LE CHRISTIANISME THÉOSOPHIQUE Par Annie BESANT -1922

LA VALEUR DE LA VIE CÉLESTE — (Allocution prononcée le 25 mai, 1922)

LA VALEUR DE LA VIE CÉLESTE

(Allocution prononcée le 25 mai, 1922)


Avant de m'occuper du sujet dont je veux vous entretenir aujourd'hui, permettez que je dise pour ceux d'entre vous qui pourraient ne pas me comprendre quelques mots seulement de la constitution de l'homme telle qu'elle nous est enseignée par les Écritures ou, comme nous les désignons souvent, par la Sagesse divine.
Vous vous rappelez que l'apôtre Saint Paul, en parlant de l'homme, déclare qu'il existe un corps naturel et aussi un corps spirituel. Dans un autre passage l'Apôtre parle de l'homme comme étant triple dans sa constitution, puisqu'il se compose du corps, de l'âme et de l'esprit. Partant de cette classification connue, j'ajouterai qu'à un certain point de vue l'âme est considérée comme constituée par deux éléments : les émotions et l'intellect. Voilà en réalité tout ce que j'ai besoin de vous dire de la constitution de l'être humain pour rendre intelligible ma causerie de ce soir.
Le corps de l'homme l'abandonne au moment où se produit ce que nous nommons la mort, tandis que son âme et son esprit immortels passent dans des régions plus hautes. Deux de ces mondes supérieurs sont parfaitement accessible à l'étude de ceux qui prennent la peine d'étudier sérieusement le sujet ; s'ils le désirent et veulent y consacrer le temps et la réflexion nécessaires, ils pourront se rendre compte par eux-mêmes de la constitution de ces deux mondes. L'Église catholique romaine donne, au premier le nom très approprié de Purgatoire. D'autres l'appellent parfois l'état intermédiaire et parfois le monde des émotions car il est spécialement consacré à l'élaboration des émotions éprouvées durant la vie physique mortelle et surtout de ces émotions d'une nature plus ou moins égoïste. [15]
Je ne mets aucune intention de blâme dans l'emploi du mot égoïste ; par là je veux seulement indiquer le genre de sentiments dont la nature est d'exiger d'être payés de retour et d'être peu satisfaits ou mécontents lorsque ce n'est pas le cas.
L'on peut passer de ce genre d'émotions à des émotions plus élevées où l'amour perd toute trace d'égoïsme, où il s'épanche sans demander de réciprocité et où, sous son aspect le plus haut appelé dévotion, il se manifeste sous forme de service à l'objet de sa dévotion et s'efforce, en servant en ce monde mortel, d'exprimer l'amour sous son aspect vraiment divin, l'amour qui cherche à servir et à bénir, qu'il y ait ou non réciprocité.
Puis, arrivés à un certain degré, nous passons dans le monde céleste, dans le royaume des émotions pures de tout égoïsme, émotions où l'intellect occupe une large place. C'est cette partie supérieure de l'âme humaine qui trouve dans les cieux un repos temporaire, si toutefois le mot repos peut être employé pour caractériser une vie pleine d'activité et présentant, pour l'homme, l'intérêt le plus profond.
Tandis que je vous parlerai de cette vie, pourrais-je vous prier de me considérer pendant un moment comme une personne qui revient d'un pays étranger pour en parler à ceux qui sont appelés à le visiter plus tard et qui n'ont pas encore pénétré dans ce pays que j'allais qualifier de très éloigné mais qui est bien proche en réalité ?
Que je ne sois donc à présent pour vous qu'un voyageur vous disant ce qui a été vu, ce qu'on a rencontré, les expériences qui ont été faites dans ce monde céleste, vous décrivant en partie l'activité qui y règne, les conditions de son existence et par dessus tout sa grande importance au point de vue de l'évolution de l'âme humaine, du développement de l'esprit divin en l'homme.
