UNION

LES ENSEIGNEMENTS DES MAITRES DE LA HIERARCHIE

LES LOIS DE LA VIE SUPÉRIEURE — Conférences données à la douzième Convention annuelle de la Section Indienne de la Société Théosophique en décembre 1902 à Bénarès Par Annie BESANT - 1902

KÂMA-LOKA — DESTINÉE DE PRANA ET DE KAMA

KÂMA-LOKA — DESTINÉE DE PRANA ET DE KAMA


Loka est un mot sanscrit que l'on peut traduire par lieu, monde, pays ; de sorte que Kâma-Loka veut dire, littéralement, le lieu ou le monde de Kâma ; et Kâma est le nom donné à cette partie de l'organisme humain qui ressent les passions, les émotions, les désirs que l'homme a en commun avec les animaux inférieurs 16. Dans cette partie de l'univers, dans le Kâma-Loka, se trouvent tous les êtres humains qui n'ont plus de corps physique ni de double éthérique, mais qui sont encore emprisonnés dans le corps des émotions et des passions. Le Kâma-Loka contient aussi beaucoup d'autres habitants, mais, pour le moment, nous ne nous occuperons que des êtres humains qui viennent de franchir le vestibule de la Mort. [44] C'est ceux-là que nous nous proposons d'étudier.
Que l'on me permette, ici, une digression, à propos de ces régions de l'univers qui diffèrent de la région matérielle et sont peuplées par des êtres intelligents. La philosophie ésotérique affirme l'existence de ces mondes qui sont connus des Adeptes, et que beaucoup d'autres hommes et femmes, moins développés que les Adeptes, connaissent également par expérience personnelle. Tout ce qui est nécessaire pour pouvoir explorer et étudier ces régions, c'est le développement de certaines facultés qui sont à l'état latent en tout homme. L'homme "vivant", pour nous servir du terme généralement adopté, peut quitter son corps physique et son corps éthérique, et aller explorer ces régions sans passer par les portes de la mort.
Ainsi, nous lisons dans le Theosophist que l'Esprit de l'homme peut acquérir une grande somme de connaissance si, tout en gardant pleinement conscience de lui-même, il parvient à entrer en relation avec le monde spirituel.
"Soit comme dans le cas d'un Adepte initié qui, en revenant sur la terre, conserve le souvenir net et distinct, jusque dans les moindres détails, des faits qu'il a recueillis [45] et des informations qu'il a obtenues dans les sphères invisibles des "Réalités"." 17
16 Voir The Seven Principles of Man, pp. 17-21.
17 Theosophist. Mars 1882, p. 158 (note).

Ces régions deviennent, ainsi, des réalités, des faits scientifiques aussi définis, aussi certains, aussi familiers pour lui, que le serait un voyage en Afrique, accompli de la manière ordinaire : après avoir exploré les lacs et les déserts, il retournerait dans son pays ayant accumulé des connaissances et des expériences variées. Un explorateur accrédité s'inquièterait fort peu de toutes les critiques que des personnes qui n'auraient jamais été en Afrique pourraient faire sur ses récits ; il raconterait simplement ce qu'il a vu, décrirait les animaux dont il a étudié les habitudes, esquisserait le pays qu'il a traversé, faisant un résumé des traits et des produits qui le caractérisent. Si des individus qui n'ont jamais voyagé le contredisaient, se moquaient de lui, il ne s'en fâcherait point, ni ne s'en attristerait ; il les laisserait dire. L'ignorance ne démontre rien contre la science, quand même elle répèterait à l'infini que la science ne sait rien. L'opinion de cent personnes sur un sujet qu'elles ignorent entièrement, ne pèse pas plus que l'opinion d'une [46] seule d'elles. L'évidence d'un fait est augmentée lorsque plusieurs témoins, affirmant tous la même chose, rendent témoignage de leur connaissance de ce fait ; mais une simple négation, répétée mille fois, n'augmente en rien sa valeur.
Il serait bien étrange, en effet, que l'espace autour de nous fût vide, fût un vaste désert, et que les habitants de la terre fussent les seules formes dans lesquelles l'intelligence pût se manifester. Comme le Dr Huxley a dit :
"Sans sortir du domaine de ce que nous savons, il est facile, par analogie, de peupler l'univers d'êtres de grades toujours plus élevés, jusqu'à ce qu'on arrive à quelque chose qui ne se distingue pratiquement plus de l'omnipotence, de l'omniprésence, et de l'omniscience." 18
Si ces êtres n'ont pas les mêmes organes que nous, si leurs sens correspondent à des vibrations différentes de celles qui affectent les nôtres, nous pouvons vivre les uns à côté des autres, nous pouvons nous côtoyer, nous rencontrer, passer même à travers les uns des autres, sans en savoir jamais davantage sur notre existence réciproque.
M. Crookes nous fait entrevoir la possibilité [47] de cette coexistence, ignorée, de différents êtres intelligents, et il suffit d'un faible effort d'imagination pour en accepter la notion. Il dit :
18 Essays upon some Controverted Questions, p. 36.

