ou du but de cette vie, ni rien du sens profond des mots : Dieu, Immortalité, Âme.
Cet état d'esprit se propageait aussi en [4] Orient, dans les régions soumises à l'influence européenne, et menaçait de se répandre dans le monde entier. C'est alors que les grands gardiens de l'Humanité jugèrent sage de proclamer l'antique vérité sous une forme nouvelle adaptée aux idées et aux tendances modernes.
L'une après l'autre, les religions du passé furent révélées afin de répondre aux nécessités que devait amener le développement ultérieur des peuples ; de même, ce qui est la base de toutes les religions, a été de nouveau proclamé ; sans que nul soit privé des bienfaits qui résultent de la foi individuelle, des croyances particulières, il fut donné à entendre que toutes les religions professent les mêmes vérités et que toutes sont les rameaux issus d'un arbre unique. Il était devenu urgent de présenter au monde actuel la Religion car la Science, de son côté, exprimait le même désir mais dans un esprit différent et en vue d'un but tout autre, son opinion consistant à reléguer toutes les manifestations religieuses, sans distinction, dans ce qu'on nomme : La Mythologie comparée. L'examen attentif du passé, de ses ruines, de ses vestiges ; les recherches des antiquaires et des archéologues ; l'étude des littératures des civilisations disparues ; les résultats [5] des fouilles et les savantes traductions des inscriptions antiques, tout concourait à prouver, sans conteste et sans discussion possible, que les doctrines fondamentales de toutes les religions sont identiques et que, à degré égal de civilisation, leurs codes de morale sont les mêmes, que les vies de leurs Fondateurs présentent entre elles d'étroites concordances, que même les cérémonies extérieures, formes, rites, fonctions sacerdotales, tout en différant par les détails d'organisation, révèlent une frappante similitude d'idées. Et il arriva que les adversaires de la Religion se servirent de cette étroite similitude pour combattre les religions et les discréditer, affirmant qu'elles sont des produits de l'ignorance et que, en dépit des formes supérieures dont elles peuvent se revêtir avec le temps, l'accroissement des connaissances humaines les voue à une mort certaine.
Telle était l'attitude du monde occidental lorsque fut de nouveau proclamée l'antique Sagesse.
Le champ d'action de la Théosophie se trouvant d'abord en Amérique et en Europe, il fut naturel d'emprunter à la pensée grecque un mot qui exprimait les idées de l'antiquité. Or, quelque temps après le Christ, les écoles néoplatoniciennes avaient employé [6] le mot : Théosophia ou Sagesse Divine ; depuis, ce terme réapparait successivement dans toutes les écoles de philosophie ; en Europe, tous les mystiques le reprennent, si bien que, de nos jours, il comporte, dans la pensée européenne, une certaine signification grâce à laquelle quiconque est versé dans les questions religieuses ou philosophiques, peut, dès l'abord, saisir ce qu'est la Théosophie ; revêtue de ce terme ancien elle se dévoile à l'esprit humain dans toute sa portée.
Si nous envisageons un passé plus lointain encore, au-delà de l'ère chrétienne, nous retrouvons ce même terme, non plus sans doute : Théosophia, mais le mot sanscrit Brahmavidyâ. Comme Brahma signifie : Dieu et vidya : Sagesse, nous reconstituons ainsi le terme : SAGESSE DIVINE que nous pourrions encore retrouver sous d'autres formes telle que : Parâvidya, la Sagesse suprême.
Un grand Instructeur s'entendit un jour demander, par l'un de ses disciples, ce en quoi consiste la connaissance ; et il répondit qu'il existe deux sortes de connaissance, la supérieure et l'inférieure. Tout ce qui peut être enseigné d'homme à homme, science, art, littérature, Écritures sacrées, voire même encore les Védas, tout cela peut se classer dans la connaissance inférieure ; et le Maitre [7] ajouta que la connaissance de l'Un, de Celui d'où tout procède, telle est la connaissance suprême et supérieure. Voilà ce qu'est la Théosophie : "C'est la connaissance de Dieu, source de la Vie éternelle."
Contre l'assertion des gens de science d'après lesquels toutes les religions dérivent de l'ignorance humaine, une autre assertion déclara triomphalement qu'au contraire les religions émanent de la connaissance divine et non de l'ignorance des hommes. Toutes, sont les voies que suivit l'humanité dans sa recherche de Dieu.


Qu'est-ce que la Religion ?


