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Catégorie : HIERARCHIE.EU
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CHAPITRE VI

LA VOLONTÉ

1 —

LA VOLONTÉ À LA CONQUÊTE DE SA LIBERTÉ


Revenons à ce pouvoir de l'homme que nous avions déjà commencé à étudier : la volonté. Rappelons-nous qu'il a été dit que c'est la volonté du Soi, du Soi individualisé – mais inconscient de son individualisation – qui a appelé à la manifestation. Sans que rien l'y contraigne, sans aucune opposition extérieure qui l'y incite mais par la seule force de cette grande Volonté dont sa propre volonté n'est qu'une partie – sa volonté individualisée sous forme d'un centre, mais d'un centre qu'aucune circonférence de matière ne sépare encore du reste – sa volonté qui vibre en lui comme le sang vital de la mère dans le corps de l'enfant qui va naitre – le Soi descend dans la manifestation, aspirant vaguement à cette vie si riche qui tressaille sous le voile de la matière, cherchant à exercer ses pouvoirs prêts à entrer en activité, plein du désir de passer par toutes les expériences qu'offrent ces mondes de tumulte et de mouvement. Tout ce [328] que – désireux de s'incarner dans un univers – le Logos veut consciemment, tous les centres de vie individualisée qu'Il renferme en Son sein le veulent aussi, mais d'une façon aveugle, et ils cherchent en tâtonnant une vie plus riche, plus parfaite. C'est la volonté de vivre, de savoir ; et cette volonté qui s'élance au dehors, entre en manifestation.
Nous avons vu que cette volonté, ce pouvoir du Soi, devient, sur les plans matériels plus denses, ce qu'on appelle le désir, et que, aveuglée par la matière, incapable de trouver son chemin, sa direction est déterminée par les attractions et les répulsions qu'exercent sur elle les objets extérieurs. On ne peut donc pas dire qu'à ce moment le Soi se dirige lui-même ; il est dirigé par les attractions et les répulsions que son entourage exerce sur lui. Nous avons vu aussi que lorsque le désir entre peu à peu en contact avec l'intelligence, et que ces deux aspects du Soi réagissent mutuellement l'un sur l'autre, les émotions prennent naissance ; et ces émotions montrent clairement quelle est leur origine : le désir, leur mère, et l'intelligence leur père. Nous avons étudié aussi les moyens de contrôler les émotions, de les employer à leurs véritables fins de façon qu'elles deviennent utiles à l'évolution au lieu de constituer un danger.
Nous allons voir comment cette volonté, ce pouvoir caché qui, dès l'origine, a été le promoteur de l'activité, sans toutefois la contrôler encore, marche à la conquête de sa liberté, c'est-à-dire à la détermination de sa volonté. Nous verrons dans un instant ce qu'on entend par le mot "liberté".
Essentiellement et fondamentalement libre à [329] l'origine, en tant que pouvoir du Soi, la volonté s'est trouvée enchainée et limitée dans ses efforts pour maitriser la matière dans laquelle le Soi s'est enveloppé. Nous sommes forcés de reconnaitre que le Soi, au lieu d'être maitre de la matière, est dominé par elle ; cela vient de ce que le Soi considère la matière comme étant lui-même et s'identifie avec elle ; comme c'est par son intermédiaire qu'il veut, qu'il pense, qu'il agit, cette matière devient "lui-même" à ses yeux, et dans son erreur il s'écrie : "Je suis cela !" et, tandis qu'elle le tient enchainé et le limite de toutes parts, il se dit, croyant qu'elle est lui-même : "Je suis libre !" Et cependant ce pouvoir que la matière exerce sur le Soi n'est que temporaire, car la matière se transforme continuellement ; elle apparait, disparait et, impermanente au plus haut degré, se trouve sans cesse façonnée, attirée et repoussée par les forces du Soi qui se développe, forces qui seules sont permanentes au milieu de ces transformations incessantes.
Nous voici arrivés maintenant à ce stade d'évolution où la mémoire est devenue une force plus puissante que ce sentiment instinctif, poussant l'homme vers les objets qui engendrent le plaisir, lui faisant fuir ceux qui provoquent la douleur ; ce stade où l'intelligence est devenue souveraine maitresse du désir, où la raison a triomphé des instincts. C'est maintenant que vont être récoltés les résultats de longs âges d'Évolution, et de cette moisson la liberté fait partie.
Tant que la volonté se manifeste sous forme de désir, qu'elle est influencée dans ses activités par les attractions de l'extérieur, elle est loin [330] d'être libre ; elle est tout simplement enchainée. De même qu'un être vivant peut se trouver poussé par une force plus grande que la sienne à prendre une direction qu'il n'a pas choisie, de même la volonté est attirée par les objets attractifs et poussée sur le chemin du plaisir, qui semble plus facile à parcourir ; elle n'agit pas comme une force qui se détermine elle-même : le Soi est attiré par une force extérieure à laquelle il ne peut résister.
Rien ne pourrait nous donner une image plus frappante des conditions au milieu desquelles se trouve le Soi, que ce passage, cité plus haut déjà, d'un livre sacré de l'Inde – dans lequel on nous montre le Soi sous l'apparence du conducteur d'un char de guerre, tandis que les sens, attirés par les objets qui engendrent le plaisir, sont les chevaux indomptables qui, dans leur course effrénée, enlèvent le char avec le corps du conducteur impuissant. Et cependant, la volonté est le pouvoir même du Soi ; mais tant que le Soi est emmené ainsi à la dérive par ces chevaux indomptables, il est loin d'être libre : il est bel et bien prisonnier. Il serait oiseux de parler de libre arbitre chez un homme qui est l'esclave des objets qui l'entourent. Cet homme est en pleine servitude, car il n'a pas la liberté de choix ; et bien qu'en apparence, en suivant le sentier vers lequel il est attiré par les objets extérieurs, il semble agir de son plein gré, en réalité il ne choisit pas du tout, il n'y a même dans son action aucune idée de choix. Tant que l'attraction ou la répulsion des objets extérieurs déterminent le sentier que l'homme doit parcourir, il serait vain, ridicule même, de parler de liberté. Même si l'homme s'imagine qu'il choisit lui-même [331] délibérément l'objet de ses désirs, ce sentiment de liberté n'est qu'une illusion, car en réalité il agit sous l'influence de l'attraction que l'objet exerce sur lui, et du désir intense de ressentir le plaisir que cet objet doit lui procurer. Il a autant ou aussi peu, de liberté dans ses actions, que n'en a une barre de fer attirée par un aimant. La rapidité avec laquelle la barre de fer se précipite vers l'aimant dépend de la puissance de cet aimant et de la nature du fer qui répond à son attraction.