Pour beaucoup de personnes, tout ceci n'est pas seulement un sujet étudié dans les livres mais le résultat d'observations personnelles, et il n'y a vraiment pas plus de raisons de mettre en doute la valeur de ces observations qu'il n'y en a à douter de la valeur des récits de voyages que nous pouvons lire. Peut-être n'irez-vous jamais dans les pays décrits dans ces récits et ne pourrez-vous pas vérifier les renseignements qu'on vous donne, mais il est intéressant d'écouter les rapports de ceux qui ont visité ces pays et en ont rapporté des nouvelles. Voilà dans quel esprit je voudrais vous voir considérer ce soir le monde céleste, vous le figurant comme plus réel que le nôtre, plus réel dans ce sens que la matière grossière dont nous sommes revêtus ayant été rejetée, il est de deux étapes – plus proche de la réalité.
Ces trois mondes auxquels j'ai fait allusion, le monde [16] physique, le monde intermédiaire et le monde céleste, constituent le vaste champ d'activité de l'évolution humaine depuis son début jusqu'à un degré élevé de progrès intellectuel et émotionnel. Imaginons que nous plongions nos regards dans ce monde supérieur pour examiner les activités qui s'y déploient. Au premier moment, nous serons sans doute troublés par la vue d'une foule d'êtres inconnus se livrant apparemment à des occupations d'ordre émotionnel ou intellectuel suivant la région du monde en question où nous nous trouvons. L'explication de cette activité réside dans la, vie extérieure ou terrestre. Ici-bas nous accumulons sans cesse les expériences mentales et émotionnelles ; ces expériences sont en quelque sorte la nourriture que l'homme doit assimiler dans les sphères supérieures en vue de sa croissance ultérieure. De même que le corps physique est nourri par les aliments, aliments qui seraient inutiles si l'homme ne disposait pas du temps nécessaire à leur assimilation, de même que les différentes parties du corps se nourrissent, grandissent et se développent en raison de la valeur nutritive des aliments, de même l'expérience s'est accumulée au cours de la vie dans le monde physique. Où que ce soit que nous exercions notre faculté émotive, nous amassons de l'expérience qui en résulte et la mettons en réserve ; nous l'employons sans doute dans cette vie après l'avoir amassée, mais seulement en partie, car le temps nous manque au milieu de l'activité continuelle de nos sensations pour tirer complètement parti des possibilités contenues dans chacune d'elles et pour les utiliser-de la manière que je vais indiquer par la suite.
En ce qui concerne l'intellect, nous amassons aussi sans cesse de l'expérience mentale. Nous étudions, nous pensons, nous accumulons des connaissances et nous faisons travailler notre pensée sur ces connaissances, y ajoutant quelque chose qui nous est propre. C'est sur ce fait que je désire insister, étant donné l'influence énorme qu'il exerce sur la valeur de notre vie céleste. Si notre vie terrestre est pauvre d'émotions et de pensée, si notre récolte est maigre dans ces deux grands champs de l'activité humaine, notre vie céleste aura une valeur moins grande au point de vue de notre évolution que si notre vie émotionnelle est riche en émotions nobles et profondes et si notre vie mentale s'applique à des pensées et des aspirations hautes et sublimes.
Une fois dans la région céleste, nous ne pouvons plus amasser d'expérience pour l'assimiler. Il nous faut dans l'ensemble nous borner à celle que nous avons accumulée durant notre existence mortelle à laquelle vient s'ajouter un peu d'expérience acquise dans le monde intermédiaire, mais fort peu.
En ce qui concerne son âme, on a comparé l'homme à l'oiseau qui se nourrit de poisson, lequel plonge un instant dans la mer, y trouve de la nourriture et reprend immédiatement son vol [17] pour l'absorber et l'assimiler. A beaucoup de points de vue, cette comparaison est très exacte, la vie céleste étant normalement tellement longue en proportion de la vie physique que l'image de l'oiseau plongeant dans l'eau et reprenant son essor peut donner une idée juste de la vie humaine sur la terre. La vraie demeure de l'oiseau est l'air et non l'eau. Notre patrie véritable est le monde céleste et non le monde terrestre.
