PROTESTATION DE M. SINNETT


M. Sinnett écrase cette grande découverte dans une protestation indignée contre la SRP pour avoir publié :
"avec toute l'autorité que peut conférer la procédure, une vaine et monstrueuse invention touchant Mme Blavatsky, avancée par M. Hodgson en conclusion de son rapport pour en étayer l'évidente faiblesse en ce qui concerne toute l'hypothèse sur laquelle il repose. Il est bien évident qu'il y a de fortes présomptions contre l'imputation d'imposture et de duperie vulgaire envers une personne qui, au vu et au su de tout le monde, a dévoué sa vie à une idée philanthropique, en faisant le manifeste sacrifice de toutes les considérations qui fournissent en général des motifs d'action au genre humain. M. Hodgson [115] sent bien la nécessité d'attribuer à Mme Blavatsky un motif aussi dégradé que la conduite dont M. et Mme Coulomb lui ont fait croire qu'elle était coupable, et il triomphe de cette difficulté en suggérant qu'elle pouvait être un agent politique de la Russie, travaillant dans l'Inde à fomenter de la déloyauté envers le gouvernement britannique. Peu importe à M. Hodgson qu'elle ait notoirement fait le contraire ; qu'elle ait fréquemment assuré aux indigènes, verbalement ou par écrit, en des réunions publiques et dans des lettres qu'on peut montrer, que malgré tous ses défauts le gouvernement britannique est encore le meilleur qui soit à la portée de l'Inde ; et qu'à plusieurs reprises, du point de vue de quelqu'un qui parle en connaissance de cause, elle ait déclaré que le gouvernement russe serait infiniment pire. Peu importe à M. Hodgson que sa vie ait été passée coram populo, presque jusqu'au ridicule, du jour où elle a été dans l'Inde, que toutes ses énergies et tout son travail aient été consacrés à la cause théosophique, que le gouvernement de l'Inde, après avoir approfondi la question avec l'aide de sa police quand elle vint pour la première fois dans le pays, ait bien vite résolu l'énigme et abandonné [116] tout soupçon de ses motifs. M. Hodgson se soucie peu du rire que provoquera l'absurdité de son hypothèse chez tous ceux qui ont connu Mme Blavatsky un peu de temps. Il s'est procuré par son guide et conseiller, Mme Coulomb, un fragment d'écriture de Mme Blavatsky, ramassé, parait-il, voilà plusieurs années, et conservé précieusement pour quelque usage qu'on en pût faire plus tard, un fragment qui a trait à la politique russe, et qui semble faire partie d'un argument en faveur de l'avance russe dans l'Asie centrale. Cela suffit à l'enquêteur psychique, et le texte de ce document parait dans son rapport pour étayer sa scandaleuse insinuation contre l'intégrité de Mme Blavatsky.
L'explication toute simple de ce papier, c'est qu'il est évidemment un fragment de brouillon d'une longue traduction des Voyages en Asie centrale (ou tout autre titre que portait la série) du colonel Grodekoff, que Mme Blavatsky fit, sur ma requête, pour le Pioneer, organe du gouvernement indien, dont j'étais directeur à l'époque. Je ne retarderai pas la publication de cette brochure pour écrire dans l'Inde et me procurer les dates où la série des articles Grodekoff a paru dans le Pioneer. Ils [117] ont duré quelques semaines, et ont dû être publiés l'une des dernières années de la dernière décade, ou peut-être en 1880. En écrivant aux imprimeurs du Pioneer, M. Hodgson pourrait peut-être se procurer, si le manuscrit de cette traduction a été conservé, plusieurs centaines de pages de l'écriture de Mme Blavatsky, pleines de sentiments de la plus ardente anglophobie. Il est plus que probable, dis-je, que le fragment pillé dont il est si fier, était une page rejetée de cette traduction, à moins qu'elle ne soit tombée, ce qui serait encore plus amusant, de quelques autres traductions russes que Mme Blavatsky, je le sais positivement, fit, pour le ministère des affaires étrangères de l'Inde pendant une de ses visites à Simla, où elle fit la connaissance de certains fonctionnaires de cette administration, et fut employée pour quelques travaux à son service.
Je me hasarde à croire que s'il n'eût été bien connu que Mme Blavatsky était trop mal fournie d'argent pour demander réparation à la barre couteuse de la justice britannique, si elle n'avait été plongée jusqu'au cou dans cette odeur de mystère psychique si désagréable aux cours de justice britannique, le comité de la SRP n'aurait guère jugé à propos de [118] l'accuser, dans un document public, d'une conduite infâme qui, si elle en était réellement coupable, en ferait un ennemi public dans son pays d'adoption et un objet de mépris pour les gens honorables, et cela, sur la folle suggestion d'un agent particulier qui avait désespérément besoin d'une explication pour certaines conclusions dont aucun enchainement de circonstances pédantesques ne pouvait autrement sauvegarder l'invraisemblance 64."
C'était positivement une partie de la traduction des voyages de Grodekoff que M. Hodgson avait reçue de Mme Coulomb. Tel est le seul mobile que M. Hodgson ait pu découvrir aux fraudes dont il l'accuse, et qui, on s'en souvient, ont dû commencer en Amérique dès 1874. Si ce rapport doit survivre, grâce à sa connexion avec la noble femme qu'il calomnie, surement ; dans les siècles à venir, cette accusation de M. Hodgson soulèvera un rire inextinguible, et les gens s'étonneront de la folie de ceux qui ont accordé quelque crédit à ce jeune homme.
Le rapport de M. Hodgson fut présenté à son comité, composé de MM. E. Gurney, F. W. H. Myers, F. Podmore, H. Sidgwick [119] et J. H. Stack, et ces messieurs, le 24 juin 1885, annoncèrent, qu'ils en approuvaient les conclusions. Le rapport lui-même fut publié dans le numéro de décembre des Annales de la société. M. Sinnett commente avec beaucoup de force, mais non trop, la profonde injustice de l'action du comité ; et en vérité il est difficile de comprendre – pourtant l'histoire n'est-elle pas remplie d'injustices semblables perpétrées contre ceux qui sont en avance sur leur époque – comment des hommes du genre de ceux qui viennent d'être nommés ont pu se prêter eux-mêmes et laisser entrainer leur société à un acte aussi injuste et cruel que la publication de cet infâme rapport.