Pour comprendre ce qu'on entend par liberté, il faut nous débarrasser de la difficulté que nous rencontrons d'abord lorsque nous cherchons à expliquer le sens du mot "choix". Lorsqu'il nous semble que nous sommes libres de choisir, cette soi-disant liberté de choix implique-t-elle aussi la liberté de volonté ? Ne serait-il pas plus exact de dire que la liberté de choix indique simplement qu'aucune force extérieure ne vient intervenir pour nous pousser à agir de telle ou telle façon ? Mais la question importante qui se pose aussitôt, est celle-ci : "Qu'est-ce qui nous pousse à choisir ?" Il y a une grande différence entre être libre d'agir après avoir choisi, et être libre de choisir ; ce choix ne serait-il pas déterminé par une force cachée derrière lui ?
On entend souvent des personnes dire, pour donner une preuve de libre arbitre : "Je suis parfaitement libre de choisir, de quitter cette chambre ou d'y rester, de laisser ou non tomber ce poids sur le sol". Mais ces arguments n'ont rien à voir avec la question qui nous occupe. Personne ne niera qu'un individu qu'aucune contrainte physique ne retient, n'ait le pouvoir de quitter une chambre ou d'y rester, de laisser [332] tomber un poids sur le sol ou de le tenir en l'air. La question qui nous intéresse est de savoir : "Pourquoi est-ce que je choisis ?" Si nous analysons notre choix, nous voyons qu'il est déterminé par un motif quelconque. Ainsi le déterministe nous dira : "Vos muscles ont certainement le pouvoir de tenir le poids ou de le lâcher ; mais s'il se trouve un objet fragile à l'endroit où le poids tombera, vous ne choisirez pas de le lâcher ; votre choix se trouve donc déterminé par certains motifs et ce sera le motif le plus puissant qui le dirigera." La question n'est pas : "Suis-je libre d'agir ?" mais bien : "Suis-je libre de vouloir ?" Et il est clair que la volonté est déterminée par le motif le plus puissant, et en cela le raisonnement du déterminisme est parfaitement juste.
En réalité cette détermination de la volonté par le motif le plus puissant forme la base de toute société organisée ; de toutes les lois, de toutes les pénalités, de toutes les responsabilités, de toute éducation. L'homme dont la volonté n'est pas ainsi déterminée n'est pas responsable ; c'est un fou, une créature dont on ne peut rien exiger, un être sans raison, sans logique ni mémoire, dépourvu de tous les attributs de la créature humaine. Au point de vue législatif, un individu est considéré irresponsable lorsqu'il n'est poussé à l'action par aucun motif, lorsqu'il n'est influencé par aucune cause extérieure. C'est un fou, et la loi ne saurait le condamner légalement. On pourrait dire d'une volonté qui ne serait qu'une énergie lancée dans une direction quelconque, et incitant à l'action sans motif, sans aucune raison, sans aucun sens, qu'elle est libre ; mais ce n'est pas là ce qu'on entend par [333] liberté de volonté. Reconnaissons que la volonté est bien déterminée par le motif le plus puissant, et alors nous pourrons discuter plus raisonnablement du libre arbitre.
Qu'est-ce donc qu'on entend par libre arbitre ? Ce ne peut être tout au plus qu'une liberté conditionnelle, relative, car le Soi séparé est une partie d'un Tout, et le Tout doit forcément être plus grand que les parties qui le composent, et doit les dominer toutes. Ceci est vrai aussi pour le Soi et les corps dans lesquels il s'enveloppe. Nous savons tous que les corps sont soumis à des lois, qu'ils agissent selon ces lois et ne peuvent agir que selon elles, et s'ils sont libres dans leurs mouvements, ce n'est que par rapport les uns aux autres, et cette liberté est due à l'action réciproque des forces innombrables qui s'équilibrent sans cesse les unes les autres de différentes façons ; de là naissent, à l'infini, des possibilités sans nombre, qui donnent naissance d'une certaine liberté de mouvement, cachant une rigoureuse servitude. Le Soi est lui aussi, soumis à un ensemble de lois ; bien plus, il est la loi elle-même, car il fait partie de cette essence qui est l'Être des êtres. Aucun Soi séparé ne peut sortir du Soi qui est le Tout – et, quelle que soit sa liberté d'action, par rapport aux autres Soi séparés, il n'a ni le droit, ni le pouvoir d'agir en dehors de cette vie qui anime tout : qui est sa nature même et sa loi, au sein de laquelle il vit et agit. Les parties ne se gouvernent pas les unes les autres ; les Soi séparés ne s'influencent pas entre eux ; mais le Tout domine et contrôle les Soi séparés. Et cependant comme les Soi séparés sont en réalité le Soi universel, la liberté nait [334] ici encore d'une servitude apparente ; "rien d'autre n'oblige".
Cette liberté d'une entité séparée par rapport aux autres entités – toutes étant ensemble sous la domination du Tout – nous apparait clairement sur le plan physique. Nous sommes tous des parties d'un monde qui vole dans l'espace tournant continuellement sur son axe de l'Ouest à l'Est ; nous sommes inconscients de ce mouvement, car il nous emporte avec lui, et tout se meut en même temps dans une seule et même direction. Nous tournons tous vers l'est, avec le globe qui nous porte et nous ne pouvons absolument rien faire pour changer cette direction. Et cependant, par rapport les uns aux autres, et par rapport aux objets qui nous entourent, nous pouvons nous mouvoir à notre gré et changer de position. Je puis par exemple très bien m'éloigner à l'Ouest d'une personne ou d'un endroit quelconque, bien que tous nous volions sans cesse vers l'est ; et j'aurai parfaitement conscience du mouvement d'une partie par rapport à une autre, tandis que je n'aurai pas la moindre sensation de ce mouvement vertigineux qui emporte notre globe à travers l'espace toujours en avant vers l'est, et dans mon ignorance je dirai : "Voyez, je me suis déplacé vers l'Ouest." Et les Dieux riraient de ce pygmée qui parle de diriger ses mouvements si, dans leur sagesse profonde, ils n'avaient conscience de ces mouvements particuliers au sein du mouvement universel ; s'ils ne connaissaient cette grande vérité qui est en même temps vraie et fausse.
