UNION

LES ENSEIGNEMENTS DES MAITRES DE LA HIERARCHIE

LES LOIS FONDAMENTALES DE LA THÉOSOPHIE Par Annie BESANT - 1910

LA VIE DE L'HOMME DANS LES TROIS MONDES

LA VIE DE L'HOMME DANS LES TROIS MONDES


Nous voici parvenus au terme de ce cycle de conférences et j'ai pour dessein, aujourd'hui, de vous exposer la vie de l'homme, non dans notre seul monde physique, mais dans les trois mondes dont nous dépendons.
Avant d'entrer dans le vif de la question, permettez-moi de vous rappeler un point qui a son importance. Il est, parmi certaines classes d'individus, une croyance qui consiste à s'imaginer que l'homme n'est simplement que ce qu'il nous parait être ici-bas, c'est-à-dire : un être dont la vie se limite à l'intervalle de temps qui sépare la naissance de la mort, un être n'ayant aucun lien avec d'autres mondes ni avec la conscience se rattachant à ces mondes ; or, il importe de remarquer que cette croyance n'apparait qu'à des périodes bien déterminées de l'histoire du monde, que cette phase de la pensée humaine n'est jamais visible dans une civilisation [178] jeune et forte ; elle est au contraire visible lorsqu'une civilisation atteint son apogée et que celle-ci devient avide de luxe, de plaisirs, lorsque les jouissances matérielles dominent sur la vie intellectuelle, lorsque "la vie à grandes guides" (pour employer l'expression accoutumée) usurpe les droits de la pensée ; et c'est à partir de cette période que survient la décadence, que la civilisation tend vers une chute rapide.
Lord Bacon, dans l'un de ses célèbres Essays, signale le fait et observe que les époques où l'athéisme est en honneur se placent toujours en temps de paix. Je ne sais s'il se serait exprimé de la même façon au sujet de la France après la Révolution ; nous devons nous rappeler que le règne de la Terreur s'établit aussitôt après la proclamation qui reconnaissait l'existence d'un Être divin ; l'on ne peut donc rendre la pensée philosophique, si sceptique qu'elle ait été, responsable du sang qui fut versé à cette époque.
Il est certain que le matérialisme apparait toujours au moment où une civilisation atteint son apogée ; apogée qui précède la décadence ; dans un sens général, il semble bien que l'homme physiquement et moralement sain n'ait jamais songé à se considérer comme un être limité à une seule vie physique ; [179] mais, quand le corps l'emporte sur l'esprit, quand les sens l'emportent sur la raison, une vie de luxe et de débauche surgit et c'est alors que renait cette croyance que l'homme n'est pas immortel.
Nous devons en outre remarquer que c'est toujours au sein de cette civilisation devenue matérialiste que l'on trouve l'embryon d'une nouvelle civilisation, civilisation destinée à remplacer celle qui tend à disparaitre.
Avant même que sa puissance ne décrût, l'Empire romain vit le matérialisme le gagner, mais déjà, au milieu de cet Empire voué à la décadence, naissait cette foi nouvelle qui, un peu plus tard, devait être le Christianisme.
Il est aisé de s'apercevoir, si l'on consulte l'histoire, que c'est toujours au moment où les peuples commencent à perdre leur foi dans les vérités spirituelles, qu'un nouvel influx émane du royaume spirituel, si bien que l'embryon de la nouvelle civilisation se forme dans le corps agonisant de l'ancienne.
Des événements de ce genre ont lieu de nos jours. Reportez-vous aux trente dernières années du siècle dernier et vous constaterez l'importance prise par une phase d'incrédulité, phase au cours de laquelle la science devint sceptique alors que ses découvertes [180] mêmes la plongèrent de plus en plus dans le matérialisme. Tandis que la religion, menacée par les dangers qui l'encerclaient, marchait à la décadence, la littérature et les arts, de leur côté, n'avaient plus, pour les représenter, que des imitateurs serviles et non plus des artistes, des créateurs.
Plus que partout ailleurs, c'est surtout en France que le matérialisme triomphait et c'est en cette contrée que la littérature et les arts eurent le plus à souffrir, l'une devenant malsaine, les autres indécents au point que sur tous les murs, d'ignominieuses affiches reproduisaient des faits malpropres. Par contre, de nos jours, surgit dans le monde une nouvelle impulsion de vie religieuse et, avec elle, une tendance à créer de nouvelles écoles dans le domaine des arts, tendance dont il est possible de se rendre compte dans les efforts que l'on tente actuellement en peinture, en sculpture, et particulièrement en musique.
Chaque fois qu'une nouvelle impulsion de vie spirituelle a lieu, l'artiste cesse d'être simple imitateur pour redevenir créateur.
De nouveau, une autre civilisation se prépare et, bien que la présente civilisation soit en décadence, l'humanité, comme par le passé, n'en continuera pas moins sa marche ascendante sous l'impulsion de joies nouvelles, [181] destinée qu'elle est à se parer d'un glorieux et éclatant manteau.
De nombreux signes font actuellement prévoir, en tous lieux, la renaissance de la religion ; déjà, et formellement, l'on commence à déclarer que, en dehors du point de vue religieux, l'homme possède une conscience beaucoup plus étendue que celle qu'on lui avait attribuée jusqu'ici, qu'il est relié à des mondes autres que le monde physique, que, tout en vivant sur terre, il est en contact avec des sphères invisibles, impondérables pour nos sens physiques d'aujourd'hui. Je ne pense pas seulement à la Société Théosophique ; en parlant ainsi, je pense au mouvement plus étendu qui se produit dans le monde entier et que nous appelons : "mouvement théosophique". Les psychologues ont une tendance très marquée à étudier tout spécialement le mécanisme de l'âme humaine dans ses diverses manifestations hors du cerveau ; ils soupçonnent l'existence de mondes dont nous commençons à avoir vaguement conscience sans toutefois les percevoir ou les comprendre. Cela n'a-t-il pas été pressenti par des personnalités éminentes, sir Oliver Lodge par exemple ? Cela n'a-t-il pas été affirmé définitivement par Frederik Myers qui, lui, parle d'une conscience planétaire et [182] cosmique ; par la première, il entend une conscience n'ayant de contact qu'avec notre planète, notre terre, et fonctionnant par l'intermédiaire du cerveau ; par conscience cosmique, il entend une conscience s'étendant au delà du globe terrestre et en relation étroite avec une vie plus profonde aux horizons à la fois plus nouveaux et plus vastes que les nôtres. Myers va plus loin encore, dans son célèbre ouvrage : La Personnalité Humaine, il avance que, dans ces dernières années, de nombreuses allusions ont été faites au sujet de la conscience de l'homme et d'après lesquelles l'être humain, dans le cercle de sa conscience planétaire, commencerait à développer non seulement la connaissance d'une planète, mais d'un cosmos ; en outre, cette extension particulière de la conscience aurait été un adjuvant très important pour le rehaussement de la religion, des arts, de la poésie, en un mot, du Beau, tous ces domaines ayant, jusqu'alors, été négligés par le matérialisme. Myers cite aussi la théorie d'un matérialiste français d'après lequel le but de l'évolution, pour l'homme, n'est autre que la conquête du monde physique, celui-ci devant être soumis à sa volonté ; tout ce qui ne tend pas à ce but unique n'est qu'une chose secondaire, un accessoire. Ainsi qu'on ne [183] l'ignore pas, il arrive, dans les usines, que, au cours de la fabrication d'un produit, d'autres produits qu'on n'avait pas eu l'intention de fabriquer, apparaissent ; ce sont là des produits secondaires. La même chose se passe au cours de l'évolution, dit le livre de Myers, au sujet du matérialiste en question. Le but de l'évolution, pour l'homme, est la conquête de cette planète par des moyens physiques et, tout ce qui, en dehors de cela, apparait chez l'homme, n'est qu'un produit secondaire ; parmi ces produits secondaires il classe la religion et les arts, puis il énumère toutes les caractéristiques de l'homme vrai, qui font de celui-ci quelque chose de plus que le roi du règne animal.
Si nous possédons un système nerveux très délicat capable seulement de nous mettre en contact avec le monde physique et si nous n'avons rien d'autre, de mieux ,qui puisse, par des moyens analogues nous faire avoir conscience d'autres mondes, si notre conscience ne dure que l'espace d'une vie terrestre, il devient difficile, sinon impossible, d'admettre cette théorie matérialiste citée par Myers ; en ce cas, en effet, tout est illusoire, imaginaire, irréel, rien ne peut nous être de quelque secours dans le processus évolutif, toutes choses n'étant que des produits secondaires, [184] l'homme devant en outre appliquer tous ses efforts à la conquête de ce monde, le seul qui puisse lui appartenir. Si cela est, la vie humaine devient misérablement vide de sens, car ce qui rend la vie digne d'être vécue, ce qui élève l'homme au-dessus de la tyrannie des circonstances, ce sont précisément ces produits secondaires. On peut perdre la fortune, la santé et tout ce qui se rattache au corps physique sans que les fonctions intellectuelles cessent de subsister ; aussi longtemps que la religion, l'imagination créatrice, les arts, la littérature, nous restent, la vie vaut encore la peine d'être vécue car ces éléments ne dépendent ni de la richesse, ni des gens qui nous entourent, ni des circonstances : ce sont là des trésors bien individuels, bien intimes, bien intérieurs, que nul ne peut dérober : ils sont d'un monde que la destruction n'atteint pas : d'eux seuls dépend le bonheur de l'homme car ils tendent vers des mondes indestructibles où la mort est inconnue.


