L'AVENIR IMMINENT Par Annie BESANT - 1911

III — LA VENUE DE L'INSTRUCTEUR DU MONDE

III — LA VENUE DE L'INSTRUCTEUR DU MONDE

 


Amis ! Je vous demanderai de vouloir bien vous reporter, durant un instant, à la première de mes conférences. J'y reviendrai tout à l'heure de façon plus précise car, volontairement, dans cette conférence, j'ai essayé de poser des fondations sur lesquelles les superstructures de ce soir vous paraitraient plus naturelles et plus convaincantes, car un fait isolé, séparé de tous ceux qui y attiennent, peut sembler étrange, bizarre, invraisemblable. Le fragment d'un puzzle, pris sur la table, et séparé du reste, présente de curieux contours et une forme incompréhensible, mais lorsqu'il est mis à sa place dans le puzzle il complète le tout qui apparait alors naturel et compréhensible. Il en est de même pour tous les grands évènements de l'histoire du monde : considérés [73] indépendamment du reste, ils sont incompréhensibles, impossibles, mais lorsqu'ils se présentent dans leur ordre logique, quand ils apparaissent et sont reconnus comme étant les parties d'un ensemble, ce qui alors semblait étrange devient naturel, ce qui semblait incroyable devient vraisemblable et nous en arrivons à nous dire qu'il n'existe rien d'extraordinaire ou d'invraisemblable lorsque nous voyons les choses à leurs places respectives, si bizarres que puissent nous paraitre ces choses lorsqu'elles sont arrachées de la place qu'elles occupent dans l'histoire.
Mais avant de m'occuper de la place dans l'histoire, du grand Instructeur mondial, laissez-moi vous conduire au-delà des évènements qui constituent l'histoire et veuillez tourner vox regards sur Ceux qui inspirent les faits historiques, qui guident l'évolution humaine, qui règlent les lois de la nature.
Il existe par-delà et derrière les grands évènements physiques, une puissante Hiérarchie, et comprenant des grades, – entre les mains de laquelle sont le gouvernement, la direction du monde. C'est une grandiose Hiérarchie au sein de laquelle sont les gouverneurs de l'Humanité, gouverneurs dont rois et nations [74] sont les ombres, ou les symboles. Cette Hiérarchie a conduit l'évolution de notre race, a guidé les destinées depuis sa naissance jusqu'à nos jours, et les guidera encore dans les millénaires à venir comme dans les millénaires passés.
Cette puissante Hiérarchie comporte deux divisions principales concernant le développement, l'évolution de l'homme. L'un, s'applique à régler l'évolution extérieure, les types des races, à élever et à édifier des civilisations ; rois et nations sont pour les chefs de ce département comme des pions sur l'échiquier de la vie.
L'autre département est celui de l'enseignement, celui qui s'occupe de donner religion sur religion au monde à mesure que ce monde en a besoin ; il tient dans ses mains le cercle entier de la Vérité et en distribue successivement des parties sous des formes adaptées à l'entendement du peuple pour que celui-ci puisse la comprendre. C'est ce département qui a pour fonction de donner au monde les Instructeurs spirituels dont il a besoin, les Fondateurs de toutes les religions c'est lui qui préside à l'évolution spirituelle et morale de l'humanité. [75]
Ces deux grands départements se distinguent aisément dans l'histoire humaine où se remarquent leurs travaux respectifs ; à la tête de chacun d'eux est un chef qui fait usage des forces de l'ensemble et qui dirige les énergies dans un but prévu et nettement déterminé.
À la tête du département ayant pour fonction de gouverner, – de ceux au moins qui se montrent aux yeux des hommes, – se tient l'Être puissant au nom même duquel nous avons emprunté le mot homme, c'est le Manou (The Man), type primordial de chaque race, qui développe successivement dans chaque race les qualités qu'il incarne. Le terme Manou signifie, étymologiquement, le Penseur, le Raisonnant, l'Intelligent ; aussi ce terme, le Manou, est-il employé comme synonyme de gouverneur, de législateur de la race.
À ses côtés, se tient son Frère et collaborateur dans le grand travail de l'évolution, l'Instructeur du monde ainsi qu'on l'appelle dans quelques-uns des plus anciens livres de la terre ; connu comme étant Celui qui incarne la Sagesse, sagesse qui n'est autre que cette vérité qui nourrit la race humaine.