"Il n'est pas improbable qu'il existe d'autres êtres pourvus de sens dont les organes ne correspondent pas avec les rayons de lumière auxquels notre oeil est sensible, mais qui soient capables de percevoir d'autres vibrations qui nous laissent insensibles. De tels êtres vivraient en réalité dans un monde différent du nôtre. Figurez-vous, par exemple, quelle idée nous nous ferions des objets qui nous entourent, si nos yeux, au lieu d'être sensibles à la lumière du jour, ne l'étaient qu'aux vibrations électriques et magnétiques. Le verre et le cristal deviendraient alors des corps opaques. Les métaux seraient plus ou moins transparents, et un fil télégraphique suspendu dans l'air paraitrait un trou long et étroit, traversant un corps d'une solidité impénétrable. Une machine électrodynamique en action ressemblerait à un incendie, tandis qu'un aimant permanent réaliserait le rêve des mystiques du Moyen Age et deviendrait une lampe perpétuelle, brulant sans se consumer et sans besoin d'être alimentée d'aucune manière." 19

19 Fortnightly Review, 1872, p. 176

Le Kâma-Loka est une région peuplée, tout comme notre monde, d'êtres plus ou moins intelligents, et remplie de formes et de types vivants divers, aussi différents entre eux qu'un brin d'herbe et un tigre, et qu'un tigre et un [48] homme. Ce monde et le nôtre sont enlacés l'un dans l'autre, mais comme leur substance matérielle diffère complètement, ils existent sans avoir connaissance l'un de l'autre. Ce n'est que dans des circonstances qui sortent de l'ordinaire, que les habitants de ces deux mondes peuvent avoir conscience de leur existence mutuelle. Un être humain peut, en suivant un système d'entrainement tout particulier, se mettre en contact avec plusieurs des citoyens demi-humains du Kâma-Loka et s'en faire obéir. Les êtres humains qui ont quitté la terre, et dans lesquels les éléments kâmiques étaient prédominants, peuvent être facilement attirés par les éléments kâmiques des vivants, et, avec leur aide, avoir de nouveau conscience des scènes qu'ils viennent de quitter. De même, des êtres vivants peuvent établir des méthodes de communication avec ceux qui ont quitté ce monde, et, comme nous l'avons dit plus haut, ayant appris à abandonner à volonté leur corps, ils peuvent, grâce à certaines facultés qu'ils ont développées, pénétrer dans la sphère du Kâma-Loka. Ce qu'il importe ici de saisir et de retenir, c'est que le Kâma-Loka est une région bien définie, habitée par des êtres très variés, parmi lesquels se trouvent les humains désincarnés. [49]
Retournons, après cette digression nécessaire, à l'être humain spécial dont nous retraçons ici la destinée et qui doit nous servir de types. Nous l'avons déjà dépouillé de son corps physique et de son double éthérique ; examinons-le, maintenant, dans cet état de courte durée qui suit immédiatement la perte de ces deux corps.
H. P. Blavatsky, après avoir cité une description de l'homme après la mort, par Plutarque, dit :
"Vous pouvez voir que cette doctrine montre l'homme comme septénaire pendant la vie, et comme quinaire immédiatement après la mort, dans Kâma-Loka." 20