* * *


Considérons d'abord ce qui est réellement la vie de l'homme dans le monde physique. Là, l'homme possède une conscience, un [185] "Moi" vivant, pensant, agissant, doué d'une volonté. C'est l'homme vrai.
Comment cette conscience est-elle amenée en contact avec le monde physique ?
Par des moyens indirects, par l'intermédiaire d'un mécanisme emprunté à la matière du monde physique, constitué d'organes particuliers à l'aide desquels la conscience peut s'exprimer. Pensez à cette malheureuse Américaine, Helen Keller, qui devint sourde, muette, aveugle et n'ayant plus, pour communiquer avec le monde physique, que les sens du toucher, du gout, de l'odorat ; quelles impressions enregistre-t-elle relativement au monde extérieur ? La conscience n'est-elle pas pour ainsi dire emprisonnée, exclue du monde dans lequel nous vivons ?
L'usage du corps physique et sa perfection dépendent en grande partie de son contact avec le milieu pour la connaissance duquel il a été édifié afin d'amener votre conscience, votre personnalité, en rapport avec ce qui vous entoure. Chaque pas en avant, sur le chemin de l'évolution, est destiné à faire du corps physique un instrument plus parfait qui permette à la conscience de mieux s'exprimer dans le monde qui lui est extérieur ; c'est en cela que consiste sa valeur et c'est ce dont il se faut bien pénétrer si l'on désire [186] comprendre les rapports existant entre l'intelligence et le corps qui la revêt.
Nous possédons ici-bas cinq sens, mais le proverbe, – comme nous aussi, théosophes, – avance que nous en avons sept, les deux derniers devant être développés dans le cours de l'évolution physique qui nous reste encore à parcourir, ces deux sens devant faciliter les relations de la conscience avec le monde extérieur. La Théosophie affirme que ces deux sens fonctionneront par l'intermédiaire de deux petits organes placés dans le cerveau que la science ordinaire considère comme étant les vestiges d'organes qui, autrefois actifs, se sont atrophiés, et ne peuvent plus désormais être d'aucune utilité ; ce sont le corps pituitaire et la glande pinéale. Nous déclarons, non par une simple théorie, mais d'après de nombreuses observations et expériences, que ces deux organes ne sont pas seulement des vestiges, mais des organes à l'état rudimentaire qui doivent être développés dans l'avenir. Nous ne nions pas que la glande pinéale ait été autrefois un "troisième oeil", nous l'admettons même complètement ; mais nous disons que cet organe a une autre fonction à remplir dans l'avenir, fonction qu'il remplit déjà chez certaines personnes qui en ont hâté artificiellement l'évolution. [187]
Ce développement sera normal et universel pour tous, au fur et à mesure que la race évoluera.
La glande pinéale est réellement l'organe par lequel la pensée se transmet d'un cerveau à un autre, organe qui permettra à l'être humain de se mettre en contact avec les courants de pensée qui circulent constamment dans le monde, de les recevoir et de les utiliser ; et, de même que l'oeil reçoit aujourd'hui les vibrations éthériques qui permettent la vision et que nous appelons : lumière, de même, dans l'avenir, c'est par l'intermédiaire de la glande pinéale qu'on percevra les vibrations générées par la pensée et les utilisera pour communiquer dans le domaine de la pensée.
Le corps pituitaire, lui, a une autre fonction. Il est l'organe grâce auquel il nous est possible de communiquer avec le monde astral. Quand il est mis en activité par la méditation, il fonctionne dans le cerveau humain, un pont s'établit alors entre la conscience sur le monde physique et la conscience sur le monde immédiatement supérieur au nôtre : le plan astral.
À l'état de veille, vous vivez simultanément sur ces deux mondes, et, dans le sommeil, vous quittez le monde physique pour entrer [188] dans l'astral. Si le corps pituitaire fonctionnait librement, vous conserveriez le souvenir de tout ce que vous faites dans le monde astral – dans le sommeil, diriez-vous – et cela de la même façon que vous conservez aujourd'hui la mémoire de ce que vous avez fait hier. Cet organe du cerveau physique, le corps pituitaire, est en voie d'évolution ; il est si prêt d'entrer en fonction que, au temps présent, un faible stimulant suffit pour le mettre en activité. Le corps pituitaire est l'organe du plus prochain sens, que nous ayons à développer ; il permettra à l'homme de connaitre d'une façon exacte, et dans sa conscience physique, ce qu'il ne perçoit encore que confusément ; l'homme doué de ce sens verra l'autre monde comme il voit actuellement le monde physique ; les consciences physique et astrale deviendront une seule conscience ; toutes deux fonctionneront dans les corps physique et astral comme s'il n'existait qu'une seule et même conscience.
En vous parlant ainsi, je me suis écartée tant soit peu du point sur lequel je désire m'arrêter tout spécialement pour quelques instants. Votre corps physique est donc l'instrument qui vous met en contact avec le monde physique ; chaque organe qu'il a développé est relié à un certain ordre spécial [189] de vibrations dans le monde extérieur. Dans un article publié dans la Fortnightly Review de 1891, je crois, le professeur Crookes fait ressortir que notre connaissance du monde extérieur dépend de nos sens, et que si l'oeil était modifié, le monde entier se transformerait pour nous. Or, l'éther vibre dans l'oeil grâce aux vibrations que nous appelons lumière, et M. Crookes suggère que l'oeil pourrait tout aussi bien vibrer sous l'influence d'ondes électriques, répondre à leurs vibrations comme il le fait pour les vibrations de la lumière. Il décrit ensuite quel serait l'aspect du monde aux yeux d'un homme dont l'oeil serait plus sensible aux ondes électriques qu'aux ondes lumineuses ; il montre combien le monde serait totalement différent. Ce n'est là qu'un exemple pour faire comprendre la différence qui pourrait se produire dans la conscience si un léger changement survenait dans les organes des sens ; et si nous voulons bien ne pas oublier que nous sommes toujours en voie d'évolution, que celle-ci est loin d'être terminée, vous comprendrez aisément qu'il est possible, et même plus que probable, que des changements comme ceux que j'ai indiqués soient sur le point de se produire ; c'est d'ailleurs un fait avéré que ces changements se sont déjà [190] effectués cher un certain nombre, toujours croissant, de gens cultivés et entrainés de la grande cinquième Race-Racine, la race aryenne actuelle 7.
Jusqu'à présent, en ce qui concerne du moins le corps physique, nous nous sommes tenus sur un terrain scientifique ordinaire, en y ajoutant toutefois la prévision de l'avenir.
Poursuivons et considérons le monde des rêves. Ici encore, point n'est besoin de quitter le terrain scientifique qui nous offre une base sure, d'autant plus que la science a fait, dans ces dernière trente années, de nombreuses investigations dans le domaine des, rêves. Elle a d'abord dirigé ses études sur les effets du rêve résultant d'un attouchement exercé sur le corps d'une personne endormie. Un grand nombre de ces expériences sont décrites dans la Philosophie du Mysticisme, de du Prel, livre digne d'attention. Il a été reconnu, par l'expérience, qu'un grand nombre de personnes pouvaient être transportées dans un état de rêve rien que par le fait de les toucher. En un cas particulier, la nuque fut touchée, et, en se réveillant, le sujet raconta le rêve qu'il avait eu. Dans ce [191] rêve, il s'était vu commettre un crime pour lequel il avait été jugé ; il s'était vu passer en cour d'assises, avait entendu le réquisitoire dressé contre lui et le verdict du jury qui l'avait condamné à mort ; il assista à son incarcération dans la cellule, des condamnés à mort, il s'en vit extrait pour être conduit à la guillotine où il sentit qu'on le liait ; finalement "le couperet, dit-il, tombait sur moi quand je m'éveillai".
De nombreuses, expériences de ce genre sont relatées dans ce livre, et on peut y ajouter celles que quelques-uns d'entre nous ont pu tenter personnellement. La force et la richesse du rêve dépendent de l'imagination du sujet et aussi de l'intensité de sa pensée. Un jour, en Australie, de l'eau ayant été répandue sur la tête d'un colon peu civilisé, celui-ci se leva brusquement et se précipita en dehors de sa tente, croyant qu'un orage terrible se déchainait sur la région. Mais il n'y avait point d'orage. La même expérience fut laite sur un homme cultivé, mais celui-ci eut un rêve où se déroulaient devant lui des scènes variées que provoque ordinairement l'orage. Plus l'imagination est riche, plus le rêve sera documenté, même lorsqu'il est ainsi suggéré. Dans tous ces cas, le sujet s'éveillait et racontait son rêve ; c'était là une façon [192] d'expérimenter bien simpliste, aussi essaya-t-on d'influencer le sujet, d'une manière plus intéressante. Pour cela, on le plongea dans un sommeil hypnotique, moyen qui permet d'accéder à la conscience de l'homme pendant qu'il rêve et de la questionner sur ce qu'il voit ou ce qu'il fait. Mais alors se pose une question intéressante, non pas tant pour les résultats donnés par des rêves suggérés ou causés par l'état de transe provoqué artificiellement, que pour ceux provenant d'un rêve normal sans aucune suggestion. Dans ces dernières expériences, des phénomènes d'un autre genre furent constatés. Myers a relaté des cas où un homme rêvait d'une chose qu'il voulait connaitre, et qu'il ignorait à l'état de veille. Dans cet ordre de phénomènes, il cite un fait remarquable au sujet d'une lacune dans un hiéroglyphe qu'un archéologue cherchait à déchiffrer depuis longtemps sans y parvenir. Une nuit, un ancien prêtre apparut au savant et lui fournit les explications dont il avait besoin pour résoudre le sens du signe hiéroglyphique. De nombreux cas existent dans lesquels une connaissance quelconque ne peut être obtenue à l'état de veille, et vient à l'esprit quand la conscience agit indépendamment du cerveau et que celui-ci est endormi. [193]