Législateur et Instructeur sont tous deux à la tête des deux départements dont je viens de [76] parler et ils représentent l'ensemble de la grande Hiérarchie dans ses fonctions législatives et éducatrices. Ce que je vous expose là se rencontre dans les Écritures saintes des différentes religions, mais parce que vous n'en êtes pas avertis, le fait, tel qu'il se passe dans l'histoire, ne vous frappe pas et son importance vous échappe. Et pourtant, voilà qui devrait paraitre naturel à ceux d'entre vous qui ont été, dès l'enfance, élevés à l'aide de la Bible chrétienne et juive, car l'on remarque à
la tête de la jeune nation juive ces deux chefs (que je viens de nommer) sous les noms familiers de Moïse, le Législateur, et d'Aaron le grand Prêtre du peuple juif. Dans toutes ces Écritures, les mêmes grands évènements de l'évolution humaine se trouvent répétés sans cesse. Les mêmes faits se produisent sous la direction du Législateur et de l'Instructeur, chef de l'État d'une part, chef de la Religion d'autre part. Cette glorieuse cohorte de Guides et d'Instructeurs de l'humanité est encore nommée parfois la Grande Loge Blanche ; c'est la source de tous ces grands courants de pensée qui apparaissent de temps à autre pour aider le monde. Les messagers sont toujours parmi les hommes à qui ils apportent la vérité nécessaire et [77] appropriée à l'époque. Et c'est ainsi qu'il vous est possible de suivre la trace de cette lignée de génies en littérature, en art, en science, messagers de cette unique grande Hiérarchie qui, derrière le voile, dirige les destinées humaines.
Autrefois, il y a longtemps, très longtemps, avant que notre orgueilleuse cinquième sous-race teutonne se fût emparée du sceptre et du gouvernement du monde, les Messagers étaient vénérés par les peuples primitifs de cette lointaine antiquité ; les Instructeurs étaient honorés, étaient les bienvenus. Mais à partir du moment où le mental concret de l'homme commence son développement, au moment où la personnalité commença de s'affirmer, – stade inestimable dans l'évolution de l'homme, bien que répugnant et dangereux par certains côtés, – dès l'instant où cette caractéristique particulière de la nature humaine prit une place prépondérante à la tête même de l'évolution, les Messagers furent dès lors méprisés au lieu d'être révérés, ils furent dédaigneusement accueillis au lieu d'être les bienvenus. De là le danger qui se présente aujourd'hui : l'histoire du Messager, du puissant Instructeur qui vint guider les premiers pas de la cinquième sous-race, la [78] teutonne, risque de se répéter de nos jours quand cette sous-race aura atteint sa maturité ; car depuis l'époque où le Christ vint sur la terre, l'histoire des Messagers n'a jamais été qu'une série de persécutions, de tortures, de meurtres, d'ostracismes. Et parfois l'on s'étonne en considérant ce récent passé, et l'on se demande si le monde est préparé au retour de l'Instructeur du monde et si la façon dont sont aujourd'hui accueillis les Instructeurs moindres subsistera quand le plus grand sera de nouveau visible sur terre ?
Avant de résoudre cette question, pensons tout d'abord que l'Instructeur du monde est le Fondateur, le personnage principal de toutes les grandes religions apparues successivement. En effet, ainsi que vous le savez, à
chaque sous-race naissante est donnée une religion qui lui appartient en propre et dont la forme change à mesure que cette race grandit ; de sorte que nous envisageons toutes les grandes croyances particulières aux sous-races, nous trouvons une série de grands Instructeurs qui, en vérité, ne sont qu'une seule et même personne, le même grand Instructeur apparaissant sur terre pour instruire et aider l'humanité. Tandis que le Législateur dirige l'évolution et [79] transforme graduellement le type des sous-races, l'Instructeur du monde, qui se tient à ses côtés, apparait dans chaque sous-race pour donner à celle-ci une religion qui lui est appropriée, religion spécialement et soigneusement adaptée à son évolution.
En outre, l'Instructeur, du monde est toujours en rapport avec ce qu'on appelle les Mystères, c'est-à-dire avec l'enseignement secret, le côté ésotérique de la religion, enseignement donné à ceux qui sont assez forts pour le recevoir, assez âgés pour le comprendre ; c'est la moelle de toute religion ésotérique, ce qu'Origène appelait gnosticisme, la connaissance, enseignement sans lequel toute religion est vouée à la décadence, à la disparition. Quand l'Instructeur du monde arrive, il institue toujours les Mystères de la Religion qu'Il apporte, Mystères par et dans lesquels la vérité demeure vivante. Il vous est d'ailleurs possible de constater le fait par vous-mêmes on consultant l'histoire des religions plus anciennes que la vôtre ; mais la plupart d'entre vous ignorent que lorsque l'Instructeur du monde vint à vous, il institua de nouveau, pour le Christianisme, ces Mystères dont avaient joui les croyances antérieures ; les textes de l'Église [80] primitive parlent de ces Mystères ; ainsi que l'on peut s'en rendre compte par leurs enseignements, c'est dans ces Mystères que les premiers évêques et martyrs de l'Église puisèrent leurs connaissances. Ces Mystères disparaissent faute d'aspirants quoiqu'autrefois l'enseignement secret fût donné dans l'Église chrétienne primitive autant qu'il le fut dans toutes les religions antérieures du monde.