20 La Clef de la Théosophie.

Prâna, cette portion de l'énergie vitale que l'homme s'approprie pendant son incarnation, ayant perdu son véhicule, le double éthérique, lequel, de même que le corps physique, s'est soustrait à la force qui le gouvernait, est obligé de retourner au grand réservoir de la vie universelle. Pareil à de l'eau contenue dans un verre que l'on plonge dans un bassin et qui, lorsque le verre se brise, se mêle forcément à l'eau qui l'entoure, Prâna, lorsqu'il a perdu les [50] corps qui formaient son enveloppe extérieure, se mêle de nouveau à la vie universelle. Ce n'est "qu'immédiatement après la mort" que l'homme est quintuple dans sa constitution, car Prâna, en tant que principe distinctement humain, ne peut plus exister comme tel, une fois que son véhicule est en décomposition.
L'homme se trouve alors seulement revêtu par le Kâma-rûpa, ou corps de Kâma, le corps du désir, matière astrale fort éthérée, qu'on appelle souvent "fluidique" à cause de la facilité avec laquelle elle reçoit l'empreinte des formes projetées du dehors, ou moulées du dedans. L'homme véritable, la triade immortelle, est là, revêtu de son dernier vêtement terrestre, de cette forme subtile, sensitive et responsive, à laquelle, pendant son incarnation, il a eu la faculté de sentir, désirer, jouir et souffrir, dans le monde physique.
"Quand l'homme meurt, ses trois principes inférieurs, – le corps, la vie, et ce véhicule de la vie, le corps éthérique ou double de tout homme vivant, – l'abandonnent pour toujours. Alors, ses quatre principes supérieurs, – le principe central ou moyen (l'âme animale ou Kâma-rûpa, avec ce qu'elle s'est assimilé du Manas inférieur) et la Triade supérieure, – se trouvent dans le Kâma Loka." 21 [51]
Le corps du désir subit, peu après la mort, un changement marqué. Par suite des différences de densité de la matière astrale dont il est composé, une série de coques ou enveloppes se constitue, les plus denses défendant, à l'extérieur, le moi conscient des moindres contacts et atteintes du dehors. Si rien ne la trouble, la conscience se replie sur elle-même et se prépare pour le prochain pas en avant, pendant que le corps du désir désintègre, une à une, ses coques ou enveloppes.
Jusqu'au point du réarrangement de la matière du corps du désir, l'état après la mort est à peu près le même pour tous : "une demi-conscience de soi, rêveuse et paisible", comme nous l'avons dit ; dans les cas les plus favorables, on passe, sans se réveiller, de cette demi-léthargie à "l'état d'inconscience pré-dévachanique", état où l'on n'a plus conscience de rien, et à la fin duquel on s'éveille heureusement dans le Dévachan, pour y jouir du repos qui sépare deux incarnations. Mais comme, arrivé là, différentes possibilités se présentent, nous décrirons, d'abord, l'évolution normale et non interrompue qui a lieu dans le Kâma-Loka, jusqu'au moment où l'être atteint le seuil du Dévachan ; alors nous examinerons les [52] cas soumis à des conditions d'un autre ordre.
Lorsqu'une personne a mené une vie pure, et s'est toujours appliquée à s'identifier avec la partie supérieure plutôt qu'avec la partie inférieure de son être, ses émotions ont été faibles et modérées. Elles ne pourront donc pas s'affirmer fortement dans le Kâma-Loka, après leur séparation du corps physique et du double éthérique, après le retour de Prâna à l'océan universel de la vie, quand l'être n'est plus revêtu que du Kâma-rûpa. Durant la vie terrestre, Kâma et le Manas inférieur sont liés fortement ; dans le cas dont nous parlons, Kâma est faible, Manas inférieur l'a beaucoup purifié. L'intelligence qui s'est mêlée aux passions, aux émotions et aux désirs, les a également purifiés, s'est assimilé leur partie élevée, l'a pour ainsi dire absorbée en elle-même, de sorte que tout ce qui reste de Kâma n'est qu'un résidu facile à rejeter, et dont la Triade immortelle se débarrasse aisément. Cette Triade immortelle, l'Homme véritable, concentre lentement ses forces, rassemble les souvenirs de la vie terrestre qu'elle vient de quitter, ses affections, ses espérances, ses aspirations, et se prépare à sortir du Kâma-Loka pour passer dans le repos heureux du Dévachan, le "séjour des Dieux", [53] ou, comme disent quelques-uns, "la terre de félicité".