7 Au sujet des Races voir le journal Le Théosophe du 15 juillet 1910 (NDT).

Les observations ont été poussées plus loin encore. Une personne peut prévoir un évènement et prendre ses dispositions en conséquence.
Un cas de ce genre s'est présenté tout dernièrement. Vous savez qu'un navire, venant de l'Australie, le Waratah, est considéré comme s'étant perdu en mer. À bord, se trouvait un passager dont l'ami, qui est en Angleterre, nous a raconté l'histoire. Un soir, dans la cabine du voyageur, apparut un homme ayant en mains un morceau d'étoffe taché de sang et un sabre ; le fantôme plaça le sabre entre le morceau d'étoffe et le passager ; cette apparition eut lieu trois fois. Ce rêve ne parait pas particulièrement significatif, et cependant il eut son effet : le passager, effrayé, quitta le bateau à Durban. La quatrième nuit après qu'il eut débarqué, ce passager rêva que le bateau luttait au milieu d'une mer en fureur, puis il le vit soulevé par de grosses vagues tourner sur lui-même et sombrer. On n'espère plus voir revenir ce bâtiment, les assureurs ont payé la prime, considérant le navire comme définitivement perdu.
Ce fait présente des points dignes d'intérêt ; l'avertissement transmis au passager, l'effet produit sur celui-ci, et le rêve du naufrage survenu par la suite. [194] De nombreux cas de rêves prémonitoires ont été enregistrés, et vous pouvez les étudier si vous le désirez. Que nous indiquent-ils ? D'après ceux dont la conscience fonctionne librement, avec ou sans l'intermédiaire du cerveau, ces phénomènes démontrent l'existence d'un autre monde interpénétrant le monde physique, un monde matériel dont la matière est toutefois plus subtile que la matière physique ; ces phénomènes prouvent en outre que l'homme possède un corps dont la matière subtile interpénètre la matière plus grossière du corps physique et pouvant prendre contact avec un autre monde.
Ce corps est véritablement un second vêtement de l'âme, composé de la matière de ce milieu immédiatement supérieur au monde physique, que nous appelons : le monde astral. De même que le véhicule physique, c'est un instrument ; la conscience s'en sert pour se mettre en contact avec un monde autre que celui que nous nommons physique ; en évoluant il devient, dans un nouveau milieu, un instrument obéissant docilement aux impulsions de la conscience. Ce véhicule particulier est aujourd'hui en voie d'évolution et se trouve relativement développé dans les races les plus civilisées et chez les individus d'une haute culture. Il se perfectionne maintenant [195] de plus en plus dans les nations qui occupent un niveau supérieur et, au fur et à mesure qu'il évolue, la conscience se trouve être en contact plus intime avec l'autre monde et rend l'homme susceptible de percevoir ce milieu, demeuré jusqu'alors invisible.
Les rêves prémonitoires sont simplement dus à ce que la conscience humaine fonctionne dans la matière subtile et dans un corps insuffisamment perfectionné dans lequel elle n'agit pas aussi librement que dans le corps physique qui, lui, est devenu de plus en plus parfait au cours des millions d'années spécialement consacrées à l'évolution physique.
Le perfectionnement de ce second véhicule peut être activé à l'aide d'une méditation intense et suivie. En méditant, ce corps crée ses organes aussi simplement, aussi naturellement, aussi logiquement que le corps physique a créé et développé successivement les organes qui lui sont particuliers.
Il n'y a rien là de surnaturel. Vous êtes tous sur le point d'arriver à ce niveau ; les impressions vagues et fugitives que vous recevez de temps à autre résultent du fait que ce corps astral est suffisamment évolué pour percevoir les vibrations de la matière subtile ; toutefois il n'est pas encore assez parfait [196] pour agir délibérément sous le contrôle de la volonté.
Pas une nuit ne se passe sans que vous vous serviez de ce véhicule lorsque, pendant le sommeil, vous abandonnez le corps physique ; vous vous en servez constamment, la nuit comme le jour ; la nuit, comme instrument de la conscience dans un monde subtil, le jour, comme véhicule des désirs, désirs qui stimulent le corps physique à l'action, car cette enveloppe astrale est effectivement le corps des émotions et des désirs, d'où l'appellation de "corps du désir" qui lui a été donnée. C'est lui qui est séparé et chassé de l'enveloppe physique sous l'influence du chloroforme, de l'éther ou autres anesthésiques, laissant le corps inanimé et insensible ; c'est dans cette enveloppe que réside réellement la sensation et non dans l'instrument charnel qui ne ressent plus rien lorsque les anesthésiques en ont chassé la matière subtile qui, normalement, l'interpénètre. S'endormir, c'est tout simplement quitter le corps physique pour le corps astral exclusivement, absolument comme lorsqu'en rentrant chez vous, vous vous débarrassez de votre manteau pour ne conserver que les autres vêtements.
Ce n'est donc pas seulement après la mort que vous faites usage de cette enveloppe [197] astrale, mais vous vous en servez aussi dans cette vie d'ici-bas et j'insiste tout particulièrement sur ce point. Vous n'êtes pas, après la mort, un pur esprit dépouillé de tout véhicule ; vous êtes revêtu d'une enveloppe qui vous sera d'autant plus utile que vous serez devenu plus conscient pendant le sommeil. Plus vous aurez évolué ce corps, mieux vous saurez en faire usage, plus votre vie durant le sommeil deviendra aussi consciente que l'est votre existence à l'état de veille ; et, en vérité, le sommeil, c'est-à-dire la vie astrale, devient une vie beaucoup plus réelle que celle du monde physique. Le monde astral est au monde physique ce que sont les états gazeux aux états liquides et solides. Pour l'instant, les couleurs ne sont perçues que par les vibrations de l'éther, de la lumière, mais des quantités d'autres couleurs, de nuances plus délicates, vous seront devenues perceptibles lorsque votre enveloppe astrale sera complètement organisée ; vous vous trouverez dans un autre monde, beaucoup plus réel que le milieu physique, parce que le voile de matière qui, là, enrobe la conscience est beaucoup plus subtil et permet à cette conscience de prendre plus facilement contact avec l'ambiance. [198]