La Religion est l'aspiration constante de l'Esprit humain vers le Divin, de l'homme vers Dieu. Les religions ne sont que des méthodes appropriées à cette aspiration.
Feuilletez au hasard le livre de l'Histoire, prenez une civilisation ou un peuple quelconque, explorez les confins de l'Occident ou les confins de l'Orient, arrêtez-vous en n'importe quel lieu ! Partout, vous observerez cette soif toujours ardente de l'homme pour Dieu. C'est là un cri persistant qui ne cesse de retentir sur les lèvres de l'humanité et qui fut proféré avec justesse par le poète hébreu : "Ainsi que le cerf aspire après les sources d'eau claire, de même mon âme aspire à toi, ô [8] Dieu !" Giordano Bruno employa une image analogue lorsqu'il compare la recherche de Dieu à l'effort de l'eau qui tente sans cesse de reprendre son niveau normal. De même que l'eau tend toujours à reprendre le niveau de sa source, de même le Divin dans l'homme s'efforce de s'élever à la Divinité d'où il émane.
Mais si vous voulez savoir, – non pas seulement espérer, aspirer, croire, – mais savoir, avec une fermeté de conviction que rien ne saura jamais ébranler, cherchez alors le Divin, non hors de vous, mais en vous-même. Ne vous adressez pas à l'homme de science, car celui-ci ne trouvera rien à vous dire sinon qu'il existe, dans la nature, une loi qui ne change jamais. Ne vous adressez pas au théologien qui ne vous offrira que des arguments au lieu d'une conviction. Ne vous adressez pas à l'artiste ; bien qu'il puisse vous faire approcher de la vérité, il ne vous parlera cependant que de la Beauté qui est celle de Dieu, et ce n'est pas là tout. Ne vous adressez pas au philosophe qui ne vous donnera que des abstractions. Tournez-vous vers l'intérieur et non vers l'extérieur ; plongez hardiment dans les profondeurs de votre être ; cherchez dans la chambre de votre coeur le mystère qui s'y trouve enseveli, mystère qui, en vérité, vaut [9] la peine d'être découvert, et là, là seulement, vous Le trouverez, Lui, Dieu ! Mais lorsque vous L'aurez découvert en votre coeur, vous vous apercevrez que toute chose dans l'univers chante son nom et sa gloire. Mais trouvez-le d'abord en vous-même et vous le verrez ensuite partout.
C'est là une vérité fondamentale, vérité des vérités. C'est là la Sagesse divine que nous appelons : Théosophie ; c'est là la nouvelle proclamation, dans le monde moderne, de la plus ancienne et de la plus importante de toutes les réalités.
La Théosophie nous enseigne deux autres grandes doctrines fondamentales :
La première implique l'immanence de Dieu. Dieu est partout et dans toute chose. C'est là une vérité que vous pouvez retrouver dans les anciennes Écritures, bien qu'aujourd'hui elle soit oubliée en Occident et paraisse, à bien des personnes, comme une idée nouvelle étrange, et étrangère, alors même qu'elle est encore prêchée dans les chaires chrétiennes. Vous la rencontrerez dans toutes les grandes Écritures. Ouvrez par exemple la Bhagavad-Gita qui nous est si familière et si chère :
"Rien de ce qui est mobile ou immobile ne peut exister sans moi." (X. 39.)
Et vous y lisez encore : [10]
"Ayant édifié cet univers avec une partie de moi-même, je demeure." (X. 42.)
Abandonnant à présent les anciennes écritures pour nous tourner vers les aspirations de la pensée moderne, nous trouvons que le même espoir est caressé. Voyez, par exemple, Tennyson en appelant au Divin en lui pour s'unir à l'Esprit Divin car "le Divin peut s'unir au Divin" et Tennyson affirme :
"Il est plus près de moi que mon souffle,
Que mes mains, que mes pieds."
Dieu est partout, Dieu est dans toutes les formes. Toute pensée, toute conscience c'est toujours Lui, car il est l'Un, l'Unique, la Vie éternelle. Il est en nous et c'est là ce qui fait que nous tous sommes immortels, que notre vie est éternelle. Immortels ? Non pas ! Qu'est-ce en effet que l'Immortalité sinon le temps sans fin, une succession d'instants, de périodes. L'homme est plus qu'immortel ou durable car ce qui commence en un temps donné doit finir en un temps déterminé. L'homme est éternel. Là git la garantie, la certitude d'un progrès sans fin. L'homme est aussi éternel que Dieu lui-même.
