II — LE DÉVELOPPEMENT D'UNE RELIGION MONDIALE

 


Il y a peu de temps, je parlais à Manchester sur le sujet même que je vais traiter ce soir. Une question fut posée depuis dans une lettre fort intéressante adressée à l'éditeur de Christian Commonwealth 2. Il s'agissait de savoir si la définition que je donnais d'une religion mondiale, – c'est-à-dire : la synthèse de toutes les religions du monde, – enfermait plus de vérité que la définition selon laquelle cette religion mondiale sera le triomphe d'une seule : le Christianisme ? En parlant du Christianisme, le correspondant employait évidemment ce terme dans son acception la plus large et la plus libérale, mais croyant, disait-il, qu'une religion qui succède à d'autres, dans l'histoire du monde, est en progrès sur toutes celles qui la [38] précédèrent dans l'évolution de la pensée religieuse ; par conséquent, le Christianisme étant la dernière venue des grandes croyances, il serait raisonnable de penser que le Christianisme est appelé à devenir en quelque sorte le couronnement de toutes les autres religions, ce qui constituerait ainsi la Religion Mondiale.
À strictement parler, le Christianisme n'est pas la dernière des religions qui soit apparue dans le monde ; au point de vue chronologique, en effet, Mahomet, le grand prophète arabe, est, de plusieurs siècles, postérieur au Christ.
Je vais essayer de vous montrer ce soir que nous pouvons, je crois, avoir un certain aperçu de la Religion Mondiale et nous rendre compte, dans les grandes lignes, comment elle se présentera à l'intellect et au coeur de l'homme. En tant qu'il s'agit de toutes les religions du monde, je crois que les hommes de chacune d'entre elles trouveront dans la Religion Mondiale l'âme de leur propre croyance. Cela ne sera pas une question de différence entre telle ou telle foi, entre tel prophète et tel autre, mais, dans chaque religion, les esprits les plus nobles, les plus libéraux, ceux qui auront, plus que d'autres, une conception plus large du divin et qui, par suite, ont le plus, l'amour du [39] prochain, ce sont ceux-là qui sauront discerner, dans la Religion Mondiale, tout ce qu'il y a de beau et de noble dans leur croyance particulière ; chacun aura le sentiment qu'il y trouve sa propre foi portée au plus haut degré de gloire, de splendeur.
2 Grand journal de Londres qui publia toutes ces conférences. (NDT)
* * *
En étudiant maintenant le passé et en considérant les tendances actuelles, je vais m'efforcer, dans la mesure de mes moyens, de vous indiquer comment nous pouvons voir se développer graduellement, autour de nous, cette religion qui sera celle du monde entier. Je n'ai naturellement pas la prétention de croire que l'aperçu bien imparfait de la religion mondiale que je vais exposer soit complet et revête la beauté, l'aspect merveilleux qu'il prendra par la bouche de l'Instructeur du monde. Je n'espère pas non plus vous décrire ce que Sa divine conscience révèlera ; non, je désire seulement, moi, le plus humble de Se disciples, vous donner une idée du plan grandiose que Lui, le Maitre, exposera avec cette exquise fermeté que seul possèdera l'Instructeur du monde, avec une richesse de détails, avec une puissance capable [40] de faire vibrer le coeur des hommes, autorité, richesse, puissance, qui ne peuvent venir que de Lui seul, car Il parle comme nul homme n'a parlé, comme nul homme ne parlera à moins d'être Lui.
Et dans le but d'exposer notre sujet avec une clarté suffisante, laissez-moi vous énoncer tout d'abord les grands traits que doit naturellement revêtir une religion, si elle veut répondre aux multiples besoins des hommes.
Tout d'abord, et de toute évidence, elle doit être une Religion, – je définirai mes termes séparément à mesure que j'y reviendrai, – ensuite, elle doit être une Philosophie ; puis elle doit apporter avec elle l'Art ; elle doit aussi être la Science, et, enfin, il faut qu'elle soit une Morale. Tels sont, me semble-t-il, les grands traits sous lesquels se rangent toutes les aspirations humaines.