* * *


Occupons-nous maintenant du troisième monde, le monde mental.
Nous vivons normalement, à l'état de veille, sur trois plans. Lorsque vous pensez, vous faites usage d'une matière beaucoup moins dense encore et que le professeur Kingdon Clifford appelle "substance mentale", substance dont les vibrations correspondent aux changements d'états de conscience et cela, aussi réellement que les vibrations de l'éther font percevoir la lumière. Vous vivez dans ce monde et l'instrument qui y correspond pour la conscience est encore, pour la majorité des hommes, beaucoup moins développé que ne l'est le corps astral. Mais au fur et à mesure que l'évolution se poursuit, ce véhicule se perfectionne graduellement, jusqu'au jour où il vous est possible de sortir hors des limites du plan astral pour être complètement conscient sur le plan mental. Ce dernier est appelé, en ce qui concerne les conditions post mortem : le monde céleste ; c'est le Swarga des Indous.
Considérez cela, si vous le désirez, comme une hypothèse et réfléchissez-y. Voyez-vous comme vivant constamment dans ces trois [199] mondes, physique, astral et mental ; pensez à ces trois corps dont je viens de parler, chacun d'eux étant relié au milieu dont il emprunte la matière, chacun d'eux étant destiné à servir d'instrument à la conscience qui, grâce à eux, peut agir sur chacun de ces trois plans. Ces trois véhicules, par l'évolution, atteindront la perfection ; à mesure que le corps physique se développe, le corps astral s'organise plus complètement ; de même pour le corps mental ; arrive enfin le moment où tous sont en contact direct avec les mondes auxquels ils se rattachent.
Vous pourrez constater que cette thèse éclaire quantité de phénomènes et notamment ceux sur lesquels se base la néo-psychologie ; non seulement les rêves s'expliquent, mais encore les phénomènes tels que la seconde vue, les prédictions, les visions, les voix prophétiques qui indiquent les événements futurs et aussi toutes les expériences d'ordre mystique. Tous ces faits rentrent dans les limites de la conscience, conscience plus ou moins complètement épanouie. Si une véritable psychologie doit être fondée en la basant sur les témoignages de la conscience, il est impossible pour le scientiste, ainsi que le fait observer William James, d'ignorer les phénomènes de la conscience [200] dite religieuse. Trop longtemps la science a voulu les méconnaitre. Si vous ne tenez nul compte du témoignage des mystiques, des expériences des prophètes et des saints, si, non content de mépriser ces êtres hautement développés, vous rejetez encore les expériences religieuses normales d'une personne ordinaire communiquant accidentellement avec un monde supérieur, soit par la pensée, soit par la méditation, vous pouvez alors rejeter indistinctement tous les témoignages de la conscience, quels qu'ils soient, car il est illogique de méconnaitre les uns et d'accepter les autres. Mais si vous n'admettez pas les témoignages qui découlent des expériences mêmes de la conscience, il ne vous reste plus dès lors aucune base, aucun terrain sur lequel vous reposer, votre connaissance tout entière dépendant de l'expérience acquise par la conscience. La matière n'existe que par déduction ; votre propre existence est, pour vous, un fait et, de là, vous déduisez que d'autres êtres existent en raison de ce que vous vous sentez affectés, influencés ou non, par eux. Le témoignage de la conscience est le phénomène le plus important qui soit à considérer ; tout le reste ne consiste qu'en phénomènes secondaires. Si, de parti pris, vous persistez à vouloir ignorer les témoignages [201] autres que ceux des sens, force vous est bien quand même d'enregistrer les perceptions transmises par les sens à la conscience et ce ne sont pas les sens qui enregistrent ; ils sont des transmetteurs pour la conscience qui perçoit.
Quel rapport cette théorie peut-elle avoir avec la mort, avec notre attitude en présence de la mort ?
Je vais ici employer, pendant quelques instants, des termes religieux. Pour les chrétiens, ces trois mondes sont : la terre, le monde intermédiaire ou purgatoire et le ciel ; pour les Indous, ce sont : Bhurloka, Bhuvarloka et Svarga. D'un côté comme de l'autre, ces trois mondes sont identiques de part et d'autre, car toutes les religions enseignent les mêmes vérités ; en d'autres termes, ce sont la terre, le monde astral et le monde mental dans lesquels nous vivons, tout au moins en partie en ce qui concerne les deux derniers ; ils ne sont pas séparés, mais s'interpénètrent les uns les autres en sorte que, si vos trois corps sont organisés en conséquence, ces trois plans vous seront visibles ; vous vivrez constamment et simultanément dans ces trois corps et dans les plans correspondants dont vous verrez les habitants, avec lesquels vous pourrez communiquer, aussi facilement que vous [202] le faites entre vous ici-bas. Mais une longue pratique et un travail laborieux sont nécessaires pour l'organisation de ces corps. Tous les hommes doivent après la mort habiter successivement les deux derniers mondes ; mais ils pensent souvent, à tort, qu'on ne peut y pénétrer qu'après la mort et que pendant la vie physique ils en sont complètement séparés, depuis surtout que les religions modernes ont creusé cet abime entre le monde terrestre et les deux autres. Il n'y a pas d'abime, les trois vies, les trois corps, les trois mondes s'enchevêtrent continuellement.
Quelques-uns d'entre vous croient que ceux qu'ils voient mourir sont tout à fait perdus pour eux ; cela n'est pas exact, ils vivent avec vous, ils sont conscients de votre présence, bien que vous ne le soyez pas de la leur, parce qu'ils sont conscients dans leur corps astral alors que vous ne l'êtes pas encore dans le vôtre ; mais ayant abandonné le corps physique à l'aide duquel il leur était possible de communiquer avec vous, ils ne peuvent attirer visiblement votre attention sur eux. Vous dites que ces amis sont perdus pour vous, mais vous n'êtes pas perdus pour eux : ils sont, dans leur corps du désir, conscients d'un monde subtil dans lequel vous vivez [203] aussi, bien que vous n'en ayez pas souvenir. Vous êtes avec eux pendant le sommeil, car alors à ce moment vous avez écarté, vous aussi, le voile de chair pour le corps astral. À l'état de veille vous ne prêtez guère attention à ce monde car toutes vos énergies sont dirigées vers l'extérieur ; mais vos amis ne vous quittent pas, ils sont toujours conscients de votre présence et si vous vouliez, ne fût-ce qu'un instant, détourner votre conscience du plan physique, vous pourriez, même à l'état de veille, vous mettre en rapport avec eux. Toutefois, lorsqu'ils passent dans le monde céleste, ces rapports deviennent moins possibles, car les vibrations de ce plan beaucoup plus subtil encore parviennent plus difficilement jusqu'à nous ; et cependant, si tous, vous mettiez en pratique ce que vos religions respectives vous recommandent de faire, si vous vouliez consacrer plus de temps à la prière et à la méditation (car toutes deux donnent les mêmes résultats, bien que la dernière soit plus purement mentale que l'autre) vous pourriez aussi vous mettre en communication avec le monde céleste. Alors vous seriez à même de voir que la mort ne doit plus être pour vous, non seulement un sujet de terreur, mais que tout le deuil dont on l'environne n'a plus sa raison d'être, que la [204] vie est ininterrompue et que la mort ne peut séparer les êtres.