21 La Clef de la Théosophie.

Le Kâma-Loka

"Est une localité astrale, le Limbus de la théologie scolastique, l'Hadès des anciens ; strictement parlant, il n'est une localité que dans un sens relatif, car il n'a ni circonférence définie, ni limites précises, mais il existe dans l'espace subjectif, c'est-à-dire, au-delà de la perception de nos sens. Pourtant, il existe, et c'est là que les eidolons astraux de tous les êtres qui ont vécu, y compris les animaux, attendent leur seconde mort. Pour les animaux, elle vient avec la décomposition et la disparition de leurs particules astrales. Pour eidolon humain, elle commence lorsque la Triade Atmâ-Buddhi-Mânas se "sépare" des principes inférieurs ou reflet de son ex-personnalité, en tombant dans l'état dévachanique." 22

22 La Clef de la Théosophie.

Cette seconde mort est donc le passage de la Triade immortelle de la sphère kâmalocique, si intimement reliée à celle de la terre, à l'état supérieur de Dévachan, dont nous parlerons plus tard. Le type humain, que nous considérons à présent, passe le Kâma-Loka dans cet état léthargique et paisible déjà écrit et, si rien ne vient le troubler, il ne reviendra conscient qu'après être passé par ses différents stades et que le calme aura fait place à la joie suprême. [54]
Mais, pendant tout le temps que les quatre principes – la Triade immortelle et Kâma – demeurent dans Kâma-Loka, que cette période soit longue ou courte, qu'elle dure des jours ou des siècles, ces principes sont à la portée des influences terrestres. Dans l'exemple que nous venons d'étudier, un réveil peut être causé par la douleur passionnée et les désirs des amis qui sont restés sur la terre ; et ces sentiments, qui font vibrer violemment les éléments kâmiques des vivants, peuvent transmettre leurs vibrations jusque dans le Kâma-Rûpa des désincarnés et atteindre et réveiller le Manas inférieur, qui n'a pas encore effectué sa séparation, ni rejoint l'Intelligence spirituelle qui est la cause de son être. Il peut alors secouer sa torpeur et se rappeler vivement la vie terrestre qu'il vient de quitter et, si ses amis affligés sont en relation avec un médium, il peut, directement ou indirectement, se servir du corps physique et du corps astral du médium pour parler ou écrire à ceux qu'il a quittés.
Ce réveil est accompagné souvent de grandes souffrances et, même lorsque ces douleurs n'existent pas, la marche de la libération de la Triade immortelle est brusquement interrompue et le moment de la délivrance finale est retardé. [55] Parlant de cette possibilité des communications, pendant la période qui suit immédiatement la mort et avant que l'homme libéré passe dans le Dévachan, H. P. Blavatsky dit :
"On pourrait se demander si, en dehors de quelques cas exceptionnels – où le désir des mourants de retourner avec une intention bien déterminée force l'intelligence à rester éveillée, auquel cas c'est réellement l'individualité, "l'Esprit", qui entre en communication – on pourrait, dis-je, se demander si un être vivant a jamais véritablement gagné quelque chose à ce retour de l'Esprit sur le plan matériel. L'Esprit est ébloui après la mort et tombe bientôt dans ce que nous appelons la léthargie pré-dévachanique." 23