L'enseignement que l'Instructeur du monde donne dans ces différents Mystères, fut toujours identique ; la chose est facilement observable quand des bribes de cet enseignement se glissent dans la philosophie ou dans la religion de l'époque. Il s'agit toujours de la proclamation du Soi Universel et du Soi spécialisé, individualisé en tant que fragment du tout. Telle est la base fondamentale qu'il importe à l'homme de connaitre pour qu'il puisse progresser : l'identité de nature entre les deux "Soi", et, d'autre part, le besoin qu'à l'homme de sentir cette identité et de se savoir partie de la Vie Universelle. Cet enseignement suprême donné en symboles, en allégories,
au monde extérieur, et avec précision au cercle intime, est la vérité centrale que les Mystères avaient pour mission précise d'enseigner à leurs initiés. [81]
Si pour considérer les différentes sous-races nous faisons usage de la connaissance de ces enseignements secrets, il nous est possible de voir comment l'Instructeur du monde emploie chaque fois un symbole légèrement différent de ceux qui précèdent, tout en y incorporant toujours la même vérité fondamentale. Nous pouvons parcourir l'histoire des sous-races antérieures à la nôtre et découvrir dans les Écritures, dans le côté extérieur, exotérique de chaque croyance, les traces qu'y laisse l'enseignement secret donné à chacune de ces sous-races.
La racine de notre race, le premier grand peuple aryen, eut comme Instructeur mondial le grand Être connu sous le nom de Vyasa, lequel enseigne la vérité une en la symbolisant par le soleil. L'Indou d'aujourd'hui nous parlera encore de la Personne, de l'Esprit dans le soleil ; actuellement encore, la formule la plus sacrée, le mantra le plus puissant de l'Indouisme est l'invocation au soleil, la prière où l'on demande au soleil d'irradier sur le coeur des hommes. Le soleil dans les cieux, symbole visible du Dieu des dieux, le soleil dans le coeur de l'homme, le Soi individualisé en lui ; tous deux sont identiques, et l'homme doit en découvrir [82] la réalité en lui-même avant de la connaitre comme une vérité certaine de lui.
C'est sous cette forme que l'enseignement fut donné à la mère de notre sous-race, forme qui subsiste encore de nos jours aux Indes.
Lorsqu'Il vint ensuite dans la deuxième sous-race et instruisait en Égypte sous un autre nom, celui de Thot que les Grecs appelèrent Hermès, Il choisit pour symbole la lumière ; Il prononça alors ces paroles qui nous sont connues et que l'on retrouve dans le quatrième évangile égyptien de notre Nouveau Testament d'aujourd'hui et Il parle de "la Lumière qui éclaire tout homme venant au monde", la Lumière dans le coeur de l'homme aussi bien que la Lumière dans l'Univers extérieur à l'homme. C'est ainsi que l'on enseigne au Roi d'Égypte à "chercher la Lumière" car seul le Roi qui voit Dieu dans le coeur de ses sujets peut être vraiment roi et en appeler au côté divin de son peuple. Vous voyez encore que, de même que le Roi fut invité à chercher la Lumière le peuple fut, lui, invité à "suivre la Lumière". Et le principe de la Lumière intérieure et de la Lumière Universelle devint le centre véritable des Mystères Égyptiens ou Hermétiques. [83]
Il vint ensuite dans la troisième sous-race, chez les Iraniens ; Il porta alors le nom de Zarathoustra, Il est plus connu toutefois sous le nom de Zoroastre. Cette fois ce fut le Feu qui fut choisi comme symbole de la même grande vérité ; le Feu dans le coeur des hommes, le Feu dans le temple des adorateurs, le Feu qui dans le ciel, donna la lumière au monde. Et dans ces anciens jours, alors que les prêtres étaient réellement des Mages connaissant l'art de maitriser les éléments de la nature, la main levée du prêtre du Feu – comme pour Zarathoustra, le Fils du Feu, – la main du prêtre levée vers le ciel, faisait descendre le Feu des nuages jusque sur l'autel où brillait alors une flamme éclatante. Si grande fut l'impression produite par cet enseignement, que le Parsi moderne, qui conserve encore le souvenir de l'antique manière d'adorer, quand il allume le feu d'un nouveau temple, – feu sacré gardé allumé d'années en années, – ne peut le faire sans avoir préalablement recueilli les feux de la terre : celui du foyer familial, du forgeron, de tous ces feux que les travailleurs allument pour leurs travaux ; il ne peut enfin allumer le feu sacré que le jour où l'éclair qu'il ne sait plus commander et appeler, descend [84] du ciel entre les coups de tonnerre qui retentissent dans l'atmosphère ; lorsque l'éclair a mis le feu à un arbre, le prêtre alors saisit aussitôt une branche enflammée pour porter au temple ce feu qui, désormais, ne devra plus s'éteindre.