Lorsque le Grand Apôtre que j'ai déjà cité parlait du monde céleste, il disait "Vous êtes citoyens des cieux", vous-êtes et non vous serez. En réalité nous sommes originaires des cieux ; c'est notre demeure naturelle. C'est là que nous vivons, là qu'est notre patrie, et nous ne faisons que plonger de temps à autre dans le monde inférieur pour y récolter la nourriture que nous transformerons en facultés, en pouvoirs, en capacités intellectuelles et sentimentales.
Voilà pourquoi je disais que plus l'expérience est abondante ici-bas, plus important est le travail d'assimilation dans les régions supérieures, et le laps de temps passé dans ces sphères est proportionné à la quantité d'expérience accumulée sur terre. Car il nous faut le temps nécessaire à une assimilation pleine et entière.
Pour étudier le rapport qui existe entre le ciel et la terre, prenons donc pour l'instant pour base que la terre est le lieu où l'on récolte l'expérience, le ciel celui où on la transforme en facultés, en pouvoirs, en capacités. C'est avec ces facultés accrues que nous revenons sur terre lorsque toute la récolte antérieure a été assimilée, et nous renaissons avec le germe de toutes ces facultés agrandies que nous avons créées dans le monde céleste à l'aide de l'expérience acquise dans la vie précédente.
Si vous adoptez cette théorie de la vie humaine, vous verrez quelle influence énorme elle exercera sur votre propre vie. Représentez-vous un jour de cette vie qui est la nôtre. Le jour fini, examinez-la et demandez-vous quel emploi vous avez fait de vos sentiments au cours de cette journée. Avez-vous éprouvé quelqu'une des émotions d'ordre inférieur ? Avez-vous permis à l'une de celles qu'on nomme passions de vous dominer ? Avez-vous perdu votre peine à lutter avec elles ou les avez-vous maitrisées et guidées parfaitement ? Vous ont-elles inspiré le désir de servir, le désir d'aider toute personne avec laquelle vous êtes entrés en contact ce jour-là ? Avez-vous utilisé complètement les émotions éprouvées par vous et en plus de ce travail positif, leur avez-vous permis de prendre leur essor vers les régions supérieures sous forme d'aspirations, afin d'en gouter le résultat le plus sublime, l'aspiration vers un amour toujours plus noble, plus pur, plus grand, plus profond de Dieu et de l'humanité ? Lorsque vous aurez examiné la journée sous cet angle, vous commencerez à comprendre que pendant ce temps, si vous l'avez bien employé, vous avez récolté dans le [18] champ des émotions bien plus que vous n'en pourrez utiliser durant toute votre existence.
Après quoi, vous pourrez passer à vos pensées et les soumettre à un examen du même genre. Ces pensées ont-elles été pures et nobles, ou ont-elles été consacrées entièrement aux choses les plus insignifiantes de l'existence ? Cette sorte d'étude des conséquences de la pensée vous amènera sans doute à vous imposer une règle fort sage d'ailleurs, qui consiste à ne pas laisser s'écouler une journée sans lire, ne serait-ce que quelques phrases d'un livre important, afin d'amasser quelque nourriture intellectuelle au cours de cette journée. Il ne s'agit pas là de lire beaucoup. La plupart des gens lisent trop et réfléchissent trop peu à ce qu'ils lisent : Ce qui a de la valeur ce n'est pas la lecture en elle-même, mais ce que nous y ajoutons par l'exercice de notre propre réflexion. Il ne sert pas à grand-chose de parcourir un grand nombre de pages et de les mettre ensuite de côté. Par-là, nous pourrons, suivant l'expression de Bacon, à ce que je crois, être bien remplis, c'est-à-dire que nous aurons amassé une bonne quantité de connaissance de seconde et de troisième main. Mais la véritable valeur de la lecture se trouve dans ce que nous y ajoutons par l'usage de nos facultés mentales personnelles. Vous allez comprendre tout de suite pourquoi il est si important d'avoir en lecture un livre ayant une réelle valeur et le don de stimuler la pensée et d'en lire journellement, ne fut-ce qu'un quart de page, car en y réfléchissant, en en tirant toute la substance que nous pouvons, nous utilisons le pouvoir mental de telle sorte qu'il donne naissance à de nombreux germes de pensée exigeant du temps pour grandir et se développer.