Et ne voyons-nous pas aussi comme la grande Volonté va de l'avant sans jamais dévier de sa route, sur le sentier de l'Évolution, et force tous [335] les êtres à suivre ce même chemin, tout en laissant à chacun la liberté de le parcourir à sa façon, d'agir à sa guise dans sa marche inconsciente. Car, pour mener à bien l'oeuvre de cette Volonté, chaque genre de travail, chaque manière de progresser est nécessaire ; chaque chose est utile et trouve son emploi. Par exemple, un homme s'est fait un caractère noble et généreux ; il a nourri en son coeur des aspirations élevées, il a toujours cherché à servir loyalement et fidèlement ses semblables ; cet homme naitra dans un milieu où de grands événements réclameront des hommes de valeur, la volonté s'accomplira par lui dans la nation qui aura besoin de son aide, et sa carrière sera celle d'un héros. Le drame est écrit tout entier par le grand Auteur, et c'est par ses propres efforts individuels que l'homme se rend capable d'en remplir les différents rôles.
Voici maintenant un homme qui a cédé à toutes les tentations, qui a toujours fait le mal et a employé à de mauvaises fins les pouvoirs qu'il possédait, méprisant toute justice, toute clémence, toute honnêteté dans les affaires de la vie ordinaire ; cet homme naitra dans un milieu où l'oppression est nécessaire, où la cruauté et les mauvais traitements sont choses coutumières, et la Volonté se trouvera encore une fois accomplie par lui dans une nation qui est en train d'épuiser les résultats karmiques du mal qu'elle a fait dans le passé ; il sera du nombre de ces lâches qui bassement, cruellement, oppriment la nation qui les a vus naitre. Là encore le rôle est tout entier écrit par le grand Auteur, et l'homme, par ses propres efforts, devient capable de le remplir. C'est ainsi que les [336] volontés séparées agissent au sein de la grande et unique Volonté.
Puisque la volonté se trouve ainsi déterminée par le motif, conditionnée par les limites de la matière qui enveloppe le Soi séparé et par le grand Soi, dont le Soi manifestant la volonté n'est qu'une partie – qu'est-ce donc qu'on entend par la liberté de la volonté ? Cela veut sans aucun doute dire que la liberté doit être déterminée du dedans, et la servitude du dehors ; la volonté est libre lorsque le Soi, qui veut agir, puise le motif de son acte volitif à une source intérieure à lui-même, sans qu'aucun motif extérieur ne vienne l'influencer.
Et cela, en vérité, c'est la liberté ; car le grand Soi au sein duquel il agit, est un avec lui. "Je suis Cela" ; et le Soi plus grand encore dans lequel se meut ce grand Soi est un aussi avec lui, et dit aussi : "Je suis Cela" – et ainsi de suite, à l'infini, toujours plus haut s'il s'agit de systèmes de monde ou de systèmes d'univers ; que le moi, même le plus infime, tourne ses regards vers l'intérieur, en lui-même, et non au dehors, qu'il sache qu'il est aussi un avec le Soi intérieur, le Pratyagâtmâ, l'Un, et que par conséquent il est parfaitement libre. Aussi longtemps qu'il tendra vers l'extérieur, aussi longtemps il se verra enchainé, bien que les murs de sa prison s'élargissent sans fin ; mais qu'il regarde au-dedans de lui-même, et il se trouvera éternellement libre, car il est BRAHMAN, l'ÉTERNEL.
Lorsque l'homme a atteint à la détermination de sa volonté, on peut dire qu'il est libre, dans toute l'acception du mot ; et cette détermination n'est point une servitude, dans le sens d'oppression, comme ce mot l'indique souvent. Tout acte [337] qu'au plus profond de moi-même je décide d'accomplir, sans que personne m'y oblige, porte l'empreinte qui distingue la liberté de l'esclavage. Jusqu'à quel point pouvons-nous, alors, dire que notre volonté est libre, au sens que nous venons de donner au mot liberté ? À vrai dire, la plupart d'entre nous ne peuvent revendiquer cette liberté que dans une très petite mesure. En dehors de la servitude – mentionnée plus haut – que laissent peser sur nous les attractions et les répulsions des objets qui nous entourent, nous sommes encore emprisonnés entre les limites étroites des sentiers que nos pensées ont suivis jusqu'à ce jour ; nous sommes enchainés par nos habitudes – et surtout par nos habitudes de penser – par les qualités acquises dans nos existences antérieures, ou par l'absence de ces qualités, par nos pouvoirs et nos faiblesses innés, par notre éducation, notre entourage, par les obligations impérieuses que nous crée notre stade d'évolution, par notre hérédité physique et enfin par nos traditions nationales ou familiales. Il ne reste donc qu'un champ restreint à l'exercice de notre Volonté ; elle se heurte à un passé qui, dans le présent, s'érige en barrières insurmontables.
À tous les points de vue pratiques, notre volonté n'est pas libre ; elle est en train de le devenir et elle ne le sera complètement qu'au jour où le Soi sera devenu le souverain maitre de tous ses véhicules, et pourra s'en servir selon ses besoins, lorsque chaque véhicule ne sera plus qu'un simple véhicule répondant docilement à chaque impulsion du Soi, et aura perdu cette qualité d'animal fougueux et intraitable, plein [338] de désirs et d'appétits personnels 79. Lorsque le Soi se sera élevé au-dessus de l'ignorance et aura vaincu toutes ces vieilles habitudes, signes de l'ignorance passée, il sera libre ; et c'est alors que deviendra clair pour nous le sens de ce paradoxe : "au service duquel on trouve la liberté parfaite" ; car nous comprendrons que la séparation n'existe pas, qu'il n'y a pas de volonté séparée, que notre volonté, en vertu de notre nature divine, est une partie de la Volonté divine ; que c'est elle qui, au cours de notre longue Évolution, nous a donné la force nécessaire pour aller toujours de l'avant, et que réaliser l'unité de la volonté, c'est réaliser la liberté.
C'est en suivant ces idées que beaucoup d'hommes sont arrivés à mettre fin à cette controverse, vieille de siècles, entre partisans du "libre arbitre" et les déterministes, et tout en reconnaissant la justesse de raisonnement de ces
79 Ceci n'a lieu que lorsque la vie du Soi remplaçant l'essence élémentale qui tend vers le bas, anime la matière de ses véhicules, c'est-à-dire lorsque la loi de l'Esprit de vie prend la place de la loi du péché et de la mort.
derniers, ont pu conserver et justifier ce sentiment qui demeure au fond du coeur de chacun de nous "Je suis libre, je ne suis lié par rien." Cette notion d'une énergie spontanée, d'un pouvoir émanant des profondeurs les plus intimes de notre être, est basée sur l'essence même de la conscience, sur le moi, qui est le Soi, ce Soi qui est libre, parce qu'il est divin.