Il vint une quatrième fois, dans la quatrième sous-race, chez les Grecs, sous le nom d'Orphée. Là Il ne parla plus Lumière, mais Son ; dans ses mystères, Il enseigna, par le son, l'évolution de l'Esprit dans l'homme. C'est ainsi qu'il parla aux Grecs de musique, et c'est dans les mystères orphiques que fut donné le même enseignement ; grâce à eux, la Grèce atteignit sa gloire. Et ainsi, par le Soleil, la Lumière, le Feu, la Musique, l'Instructeur du Monde parla aux sous-races qui nous précédèrent.
L'Être Puissant revint une fois encore sur terre pour y devenir le Seigneur Bouddha et pour fonder la religion dont le nombre des croyants dépasse de beaucoup celui de toutes les autres religions. Puis Il disparut pour ne plus jamais prendre forme humaine mortelle, et Il transmit ses fonctions d'Instructeur du Monde à Son Frère, celui qui l'avait constamment suivi durant des âges, Celui qui est l'Instructeur actuel du monde, le Seigneur [85] Maitre et que le chrétien appelle le Christ. Entre ces deux Êtres, semblables par la pensée, semblables par l'enseignement, il y eut cependant une différence de tempérament qui colora leurs préceptes. En effet, Celui qui devint le Bouddha est connu en tant que Seigneur de Sagesse : Celui qui fut le Christ est connu en tant que Seigneur d'Amour ; l'un enseigna la loi,
développa chez le peuple la faculté de comprendre, lui apprit la pensée droite ; l'autre, vit dans l'Amour l'accomplissement de la Loi, l'essence même de Dieu. Seigneur de Sagesse ! Seigneur d'Amour ! C'est le Seigneur d'Amour qui est aujourd'hui l'Instructeur du monde.
Il vint en premier lieu, en son troupeau d'autrefois, fonder dans l'Inde ce culte auquel se rallie encore maintenant la majorité du peuple indou. Les philosophes peuvent adorer le Dieu Tout-Puissant, l'intellectuel, le sérieux penseur peut parler du Un Universel pénétrant tout ; mais la forme sous laquelle Dieu est adoré dans les myriades de foyers indous, la forme à laquelle est insufflé plus d'amour intense et de dévotion que dans n'importe quelle religion sur terre, c'est celle de Shri Krishna, non pas l'homme d'État, le guerrier, non celui auquel vous pensez en vous [86] rappelant le poème splendide du Mahabharata, mais ce Shri Krishna qui aima les hommes, L'enfant, le bienaimé qui, aujourd'hui, est au coeur de tout Indou, ce qu'exprime le prophète hébreu quand il dit "Celui qui te crée est ton mari." Amant et aimé ! Telle est cette forme divine qui emplit le coeur de l'Inde captive aujourd'hui sous les chaines et, tandis qu'ils le nomment Shri Krishna, vous l'appelez Christ ; et c'est le même Seigneur d'Amour qui est aimé des deux peuples.
Il vint ensuite dans notre cinquième sous-race dont Il fut le grand Instructeur, à laquelle Il apporta une nouvelle religion, la race teutonne dont Il vint aider le développement rituel. Il vint ! Et durant trois années de vie parfaite Il proclama son message chez le peuple hébreu. Mais il fut dit, de manière pathétique : "Il vint chez les siens et les siens ne l'accueillirent pas !" et bien qu'il ait été déclaré qu'Il parlait comme nul homme n'avait jamais parlé, ils ne purent tolérer plus de trois années le Seigneur d'Amour venu au milieu d'eux. Et lorsqu'ils l'eurent assassiné, les textes de Son Église disent que quelque cent vingt fidèles formeront le groupe infime de ses disciples. C'est là un fait de triste augure pour la [87] venue de l'Instructeur du Monde ; mais l'histoire a rétabli la puissance de Son enseignement car, si sa propre génération l'a rejeté, des centaines de générations Lui ont depuis rendu hommage ; aujourd'hui, Son nom prend dans le Christianisme une influence de plus en plus grande parce que les hommes commencent à s'apercevoir que le Christianisme n'est pas une Église, n'est pas un livre, ni une organisation, mais qu'il consiste à croire au Christ vivant, à croire au développement possible de la vie du Christ dans l'homme.