64 The Occult World Phenomena, pp. 7, 8 et 12.

"Je considère", déclare M. Sinnett, "les membres du comité de la SRP, c'est-à-dire MM. E. Gurney, F. W. H. Myers, F. Podmore, H. Sidgwick et J. H. Stack, comme bien plus blâmables d'avoir osé prononcer un jugement d'après la seule lumière de leurs réflexions personnelles sur le rapport grossier et trompeur que leur a fourni M. Hodgson, que ce dernier n'est lui-même à blâmer même pour s'être si pitoyablement mépris sur des problèmes que dès le début il était mal qualifié pour approfondir. Il leur eût été facile demander au choix [120] diverses personnes de Londres, qualifiées par une longue expérience du mouvement théosophique, et de leur demander un contre-rapport prima facie sur l'attaque ainsi faite contre l'authenticité des phénomènes, avant de prononcer sur l'ensemble de l'accusation un jugement formel et destiné au gros public. Nous avons tous entendu parler de causes où les juges trouvent inutile de citer la défense : mais ce sont généralement des cas où les juges ont décidé qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre. Le comité de la SRP nous offre un exemple probablement sans précédent dans les annales judiciaires, en refusant d'entendre la défense sous prétexte que le réquisitoire a été suffisamment convaincant. Ses membres couvèrent en secret le rapport de leur agent, ne consultèrent personne qui fût en mesure de leur ouvrir les yeux sur la méthode défectueuse du travail de M. Hodgson, et pour conclure cette investigation par trop indépendante, dénoncèrent comme l'un des plus remarquables imposteurs de l'histoire une dame tenue dans la plus haute estime par un nombre considérable de personnes, y compris de vieux amis et des alliés d'un caractère sans tache, qui avaient positivement abandonné situation et confort pour [121] de longues années de lutte, au service de la cause théosophique, au milieu des détractions et des privations".
M. Sinnett parle avec dédain, en ce qui concerne l'attaque contre lui-même faite dans ce même rapport, de "ce catalogue entier de menues conjectures que M. Hodgson a réunies dans son rapport, tout en abusant de l'hospitalité qui lui était offerte au quartier général de la Société théosophique à Adyar, tout en laissant supposer aux naïfs représentants du mouvement à Madras qu'en ouvrant à son inspection leurs coeurs et leurs annales, en lui donnant le plus libre accès à leurs appartements et à leurs journaux, ils le persuaderaient mieux de la simple loyauté de leurs vies et lui feraient repousser comme invraisemblable l'idée qu'ils peinaient dans la pauvreté et les sacrifices sans autre but que de propager une vaine illusion et de décevoir cruellement leurs meilleurs amis 65".
Inutile de dire que la publication des Annales de la SRP souleva un ouragan : il sembla quelque temps que la société allait périr du coup. Non seulement le monde extérieur, toujours prêt à croire au mal, [122] accueillit avec joie l'idée que les merveilles super-physiques étaient frauduleuses, mais beaucoup de membres se détachèrent de la société. Mme Blavatsky écrivait :
"Nos membres, influencés par Hodgson et Hume, commencent à perdre ou ont déjà perdu confiance dans les fondateurs. Des fautes ont été commises, disent-ils, qui prouvent que nous ne sommes pas protégés par les Mahatmas. En vérité ? Et on désigne comme principale faute celle d'avoir reçu et entretenu les Coulomb pendant cinq ans. Comment les Mahatmas ont-ils pu permettre cela, sachant que c'étaient de tels coquins, et prévoyant les choses, s'ils les prévoient ? demande-t-on. Autant accuser les premiers chrétiens d'avoir cru au Christ et à ses phénomènes, alors qu'il garda Judas trois ans parmi ses disciples, pour être trahi par lui et crucifié grâce à lui.
"Nourris même le serpent affamé, sans craindre sa morsure", a dit le seigneur Bouddha.
"Aide les esprits affamés (pisâchas) ; ne refuse jamais d'hospitaliser celui qui n'a pas de maison, ni de donner à manger à celui qui a faim, par crainte qu'il ne te remercie en te volant ou t'assassinant."
Voilà la politique des Mahatmas. Le Karma des Coulomb est à eux, le [123] nôtre est à nous. Je suis prête à recommencer. Il y a des périodes de probation pour les sociétés aussi bien que pour leurs membres individuels. Si ces derniers se sont mépris sur les Mahatmas et leur politique, c'est leur faute et non la nôtre. Les Maitres n'interviennent pas dans le Karma."

65 The occult World Phenomena, pp. 7, 8 et 12.

De toutes les accusations lancées contre elle celle qui blessa le plus profondément ses sentiments d'orgueil et de dignité fut cette lâche allégation de M. Hodgson qu'elle était une espionne russe. Elle déclara que si on ne lui permettait pas de le poursuivre en diffamation sur ce point, elle ne reviendrait jamais dans l'Inde, – et elle n'y revint jamais. M. Sinnett, qui resta vaillamment debout à ses côtés pendant tout ce cruel orage, a reproduit une protestation de sa plume dans sa brochure, The Occult World Phenomena. La voici :