J'ai placé au premier rang, comme il convient, le mot Religion.
Qu'est-ce que la Religion considérée soit au point de vue de l'histoire des religions diverses, soit uniquement en tant qu'essence des religions ?
Les religions diverses sont les réponses que Dieu fait aux hommes par l'entremise de ceux [41] en qui la divinité se manifeste avec plus d'intensité que chez les autres. L'homme n'a jamais cessé de chercher à connaitre la source d'où il émane, à connaitre d'où vient la vie en lui, vie immortelle, que dis-je, éternelle et divine ; et chaque Religion est la réponse que l'Esprit universel fait à ses enfants qui Le cherchent. De même que l'eau qui descend de sa source tend à remonter à son niveau primitif et s'élèvera toujours à la hauteur de cette source à moins qu'elle ne rencontre des obstacles, de même
l'Esprit de l'homme, étant d'essence divine, cherche toujours à s'élever au niveau du Divin qu'il cherche à comprendre. La preuve la plus convaincante que l'homme est fondamentalement divin, c'est la recherche qu'il poursuit, de temps immémorial, pour trouver le Dieu qui l'a généré.
Tel est le véritable sens du mot Religion. Son essence n'est pas dans les rites ni dans les cérémonies ; l'homme les a inventés et les inventera encore ; elle n'est pas davantage dans les églises, l'homme les a édifiées ; fussent-elles toutes en ruines, l'homme pourrait les reconstruire ; elle n'est pas non plus dans les livres saints car, eux aussi, proviennent des mains des hommes agissant sous [42] l'inspiration que Dieu a donnée aux prophètes et ces livres, fussent-ils tous balayés du monde, l'inspiration d'où ils sont issus pourrait les écrire encore. Non ! L'essence de la Religion est la connaissance de Dieu qui est Vie éternelle. La Religion est cela et rien moins. Toute autre chose n'est que superficielle, n'est que superflue, sauf ce qui concerne les aspirations de l'homme. L'essence de la religion est la connaissance de Dieu ; Dieu connu, les hommes peuvent édifier tout le reste. La Religion Mondiale sera, dans sa véritable essence, un moyen d'atteindre cette connaissance ; de plus, elle proclamera l'immanence de Dieu comme base de son enseignement.
Qu'est-ce que l'immanence de Dieu ? C'est que dans ce qui vit au sein d'un univers où tout est vivant, la vie Universelle qui est Dieu est présente, est soutien et conservation de tout. Il est dit dans la Bhagavad-Gita : "Il n'est rien de mobile ou d'immobile qui puisse exister en dehors de Moi." Et il n'est rien dans le vaste univers reflétant dans son immensité toute cette infinité dont il est une image – si imparfaite soit-elle, – rien dans tous les systèmes des mondes, dans les innombrables soleils, dans l'espace sans limites, dans les vies [43] sans nombre, rien, du grain de sable le plus infime jusqu'au Logos d'un système, il n'est rien qui puisse exister en dehors de la Vie qui est la racine et le soutien de tout ce qui est. Si vous désirez sentir cette vérité plus encore, – car l'infinité de l'espace est terrifiante et ne réchauffe pas le coeur humain, – pensez alors à tout ce que vous aimez le plus, à tout ce que vous admirez le plus, à tout ce qui vous est le plus précieux : le regard de l'époux, le sourire de l'enfant, la fidélité de l'ami, la splendeur de la nature, le mouvement de l'Océan, le calme de la nuit par un ciel étoilé, tout ce qu'il y a de plus beau, de plus splendide, tout ce qui réconforte votre coeur et réjouit votre vie, – tout cela c'est Dieu incarné dans l'objet vivant, … et tout cela est beau, exquis, et n'est pourtant que le reflet de son sourire et de sa puissance.