* * *
Vous ayant conduits jusqu'ici, de sous-races en sous-races, chacune d'entre celles-ci recevant tour à tour de l'Instructeur leurs religions respectives, laissez-moi vous rappeler que, de nos jours, selon les témoignages des ethnologues, un nouveau type de sous-race commence à apparaitre. Quel sera l'inévitable corolaire de ce fait ? Quel sera le résultat que vous et moi sommes on droit d'en attendre ? Si, durant cinq sous-races, l'Instructeur est venu pour enseigner et aider, la sous-race naissante est-elle destinée à demeurer privée d'un Instructeur ? [88] L'Instructeur du monde refusera-t-il de venir, alors qu'autrefois, en pareils cas, il est toujours venu ? Telle est, du point de vue de la logique, la question que je vous prie de vouloir bien considérer ; vous qui trouvez étrange et même impossible que, de nos jours comme autrefois, un puissant Instructeur puisse venir ici-bas pour élever et aider le monde ? En dépit de tout l'orgueil que nous pouvons éprouver pour notre intelligence et notre race, nous pouvons bien nous croire assez petits pourtant pour supporter d'être bénis par la présence de l'Instructeur du monde ; s'Il est venu déjà cinq fois, dans des conditions absolument analogues, chaque apparition sur terre d'un nouveau type racial, pourquoi ce dernier serait-il hors de série, pourquoi ce qui fut cinq fois de suite ne se reproduirait-il pas pour notre propre génération ? C'est là un point que vous feriez bien de ne pas perdre de vue lorsque vous vous demandez, en m'entendant parler de l'Instructeur du monde, si je rêve, si j'invente, ou si je dis vrai comme ceux qui furent témoins de Sa venue lorsque Ses pieds foulèrent le sol de notre planète la dernière fois qu'Il revint.
Il est encore un autre argument, nullement historique mais frappant cependant, me semble-t-il, [89] et que vous pouvez vous rappeler lorsque vous supputez les chances d'un semblable évènement : cet argument se rapporte à ce fait que, en parcourant l'histoire, partout où vous verrez qu'une grande idée s'étend dans l'esprit des peuples, où vous verrez qu'une tendance approche de sa réalisation concrète dans le cours de l'histoire humaine, vous observerez que, lorsque le temps est mûr, l'idée est toujours incarnée en un être qui rend visible sur terre ce qui a graduellement été l'espoir et l'aspiration des peuples. La chose a lieu en des cas d'importance moindre. Des hommes aspirèrent à l'Unité de l'Italie, aspiration qui prit forme en la personne de Mazzini, le prophète et Garibaldi, le guerrier. De même, en Allemagne, où l'on aspirait au Vaterland que des poètes chantèrent, que des écrivains réclamèrent en de nombreux livres, et lorsque cette idée se fut répandue dans toute la contrée, que tous les coeurs de la nation y aspirèrent, l'idéal prit corps en la personne de Bismarck, l'homme d'État, en Moltke, le général.
Ainsi donc, il est toujours vrai que du jour où un idéal remplit les coeurs des peuples, qu'il s'étend loin et profondément, un grand homme unit qui incarne cet idéal et le réalise. Aussi, [90] si vous observez ce que je vous disais, il y a quinze jours, qu'une forte tendance s'affirme vers l'union entre religions comme entre peuples, si vous voyez des hommes parler de paix universelle et discutant entre eux la possibilité d'une fédération, vous pouvez alors vous dire que ce mouvement général vers l'union trouvera sa réalisation en ceux qui incarneront l'idée de cette union. Et qui donc fera cette union des religions sinon l'Instructeur du monde qui donna les religions au monde ? Dans ce sens est vrai le proverbe qui dit : "Les évènements à venir projettent leur ombre avant de s'effectuer" ; en effet, les évènements apparaissent en premier lieu dans le monde spirituel, et l'attente dans les esprits les hommes c'est l'ombre que ces faits projettent en attendant leur graduelle réalisation ici-bas. Ainsi donc, lorsque de tous côtés nous entendons appeler à l'aide le grand instructeur religieux, quand de chaire en chaire s'exprime l'aspiration vers un grand instructeur qui unira entre eux les coeurs des hommes et qui instituera la fraternité des religions dans le monde, nous comprenons alors que nous sommes en présence de l'un de ces mouvements intéressant le monde entier et dont l'idée s'incarne dans [91] les Conducteurs du monde ; nous comprenons que cette aspiration vers une religion mondiale universelle s'incarnera en la personne de l'Instructeur du monde qui apportera ici-bas cette Religion.