"Il n'est pas né, ne connait pas la mort ; il n'a pas été et ne cessera pas d'être." [11]
"Sans naissance, sans fin, éternelle, antique, l'âme n'est pas tuée quand on tue le corps."
Bhagavad-Gita, II, 20.


La mort ne signifie pas autre chose que le rejet d'un vêtement qu'on abandonne pour un autre, lorsque besoin en est. Puisque Dieu vit, l'homme ne peut mourir.
La seconde grande doctrine fondamentale se rattache intimement à la première et ne peut absolument pas s'en séparer ; il s'agit de la Solidarité qui existe entre tous les êtres, entre tout ce qui est. S'il y a une Vie, une conscience, si Dieu est dans toutes les formes, toutes ces formes sont conséquemment étroitement solidaires les unes des autres. Tel est le corolaire obligé de l'immanence de Dieu : c'est la Solidarité, c'est la Fraternité Universelle. Si Dieu est immanent en toutes choses, il est omniprésent et le mal fait par l'un réagit sur tout et' sur tous. Partout où est une vie, partout où il y a une forme, Dieu est. Rien ne peut être séparé, arraché de cette vaste Solidarité entre tout ce qui est, et cette solidarité, cette vie commune à tous constitue la base même de la Morale. Toutes les choses doivent vivre dans un univers où la vie est omniprésente et immanente. Comme [12] l'immanence de Dieu est la base de la Religion et justifie l'aspiration de l'homme vers Dieu, il en résulte que le corolaire de cette Loi : la Solidarité Universelle, l'Unité de vie et de conscience, doit être la base de la Morale. Vous ne pouvez porter atteinte à l'un de vos frères sans porter atteinte à vous-même, pas plus que vous ne pouvez prendre entre vos lèvres un poison sans répandre ce poison dans votre sang, dans les tissus, jusqu'à ce qu'il circule dans votre corps tout entier qu'il intoxique alors complètement. C'est ainsi que toute mauvaise pensée ou que toute action répréhensible de l'un réagit sur la Fraternité tout entière sans que vous puissiez même voir la fin de cette vaste réaction.
Ce sont ces deux grandes doctrines fondamentales qui constituent les bases de la Religion et de la Morale, et ce sont ces deux grandes doctrines que la Théosophie proclame.
J'ai dit encore que les différentes religions sont des méthodes, méthodes à l'aide desquelles l'homme poursuit sa recherche de Dieu et voici ce qui justifie la nécessité de ces différentes religions. Une méthode convient à une personne, une autre à une autre. Nous avons affaire à des tempéraments nombreux et distincts, à des esprits différents, et par [13] conséquent à des besoins différents. Au surplus, nous sommes à des stades divers sur l'échelle de l'évolution. Il y a parmi nous des ainés et des cadets ; nous ne nous ressemblons pas. La vérité est partout la même, mais il y a des centaines de façons de l'exprimer, et cependant le tout n'est jamais parfaitement exprimé. Toutes ces façons, ces méthodes, devraient
être respectées par ceux qui se rendent compte de la réalité des deux vérités fondamentales ; et chacun devrait suivre le chemin qui lui convient le mieux sans s'exposer au blâme. En outre, nous ne pouvons prétendre à la disparition de l'une quelconque des religions dans le monde, celles du présent comme celles du passé, car chaque religion possède une caractéristique spéciale de perfection et l'homme parfait, pour justifier ce titre, devra acquérir les perfections inhérentes à chacune des religions.
Nous n'avons pas à regretter la variété ; il faut plutôt nous réjouir de ce que la Vérité est si riche, si grande, qu'elle peut être vue et décrite sous différents aspects, chaque aspect étant lui-même parfait. Toute religion apporte son message à l'humanité, et chacune d'elles a quelque chose à donner.
La Théosophie vient donc dans le monde en messagère de paix. Pourquoi nous [14] querellerions-nous ? Dieu est le centre, et d'un point quelconque de la circonférence, vous pouvez diriger vos pas vers Lui. Dans cette marche en avant chacun de nous prendra une direction différente de celle du voisin pour atteindre au but, selon le point duquel il part. De même en est-il avec les diverses religions ; toutes sont des chemins vers Dieu,
Si vous désirez aller à Madras, vous pouvez venir de l'un des quatre points cardinaux et vous aurez employé des directions différentes pour vous rencontrer dans le même lieu.
L'une des plus anciennes religions a dit :
"L'humanité vient à moi par des routes nombreuses, et quelle que soit la route par laquelle un homme m'arrive, je lui souhaite la bienvenue, car tous les sentiers sont miens."