C'est là ce qui constitue l'immanence de Dieu ; cette immanence formera la pierre angulaire de la religion de l'avenir, la Religion Mondiale de demain. Toutes les religions enseignent cette doctrine, malheureusement, elles n'ont pas sur l'humanité l'influence qu'elles devraient avoir.
À l'enseignement de ce grand principe, succèdera [44] celui qui concerne l'existence d'un Instructeur des anges et des hommes, d'un puissant Instructeur qui révèle Dieu à l'homme et l'homme à Dieu. C'est cet Être sublime que le Christianisme désigne sous le nom de Christ et dont l'Orient parle comme étant l'essence de la Sagesse, le Seigneur d'amour et de compassion. Certes, nombreux sont les grands prophètes chers aux coeurs des hommes, nombreux sont aussi les instructeurs, les aides de l'humanité, mais au-dessus de tous, soleil faisant pâlir les étoiles, brille avec éclat le Maitre des Maitres, le fondateur de toutes les religions, l'inspirateur de tous les prophètes, l'Instructeur du blonde !…
En entendant parler des religions désignées sous des noms différents, on a généralement tendance à penser qu'elles sont totalement différentes de celle que l'on professe. On ne se rappelle pas qu'un même objet est désigné différemment selon les langues employées. Si l'on vous nomme, en différentes langues, soit un homme, soit un métal ou une pierre, et que vous n'ayez pas l'objet sous les yeux, il vous serait permis de supposer qu'il s'agit d'autant de choses différentes. Le même phénomène se présente quand l'Indou parle de l'Instructeur du monde, [45] le Bouddhiste du Seigneur de compassion, et vous ne vous rendez pas compte qu'ils désignent Celui que vous appelez Christ et nul autre. Les termes par lesquels on Le désigne diffèrent, mais cet Être super-humain est toujours le même. Il aime toutes les religions, les bénit toutes également, envoie des messagers à chacune d'elles et il est le coeur et la vie de toutes. Oh ! Dites-moi, vous qui, pour la plupart, êtes Chrétiens, n'est-ce pas une chose sublime de penser que le Seigneur que vous adorez l'est aussi bien en Orient qu'en Occident ? Qu'importe le nom, dès lors qu'il s'agit du même Être ? Qu'importe le mot prononcé par nos lèvres d'enfants dès l'instant où toutes les paroles s'élèvent vers Lui, l'Unique ? Quand l'Indou adore Shrî Krishna, il adore sans le savoir, un Être en qui ce Christ était incarné ; quand le Bouddhiste élève son âme vers le Bouddha à venir, il l'élève inconsciemment vers le Christ. N'est-il pas plus grand, plus juste, plus admirable, que tous les hommages convergent vers une seule et puissante individualité et que l'homme divin de toutes les religions ne soit qu'une seule et unique personnalité, bien que ses enfants l'ignorent et ne comprennent pas l'unité qui s'impose de ce [46] fait.
Et pourtant, quand le Christ vint sur terre, sous la forme que vous savez, il prononça dans un langage suffisamment clair, les paroles suivantes :
"J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie : il faut aussi que je les amène et elles entendront ma voix, et il n'y aura plus qu'un seul troupeau et un seul berger." 3
Et lorsqu'il parlait ainsi, avant mène que le Christianisme ne fût apparu comme une religion distincte, de qui aurait-il bien pu parler si ce n'est de ceux qui appartenaient aux autres grandes religions du monde ? Et remarquez bien la façon dont il s'exprime : il a dit : "J'ai d'autres brebis" et non : j'aurai.
Comme on reconnaitra l'immanence de Dieu, dans la Religion Mondiale, de même, aussi, y reconnaitra-t-on un Instructeur du monde unique. Alors, sera aussi reconnue la merveilleuse phalange de ceux qui Le considèrent comme étant leur Maitre, ceux dont nous parlons comme étant nos maitres, apôtres et prophètes des diverses nations et des différents peuples, qui sont ses messagers, ses disciples et vont porter sa parole dans le monde ; tous ceux-là [47] sont reconnus comme tels par toutes les grandes religions du monde. Le Théosophe ne fait ici que suivre les religions du monde.