23 La Clef de la Théosophie.

Un désir intense peut pousser l'être désincarné à retourner, de lui-même, vers ceux qui sont restés dans les larmes, mais ce retour spontané est fort rare de la part des personnes du type que nous étudions à présent. Si on les laisse en paix, elles s'endorment généralement jusqu'au réveil dans le Dévachan et évitent ainsi les luttes et les souffrances qui entourent la seconde mort.
Lorsque la Triade immortelle prend son vol définitif, ce qui reste dans le Kâma-Loka n'est [56] plus que le Kâma-Rûpa, la coque ou fantôme sans vie, qui se décompose peu à peu. Nous en parlerons prochainement, lorsque nous examinerons le type humain ordinaire, c'est-à-dire celui d'un homme ou d'une femme dépourvue de spiritualité élevée, mais ne possédant aucune mauvaise tendance marquée.
Lorsqu'un homme ou une femme d'essence moyenne entre dans le Kâma-Loka, son intelligence spirituelle est revêtue d'un corps de désirs qui possède encore une vigueur et une vitalité considérables. Le Manas inférieur, lié étroitement à Kâma pendant la vie terrestre qui vient de finir, ayant vécu pleinement de la vie des sens et joui des plaisirs et des émotions variés qu'ils procurent, ne peut se libérer immédiatement des chaines qu'il a forgées, et retourner de suite à l'Intelligence supérieure, source de son être. Il en résulte pour lui un délai considérable dans le monde transitoire du Kâma-Loka ; ce délai dure jusqu'à ce que les désirs se soient affaiblis suffisamment pour ne plus pouvoir retenir l'âme captive.
Comme nous l'avons dit, pendant que la Triade immortelle et Kâma restent ensemble dans le Kâma-Loka, une communication entre les êtres désincarnés et ceux qui vivent sur la [57] terre est possible. Une telle communication est même généralement fort recherchée par ceux des êtres désincarnés que les désirs et les passions attirent encore fortement vers la terre qu'ils ont laissée ; leur intelligence ne s'est pas développée suffisamment sur le plan qui lui est propre pour pouvoir y trouver une satisfaction et un bonheur complets. Le Manas inférieur soupire encore vers les plaisirs kâmiques, vers les sensations vives et ardentes de la vie des terrestres, et ces désirs peuvent le ramener vers les scènes qu'il a quittées avec tant de regrets. Parlant de la possibilité de la communication entre l'Égo d'un désincarné et un médium, H. P. Blavatsky dit dans le Theosophist 24, d'après les enseignements qu'elle a reçus des Adeptes, que cette communication peut se produire durant deux intervalles :
"Le premier intervalle est cette période qui sépare la mort physique de l'entrée de l'Égo spirituel dans cet état connu dans la Doctrine ésotérique des Arhats sous le nom de Bar-do ; nous l'avons traduit par période de "gestation" (pré-dévachanique)."
Quelques-unes des communications obtenues par l'intermédiaire des médiums proviennent [58] de cette source, c'est-à-dire de l'entité désincarnée rappelée ainsi vers la sphère terrestre ; faveur cruelle, puisqu'elle retarde l'évolution, et introduit un élément de disharmonie dans ce qui devrait être une progression bien ordonnée. La période de Kâma-Loka est ainsi prolongée, car le Corps du désir recevant satisfaction conserve son pouvoir sur l'Égo, et l'âme ne peut regagner sa liberté, l'Hirondelle immortelle est retenue prisonnière par les filets de la terre.
Quant aux personnes qui ont mené une existence immorale, qui n'ont pensé qu'à stimuler et gratifier leurs passions animales, qui ont développé outre mesure les appétits de leur Corps du désir et qui ont laissé dépérir
24 Juin 1882, art. "Seeming Discrepancies".
même leur intelligence inférieure, elles restent fort longtemps dans le Kâma-Loka, tourmentées par le désir ardent de la vie terrestre qu'elles ont abandonnée, et par celui des plaisirs charnels qu'elles ne peuvent plus gouter depuis la perte de leur corps physique. Ce sont elles qui entourent les médiums et les sensitifs, et essaient de s'en servir pour leur propre satisfaction ; aussi comptent-elles parmi les forces les plus dangereuses que les curieux et les étourdis puissent affronter dans leur ignorance. [59]
Dans une autre classe d'entités désincarnées, sont compris tous ceux dont la vie a été brisée prématurément, soit par leur faute, soit par celle des autres, soit par le fait d'un accident. Leur sort dans le Kâma-Loka dépend des conditions dans lesquelles ils vivaient au moment de quitter la terre, car tous ceux qui se suicident ne sont pas coupables au même point, et le degré de leur responsabilité personnelle peut varier dans une mesure illimitée. Leur condition a été décrite de la manière suivante :