En pensant à ces points comme à nombre d'autres, et voyant dans le monde, autour de nous, ces grands évènements de l'immense panorama qui se déroule à nos yeux, nous nous rendons compte que nous touchons actuellement à l'une des grandes crises de l'histoire humaine ; comme l'intuition – cette voix de l'Esprit qui voit loin – confirme la conclusion à laquelle s'arrête la raison elle-même, alors s'élève en nos coeurs cette question : quand Il viendra, le monde l'accueillera-t-il ? Quand Il viendra, le reconnaitrons-nous ? Comment éviterons-nous la réédition de la sombre tragédie qu'illustra Son dernier séjour parmi nous ? L'histoire se répètera-t-elle, les drames de Judée, de Jérusalem, du Calvaire, seront-ils joués une fois encore ? Immense tragédie sur la scène du monde !
Si, sans tenir compte des siècles passés, du radieux rayonnement que l'adoration de millions d'hommes donna à la figure du Christ ; si, sans tenir compte du sentiment qui vous attire [92] vers lui, vous vous reportez en pensée à la Jérusalem d'il y a deux mille ans, combien différente alors paraitrait à vos yeux l'histoire de cette vie, combien différemment jugeriez-vous ce nouveau Prophète apparu dans le peuple juif : ne pouvez-vous, par l'imagination, dans une certaine mesure, vous remémorer les principaux caractères de l'époque ? Ne pouvez-vous vous représenter le jeune homme inconnu apparaissant au sein d'un peuple fier et hautain, et donnant à ce peuple un message autre que celui qu'on attendait de lui ? Ne pouvez-vous vous imaginer le type de l'auditeur qui critiquait le nouveau Messager et qui mettait on doute Sa raison, Sa moralité ? Quelques-uns disent : "C'est un bravo homme !" "Non ! Répondent d'autres, il trompe le peuple !" D'autres encore s'écrient : "Le diable est en lui, il est fou : Pourquoi l'écoutez-vous ?"
Oh ! Essayez de revivre un instant ce temps lointain ! Essayez de vous dépeindre le sentiment du peuple, de cette épaisse populace qui, tout d'abord, l'écouta avec satisfaction pour lui jeter ensuite des pierres. Le peuple changeait d'avis presque à toute saute de vent, tantôt aimant, tantôt haïssant, tantôt criant : Hosannah ! Tantôt hurlant : crucifiez-le ! Efforcez-vous [93] de vous représenter ce que vous auriez éprouvé si vous aviez été l'un des juifs d'alors, devant cet étranger, ignorant de la science des Pharisiens, qui n'était ni Rabbi, ni instructeur reconnu du peuple, qui soulevait peut-être le peuple, mais cause peut-être de mécontentement et même de rébellion, hérétique en religion, et sans aucun doute, un danger pour l'État. Vous comprendrez alors ce calme bienfaisant qui s'empara de Jérusalem lorsqu'on apprit qu'il était mort : tous eurent cette impression qu'ils échappaient ainsi à une source de dangers sans nombre et que le mal venait d'être coupé dans sa racine.
* * *
Comment en effet, un homme connait-il l'Instructeur ?
Par l'enseignement qu'il donne !
La valeur de l'enseignement du Christ est indiquée par l'histoire ; elle n'apparut pas au peuple qui entendit les paroles de Sa bouche même. La chose n'a rien en soi de surprenant, car plus l'Instructeur est élevé plus il est difficile de saisir la valeur de l'enseignement qu'il donne. L'instructeur qu'on écoute et qu'on [94] accepte est celui qui s'exprime légèrement mieux que
nous et qui répond conformément à ce que nous voulons qu'il nous dise ; ce n'est pas, hélas ! Celui qui est loin au-dessus de nous, qui vient entretenir de choses divines les oreilles sourdes d'ici-bas. Oh ! Vous et moi le reconnaitrions-nous s'il se montrait à Londres aujourd'hui, au lieu de la Jérusalem d'il y a deux mille ans ?
Avant de répondre à cette interrogation par quelque argument nouveau, laissez-moi renverser l'ordre des choses afin de nous rendre compte comment la ville de Londres d'aujourd'hui se serait comportée, il y a deux mille ans, avec ses préjugés actuels, pour combattre l'idée de la venue d'un tel instructeur, et dans quelle mesure elle aurait été disposée à s'incliner devant les paroles qu'Il nous aurait dites.