2 — POURQUOI TOUTE CETTE LUTTE ?


Lorsqu'on examine le cours de l'Évolution toute entière, et que l'on considère le lent [339] développement de la volonté, on se pose inévitablement cette question : "Pourquoi toute cette lutte, toutes ces difficultés ? Pourquoi toutes ces erreurs, toutes ces chutes ? Pourquoi ce long esclavage avant d'atteindre à la liberté ?" Avant de répondre à toutes ces questions, il nous faut prendre une position ferme. Pour répondre à une question quelconque, il faut en considérer avant tout les limites, et si la réponse ne s'adapte pas à une deuxième question qui pourrait naitre de la première, il ne faut pas en conclure que cette réponse est erronée. La réponse à une question peut être parfaitement juste, sans pour cela qu'il soit nécessaire qu'elle puisse s'appliquer à une nouvelle question, née de la première. Les désappointements qu'éprouvent les étudiants résultent la plupart du temps de leur impatience qui les pousse à s'occuper sans le moindre ordre de toutes les questions qui se pressent en foule dans leur esprit, et exigent une solution immédiate qui, en répondant à une question particulière, s'adapte aussi à toutes les autres questions. On juge ordinairement de la justesse des moyens d'après les résultats qui en découlent. Dans tous les cas, il faut juger de la justesse d'une réponse d'après la facilité avec laquelle elle s'applique à la question posée, et non d'après son impuissance à répondre à une autre question qui pourra naitre de la première. Ainsi on admettra que certains moyens d'action, existant dans un univers, sont justes parce que cet univers tend vers un but reconnu, et l'on ne devra certainement pas juger de ces moyens comme s'ils devaient répondre à cette autre question : "Pourquoi y a-t-il un univers ?" Ceci est une question que l'on peut poser, et à laquelle on [340] peut très bien répondre ; mais la réponse ne saurait prouver la validité des moyens employés dans un univers quelconque pour conduire à un but vers lequel on peut se rendre compte que cet univers tend. Et même si l'on nous réplique : "C'est entendu ; mais pourquoi y a-t-il un univers ?" cela ne saurait être non plus une preuve de la fausseté de notre réponse à la première question : "Pourquoi toutes ces erreurs, toutes ces chutes sur le sentier de l'Évolution ?" Il faut considérer l'univers comme une chose existante, un point de départ, et il nous faudra l'étudier pour découvrir le but ou l'un des buts vers lesquels il tend. Pourquoi il tend vers ce but, est une question toute différente, nous l'avons déjà dit, et une question du plus haut intérêt, mais c'est d'après ce but, lorsque nous l'aurons découvert, que nous pourrons juger des moyens employés pour y parvenir.
Une étude, même succincte, de la portion de l'univers dans laquelle nous vivons, nous montre que l'un des buts de l'univers – sinon son but unique – est de produire des êtres vivants d'une intelligence élevée, d'une volonté puissante ; des êtres capables de prendre une part active à l'Évolution, et d'aider la nature à réaliser ses grands desseins. Par une étude plus approfondie, aidée des écrits de l'antiquité et des pouvoirs intérieurs que nous pouvons développer en nous, nous nous rendrons compte que notre monde n'est pas seul, qu'il fait partie d'une série de mondes ; que, pour évoluer son humanité, il a reçu l'aide d'êtres plus avancés, provenant d'une évolution antérieure, et nous verrons que sa tâche est de produire des êtres capables de venir en aide à des mondes plus jeunes qui naitront dans l'avenir. Nous [341] verrons aussi qu'il existe une vaste hiérarchie d'êtres surhumains qui dirigent et guident l'évolution, et nous comprendrons que ce centre de l'Univers, c'est le Triple Logos, le Seigneur et Maitre du Système ; nous nous rendrons compte que les produits de chaque système sont non seulement une vaste hiérarchie de puissantes Intelligences dont les rangs décroissent en splendeur à mesure qu'ils descendent plus bas, mais aussi cette perfection suprême, le Logos, qui vient couronner ce grand oeuvre. Et cette étude nous dévoilera des horizons d'une splendeur toujours plus grande, des univers dont chaque système ne serait qu'un simple monde, et ainsi s'étaleront à nos yeux les gloires infinies d'une vie toujours plus riche, toujours plus puissante, d'une vie que rien ne saurait détruire. Et c'est alors que se posera cette question : "Comment ces grands Êtres seront-ils évolués, ces grands Êtres qui, nés de la poussière, s'élèveront jusqu'aux étoiles, et de ces étoiles, poussières elles-mêmes de Systèmes plus grandioses encore, jusqu'à d'autres étoiles qui seront à ce Système ce que la boue de la terre est à notre soleil ?"
Et, poursuivant ainsi notre étude, il viendra un moment où notre intelligence sera impuissante à découvrir d'autre sentier que ce sentier que tous nous foulons en ce moment, le sentier de la lutte et de l'expérience, par lequel ces Êtres, maitres d'eux-mêmes, peuvent atteindre à cet équilibre parfait, à cette infaillibilité inébranlable dans leur sagesse, qui les rend aptes à devenir la nature d'un Système. S'il existait un Dieu extra-cosmique, un Dieu dont la nature serait différente de celle de ce Soi que nous voyons se développer avec une harmonie et une [342] certitude inébranlables tout autour de nous, un Dieu au caractère instable, arbitraire, changeant, irraisonné, alors il pourrait se faire que de ce chaos sorte tout d'une pièce un être qu'on pourrait appeler parfait, mais qui en réalité serait loin de la perfection, étant limité sous tous les rapports, un être qui, n'ayant aucune expérience derrière lui, n'aurait par conséquent aucune raison, aucun jugement, un être qui pourrait agir justement, comme une machine, dans – en accord avec – un Système quelconque, et répéter comme un automate la série des mouvements fixés pour lui. Mais un tel être ne saurait s'adapter qu'à un Système particulier ; en dehors de celui-ci il serait absolument inutile et sans le moindre pouvoir. Et la Vie – qui n'est qu'une adaptation toujours variable à des conditions qui changent continuellement – ne pourrait exister dans un tel Système sans que son centre se perde, se désintègre. Les difficultés, dont est semé le Sentier que nous suivons actuellement, nous préparent à toutes les surprises que peuvent nous réserver les univers futurs – et ce résultat vaut bien les quelques souffrances que nous avons à supporter.
Il ne faut pas oublier non plus que si nous sommes ici-bas, c'est parce que nous avons voulu développer nos pouvoirs par les expériences qu'offre la vie sur les plans inférieurs ; il faut se rappeler que nous avons choisi nous-mêmes notre destinée, sans que personne nous l'ait imposée, et que nous sommes ici en vertu de notre volonté de vivre ; que si cette volonté cessait de se faire sentir – ce qui, à la vérité, ne pourrait guère se produire – nous cesserions de vivre ici-bas, et nous retournerions au séjour de Paix, sans [343] récolter ce que nous sommes venus chercher en ce bas monde. "Personne ne nous y oblige."