L'homme reste après son décès ce qu'il était auparavant ; il a les mêmes pensées, les mêmes sentiments, les mêmes désirs, les mêmes espoirs, les mêmes craintes. Il n'y a pas plus de différence entre une personne vivant ici sur terre et cette même personne après sa mort, qu'il n'y en a entre un homme qui a son manteau et ce même homme lorsqu'il le retire.
L'individu qui vient de mourir s'est dépouillé du vêtement qu'il portait sur le plan physique et, de ce fait, ne peut plus agir sur ce plan ; il est si bien le même individu qu'il a souvent de la peine à croire qu'il est réellement mort ; ce n'est qu'au bout d'un certain temps, quand il s'aperçoit qu'il ne peut plus agir sur les choses et sur les personnes du monde terrestre, qu'il parle sans obtenir de réponse, qu'il touche sans provoquer de sensation, qu'enfin il comprend qu'il a quitté ce monde. Il perçoit la matière subtile d'un objet, mais l'objet reste immobile lorsqu'il désire le bouger, contrairement à ce qui avait lieu auparavant. Nous avons rencontré bien souvent de ces personnes qui ne peuvent croire à leur mort, ni comprendre pourquoi leurs amis restent muets et sourds à leurs appels. [205]
Le jour viendra où, tous, vous vous dépouillerez de vos corps physiques, vous entrerez dans ce nouveau monde où vos amis vous accueilleront et où vous serez conscients de leur présence. Mais quel sera alors votre état de conscience ? Il dépendra entièrement de la conduite que vous aurez eue ici-bas. Ce corps intermédiaire des désirs, des sentiments, des émotions est plus ou moins bien vitalisé selon la vie que vous y infusez régulièrement tous les jours pendant l'état de veille ; si vous vous êtes adonnés aux plaisirs sensuels, vous aurez vitalisé la matière grossière ; par contre, si vous avez été sensibles aux émotions élevées, si vous avez éprouvé l'amour de la famille, l'affection pour les amis, si vous avez cultivé des facultés artistiques, si vous avez pensé au bien de l'humanité, vous aurez alors vitalisé la matière subtile dont les vibrations correspondent à tous ces sentiments élevés.
Votre vie dans l'au-delà dépend donc des conditions d'être que vous vous créez actuellement. Si vos plaisirs ne consistent qu'à satisfaire le corps physique, à boire, à manger, etc., la mort alors sera vraiment un grand choc et une pénible épreuve, car tous ces désirs grossiers ne s'éteignent pas après la mort et vous souffrirez de ne pas pouvoir les assouvir. De cette vérité, émane l'idée de l'enfer [206] présentée par les différentes religions ; vous ne pourrez satisfaire ces désirs, voilà ce qui vous attend et c'est là en vérité un enfer bien réel. Ces désirs ardents, ces convoitises que l'on ne peut satisfaire sont de véritables tortures pour celui qui en est victime. Les religions sont donc dans le vrai quand elles disent que si vous ne songez qu'aux plaisirs inférieurs du monde vous souffrirez dans l'au-delà. Oui, en effet, vous souffrirez, et il est bien que vous le sachiez, sans laisser de place à la sentimentalité à laquelle vous vous adonnez souvent en parlant de la miséricorde divine. La miséricorde divine ne peut vous empêcher d'être malheureux après la mort si votre conduite sur terre n'a pas été ce qu'elle aurait dû être, pas plus qu'elle ne peut vous empêcher de vous bruler si vous mettez votre main dans le feu. Les univers que Dieu a créés sont régis par les lois, et c'est dans le fonctionnement de ces lois immuables que réside la meilleure des miséricordes. Toutefois la souffrance n'est pas éternelle, ainsi que voudraient le faire croire les religions, et c'est là une nouvelle épouvante jetée dans l'humanité du fait que l'idée de réincarnation a été perdue. La souffrance ne dure que jusqu'au moment où la matière grossière se désagrège, ce qui se produit lorsqu'elle meurt, [207] pour ainsi dire, d'inanition ; à ce moment vous avez compris la leçon et vous êtes libre ; par vos propres expériences, vous vous rendez compte de cette vérité que contient la Bhagavad Gita où il est dit que les sens peuvent être causes de douleurs. Le souvenir de cette grande et salutaire leçon s'imprime sur l'égo qui, plus tard, revient sur terre plus sage qu'auparavant.
Supposons cependant que vous vous soyez exercé durant votre existence physique à dompter les plaisirs sensuels, que vous ne subissiez plus leur influence, que vous sachiez y substituer des jouissances d'un ordre supérieur comme celle que procurent par exemple la musique, la peinture, la poésie… en un mot, tout ce qui éveille les plus hautes émotions ; il arrive que ces jouissances seront encore vôtres de l'autre côté de la mort 8. Dans ce cas vous avez vitalisé des centres déterminés du corps astral dans lequel vous vivrez dans l'au-delà ; le séjour alors deviendra pour vous une source de bonheur ; de plus, il en résultera un passage plus rapide dans le monde céleste. Il en sera de même pour ceux que la science attire tout particulièrement ; [208] celui qui vitalise dans le corps astral le centre correspondant à la science et servant d'intermédiaire entre le corps mental et le cerveau physique, celui dont la principale jouissance consiste en des expériences scientifiques dont le motif a le bien pour but, qui s'attache aux méthodes physiques de travail, celui-là emportera dans l'au-delà de riches matériaux. Clifford, Huxley, et un grand nombre d'hommes de science de cette valeur, essayent encore d'aider ici-bas leurs confrères en leur suggérant de nouvelles découvertes, des expériences fructueuses et, pour cela, ils infusent de leur force mentale dans les corps mentals correspondant à cette matière. Cette influence se produit spécialement dans les cas où il s'agit d'un homme ayant vécu de préférence dans le monde de l'intelligence et la chose a lieu fréquemment de la part de celui qui, pendant sa vie terrestre, n'a pas cru à la survie ; il demeure donc en contact avec le monde physique pour aider ceux qui restent et leur suggérer de nouvelles idées.