"Bien que tous les suicidés ne soient pas entièrement privés de leurs sixième et septième principes et qu'ils maintiennent tout leur pouvoir dans les séances spirites, ils sont cependant séparés par un abime de ces principes supérieurs jusqu'au moment où la mort naturelle aurait dû se produire chez eux ; ces principes restent, dans ce cas, dans un état passif et négatif, tandis que dans les cas de mort accidentelle, les groupes supérieurs et inférieurs s'attirent mutuellement. Un Égo bon et innocent gravite irrésistiblement vers son sixième et son septième principe et s'endort bercé par d'heureux songes ; parfois encore, il reste dans un sommeil profond et sans rêves, jusqu'à ce que son heure sonne. Avec un peu de réflexion et en songeant que [60] l'ordre et la justice éternelle doivent nécessairement régner, l'on en comprendra aisément la raison. La victime, qu'elle soit bonne ou mauvaise, n'est pas responsable de sa mort, même si cette mort est la conséquence d'une action commise dans une vie antérieure et, par conséquent, le résultat de la Loi de Rétribution. Car, dans ce cas, elle n'est pas le résultat direct d'une action commise délibérément par l'Égo personnel pendant la vie au cours de laquelle il s'est trouvé tué. S'il avait vécu davantage, il aurait peut-être pu expier ses péchés d'une façon plus efficace, et lorsque l'Égo a payé les dettes de celui qui les a contractées, l'Égo personnel est à l'abri des coups de la justice rétributive. Les Dhyân-Chohans, qui n'ont aucune influence sur le sort de l'Égo humain tant qu'il est vivant, protègent la faible victime lorsqu'elle est jetée violemment hors de son élément dans un élément nouveau, pour lequel elle n'est encore ni mure, ni suffisamment préparée."
Tous ces désincarnés, suicidés ou tués par accident, peuvent entrer en communication avec les habitants de la terre, quoique ce soit à leur détriment. Comme il a été dit ci-dessus, l'être droit et innocent sommeille paisiblement jusqu'à épuisement du temps qu'il aurait pu [61] vivre. Mais si la victime d'un accident est dépravée et grossière, son sort est des plus tristes.
"Les ombres infortunées vouées au péché et à la sensualité, errent au hasard (non comme coques, car le lien qui les unit à leurs deux principes supérieurs n'est pas entièrement brisé) jusqu'à ce que sonne l'heure de leur mort 25. Arrachées aux scènes de la vie dans toute la force de leurs passions terrestres, elles cherchent les occasions que les médiums leur offrent de gouter de nouveau à ces sensations. Elles forment, les Pishâchas, les Incubes et Succubes du Moyen Age, les démons de la soif, de la gloutonnerie, de la cupidité et de l'avarice ; elles sont ces Élémentaires fourbes, méchants et cruels qui poussent leurs victimes à commettre d'horribles crimes, et qui sont heureux de les mettre à exécution ! Ces vampires psychiques causent non seulement la perte de leurs victimes, mais lorsqu'ils arrivent à la fin de la période naturelle de leur vie, ils sont emportés par leurs impulsions infernales loin de l'aura de la terre, dans des régions où ils souffrent, pendant longtemps, des tortures [62] inouïes, et finissent par être complètement annihilés."
"Les causes qui produisent "un être nouveau" et qui déterminent la nature du Karma sont Trishnâ (Tanhâ) – la soif, le désir d'une existence sensuelle, – et Upâdâna, – la réalisation, l'achèvement de ce désir (Trishnâ). Or, les
25 L'heure à laquelle la mort naturelle aurait sonné pour eux, si un accident n'avait hâté leur disparition du plan physique. NDT.
médiums aident à celte réalisation au nec plus ultra, dans le cas d'un Élémentaire, qu'il soit suicidé ou victime. Règle générale, tous ceux qui meurent d'une mort naturelle, restent un certain temps, de "quelques heures à plusieurs années", dans le cercle d'attraction de la terre, – c'est-à-dire dans le Kâma-Loka. Mais ceux qui meurent d'une mort violente ou qui se suicident font exception à la règle. De sorte qu'un Égo destiné à vivre quatre-vingts ou quatre-vingt-dix ans et qui s'est tué, ou a été tué par accident, supposons à l'âge de vingt ans, doit vivre, dans le Kâma-Loka, non "quelques années" mais, dans son cas, soixante ou soixante-dix ans comme Élémentaire ou, plutôt, comme "fantôme terrestre", puisque, malheureusement pour lui, il n'est pas encore une Coque. Heureux, trois fois heureux, comparativement, sont ces êtres désincarnés qui dorment leur long sommeil et vivent en rêve dans le sein de l'Espace ! [63] Malheur à ceux que Trishnâ attire vers les médiums, et malheur à ces derniers s'ils les tentent en leur offrant un Upâdâna facile ! Car, en les recevant et en satisfaisant