Un autre point important concernant la religion mondiale et qui complète les trois que je viens de citer, c'est la voie de sainteté qui conduit à la réalisation consciente de la Divinité, à l'union avec le Suprême, enseignée par les religions de l'Occident comme par celles de l'Orient. Ici encore, la différence dans les appellations qu'on lui donne, cache l'identité de l'enseignement. Vous savez certainement tous que l'Église chrétienne enseigne une voie qui mène à ce que l'on nomme, dans l'Église catholique romaine, l'union avec Dieu. Cette voie est divisée en trois parties :
Le sentier de la purification ;
Le sentier de l'illumination ;
Le sentier de l'union.
La purification est ce qu'il faut réaliser en premier lieu ; puis vient l'illumination, stade auquel la lumière divine commence à dissiper les ténèbres de l'âme, lumière qui jaillit occasionnellement pour devenir peu à
3 Saint Jean, X, 16.
peu constante en éclairant toutes choses. Suit enfin la communion avec Dieu, l'union consciente du Dieu intérieur avec le Dieu extérieur. [48]
L'Indou et le Bouddhiste enseignent le même sentier. Chez eux, la voie de purification des Chrétiens s'appelle le Sentier de probation ; le sentier de l'Illumination : le Sentier de sainteté, sur lequel s'ouvrent les cinq grands portails de l'Initiation. Quant à la voie de l'union, ils lui donnent le nom de Yoga, mot qui, lui aussi, signifie : union. Non ! aucune des grandes religions du monde n'est laissée en dehors du plus grand, du plus spirituel des enseignements, et, dans la religion de l'avenir, ce Sentier sera davantage éclairé, il sera de nouveau proclamé, son existence sera perceptible à tous ; comme autrefois, les hommes le suivront ; comme autrefois, les hommes le fouleront et, bien qu'en vérité étroits sont la porte et le chemin qui y conduisent, il n'en est pas moins vrai que, de nos jours comme naguère, il y a des hommes tout prêts à le suivre ; ceux-là, par l'étude des mystères, connaissent les merveilles de la vie divine et humaine, ils constatent, comme ceux qui les précédèrent dans l'antiquité, la réalité, la possibilité de l'union de l'homme avec Dieu.
Tels sont, me semble-t-il, les points principaux de la religion mondiale, points que la conscience religieuse a nettement et clairement [49] indiqués durant des siècles sans nombre.
Je sais que nombre de gens récusent souvent la conscience religieuse et ses témoignages. Mais pourquoi ? Ce qu'il y a au monde de plus évident n'est-il pas le témoignage de la conscience ? Le fait que vous existez est, pour vous, le seul qui ne puisse être contesté, le seul qu'aucun argument ne peut pas plus renforcer qu'ébranler. Et dans cette conscience, qui est votre vie, ce qui a répondu au Divin, l'a cherché et trouvé en est une partie qu'on ne saurait évincer : elle est le témoignage le plus universel de la conscience humaine ! Partout, en tous temps et en tous lieux, la conscience religieuse s'est élevée pour réclamer cette connaissance qui est aujourd'hui comme jadis le pain de vie. Si l'ignorance la rapetisse et l'aveugle, elle devient alors superstition, et celle-ci est l'ennemie le plus terrible qui soit pour l'homme. L'homme veut croire, qu'on l'en prie ou non, et la superstition, de par son caractère dégradant même, montre comment la conscience religieuse aspire à l'objet vers lequel elle tend, comment elle préfèrera une superstition plutôt que de ne rien admettre du tout. "Mais, me direz-vous, la conscience religieuse conduit les individus dans des directions opposées ; [50] telle personne croit à une chose, une autre à telle autre chose." Encore une fois, ce ne sont pas les mots qui importent, mais les faits ; ce ne sont pas les
étiquettes qui doivent nous préoccuper, mais bien les résultats produits sur la conduite. Vous pouvez appeler Dieu du nom qu'il vous plaira, vous pouvez rendre au Christ un culte que vous baptiserez de tel nom que vous aurez choisi ; vous pouvez parler de votre foi dans votre langue et en dire ce que bon vous semble, si celle-ci vous incite à mener une vie juste et droite, si elle vous détourne du mal et de l'égoïsme pour vous guider vers le bien et l'amour du prochain, si la croyance en Dieu, quel que soit le nom qu'on lui donne, rend les hommes héroïques, la conscience religieuse est alors divine et les noms ne sont plus d'aucune importance dès l'instant où les résultats sont identiques.