8 Lire l'important ouvrage : L'autre côté de la mort, par C.-W. Leadbeater (NDT).

De même encore pour les politiciens, – je ne parle pas ici des gens de peu de valeur ne travaillant que pour leur profit personnel qui ambitionnent le pouvoir ou les hautes situations, mais de ceux qui aiment réellement leur [209] patrie ; ces hommes restent généralement un temps assez long dans le monde astral pour aider ceux dont les travaux les intéressent et qui vivent encore. C'est ainsi par exemple que celui qui fut autrefois mon ami, Charles Bradlaugh, travaille beaucoup dans ce sens. Comme vous vous le rappelez sans doute, il ne croyait pas à la vie après la mort et, au moment de sa mort, il était bien persuadé que tout était fini pour lui ; le seul regret qu'il exprima fut de n'avoir pu parachever son oeuvre. Cet homme au caractère si noble, attiré vers des idéals si élevés, d'un esprit de sacrifice particulièrement grand, trouve maintenant sa récompense dans le monde intermédiaire où il continue à prendre intérêt au bien de l'humanité et à aider ceux qu'il aimait. On le voit constamment s'efforçant d'inspirer aux hommes d'État et aux orateurs les grandes idées qui les dirigeront dans les voies les plus utiles. C'est ainsi qu'il peut continuer l'oeuvre à laquelle il avait consacré sa vie, à laquelle il fut arraché trop tôt.
L'homme passe dans le troisième monde, le milieu céleste, quand il a brisé tous les liens qui le retenaient aux travaux terrestres. Ainsi que je viens de le dire, les hommes supérieurs dont je viens de parler passeraient très rapidement dans le monde céleste s'ils [210] n'étaient pas aussi attachés aux oeuvres d'ici-bas. Le ciel est la terre natale, le véritable lieu de naissance, la patrie de l'âme. Vous devez vous rappeler l'image que j'ai employée dans mes premières conférences, où je comparais le séjour sur la terre au vol de l'oiseau descendant des hautes sphères jusqu'à la surface de l'Océan pour remonter ensuite. Oui, le ciel est vraiment notre lieu de naissance et le port d'attache naturel de l'égo. Tous les égos doivent y entrer après le séjour dans le monde intermédiaire, pour y transmuer, en facultés morales et intellectuelles, toutes les expériences intellectuelles et morales faites sur terre. La vie dans le ciel est toute de bonheur, d'affection, d'amour désintéressé pour la famille, les amis, la patrie ; cet amour se déverse sur tous ceux que nous voulons aider ; c'est aussi la joie de voir se parachever l'oeuvre intellectuelle entreprise, c'est la vue intérieure, le sentiment de l'esthétique élevé à son plus haut point et tout cela s'épanouit en facultés, en qualités que l'homme apportera avec lui dans sa prochaine incarnation. La vie céleste est une vie de croissance au cours de laquelle éclot ce que nous avons semé ici. Mais de la façon dont nous avons vécu sur le plan physique, dépendra notre ciel ; nous ne pouvons rien y faire qui n'ait été commencé [211] ici-bas, et c'est en cela que nous sommes limités.
On ne peut introduire dans le ciel de nouvelles lignes d'activité. Le corps mental que vous employez étant le même, vous ne pouvez utiliser que la matière vitalisée par vous pendant la vie terrestre. La loi est la loi. Vous pouvez croitre, vous développer et progresser dans le ciel, mais à la condition d'avoir commencé ici. De même qu'un champ non ensemencé ne portera pas de récolte, de même un corps mental dans lequel on n'a point jeté les semences de l'effort mental et moral ne peut donner cette fleur qu'est la joie ni les fruits que sont les facultés. Cependant, vous pouvez semer maintenant pour récolter plus tard ; c'est ce que fait le sage. Si par exemple, vous étudiez dès aujourd'hui, si vous contractez l'habitude de lire chaque jour quelque sujet qui en mérite la peine et vous oblige à réfléchir ; si vous vous arrêtez sur un livre dont vous lirez chaque jour une page, un livre sur lequel vous méditerez et dont le contenu peut ajouter quelque chose de plus à votre culture mentale, vous amassez dans le ciel des trésors qui vous y attendront ; dans le ciel, ni les vers ni la rouille ne rongent, nul ne peut y dérober vos trésors.
Telle sera la récolte de votre pensée, telle [212] sera la récolte de votre amour. Plus vous répandrez d'amour ici-bas, plus vous développerez la faculté d'aimer dans le ciel et plus riche en amour reviendrez-vous sur la terre. Mais rappelez-vous bien que la vertu n'est point récompensée par les richesses et les plaisirs terrestres. La vertu obtient sa récompense par une amplification de vertu – chose que les gens oublient trop souvent. Semer ici l'amour signifie récolter dans le ciel une faculté plus grande d'aimer, faculté que l'égo rapportera avec lui comme caractéristique de son caractère quand il reviendra sur la terre.