De même il importe d'inclure dans cette lecture quotidienne un passage, même seulement une phrase tirée de l'une des grandes Écritures sacrées de l'humanité. Méditons ce passage, apprenons-le par coeur si possible ; je ne connais pas de meilleure défense de l'esprit contre les pensées viles, basses ou indésirables que d'y introduire le matin quelque sublime et noble pensée qui montera la garde durant toute la journée et empêchera le mal d'y pénétrer, voyez bien persuadés, en effet, que nous ne pouvons penser à deux choses à la fois… L'un des meilleurs moyens de se débarrasser de toute pensée inférieure, pensée malveillante, pensée mesquine, pensée de vengeance, n'est pas de lutter avec elle, mais de la remplacer par quelque chose de différent. Il faut la faire périr d'inanition ; or, en pensant à une chose, nous la fortifions, et penser à un tort qu'on a eu c'est fortifier le pouvoir que cette pensée mauvaise a sur nous.
Admettons que nous adoptions ce qui précède comme règle de vie. Cela constitue une préparation méthodique du séjour céleste, et en persévérant durant des jours, des semaines, des années, nous accumulons une quantité d'expérience [19] intellectuelle qui, dans son ensemble, forme une masse imposante, et tout cela nous l'apportons avec nous dans le monde céleste. Pas un seul de nos joyaux ne s'égare au cours de ce voyage. Nous les retrouvons tous dans notre âme et ce sont là les matériaux que nous emploierons à la construction de l'esprit avec lequel nous reviendrons au monde. Étudions un ou deux exemples précis et nous verrons de quelle lumière s'éclaire le cas spécial des êtres humains qui naissent, admettons, avec des capacités spéciales pour les actions nobles et le travail bienfaisant. Que de fois il nous arrive à tous de désirer qu'il nous soit permis de réaliser nos rêves en ce monde. Nous voulons servir l'humanité, l'aider, laisser le monde meilleur qu'il n'était lorsque nous y sommes venus et cependant nous nous sentons sans force devant ses chagrins, ses douleurs, sa misère et nous gémissons sur notre impuissance à faire ce que nous souhaitons. Ne gémissons point, car les gémissements sont vains, mais mettons-nous au travail pour rassembler pour une vie ultérieure les éléments de facultés plus puissantes. Il y avait en Angleterre, au temps de mon enfance, il y a bien longtemps, un homme connu pour sa philanthropie : le comte de Shaftesbury. C'était un homme auquel sa naissance avait donné un rang élevé, la fortune, une situation où toutes les jouissances sociales étaient à sa portée et destiné en un mot à mener une vie de plaisir, une vie de paresse et de luxe comme le font tant de ses pareils. Au lieu de cela, il se distingua par la sympathie qu'il témoignait aux plus pauvres ; il consacra sa vie, sa pensée, sa fortune au soulagement des classes les plus déshéritées de la société. Ce fut lui qui contribua à éloigner des mines de charbon les femmes et les enfants qui y passaient une si grande partie de leur misérable existence, lui qui contribua à l'élaboration de la législation ouvrière anglaise à propos de laquelle, il vous en souvient, Mme Browning chanta son merveilleux poème Pleurs d'Enfants. Ce fut lui qui s'occupa sans relâche à aider les pauvres et qui trouva son bonheur dans cette occupation.
S'il était possible de jeter un coup d'oeil sur la vie céleste qui précéda la vie terrestre d'un tel homme, on le verrait réfléchissant, élaborant des plans comme un architecte qui prépare le projet d'un édifice, esquissant peu à peu le plan qui fera de lui le soutien des abandonnés, le sauveur des misérables.