3 — POUVOIR DE LA VOLONTÉ


Ce pouvoir – qui de tous temps a été reconnu par les occultistes comme l'énergie spirituelle dans l'homme, une par sa nature avec cette essence qui a engendré et maintient les mondes – est de nos jours l'objet d'une étude laborieuse, et beaucoup, dans le monde extérieur, s'en servent pour ainsi dire inconsciemment pour arriver à des résultats autrement impossibles à obtenir. Les écoles de Science chrétienne, de Science mentale, de Thérapeutique suggestive doivent leur succès à ce pouvoir de la volonté. Les maladies, non pas seulement les désordres nerveux comme on le croit souvent, cèdent à ce courant d'énergie. Les désordres d'origine nerveuse cèdent naturellement plus facilement parce que le système nerveux été créé pour permettre aux pouvoirs spirituels de se manifester sur le plan physique. On obtiendra les résultats les plus rapides en agissant d'abord sur le système sympathique, car c'est ce système qui est le plus intimement lié à ces aspects de la volonté qui se présentent à nous sous la forme du désir ; tandis que le système cérébrospinal a plus de rapports avec les aspects connaissance et volonté pure. La réduction des tumeurs, cancers, etc., et la destruction des causes qui les ont provoqués, ainsi que la guérison de lésions et de fractures, exigent ordinairement un profond savoir de la part du praticien. Je dis "ordinairement", car il peut arriver que la volonté se trouve guidée par [344] une influence venant d'un plan supérieur, même dans le cas où les connaissances physiques font défaut, si l'opérateur a atteint un haut degré d'évolution. S'il possède les connaissances nécessaires, il agira de la façon suivante : il formera d'abord mentalement une image de l'organe atteint dans un état de parfaite santé ; il créera cette image dans la substance du plan mental, à l'aide de son imagination ; il formera ensuite cette image dans la matière astrale, la rendant ainsi plus dense ; puis il emploiera sa force magnétique pour la densifier encore dans la matière éthérique, et dans cette sorte de moule, il précipitera des matériaux plus denses, gaz, liquides et solides, en se servant des matériaux existant déjà dans le corps du malade, et en empruntant au dehors ceux qui pourraient lui faire défaut. Dans tout ceci, c'est la volonté qui est le pouvoir directeur, et la manipulation de la matière, que ce soit sur ce plan ou sur des plans élevés n'est qu'une question de savoir. Les guérisons obtenues de cette façon sont exemptes des dangers qui accompagnent les méthodes plus faciles, et par conséquent plus répandues qui consistent, comme nous l'avons dit plus haut, à agir sur le système sympathique.