La plus jeune des religions a dit de son côté :
"Nous ne faisons aucune différence entre les prophètes."
Et elle a dit encore :
"Les chemins qui mènent à Dieu sont aussi nombreux que les respirations des enfants des hommes."
Tous les hommes ne se ressemblent pas. Ce qui pour l'un est nourriture et satisfait sa faim, n'est pas même un stimulant pour d'autres. Laissez prendre à chacun le Pain de Vie sous le nom et la forme qui lui
plaisent le [15] mieux. Des amphores de bien des formes puisent l'eau à la rivière, mais l'eau qui les remplit est la même, bien qu'elle prenne la forme du vase qui la contient. Laissez chacun boire l'eau spirituelle avec l'amphore qu'il préfère et qui, en ce cas, symbolise sa croyance. L'un peut la boire en empruntant la gracieuse amphore grecque ; l'autre avec celle aux lignes plus sévères des Égyptiens ; l'un peut se servir de la-coupe d'or ciselé d'un empereur, l'autre du creux de la main d'un mendiant ; qu'importe ! Aussi longtemps que la gorge altérée se trouvera rafraichie par le vivifiant courant. Pourquoi entrerions-nous en lutte, au sujet de la forme et de la matière du Vase, alors que l'Eau de la Vie est la même dans tous ?
Telle est donc la position que la Théosophie occupe dans le monde religieux : elle avance que toutes les religions sont bonnes en elles-mêmes et que nous avons à apprendre de chacune d'elles, que nous devons nous servir des différences qui les distinguent les unes des autres pour enrichir nos propres conceptions, plutôt que de nous servir de ces différences dans un but combattif.
Ainsi donc, la Théosophie se présente non seulement comme base de la religion et de la morale, mais encore de la Philosophie de la [16] Vie, car elle possède la connaissance de sujets sur lesquels nous nous étendrons les dimanches qui suivront, lorsque nous en viendrons à parler des grandes hiérarchies qui remplissent l'espace, des agents visibles et invisibles. Nous parlerons aussi des lois d'évolution et de réincarnation, ainsi que nous les appelons, et à l'aide desquelles le monde progresse ; nous étudierons la loi de causalité qui relie le tout, cette loi d'action et de réaction, ou simplement d'action (ainsi que nous la nommons ici), c'est-à-dire la loi du Karma, et nous arriverons enfin à parler des mondes dans lesquels l'homme vit, sème et récolte. Ce sont là les enseignements de la Théosophie sur la Philosophie de la Vie.
De plus, en ce qui concerne le Monde, elle envisage d'abord la Vie, puis, en second lieu, les Formes, car elle ne voit dans les Formes que les résultats d'expériences et de manifestations variées de la Vie, Pensée, Vie, Sentiment, sont considérés par quelques hommes de science comme les produits d'agrégats déterminés de matière ; pour nous ce sont les causes mêmes de ces agrégats.
La sagesse divine part d'un pôle opposé à celui duquel Haeckel fait partir ses théories scientifiques de l'évolution. L'éminent scientiste, [17] Sir William Crookes, lorsqu'il occupait la chaire de la British Association for the advancement of sciences, que vingt-sept ans auparavant le professeur Tyndall occupait, affirma le contraire de ce qu'avait avancé son prédécesseur. Le professeur Tyndall avait assuré que nous devions apprendre à voir dans la matière la promesse et la puissance de toutes les formes de vie, tandis que sir William Crookes, déclara de son côté que nous devons voir la Vie comme étant ce qui façonne et donne une forme à la matière. C'est aussi ce que dit la Théosophie.
C'est par l'exercice seul des pouvoirs que lui confère la Vie, par la pensée, que l'homme peut devenir le maitre de sa destinée ; et ainsi, au lieu d'être comme un simple fétu de paille que le courant du temps emporte, balloté çà et là par le remous, il peut devenir son propre maitre, "conquérir la nature par la soumission" et, par la connaissance, se servir de la nature dont il avait été l'esclave. La Théosophie donc, au point de vue philosophique, est idéaliste, car elle voit dans la matière un instrument pour la Vie, dans la pensée, un pouvoir créateur.