Feu Lord Schaftesbury, durant sa vie, fut un homme de bien cherchant toujours à secourir les malheureux, à soulager la misère du pauvre. Quand il entra dans la Chambre des Communes, honneur dû à sa naissance, ce fut seulement dans le but d'alléger les souffrances du peuple, des femmes et des enfants travaillant dans les mines, des pauvres ouvriers esclaves des machines ; tous ceux-là furent protégés par la législation ouvrière dont il s'était fait l'un des plus chauds partisans. Quelles furent les causes qui poussèrent cet homme à ne s'occuper que des oeuvres philanthropiques ? Pourquoi, riche et haut placé, s'intéressa-t-il si profondément à cette misérable classe sociale ? Pourquoi durant sa [213] longue vie, chercha-t-il toujours à aider les plus malheureux ? Parce que la faculté d'aimer qu'il avait apportée s'était accrue de tous les petits services qu'il avait rendus dans le passé, et transformée dans le ciel en une grande aptitude pour servir et aider. Le monde terrestre est le lieu qui sert à construire, – c'est le monde de l'action ; c'est dans le ciel que les plans sont élaborés – c'est le monde de la pensée ; vous y emportez les matériaux récoltés dans votre vie passée ; ils ne vous quittent pas et vous revenez sur terre pour réaliser ce que vous avez conçu dans le ciel.
Vous vivez donc toujours dans trois mondes ; et ceux dans lesquels vous serez conscients après la mort sont ceux dans lesquels vous vivez, mais inconsciemment ; cependant, vous pouvez en devenir conscients si vous le désirez. Je ne dis pas que ce soit chose facile de développer cette conscience. Je vous induirais en erreur si je vous disais que vous pouvez effectuer ce travail sans de persistants et pénibles efforts. Mais cela est vrai pour toutes les branches de la science ; si vous me demandez par exemple si vous pouvez devenir un grand mathématicien, je vous répondrai qu'il vous faut d'abord posséder la faculté innée des mathématiques et ensuite vous livrer avec courage et ardeur à des études [214] longues et difficiles ; à cette condition, vous deviendrez un mathématicien de premier ordre. Pour obtenir de grands succès dans la vie, il faut y venir avec une faculté innée, et avoir aussi le temps de s'y consacrer, car le développement d'une faculté demande un temps considérable ; c'est un travail de tous les instants nécessitant une volonté inébranlable et une grande persévérance.
Il en est de même pour le développement de la conscience. Si cette faculté existe en vous, et que vous puissiez y consacrer le temps suffisant et toute la persévérance dont vous êtes capable, vous réussirez alors là où d'autres ont réussi, c'est-à-dire que vous vivrez consciemment dans les trois mondes qui vous entourent.
Vivre en pleine conscience dans ces trois mondes, pensez à ce que cela implique ! Cela signifie que la mort n'a plus le pouvoir de séparer les coeurs ni les vies, qu'il n'y a plus séparation, mais une permanente union avec ceux que vous aimez. Et cela veut dire aussi que les contingences de cette vie ne doivent plus vous troubler, ni vous rendre malheureux, car vous vivez sur les trois plans dont la terre n'est que l'un d'eux. Si celle-ci ne répond pas à vos désirs, vous pouvez exercer vos activités dans les autres mondes d'où personne [215] ne peut vous exclure, quelle que soit l'influence que l'on tente d'exercer sur vous ici-bas pour vous en empêcher. Cela implique aussi une vie riche, féconde, puisque votre royaume ne consiste plus en un seul monde mais en trois. Et cela est vrai pour chacun de nous ; le Christ, autrefois, n'a-t-il pas dit, en parlant des enfants, que "leurs anges voient sans cesse dans les cieux la face du Père qui est aux cieux". Or, quel est l'ange de l'enfant ou de l'homme ? C'est le Moi supérieur, la conscience spirituelle ; et cette conscience spirituelle vit sans cesse dans les mondes célestes bien que le son de sa voix soit souvent étouffé par le tumulte du monde. Vous ne pouvez entendre les accords mélodieux de la vîna 9, ni les sons du plus doux des violons au milieu des bruits assourdissants des chars à boeufs et des tramways ; et ainsi en est-il de la voix si délicate de la conscience, cette mélodie exquise de l'âme, que les Indous ont symbolisée par la flute de Shri Krishna dont le son attirait tous ceux qui l'entendaient. Il en jouait dans les prairies au milieu du murmure des eaux, dans la montagne et les avenues de la forêt où couraient les biches, où les bestiaux broutaient ; car ce n'est pas dans la foule que [216] l'homme peut entendre la voix du Moi intérieur ; il doit d'abord la chercher dans le silence, là où les sons ne sont pas étouffés par les clameurs de la terre. Mais cependant, il est une autre chose, vraie aussi : quand vous aurez, une fois pour toutes, appris à entendre cette voix, vos oreilles ne lui seront jamais plus fermées ; elle résonnera pour vous au milieu même du tourbillon du monde. Pour cela, des efforts sont indispensables, efforts qui éveilleront les sens internes de l'ouïe et de la vision ; mais une fois ouverts, ils sont vôtres pour toujours…