Considérez une seule chose, très commune, très simple, très répandue : votre préjugé contre les races de couleur différente de la vôtre. Supposez que le Christ s'incarne dans une race qui soit précisément d'autre couleur que la vôtre, seriez-vous prêts à le reconnaitre comme étant l'Instructeur suprême ? Eh quoi ? Il ne pourrait pas même se transporter dans la plupart de vos colonies ; l'Australie, le Canada, [95] l'Afrique du Sud lui seraient interdits. Ce procédé est pour le moins aussi étrange que la pensée à laquelle obéirent les Juifs en refusant de reconnaitre le Christ comme un des leurs. C'est là une des questions pratiques qu'il vous faut envisager car, dans le passé, tous les Instructeurs furent des orientaux ; tous ont appartenu à des races que vous méprisez aujourd'hui, et que vous croyez inférieures à la vôtre. Qu'adviendra-t-il alors, s'Il prend un corps d'oriental ? Serez-vous disposés à l'accepter pour Instructeur ? Le Christ était de naissance orientale ; mais les hommes qui se réclament de Son nom écartent les orientaux qui sont plus qu'eux, près de Lui, par le sang ; et nul ici ne semble attacher à ce fait une bien grande importance ; nul ici ne parait croire que vos préjugés peuvent former un mur qui vous empêchera de Le reconnaitre lorsqu'Il viendra. Si donc vous désirez voir clair, la première des choses à faire consiste, pour vous, à vous débarrasser du préjugé de race, de couleur, de cette fierté qui vous incline à penser que la race blanche est la race favorite de Dieu. Aussi longtemps que ces sentiments ne seront pas arrachés des coeurs, aussi longtemps que nous ne cesserons pas d'être protecteurs [96] hautains et condescendants au lieu de tendre à une fraternité égale entre tous les hommes, nous rejetterons le Christ quand il viendra parmi nous, sous prétexte qu'Il n'est pas de notre sang, de notre race.
L'Instructeur, ai-je dit, se reconnait par son enseignement. Comment serons-nous aptes à reconnaitre la spiritualité de l'enseignement s'il Lui arrive d'exprimer les choses d'une façon autre que celle à laquelle nous sommes accoutumés, s'il présente quelque grande vérité spirituelle sous un aspect, sous un jour nouveau ? En essayant tout d'abord de développer en nous la spiritualité plus que l'intellectualité et l'émotivité, pour nous ouvrir à la vie spirituelle qui reconnait son domaine lorsqu'elle se trouve en présence de la forme spirituelle la plus élevée et la plus grandiose. Les mesures du ciel ne sont pas celles de la terre, et la balance divine n'est pas non plus celle des hommes. Nous admirons souvent les hautes et fières situations ; la splendeur d'un intellect puissant a la magie de l'émotivité ; l'homme spirituellement développé, lui, est doux, calme, pondéré, sans aucun ressentiment. Vous qui êtes toujours prêts à vous défendre contre l'attaque injuste, toujours prêts à prouver que vous avez raison et [97] les autres tort, toujours disposés à frapper lorsqu'on vous a frappés, qui trouvez lâche de subir en silence l'insulte, comment apprécierez-vous la majesté, la dignité, dont Il fit preuve, Son silence lorsque ses juges l'accusaient, Son silence absolu devant les accusations et les vengeances ? Quoi ! Lorsque vous entendez accuser une personne et qu'elle ne répond rien, qu'elle ne se défend pas, ne dites-vous pas qu'elle est certainement coupable, car, autrement, elle se défendrait, et userait de quelque excuse. Mais, au point de vue spirituel, ces moyens ne s'emploient pas, ce ne sont pas là les armes des grands Êtres de la race. "Quand Il était accusé, Il n'accusait pas à son tour ; quand Il souffrait, Il ne se vengeait pas ; Il s'en remettait à Celui qui sait vraiment juger." Tel est le secret de la vie spirituelle ; la loi est sure, juste, bonne et point n'est besoin de nous venger nous-mêmes. Si quelque tort vous a été causé, la grande loi vous donnera raison ; nul ne peut vous faire tort à moins que vous n'ayez forgé vous-mêmes le fer qui doit vous blesser car, seuls, ceux qui ont mal agi voient les coups retomber sur eux.
Ainsi donc, si vous désirez reconnaitre le Christ lorsqu'Il viendra, cultivez l'esprit du [98] Christ : supportez l'insulte et pardonnez, gardez le silence devant toute accusation, ne vous laissez pas aller à la colère, ne rendez pas le mal qui vous est fait et répondez au mal par le bien. Si vous pouvez développer en vous ces qualités du Christ, vous le reconnaitrez lorsqu'Il viendra, même si ces qualités qui sont parfaites en Lui sont imparfaites en vous, car leur essence est la même et, grâce à elles, il vous sera possible de reconnaitre une grandeur qui, autrement, vous aurait aveuglés.