* * *


[18]
Envisageant maintenant un autre grand département de la pensée humaine, la Science, nous voyons que celle-ci observe des faits, qui, lorsqu'ils sont classés, permettent des déductions d'où l'on tire des lois. Du chaos de phénomènes, elle reconstitue le cosmos dans un ordre logique. La différence principale qui existe entre la science théosophique et la science moderne réside en ce que cette dernière ne s'occupe que de fragments du tout ; elle ne tient compte que des phénomènes physiques de ce monde et d'autres faits qui viennent à notre connaissance par l'intermédiaire du cerveau et des sens ; c'est pourquoi, ses conclusions sont parfois erronées. Dans ses opérations, la science fait usage des sens qu'elle amplifie dans une certaine mesure, avec le secours des appareils les plus délicats ; mais, lorsqu'elle se trouve en présence d'un phénomène psychique elle hésite à passer au-delà de ce qui se manifeste dans le cerveau, pour expliquer même le sommeil et les manifestations connues sous le nom de "transes".
Quelques-uns, comme Sir William Crookes, croient à l'existence d'une conscience plus grande, autre que celle qui s'exerce à l'aide du cerveau ; sir Oliver Lodge a été jusqu'à dire que la conscience de l'homme est semblable [19] à un vaisseau toutes voiles dehors sur l'océan, la conscience normale cérébrale étant à la conscience totale ce que la partie submergée de la coque est au reste du vaisseau. Mais ce n'est pas là la science orthodoxe ; pourtant une nouvelle méthode doit être adoptée si l'on désire quelque progrès. Bien que la science suive la bonne voie, beaucoup des phénomènes qu'elle étudie aujourd'hui sont trop subtils pour une observation par les sens normaux ou par des appareils, si délicats que soient ceux-ci. Le crédit dont jouit la science officielle s'oppose à une plus grande largeur de vue ; elle ne chasserait pas tout à fait de ses rangs un Sir William Crookes, si hétérodoxes que soient pour elle les opinions de ce dernier, mais elle considère avec quelque effroi des recherches qu'elle n'a pas coutume de poursuivre. Sa position actuelle est à peu près celle de ce botaniste qui, en étudiant une plante de lotus dans un lac, se contentait de dessiner et de compter soigneusement les pointes des feuilles qui apparaissaient au-dessus de l'eau, sans s'occuper de la plante, des tiges et des racines qui se trouvaient en dessous.
La science théosophique considère l'univers tout entier comme une manifestation de la pensée dans tous les états de matière. La [20] science occulte affirme l'existence d'états de matière de plus en plus élevés, matière beaucoup plus subtile que l'éther de la science orthodoxe. Ces différents états de matière s'interpénètrent et constituent ce vaste univers qui, dans ce sens, est matériel et peut être observé, étudié et compris.
L'homme n'est pas le moins du monde limité au monde physique. La Théosophie affirme que l'humanité a atteint un point tel, dans son évolution, que beaucoup de ses enfants peuvent développer, et développeront toujours davantage, des sens nouveaux qui leur permettront d'étudier les phénomènes d'une matière beaucoup plus subtile que la nôtre et de découvrir ainsi des lois encore cachées. Les facultés de l'intelligence, de perception, ne s'exerceront pas seulement à l'aide des cinq sens normaux actuels, mais encore par d'autres plus aigus, plus subtils, plus sensibles. Grâce à eux, la science pourra étendre le champ de ses recherches, tout en continuant à faire usage de ses propres méthodes d'observation et de raisonnement, mais son domaine sera beaucoup plus large et elle aboutira ainsi à des conclusions d'une portée plus haute.
Les observations déjà faites, grâce à l'usage de ces sens plus subtils, par ceux qui les [21] ont déjà développés, peuvent ne pas être acceptées comme vraies, mais peuvent être considérées comme des hypothèses encore non vérifiées, dignes d'étude et d'expériences. Toute science a ses spécialistes et ses méthodes de travail. Si l'on priait un astronome de vous enseigner sa science, il vous dirait : "Connaissez-vous les mathématiques ?" et si le candidat répondait négativement, l'astronome lui conseillerait l'étude des mathématiques comme devant précéder celle de l'astronomie. Un homme peut naviguer en se servant des livres spéciaux à la navigation, des tables de logarithmes, alors même qu'il est incapable de les faire lui-même ; mais en ce cas il ne peut pas savoir dans le sens absolu du mot, il a simplement confiance en des choses qu'il croit probables.
