LE CHRISTIANISME THÉOSOPHIQUE Par Annie BESANT -1922

LE CHRIST EN NOUS — (Allocution prononcée le 14 mai 1922)

LIVRE


Au cours d'une visite de vingt-quatre jours qu'elle fit à Sydney en mai 1922, Mme Annie Besant prononça trente-quatre allocutions, dont cinq sermons donnés à l'Église catholique libérale de Saint-Alban, Régent Street. Ce sont ces derniers qui sont reproduits dans cette brochure.


LE CHRIST EN NOUS

(Allocution prononcée le 14 mai 1922)


Dans le Sermon sur la Montagne, qui résume en quelque sorte tous les grands enseignements du Christ, se trouve un verset que nos contemporains ne semblent pas comprendre dans sa pleine et véritable acception.
Le Confiteor dit que Dieu a créé l'homme pour être immortel et l'a fait pour être une image de sa propre éternité, et dans les écritures hébraïques, il est dit également que Dieu fit l'homme à sa propre image.
Cette pensée sublime se trouve dans toutes les grandes religions fondées par ceux qui furent envoyés des régions célestes pour montrer, aux différentes sous-races de l'humanité, à des époques diverses et selon des modes variés, le chemin qui mène à Dieu. Et il fut dit par l'un des plus grands de ces Messagers, Celui qui apparut en Orient, première manifestation après que le Seigneur Bouddha eut atteint l'illumination et vint apporter au peuple Indou le Message de la Grande Loge, il a été dit par Lui : "Par quelque voie qu'un homme vienne à moi, c'est sur cette voie que je l'accueille, car toutes les voies sont miennes".
Et dans la suivante de ses sublimes manifestations, dans les paroles du Sermon sur la Montagne auxquelles je faisais allusion, nous trouvons la pensée sur laquelle je désire concentrer votre attention ce matin.
Le Christ lui-même l'a dit : "Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait".
Voilà un commandement formidable, semble-t-il, et pourtant, tombant des lèvres de Celui qui est Vérité, nul parmi ceux qui se réclament de Son nom ne saurait reculer devant son application complète.
"Parfaits comme votre Père Céleste est parfait". Voilà l'ordre que vous donne Celui dont vous invoquez le nom, Celui dont vous vénérez la croix. Et peut-être n'est-il point mauvais, peut-être n'est-il pas déplacé que dans la première allocution que je vous adresse dans ce temple, je vous demande de réfléchir à la signification de ces paroles, signification qui n'a jamais fait trembler ceux qui purent L'approcher de plus près [4] et qui a été répétée sans relâche au cours des nombreux siècles qui ont suivi. Quelque profond que soit le sentiment de notre propre faiblesse, quelque convaincus que nous soyons de notre propre imperfection, il nous faut nous rappeler qu'unis à l'Esprit Éternel, formés à l'image de l'Éternel, bien qu'enfermés dans la matière et doués des imperfections qui sont le partage de toute limitation de la forme, la seule chose qui nous soit nécessaire c'est le temps. Le temps qui nous permettra de vaincre peu à peu la matière, instrument futur de notre service au profit de nombreuses humanités, le temps pour arriver à maitriser nos émotions au point de les diriger toutes vers en-haut, non pas en quête du désir de la chair, mais de la volonté de Dieu – le temps nécessaire pour guider vers la paix de l'Esprit – notre mental agité (dont il a été dit justement qu'il est aussi difficile à dompter que le vent) et lui enseigner son véritable rôle dans la constitution de l'homme. Qu'il sache qu'il doit se laisser guider et non tenir la bride, obéir et non commander. Car de même que le feu, le mental est un excellent serviteur mais un maitre destructeur, et notre tâche la plus ardue est peut-être d'enchainer ce mental rétif à la volonté de l'Esprit.
Et vu l'immensité de la tâche, le temps nécessaire nous a été accordé pour la mener à bien ; car en chacun de nous, quelque faible qu'il se sente, quelque insuffisante qu'il sache sa préparation, l'Esprit, qui est divin, n'a pas d'autre destinée que celle de refléter la gloire de l'Esprit éternel et d'être le maitre de tout ce qui n'est pas de sa nature.
Réfléchissez un moment à ce qu'impliquent ces mots étonnants : "Soyez donc parfaits" Cela serait presque à désespérer si nous n'avions l'exemple de ceux qui ont triomphé, qui ont accompli l'ordre de leur Seigneur et rayonnent dans les régions célestes comme des soleils éclairant notre route.