Si vous voulez connaitre le Christ quand Il arrivera, essayez de développer en vous non seulement la douceur et la patience, mais encore toutes les qualités qui entrainent l'homme à la vie spirituelle : l'amour envers tous ceux que vous rencontrez, qu'ils vous soient ou non sympathiques ; la patience de plus en plus inlassable devant l'ignorance et la stupidité ; cet amour qui devient plus ineffable devant la timidité et la faiblesse ; développez ces qualités dont on se rit en disant qu'elles sont féminines et qui, pourtant, honoreraient toute femme les possédant, c'est-à-dire : le coeur sensible et indulgent devant toute misère et qui ne garde rien pour lui, qui donne tout ce qu'il peut donner. [99]
Si vous voulez le reconnaitre quand Il viendra, débarrassez-vous de la tendance que vous avez à diminuer ce qui est grand, à trouver des défauts dans ce qui est noble. Tant de gens regardent le soleil et n'en voient que les taches ; aucun homme n'est un héros pour son valet de chambre, dit-on. Pourquoi pas ? Non qu'il manque d'héroïsme, mais parce que le valet de chambre est incapable d'apprécier l'héroïsme. Nous critiquons, nous trouvons des défauts, nous nous appesantissons sur de légères erreurs et nous oublions totalement la bonté et la grandeur d'âme de ceux qui sont autour de nous. Oh ! Cultivez le sentiment de révérence ! bien que cela soit contre nos moeurs actuelles. N'ayez pas honte d'admirer ! N'ayez pas honte de révérer ce qui est plus grand, plus noble que vous, car le fait d'admirer est le commencement de la perfection. En sachant reconnaitre ce qui est noble, vous vous approchez de ce que vous admirez et devenez plus nobles vous-mêmes. Honorez la grandeur partout où vous la verrez, dans la vie extérieure comme dans la vie inférieure, dans le génie de l'écrivain, du peintre, du sculpteur, dans la sainteté du saint, dans la compassion du compatissant. En tout homme que vous rencontrez, [100] essayez de voir le beau et non les vilains côtés. Accueillez tout homme, fût-il un criminel, comme un saint en voie de devenir. L'amour et le respect pour ce qui existe en germe fait éclater la semence qui ne tarde plus à croitre, à fleurir et à porter ses fruits.
Dieu est en tout homme et si vous ne Le voyez pas, c'est que vos yeux sont aveugles ; et si vous voulez voir le divin dans la toute puissante perfection du Christ, sachez alors percevoir le Christ dans le plus pauvre de vos frères en humanité : alors, seulement, vous Le reconnaitrez quand Il viendra.
Si vous êtes aptes à éprouver le sentiment de révérence, n'entravez pas l'amour qui s'épanche vers ce que vous savez dire plus grand que vous ; entretenez au contraire cette dévotion prête à aimer, prête à donner, à se donner entièrement à ce qu'on sait être supérieur à soi. Oh ! Il a été dit qu'il y en eut, autrefois, qui abandonnèrent tout au monde pour suivre le Christ lorsqu'ils le rencontrèrent. Si, quand Il sera parmi nous, en notre XXe siècle, quelques-uns d'entre nous désirent se compter au nombre de ceux qui abandonneront tout au monde pour Le suivre, cultivez alors les qualités voulues dans votre vie quotidienne en attendant [101] qu'Il arrive. Acquérez les vertus qui éclateront en fleurs dès que vous vous trouverez en Sa présence. Essayez de vous imaginer ce qu'Il doit être, Lui, l'Instructeur des anges et des hommes. Essayez de sentir un peu de Son esprit de parfait amour, de saisir un rayon de Sa parfaite pureté, de comprendre un peu de cette puissance qui sait tout vaincre parce qu'elle amène toute chose à la connaissance et à la solution de tous les problèmes.
S'il en est assez parmi nous qui veuillent bien influencer dans ce sens l'opinion publique, cela ne sera plus alors une Croix que le Seigneur rencontrera quand Il reviendra : quand Il sera au milieu de nous, Il ne sera pas accueilli avec un sentiment d'aversion : Il ne restera pas alors trois années seulement avec nous et notre amour ne Le laissera pas partir car l'amour entraine le Seigneur d'amour Lui-même. Et nous qui aurons essayé de Lui ressembler, nous qui aurons aspiré à Sa glorieuse présence, nous verrons de nos yeux le Roi dans Sa majestueuse splendeur, nous reconnaitrons l'Instructeur Suprême quand Il reviendra, dans peu de temps d'ici, fouler le sol de la terre.