80 Voir première partie, chap. X, 1.

Un grand nombre d'ouvrages populaires donnent des méthodes conseillant aux étudiants de concentrer leur pensée sur le plexus solaire et de vivre sous son influence. Le système sympathique gouverne les fonctions vitales – coeur, poumons, appareil digestif – et a pour centre principal le plexus solaire. Comme nous l'avons dit plus haut 80, c'est au cours de l'Évolution [345] que l'exercice de ces fonctions vitales est passé sous le contrôle du système sympathique, à mesure que le système cérébrospinal devenait plus prépondérant. Chercher à ramener ces fonctions sous le contrôle de la volonté, par la concentration de la pensée, c'est revenir en arrière, au lieu d'avancer, même si l'on arrive, par-là, à un certain degré de clairvoyance. Ces méthodes, comme nous l'avons dit, ont un grand nombre d'adhérents dans l'Inde et constituent le système du Hâtha Yoga ; l'étudiant apprend à contrôler le mouvement du coeur, des poumons, de l'appareil digestif ; il peut arrêter à volonté les battements du coeur, le mouvement des poumons, renverser l'action péristaltique et ainsi de suite. Et lorsqu'il est arrivé là, on se demande : "Qu'a-t-il gagné à ces résultats ?" Il a réussi à ramener sous le contrôle de la volonté des fonctions qui, au cours de l'Évolution, étaient devenues automatiques, au grand avantage de l'individu, et il a reculé d'un pas dans son évolution. Et, à la longue, ceci le mènera certainement à une défaite, même si pendant un certain temps il arrive à des résultats incontestables.
D'ailleurs la concentration de la pensée sur un centre quelconque du système sympathique, et, en particulier, sur le plexus solaire, constitue un danger physique des plus grands, à moins que l'étudiant ne se trouve sous l'observation directe d'un Maitre, et ne soit capable de recevoir et de rapporter dans son cerveau physique les instructions qui peuvent lui être données sur les plans supérieurs. La concentration sur le plexus solaire peut donner lieu à une maladie d'un genre particulièrement pernicieux. Elle provoque une mélancolie profonde, presque impossible [346] à combattre, donnant lieu à des crises de dépression terrible, et parfois même à la paralysie. Ce n'est point-là le sentier que doit suivre l'étudiant sérieux qui désire arriver à la connaissance du Soi. Lorsqu'on a atteint à cette connaissance, le corps devient un instrument docile, sur lequel le Soi peut exercer librement son influence ; tout ce que nous avons à faire pour le moment, c'est de purifier, de raffiner ce corps afin qu'il soit en harmonie avec les véhicules supérieurs, et prêt à vibrer d'une façon rythmique, en sympathie avec eux. Le cerveau deviendra ainsi plus responsif, et par la pensée active et la méditation non pas sur le cerveau lui-même, mais sur des idées nobles et élevées – il s'affinera peu à peu par l'exercice et deviendra un organe parfait. En nous exerçant de cette façon, nous suivons le sentier de l'Évolution rapide, tandis qu'en agissant directement sur les plexus sympathiques, nous revenons en arrière. Bien des personnes sont venues se plaindre des douloureux résultats de ces pratiques, demandant à être délivrées de leurs souffrances. Tout ce qu'on peut leur répondre, c'est qu'il leur faudra des années pour réparer le mal qui a été fait. Il est certain qu'en revenant en arrière on peut obtenir rapidement des résultats, mais il vaut cent fois mieux affronter les difficultés d'une longue ascension et se servir de l'instrument physique en partant d'en haut, et non d'en bas.
Il y a encore un autre point important à considérer, lorsqu'on emploie la volonté pour guérir les maladies : c'est le risque qu'on court de transférer la maladie à un corps supérieur en cherchant à l'éliminer du corps physique. [347] La maladie physique n'est très souvent que le résultat final d'un mal qui existait auparavant sur les plans supérieurs, et dans ce cas, il vaut beaucoup mieux laisser ces résultats s'accomplir d'eux-mêmes, sans chercher à les enrayer de force, pour les rejeter sur un véhicule plus subtil. Ce n'est souvent que le résultat sur le plan physique, d'une mauvaise pensée, d'un désir malsain, et il est préférable d'avoir recours à des moyens de guérison physiques, moins dangereux que les moyens mentaux, car ils ne peuvent pas, comme ces derniers, refouler la maladie dans les plans supérieurs. Le magnétisme curatif ne présente pas ces dangers, car il appartient tout entier au plan physique, et n'importe quelle personne dont les pensées et les désirs sont purs peut s'en servir. Mais dès qu'on fait entrer la volonté en jeu, dans le plan physique, on s'expose à une réaction, et on court le risque de refouler le mal dans les véhicules dont elle provient.
Si cette guérison mentale s'opère par la purification des désirs et des pensées, ces désirs et ces pensées, une fois purifiés, agiront doucement sur le corps physique, et il n'y aura aucun danger à courir, car la seule vraie méthode de thérapeutique mentale consiste à rétablir l'harmonie du corps physique, en favorisant l'harmonie des véhicules mental et astral ; mais cette méthode est moins rapide et certainement beaucoup plus difficile que la guérison par la volonté. Une intelligence saine implique un corps sain et bien portant ; c'est cette idée qui a poussé beaucoup de gens à adopter cette méthode.