* * *
La religion de l'avenir doit aussi avoir une Philosophie.
Qu'est-ce que la Philosophie ?
C'est une réponse qui satisfait la raison en tout ce qui concerne les grands problèmes de [51] la vie. Tel est ce qu'on entend par philosophie ; celle-ci doit satisfaire la raison et elle doit montrer l'unité cachée sous l'infinie diversité des faits que la science a observés. Percevoir l'unité dans l'infinité des formes, voir l'unité au sein de la diversité et satisfaire ainsi la raison : tel est l'objet de la philosophie.
Dans un sens général, tous les systèmes de philosophie se divisent en deux grandes écoles : l'école matérialiste, d'une part, et l'école idéaliste d'autre part. L'une voit dans la matière la source et la racine de toutes choses ; l'autre reconnait que la vie est l'agent créateur de la matière et qu'elle en est le maitre. C'est sous l'un ou l'autre de ces deux étendards que se groupent inévitablement les philosophies issues de la raison humaine.
Or, la philosophie de la religion mondiale doit être, sans contredit, idéaliste, car elle doit poser l'existence de l'Esprit comme base de tout ce qui est, l'immanence de Dieu comme fondement de ces choses.
Parcourons rapidement ses réponses aux grands problèmes.
Quelle est la constitution de l'univers ?
L'Univers est la manifestation de la pensée divine ; la pensée de Dieu s'incorpore dans les [52] formes-pensées que nous appelons : mondes. Bruno a dit : "L'acte de la pensée divine est la substance de l'univers", et je doute fort qu'aucune philosophie puisse dépasser en précision cette phrase.
Ce qui git au fond de toute manifestation et qui se montre sous le double aspect de vie et matière, esprit et matière, ce qui git au fond de toutes choses, c'est la pensée divine. Si cette pensée cessait tout s'évanouirait ; elle est l'essence, la Réalité Une, vie des mondes en voie de transformations incessantes. Lorsque l'on a, une fois pour toutes, compris que l'essence divine est à la base de tout ce qui est, nous en arrivons alors à concevoir que, de cette essence, émane, pour ainsi dire, une force double : esprit et matière. L'esprit source de vie, de toute intelligence s'individualisant dans la vie de l'objet : le même esprit un pour toutes les formes. La matière prenant des formes innombrables, se modelant à l'infini dans l'immense diversité des mondes qui peuplent l'espace, mais une dans son essence. Les formes disparaissent après avoir pris successivement des aspects différents, se transforment en présentant de la sorte un immense panorama de figures diverses : mais la matière est toujours là, immuable elle-même, matière une dont toutes [53] les formes ne sont que des différenciations. Vie une, matière une ; d'un côté la vie individualisée, de l'autre la matière différenciée par les formes successives qu'elle revêt ; tel est le point de vue d'où la philosophie envisage tes mondes. Ces mondes sont l'effet de la pensée divine se manifestant, ainsi que je l'ai dit, comme essence, comme substance : et tous les changements de formes, toutes les différences de vie sont réductibles à la vie une et à la matière une car, je le répète, la philosophie cherche l'unité en toutes choses et ce n'est qu'à partir du moment où la diversité est ramenée à l'unité que la raison est satisfaite, que l'intellect est en paix.
Qu'est-ce que le Mal ?
C'est là une question à laquelle la Philosophie doit répondre.