De même en est-il avec nos résultats : seuls peuvent les vérifier ceux qui se sont adonnés aux études préparatoires ; mais on peut utiliser ces résultats comme des points de repère pour les recherches individuelles. Pour l'étude de toute science, un étudiant doit être qualifié ; il doit disposer du temps et des capacités nécessaires, s'il veut savoir par lui-même ; au cas contraire, il doit se contenter de ce que d'autres, qui ont étudié et savent, lui diront. Toute science vous dit : "Vous [22] pouvez savoir, connaitre, si vous voulez prendre le temps suffisant, si vous voulez vous armer de patience et si vous avez les capacités innées". Il y a des conditions en toutes choses : le botaniste doit avoir la faculté d'observation très développée ; le musicien doit avoir de l'oreille et un toucher délicat, etc. ; il en est ainsi avec la science occulte ; si vous voulez étudier sans risque les mondes plus subtils, cette science vous engage à purifier vos corps physique, astral et mental, car, pour des recherches d'un ordre supérieur, il vous faut des instruments d'une pureté absolue. Des lentilles sales, dans un télescope ou dans un microscope, rendront l'image confuse : de même les désirs et les pensées impures obscurcissent la vision de l'investigateur. L'homme impur ne peut vérifier, examiner ou pénétrer les mondes supérieurs en sécurité.
Telle est brièvement esquissée la Théosophie ou DIVINE SAGESSE en ce qui concerne la Religion, la Philosophie et la Science. En chacun de ces domaines, elle a beaucoup à dire, beaucoup à apprendre en tant qu'idées nouvelles, vivantes, intelligibles ; elle les offre à tous ceux qui désirent avoir une compréhension plus nette d'eux-mêmes et de ce qui les entoure. En religion, elle donne les bases de la religion et de la morale ; en philosophie, [23] elle donne une solution à ces énigmes de la vie qui ont toujours préoccupé les cerveaux et brisé les coeurs des hommes ; en science, elle montre de nouvelles voies par lesquelles s'obtiendra une connaissance nouvelle 1. Elle rend la vie intelligible, elle explique les inégalités des conditions parmi les hommes et dans la société ; elle montre comment il sera possible de recueillir des faits nouveaux du sein de l'inépuisable nature.
Ainsi la Théosophie nous donne de grands principes sur la conduite à suivre, principes applicables à la vie humaine ; elle présente de grandioses idéals qui en appellent à la pensée et au sentiment et qui élèveront graduellement l'humanité au-dessus de la misère, de la douleur et de l'erreur ; car erreur, pauvreté, douleur, misère sont fruits de l'ignorance et l'ignorance est la cause du mal. Au-dessus de notre "mauvaise étoile" – attristante expression –, au-dessus des luttes de partis, des querelles de nations, des révolutions intestines, au-dessus de la misère des pauvres, du désespoir de l'homme sans travail et qui n'arrive pas à nourrir sa femme et ses enfants, au-dessus des sanglots des femmes au coeur brisé, des larmes des filles abandonnées, [24] des pleurs des petits enfants sans aide, au-dessus de tout cela résonne la cloche du bonheur qui, pour si alarmante qu'elle puisse paraitre, annonce que ce n'est pas la misère mais le bonheur qui est la destinée inévitable et naturelle de l'homme. La misère vient de l'ignorance ; la pauvreté vient de l'ignorance : ces conditions extérieures malheureuses sont transitoires et se dissiperont au fur et à mesure que notre savoir deviendra plus grand.
Votre "moi" intérieur n'est autre que l'âme éternelle dont la nature est Béatitude, car Dieu est béatitude et vous partagez sa nature divine. Les conditions extérieures dont vous souffrez seront modifiées par vous ; vous les asservirez et la misère disparaitra de votre vie lorsque vous aurez appris, grâce à elle, à vous élever de l'ignorance à la connaissance.
Nos misères sont celles que nous nous sommes faites et nous devons détruire ce que nous avons créé. Fils de Dieu que vous êtes, il vous est possible d'être les maitres du monde inférieur, car le Divin peut se rendre maitre de la matière. Béatitude et joie sont votre vie naturelle. Vous êtes nés dans le bonheur et ne plongez transitoirement dans la douleur que pour apprendre ce que la joie ne peut enseigner et pour retourner enfin au [25] bonheur qui constitue pour vous un héritage inaliénable.

Telle est la proclamation joyeuse de tout messager de la SAGESSE DIVINE.
Vos troubles, dont l'ignorance est la source, se dissiperont devant la Sagesse, car la joie fait partie de votre nature intime, vous venez d'elle, à elle vous retournerez.

1 Voir Le Monde de Demain, par Annie Besant (NDT).