L'individu dont le mental est parfaitement pur [348] et équilibré n'engendrera plus de maladies physiques ; toutefois il peut se faire qu'il ait encore quelques dettes karmiques à payer ou bien qu'il soit obligé de supporter les vibrations discordantes de son entourage. En vérité, la pureté et la santé sont indissolublement liées l'une à l'autre. S'il arrive, comme on l'a vu maintes fois, qu'un saint ait à souffrir d'une maladie physique, c'est qu'il paye la dette de ses mauvaises pensées passées ou qu'il supporte lui-même une partie des souffrances qui naissent du manque d'harmonie du monde, qu'il attire sur lui toute la puissance de ces discordes pour les harmoniser dans ses propres véhicules et les renvoyer au monde sous forme de pensées de paix et de bonne volonté. On s'est souvent étonné de voir que les êtres les plus nobles, les plus purs ont à souffrir physiquement et moralement. Ils souffrent pour les autres et non pour eux-mêmes, ils sont les vrais Magiciens blancs, qui transmuent par l'alchimie spirituelle, en les passant à l'athanor de leur corps physique martyrisé par la souffrance, les vils métaux des passions humaines, et en font l'or pur de l'amour et de la paix.
À part ce qui concerne la façon d'agir sur le corps par la volonté, la question qui se pose après un moment de réflexion est celle-ci : "Est-il vraiment recommandable de nous servir ainsi de la volonté pour notre avantage personnel ? N'est-ce point dégrader le plus grand pouvoir de ce Principe divin qui réside en nous, que de l'employer ainsi, pour servir notre corps physique et le maintenir en parfaite santé ? Est-il juste que ce Principe divin, en nous, soit obligé [349] de transformer ainsi des rochers en pain, et de devenir la victime de cette tentation dont le Christ triompha ?" Que cette histoire soit considérée comme authentique ou simplement comme un mythe, elle n'en renferme pas moins une profonde vérité spirituelle, et nous offre un exemple d'obéissance parfaite à une loi occulte. La réponse du Christ n'en reste pas moins vraie : "L'homme ne vit pas de pain seulement, mais aussi de chaque mot qui sort de la bouche de Dieu." Cette loi morale semble surpasser de beaucoup celle qui oblige le Principe divin à se mettre au service du corps physique. Un des plus grands dangers de notre âge, c'est cette adoration exagérée du corps, qui nous pousse, pour ainsi dire, à le porter aux nues – réaction inévitable d'un ascétisme trop rigoureux. En forçant la volonté à servir le corps, nous la faisons son esclave, et en cherchant continuellement à nous délivrer de nos petites souffrances, de nos petits ennuis, en employant pour cela la volonté, nous finissons par tuer en nous toute endurance. Et il arrive que les personnes qui agissent ainsi, s'irritent à la moindre souffrance physique qui résiste à leur volonté, et le pouvoir supérieur de la volonté, qui contrôle le corps et le soutient même au milieu des pires souffrances est, chez ces personnes, complètement obscurci. Si nous hésitons à employer la volonté pour servir le corps, ce n'est pas parce que nous doutons de la valeur de la pensée qui préside à notre action ou de la réalité de la loi sur laquelle cette action, est basée ; cette hésitation ne saurait naitre que de la seule crainte de voir les hommes céder à la tentation de faire de ce pouvoir, qui doit les élever aux plus sublimes hauteurs des mondes [350] spirituels, un simple serviteur du corps physique ; car ils deviendraient ainsi les esclaves de leur corps et se trouveraient complètement désemparés si ce corps venait à leur refuser tout service au moment où ils en auraient le plus besoin.
Il y a une loi en occultisme, une loi qui lie tous les Initiés sans distinction, qui défend d'user d'aucun pouvoir dans un but personnel ; si l'Initié refuse d'obéir à cette loi, il perd tout pouvoir d'aider les autres, et il serait insensé de sacrifier un tel pouvoir pour satisfaire une envie personnelle. L'histoire du Christ cache un sens plus profond que beaucoup de gens ne le supposent. S'il avait employé ses pouvoirs occultes pour changer les rochers en pain, afin de satisfaire sa faim, au lieu d'attendre avec patience la nourriture que lui apportaient les Êtres de Splendeur, il n'aurait pas été capable d'endurer par la suite le sacrifice mystique de la croix. Cette injure qu'on lui lança alors à la face renfermait une profonde vérité occulte : "Il a sauvé les autres et Il ne peut se sauver Lui-même", Il ne pouvait pas, pour s'épargner un peu de souffrance, se servir de ses pouvoirs qui avaient rendu la vue aux aveugles et guéri les lépreux. Que ceux qui n'ont en vue que leur salut personnel abandonnent la mission divine de Sauveurs du monde. Car, avec l'Évolution, il leur faudra choisir une voie ou l'autre. S'ils choisissent la voie inférieure et mettent les pouvoirs qu'ils ont au service de leur avantage personnel, et du bienêtre de leur corps, il leur faut abandonner tout espoir de devenir les rédempteurs de leur race. L'activité intellectuelle est devenue [351] si intense de nos jours qu'il sera plus que jamais nécessaire de l'employer à des fins plus nobles.