Pendant de longs siècles de vie céleste, il a modelé ce pouvoir d'aider, transformant en faculté chacune des aspirations du passé, en force, chaque désir inexaucé de ce passé, édifiant ainsi graduellement ces caractéristiques si nobles et si humanitaires qui l'accompagnèrent à son retour sur terre et en firent l'un de ceux qui aident les malheureux. Dans sa vie précédente il avait essayé, il avait aspiré à ce résultat ; or toute aspiration que nous ne pouvons réaliser, tout désir que nous éprouvons d'aider les pauvres et les malheureux et que notre destinée ou [20] peut-être notre propre faiblesse nous empêche de satisfaire, nous les retrouvons dans la vie céleste et il nous sera donné de transformer notre faiblesse en pouvoir, notre faculté en force.
À mesure qu'on se rend compte de tout ceci, l'on commence à préparer son propre paradis. L'on commence à utiliser la pensée et l'émotion de manière à s'assurer une quantité considérable de matériaux pour le moment où commencera la grande oeuvre d'assimilation du passé et la création de l'avenir. Car le temps nécessaire nous est accordé, le temps de réaliser tous nos espoirs et de développer la faculté d'accomplir tout ce que à quoi nous avons aspiré. L'on peut dire que cette obligation où nous nous trouvons de nous préparer dès à présent à la vie céleste est l'une des caractéristiques les plus précieuses de cette vie. Si actuellement nous nous laissons vivre sans pensée et sans émotion élevée, nous n'aurons à notre disposition qu'une bien petite et bien pauvre somme d'expérience à transformer en énergie et en capacité. Par la pratique de la pensée et des émotions, il nous faut rassembler les matériaux que nous utiliserons dans la vie céleste. C'est comme si nous amassions ici-bas la quantité de fil nécessaire pour en tisser un vêtement et que la taille de ce vêtement dépende de la quantité de fil de coton ou de soie que nous avons recueillie pour le tissage. Le monde céleste est le lieu où notre récolte est tissée en une trame et il nous est donné de nous préparer à tisser à notre usage un vêtement de gloire et de force pour le vêtir lorsque nous retournerons vers ce monde ci, qui a si grand besoin d'aide, et à devenir ainsi l'un des soutiens du monde de demain.
Le genre de lecture dont je viens de parler a également une grande valeur intellectuelle à un autre point de vue. La pensée de l'auteur se trouve exprimée, bien qu'imparfaitement, dans le livre qu'il écrit et la plupart des écrivains sentent qu'il ne leur est pas possible de refléter fidèlement dans leur oeuvre la beauté de la pensée telle qu'elle se présente à leur esprit. Eh bien, en lisant un livre avec attention, en y réfléchissant, nous créons pour ainsi dire un lien magique entre notre esprit et celui de l'écrivain, et cette lecture, faite en ce monde physique, peut nous en enseigner plus long que l'auteur n'en a réellement écrit, car elle peut nous mettre en contact avec son esprit vivant, et nous permettre ainsi d'en apprendre plus que les mots ne peuvent exprimer. Mais ceci n'est qu'un avant-gout de ce qui nous attend dans l'avenir. Si nous le voulons, nous pouvons choisir notre société dans le monde céleste. Les auteurs que nous avons aimés seront là et nous les fréquenterons.
En utilisant nos facultés intellectuelles pour entrer en rapport avec les plus grands écrivains de notre temps et du passé, nous créons par notre sympathie un lien d'esprit à esprit. Et lorsque dans le monde supérieur notre capacité de penser s'éveillera, nous nous trouverons en rapport avec ceux [21] dont nous avons étudié les oeuvres sur la terre ; nous nous trouverons en présence de ceux que, dans bien des cas peut-être, nous avons ardemment désiré approcher ici-bas sans que l'occasion nous ait été donnée de le faire.
Ceci est tout spécialement vrai si notre lecture et notre étude, de même que notre pensée, ont pour objectif ceux qui sont les grands instructeurs du monde. En pensant à ceux d'entre eux dont les oeuvres nous ont inspiré les émotions les plus nobles, les pensées les plus profondes et les plus sublimes, en dirigeant notre attention sur ceux dont les paroles nous ont été transmises (peut-être par leurs disciples) d'un passé lointain, nous tissons des liens entre Eux et nous, et lorsque nous pénètrerons dans le monde céleste, Ils seront là pour nous aider et nous enseigner pour nous guider et nous inonder de lumière, et notre vie céleste pourra nous offrir les plus merveilleuses occasions de nous instruire auprès de ceux que nous aurons aimés et révérés et considérés comme nos instructeurs en ce monde physique.