Le mal n'est pas autre chose qu'imperfection ; c'est ce qui n'est pas complet, mais qui est en passe de le devenir. Si vous voulez bien diriger un instant vos pensées sur un sujet qui exigerait une profonde attention, vous constaterez que l'imperfection est une nécessite dans l'univers. En effet ! Qu'est-ce que l'univers ? C'est la diversité dans les formes. Toute forme n'étant qu'une partie du tout est nécessairement [54] imparfaite ; étant moindre que le tout, elle ne peut être identique à celui-ci ; elle est imparfaite en soi, elle montre l'imperfection, le mal, et il n'y a que l'univers, dans son ensemble, qui puisse refléter l'image de Dieu.
Le mal n'est pas une chose nettement positive, c'est l'absence de perfection, c'est un état d'être qui tend sans cesse vers la perfection. Le mal est seulement absence de lumière, mais la lumière est en constant état de
devenir. Ainsi envisagé, le mal n'est plus sujet de trouble et cesse de peser sur le coeur de l'homme ; quant à cette forme du mal que nous appelons chez l'homme : péché, c'est-à-dire le mal dans l'homme, nous verrons tout à l'heure que ce péché ne doit pas conduire au découragement, qu'il est aussi un acheminement vers le bien. Pour peu que nous considérions le problème – abstraction faite de l'humanité pour l'instant, – l'idée du mal ne peut nullement nous troubler, car la condition même de la manifestation étant la diversité, il en découle une imperfection inévitable en tant que l'on envisage les objets pris isolément.
Mais revenons à l'homme car la réponse ne sera pas complète aussi longtemps que nous [55] n'aurons pas élucidé le problème en ce qui le concerne particulièrement.
Comment la philosophie considère-t-elle l'homme, au sens le plus profond, le plus complet, le plus grand ? Elle voit dans l'homme une image de Dieu et, par conséquent, une trinité : en premier lieu, l'image de l'essence, de la substance, la plus haute, la plus pure raison, le Soi dans l'homme, ainsi que nous disons quelquefois ; en second lieu, elle y voit ce que l'on nomme souvent l'âme humaine qui aspire au divin au-dessus d'elle alors qu'elle subit l'attraction du poids mort de la brute, de l'animal au-dessous d'elle, double principe sur lequel repose l'évolution de l'homme ; une main s'élève vers le ciel, l'autre main penche encore vers la terre. Bruno comparait l'âme à la lune qui a toujours une face tournée vers le soleil et l'autre vers les ténèbres. Vous ne sauriez avoir une image plus saisissante, plus vivante, de l'âme dans l'homme ; c'est la réflexion de la vie universelle ; c'est la vie individualisée incarnée dans une forme. Elle y voit, en troisième lieu, le corps, représentant la matière de l'univers. Esprit, âme, corps, tel est le point de vue le plus simple et le plus philosophique sous [56] lequel il soit possible d'envisager l'homme.
Il y a d'autres subdivisions, mais elles sont comprises dans cette grande trinité.
Ainsi, vous avez le divin dans l'homme, divin qui se manifeste par la pensée ; vous avez l'âme qui est la vie individualisée ; vous avez le corps dans lequel évolue cette âme. Si maintenant vous demandez : qu'est-ce que le péché ? La réponse est celle-ci : il y a péché quand l'homme commet un acte qu'il sait être mauvais alors qu'il est à même de pouvoir en accomplir un meilleur. Voilà ce qu'est le péché. Il a sa racine dans l'ignorance, ignorance qui est le seul véritable péché originel de l'homme. Celui-ci évolue de l'ignorance à la connaissance. Ivrognerie, meurtre, vol, ce ne sont pas là des péchés chez le sauvage qui ne sait rien de mieux, mais ce sont des péchés chez l'homme civilisé qui conçoit "le mieux" et qui permet à l'âme d'être attirée vers l'inférieur, par le corps, au lieu de l'élever vers le supérieur : l'esprit. Telle est la véritable définition du péché qui consiste à faire mal quand on sait pouvoir faire mieux ; agir ainsi c'est pécher. Là où il y a absence de connaissance il ne peut y avoir péché. Saint Paul a dit très justement : "Le péché consiste dans le fait de transgresser la loi." Quand la loi [57] supérieure est connue, c'est pécher que de la transgresser. Mais, là encore, il n'y a pas lieu de désespérer car, par le fait même que la loi ne change pas, qu'elle est inviolable, elle nous meurtrit lorsque nous la négligeons, et la souffrance résulte de la transgression ; cette souffrance est une leçon, et dans cette leçon est le remède ; en effet, elle vous apprend que dans un univers où la loi existe, vous devez apprendre à vous harmoniser avec cette loi, sinon peines, misère, souffrances, s'abattent sur vous jusqu'au jour où, las de souffrir, vous vous tournez enfin vers le bien. Voilà pourquoi nous n'avons pas lieu d'avoir le coeur triste en pensant au péché, car il nous fait évoluer, nous le surmontons, et, chaque lutte – même celle qui aboutit à un échec –, est un pas de plus sur l'échelle que gravit l'âme dans son ascension vers l'Esprit.