 

4 — MAGIE BLANCHE ET MAGIE NOIRE


La magie, c'est la mise en oeuvre de la volonté pour diriger les forces de la nature extérieure, et, comme son nom l'indique, elle est bien vraiment la grande Science. La volonté humaine, le pouvoir du Principe divin qui réside dans l'homme, peut subjuguer et contrôler les forces inférieures de la nature, et produire ainsi les résultats cherchés. Toute la différence entre la magie blanche et la magie noire réside dans le motif qui détermine la direction de la volonté ; lorsque cette volonté a pour but d'aider les autres, de travailler pour le bonheur et le bienêtre de tous ceux qui se trouvent dans le champ de son influence, celui qui la met en oeuvre est un magicien blanc ; les résultats qu'il provoquera, par la puissance de sa volonté entrainée, auront une influence bienfaisante sur tous, et hâteront le progrès de l'évolution humaine. En exerçant sa volonté dans le but d'aider et de secourir ceux qui l'entourent, le magicien blanc voit son être tout entier s'étendre, s'épanouir ; les barrières qui le séparent de ses semblables disparaissent une à une, et il devient un centre d'où rayonnent au loin la paix et l'amour. Mais si l'homme met cette volonté en oeuvre dans un but égoïste, pour satisfaire des désirs ou
des ambitions personnels, cet homme devient un magicien noir, un danger pour sa race ; et les résultats de ses actions retardent et arrêtent la marche de l'Évolution humaine. Son [352] être se replie tout entier sur lui-même ; il se sépare de plus en plus de ses semblables en s'enfermant lui-même dans une enveloppe qui l'isole de tout ce qui l'entoure et que l'exercice de ses pouvoirs rend de jour en jour plus épaisse et plus dense. La volonté du magicien est toujours puissante, mais celle du magicien blanc tient sa puissance du pouvoir de la Vie elle-même ; pliant lorsqu'il le faut, inflexible lorsque les circonstances l'exigent, elle s'unit sans cesse à la grande Volonté, la Loi de l'Univers. La volonté du magicien noir a la rigidité du fer ; dirigée sans cesse vers un but égoïste, elle se heurtera tôt ou tard à la grande Volonté, et tôt ou tard, elle s'y brisera elle-même. C'est le danger que court le magicien noir, danger contre lequel l'étudiant en occultisme est mis en garde lorsqu'on lui défend d'user de ses pouvoirs dans un but personnel ; car, bien qu'un homme ne puisse devenir un magicien noir que s'il s'insurge délibérément contre la grande Volonté en lui opposant sa volonté personnelle, il est bon de bien comprendre l'essence de la magie noire et d'étouffer le mal à son origine. Comme nous l'avons vu, le saint qui harmonise en lui-même toutes les forces antagonistes, est le véritable magicien blanc ; le magicien noir, au contraire, met au service de ses intérêts personnels toute la puissance qu'il a acquise par le savoir, et s'en sert pour satisfaire son être séparé ; par ses désirs égoïstes, il vient ajouter à la discorde qui empoisonne le monde, tout en cherchant à conserver l'harmonie au sein de ses véhicules particuliers. [353]


5 — PAIX


Lorsque le Soi a détourné son attention des véhicules qu'il occupe, au point que ceux-ci ne peuvent plus l'influencer ; lorsqu'il peut s'en servir comme il lui plait ; lorsque la clarté de sa vision est devenue parfaite ; lorsque les véhicules, ne renfermant plus en eux de vie élémentale, mais uniquement la vie qui leur vient du Soi, ne constituent plus un obstacle à ses activités, alors la Paix couvre l'homme de ses ailes, car il est arrivé au but que si longtemps il a cherché à atteindre. L'homme, uni dès lors au Soi, ne se confond plus lui-même avec ses véhicules. Ils ne sont plus pour lui que des instruments, des outils qu'il manie à son gré. Il a réalisé cette paix qui réside dans le coeur du Maitre, la paix de celui qui contrôle absolument tous ses véhicules et qui, par conséquent, est maitre de la vie et de la mort. Il recueille en lui-même toutes les discordes du monde et les transforme en une parfaite harmonie ; il ressent la moindre douleur de ceux qui l'entourent,
mais pour lui-même il ne souffre plus, car il est en dehors, au-delà de toute disharmonie, hors de son atteinte. Et cependant, il est toujours là, prêt à se replonger au milieu du tumulte afin d'en ressortir en emmenant avec lui une âme, sans perdre ce point d'appui, ce roc inébranlable, qu'est la Divinité, qu'il reconnait en pleine conscience comme lui-même. Ces êtres sont des Maitres, en vérité, et leur paix se fera sentir dès maintenant, pour quelque temps au moins, pour tous ceux qui désirent ardemment suivre le sentier [354] qu'Ils ont parcouru, mais qui n'ont pas encore atteint ce point d'appui inébranlable : la conscience de la Divinité en eux.
Cette union de la volonté séparée avec la Volonté unique, afin de servir l'humanité, est pour nous un but cent fois plus désirable que tous les biens de la terre. Ne pas être séparé des autres êtres, mais ne faire qu'un avec eux ; refuser d'atteindre seul la paix et la félicité, et dire avec le Bouddha : "Jamais je ne gouterai seul la paix finale, mais toujours et partout je souffrirai et lutterai jusqu'à ce que tous les hommes y atteignent avec moi" – apothéose de l'humanité. Plus nous sentirons que nos souffrances et nos luttes sont d'autant plus utiles que nous souffrons des douleurs des autres, et non de nos douleurs à nous, plus nous nous rapprocherons de la Divinité, et nous parcourrons "le sentier plus étroit que la lame d'un rasoir" que les grands Êtres ont foulé, et nous comprendrons que la volonté, qui nous a conduit dans le Sentier et qui s'est réalisée elle-même dans notre entrée sur la Voie, est assez puissante pour souffrir encore, pour lutter encore, jusqu'à ce que la souffrance, la lutte aient pris fin pour tous, et que tous nous goutions la Paix infinie.
Paix à tous les Êtres !
FIN DU LIVRE