Ceux d'entre nous qui sont persuadés qu'il existe des hommes suprahumains, qui dans leur amour infini pour l'humanité préfèrent ne pas s'éloigner de ce monde et rester en contact avec elle plutôt que de pénétrer dans des sphères d'existence où il ne leur serait plus possible de travailler pour cette humanité dont ils font partie, ceux d'entre nous qui croient en ces Hommes suprahumains et les connaissent, qui s'efforcent de les suivre et de les servir, ceux-là les rencontreront dans le monde céleste et il leur sera permis d'entrer en relations personnelles avec ceux que, déjà sur cette terre, ils apprennent à connaitre et à aimer.
Les Êtres qui ont passé par l'Initiation dont je parlais dimanche dernier, qui ont atteint le stade de l'Esprit libéré, sont toujours disposés à accueillir leurs disciples, à illuminer leur esprit, à diriger et à fortifier leur pensée. Je ne veux pas dire que nous ne puissions Les connaitre avant de pénétrer dans ce monde céleste ; nous pouvons réussir ou échouer sur ce point, mais dans le monde en question nous Les rencontrerons et Les reconnaitrons inévitablement à condition de Les avoir aimés et servis ici-bas.
Y a-t-il donc lieu de s'étonner que je parle de l'importance du paradis ? À bien l'entendre, il réagit sur toute notre vie mortelle. Chaque jour de cette vie se trouve transformé du fait que nous sommes conscients de la valeur de la vie céleste. Que ceux d'entre nous qui ont la nostalgie du beau, ceux qui ont peut-être en eux le sens artistique, mais ne sont doués que médiocrement au point de vue de l'exécution ou qui n'ont peut-être que peu d'occasions de jouir du grand art, se rappellent que les privations d'ici-bas trouveront leur contrepartie en satisfactions dans le monde céleste où est réuni tout ce qu'il y a de plus sublime en fait de musique, de peinture, de sculpture, d'art enfin, sous toutes ses formes. [22]
Donc si nous avons un don quelconque à ce point de vue, gardons-nous de le négliger quand bien même il ne serait pas celui d'un grand artiste. Entretenons-le, cultivons-le, tirons-en tout ce que nous pouvons dans les limites qui nous sont imposées par cette vie et par les conditions où nous sommes placés, car dans le monde supérieur tous nos espoirs seront réalisés, toutes nos aspirations se transformeront en jouissances.
C'est ainsi que se forment les grands artistes de notre monde. Ils ont travaillé, aspiré, fait de durs efforts dans le passé et, dans le monde céleste, ils ont transformé ces efforts en capacités plus grandes ; mettant à profit tout ce qu'ils avaient édifié dans des existences antérieures, ils ont développé leurs facultés jusqu'à devenir l'objet de l'admiration du monde entier. Pensez à Mozart qui, à cinq ou six ans et presque sans instruction, s'asseyait au piano et improvisait de merveilleuses mélodies. Plus tard, ce même Mozart, essayant d'expliquer de quelle façon il entendait la musique des sphères supérieures, le faisait sous une forme presque incompréhensible ici-bas, car il disait percevoir tout une grande sonate comme un accord unique et majestueux, et redescendu de son extase dans ce monde physique, il écrivait en une succession de notes ce qu'il avait entendu en une sublime et unique harmonie. Le génie est la moisson du monde céleste. Toute action remarquable dans le domaine du sentiment ou celui de l'intellect a été créée dans le monde de la pensée avant de pouvoir s'exprimer dans celui de l'action. C'est cela qui fait la valeur d'un long séjour dans les régions célestes, cela dont il nous est donné de semer le germe, la graine, le point de départ ici-bas, car nous enrichirons ainsi notre vie céleste d'un trésor de possibilités que nous réaliserons à notre prochain retour sur la terre.