leur soif de vie, le médium les aide à développer en eux – de fait, c'en est la cause – un nouvel assemblage de Skandhas, un nouveau corps qui possèdera des tendances et des passions pires que celles du corps qu'ils ont perdu. Tout l'avenir de ce nouveau corps sera donc déterminé, non seulement par le Karma des fautes du groupe de skandhas précédents, mais aussi par celui du nouveau groupe destiné à l'être futur. Si les médiums et les spirites savaient que, chaque fois qu'ils accueillent avec transport un nouvel "ange gardien", ils l'attirent dans un Upâdâna qui causera, plus tard, des maux incroyables au nouvel Égo qui renaitra sous son ombre fatale, et qu'avec chaque séance, surtout celles où l'on produit des matérialisations, ils multiplient à l'infini les causes du mal qui feront échouer l'infortuné Égo dans sa naissance spirituelle ou l'obligeront à renaitre dans une existence plus mauvaise encore, – peut-être seraient-ils moins généreux dans leur hospitalité."
Une mort prématurée, qu'elle soit causée par le vice, par un excès d'étude ou par un sacrifice [64] volontaire à une grande cause, amènera toujours un certain délai dans le Kâma-Loka, mais l'état de l'entité désincarnée dépendra des motifs qui ont abrégé sa vie.
"Il est bien peu d'hommes, si tant est qu'il y en ait, qui soient persuadés qu'en s'adonnant au vice ils se préparent une mort prématurée. Telle est la punition infligée par Mayâ. Les "vices" n'échappent pas à la punition qu'ils méritent ; mais c'est la cause qui est punie, et non l'effet, surtout un effet qui reste imprévu malgré sa probabilité. On pourrait aussi bien dire alors qu'un homme s'est "suicidé" lorsqu'il est mort à la mer dans une tempête, ou lorsqu'il a été tué par un excès de travail mental. L'eau est un élément dans lequel un homme peut se noyer, et un travail mental exagéré produit un ramollissement du cerveau qui peut également occasionner la mort. Si l'on avait cette idée on ne devrait pas traverser le Kâlapâni, ni même prendre un bain, de peur de s'évanouir et de mourir noyé (nous connaissons tous de semblables exemples) ; un homme ne pourrait plus faire son devoir, ni se sacrifier, comme beaucoup d'entre nous, pour une cause louable, si élevée fût-elle. Tout est dans le motif et l'homme n'est puni que dans les cas de responsabilité directe. Quand il [65] s'agit d'une victime, l'heure de la mort naturelle est devancée accidentellement, tandis que lorsqu'un homme se suicide, il la provoque volontairement et avec pleine et entière connaissance des conséquences qui en résulteront. De sorte qu'un homme qui se tue dans un accès de folie temporaire, n'est pas un suicidé, au grand grief et souci, souvent, des Compagnies d'assurance sur la vie. Aussi n'est-il pas abandonné sans défense aux tentations du Kâma-Loka, il s'endort comme toute autre victime."
La population du Kâma-Loka recrute, comme on le voit, des éléments particulièrement dangereux chaque fois qu'un acte de violence, légal ou illégal, arrache le corps physique de l'âme et envoie celle-ci dans le Kâma-Loka, revêtue du Corps du désir, toute palpitante de haine, de passion, d'émotion, remplie de voeux ardents de vengeance ou de luxure non satisfaite. Un meurtrier vivant n'est pas un membre agréable de la société, mais un meurtrier soudainement expulsé de son corps, est une entité bien plus dangereuse encore : la société peut se défendre contre le premier, mais, dans son état actuel d'ignorance, elle reste sans défense contre le second. [66]
Finalement la Triade immortelle s'affranchit du Corps du désir et abandonne le Kâma-Loka ; le Manas supérieur rappelle à lui son rayon coloré par les scènes terrestres qu'il a traversées, garde l'empreinte des expériences faites par la personnalité à laquelle il a servi de guide. Le laboureur est rappelé de son champ et retourne à sa demeure, emportant ses gerbes, grandes ou petites, selon que la moisson de la vie a été pauvre ou abondante. Quand la Triade a quitté le Kâma-Loka, elle sort complètement de la sphère d'attraction de la terre.
"Dès que l'Égo est sorti du Kâma-Loka – qu'il a traversé "le Pont d'Or" qui conduit aux "sept Montagnes d'Or", – il ne peut plus s'entretenir familièrement avec les faciles médiums."
Il est des cas exceptionnels, qui seront expliqués plus tard, dans lesquels il est possible de s'élever jusqu'à l'un de ces Égos ; mais l'Égo est hors de l'atteinte du médium ordinaire, et il ne peut plus être rappelé dans la sphère terrestre. Avant de suivre la Triade dans son développement progressif, nous étudierons le sort du corps du désir, abandonné à ce moment dans le Kâma-Loka comme un simple reliquum.