* * *


Nos causeries se terminent aujourd'hui, et nous aurons appris que notre vie actuelle est grosse de merveilleuses possibilités ; que tous, nous développons un Esprit vivant dans des corps en évolution ; qu'en développant ses pouvoirs l'Esprit façonne en même temps les corps ; que la pensée, ce pouvoir créateur, est l'instrument avec lequel ce sculpteur qu'est l'âme, modèle son image, façonne ses véhicules.
Oh ! Si vous pouviez voir avec l'oeil intérieur et non avec l'oeil de chair ! Si vous pouviez [217] faire, dans la vie spirituelle ce que le grand artiste, l'artiste de génie, peut faire ici-bas quand le puissant influx créateur, venant des sphères célestes, se répand dans son cerveau ! Demandez au musicien ! Il vous dira qu'il a entendu ses plus belles mélodies dans un autre monde que celui-ci, et qu'il ne peut reproduire qu'imparfaitement, par des notes, ce qu'il a entendu là, exprimé par de
grandioses et sublimes accords autrement puissants que cette lente succession d'harmonies, pâle reflet sur le plan physique, de ce que le sens interne a perçu. C'est ce que disait Mozart quand il essayait de raconter ses merveilleuses expériences.
Demandez au sculpteur ce qu'il pense quand il a en face de lui le bloc de marbre brut et qu'il sent en lui la puissance de l'imagination créatrice ! Il vous dira que, dans ce bloc de marbre, il voit déjà le sujet, qu'il veut faire, tel qu'il sera, que le travail qui lui incombe est de tailler tout le marbre superflu qui cache aux yeux des hommes la Beauté qui y est renfermée.

9 Instrument à cordes indou (NDT).

Ô mes amis ! Tel est aussi l'oeuvre du Dieu qui est en vous, de cet Artiste Immortel qui est la Beauté, Beauté cachée sous les formes du corps, mais invisible à l'homme dont la vue est moins aigüe que celle du voyant. [218]
L'Esprit qui est en vous, c'est le sculpteur qui taille le marbre brut pour en dégager la statue qui est Lui-même, le Dieu intérieur ; il est l'artiste musicien qui entend les harmonies célestes et qui cherche à les chanter bien haut pour que tous puissent les entendre. Ce qu'il vous reste à faire, c'est de prendre en mains le marbre que représente le moi inférieur, de briser, avec le ciseau de la volonté et le marteau de la pensée, toute la matière superflue qui, en vous, rend invisible le Beau, de faire briller dans toute sa gloire le Dieu qui est en vous afin qu'Il illumine le monde dans lequel vous vivez.
Vous êtes les enfants du ciel vivant sur terre ; vous êtes des dieux en potentialité et, le plus souvent, vous vivez comme des brutes. Vous n'êtes pas seulement des humains, vous êtes d'essence divine. Ne voulez-vous pas chercher à vous élever à la hauteur de vos splendides possibilités ? Vous êtes de naissance royale, fils de Roi ! Ne voulez-vous pas être rois, et réclamer les droits que vous confère votre naissance. Fils immortels de Roi ! Un trop grand nombre d'entre vous se conduisent, hélas ! Comme des balayeurs que les immondices de la terre préoccupent. Votre couronne brille au-dessus de vous, ne voulez-vous point la porter ? Votre [219] trône vous attend, ne voulez-vous pas y monter et gouverner le royaume qui vous appartient ? Ne voulez-vous point user de votre droit de naissance et, levant les yeux vers le ciel, réclamer l'héritage qui est le vôtre ?
FIN DU LIVRE

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