C'est ce qui a inspiré à Saint Paul, le grand Apôtre, nommé l'Apôtre des gentils en raison de l'universalité de sa mission et de son influence, la grande et unique prière qu'il faisait pour ses convertis.
Prenant comme point de comparaison la lutte et la souffrance qui précèdent la naissance physique de l'enfant du sein de sa mère, il leur disait : "Mes petits enfants que j'enfante de nouveau jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous". (Saint Paul, Épitre aux Galates, IV, 19) Telle est la possibilité qui nous est offerte sur la vaste route du progrès, si énorme dans ses conséquences, si écrasante, que le genre humain risque de se décourager devant la magnificence d'un exploit aussi irréalisable en apparence. Pourtant il n'est pas de pire blasphème, pas de pire négation de l'existence de la divinité que ceux de l'homme qui réponde "je ne puis" quand Dieu lui dit : "Tu dois".
Et si nos yeux peuvent s'ouvrir assez grands pour apercevoir l'occasion qui nous est offerte dans la prière du grand Apôtre [5] – un apôtre, notez-le bien, qui commença d'étrange façon son apostolat en participant au meurtre du premier martyr de la foi chrétienne – si nous avons la bonne volonté de donner raison à sa prière, il convient que nous reconnaissions qu'en chacun de nous Christ est né.
Puis, plongeant plus loin notre regard, nous apercevrons une possibilité encore plus grande, à laquelle avec le temps nous devons tous parvenir, l'épanouissement en nous de la pleine stature du Christ. Si nous manquons de sagesse au point de placer notre origine dans le péché et non dans la divinité, alors en vérité nous perdrons courage devant ce qui parait irréalisable. Mais si vous vous rendez compte du fait que tous les dimanches vous employez en vous adressant à Celui qui est vérité cette formule affirmant qu'il nous a faits à l'image de sa propre éternité, alors certainement il n'y a pas de raison, il ne peut pas y avoir de raison pour que la semence divine qui est en nous ne puisse se développer en la stature du Christ.
Ce n'est encore qu'une semence, non un épanouissement ; mais dans la graine se trouve la vie de la plante qui lui impose son destin inéluctable. Et aussi surement que le gland tombé sur un sol fertile, abreuvé de soleil et de pluie, fortifié par des saisons de sècheresse et de vent, des mois d'inondation, peut se développer en un chêne, un chêne puissant qui étende ses larges branches pour protéger le voyageur fatigué, aussi surement s'offre à chacun de nous l'inévitable destinée finale qu'il nous est loisible de retarder mais non d'annuler, en vertu de laquelle cette semence de divinité, déposée dans notre nature humaine dans un passé indéfiniment reculé, nourrie de joie et de tristesse, fortifiée par l'épreuve et par le bonheur, commence après bien des saisons sa croissance régulière et déjà montre au-dessus du sol la pousse de la jeune plante. Et c'est aussi surement qu'au cours de bien des saisons, que nous appelons des vies – vies passées dans ce monde physique, dans l'état intermédiaire et dans les régions célestes où tous les espoirs et toutes les aspirations se transforment en facultés et en pouvoirs – que cette semence se développera indéfiniment à la ressemblance de l'Esprit éternel d'où elle est venue.
Pour chacun d'entre vous le moment viendra d'atteindre le point d'épanouissement symbolisé par la naissance du Christ intérieur et cet épanouissement continuera vie après vie, siècle après siècle jusqu'à ce qu'il se manifeste et que dans les régions célestes vous soyez reconnus pour ce que vous avez toujours été depuis que l'Esprit s'est incarné en l'homme mortel : pour le Fils éternel, le Fils du Père éternel, un Sauveur, un Rédempteur pour vos frères plus jeunes et une lumière rayonnant sur la voie qui mène à une sagesse toujours plus haute, à un amour toujours plus profond, à une foi toujours grandissante qui devient la vie même des choses que nos yeux sont [6] impuissants à percevoir, jusqu'à ce que vous, qui paraissiez si faibles, vous deveniez aussi puissants que les majestueux archanges. Vous verrez alors le sentier, le long sentier que vous avez parcouru et vous saurez avec certitude ce dont tout d'abord vous n'aviez qu'une vague impression, puis peu à peu une intuition plus claire, vous saurez que vous faites partie de ceux qui, étant d'essence divine, ont développé la volonté qui est une avec celle de Dieu et vous connaitrez la plus grande des joies : le service qui est la liberté parfaite.