Quelle est maintenant la force créatrice dans l'univers ? J'ai déjà dit que le pouvoir créateur en Dieu et dans l'homme est la pensée. La pensée de Dieu crée des univers ; votre pensée vous crée vous-mêmes. La pensée est l'unique force créatrice, le seul facteur à l'aide duquel vous formez, façonnez, construisez votre caractère. Partout, la pensée est l'agent créateur, c'est elle qui prépare la route pour l'évolution [58] de l'âme. L'âme évolue par la réincarnation des corps que fournit la nature, corps plus complexes, plus sensibles, à mesure que l'âme développe des facultés de plus en plus grandes. Et l'âme monte ainsi vers l'éternelle lumière ; nulle crainte n'est à éprouver pour cet enfant qu'est l'homme, car il montera inévitablement vers Dieu.
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Que dirons-nous de l'Art ? J'ai déclaré qu'une Religion mondiale ne doit pas être dépourvue d'art et je pense bien souvent que, dans le monde moderne, hommes et femmes ne savent pas apprécier la puissance et l'influence de l'art dans la vie humaine.
La Beauté n'est pas un vain mot, ni chose morte. C'est la manifestation de Dieu dans la nature. Il n'est pas, dans la nature, un seul objet ne provenant pas de la main des hommes qui ne soit beau, car la manifestation de Dieu c'est la Beauté. Elle brille dans tous ses travaux et non pas seulement dans ceux qui sont pour l'homme une source de plaisir. Si, à l'aide du microscope, vous examinez une diatomée, vous voyez que cette coquille, invisible [59] à l'oeil nu, est dessinée selon la plus exquise forme mathématique, chaque ligne étant précise, chaque angle parfait. Le Sculpteur Divin l'a faite belle, bien que nul oeil ne perçoive cette beauté hormis l'oeil de Dieu. Dans toute oeuvre de la nature, il y a beauté, c'est le caractère de la manifestation ; là même où l'homme fait oeuvre laide, la nature, ne tarde pas à revêtir cette laideur de sa beauté.
Et l'artiste ?
L'artiste est le prêtre du Beau et ses yeux voient Dieu plus que les nôtres. Il est capable de distinguer, sous la forme, la beauté que cette forme voile, et le devoir de l'artiste est de montrer à nos yeux aveugles ce que nous ne saurions voir sans son génie ; tout ce qui s'écarte de ce devoir est une profanation de l'art et n'est pas digne d'être appelé : Art. La couleur dit à l'artiste plus de choses qu'à vous ou à moi ; la forme frappe plus l'artiste qu'elle ne nous frappe ; la mélodie a plus de secrets pour lui qu'elle n'en a pour nos oreilles non entrainées. Et c'est le devoir de l'artiste de chercher la beauté cachée dans la nature pour la placer devant les regards des hommes ; à l'artiste incombe le devoir de saisir l'idée cachée sous chaque forme, le parfait derrière l'imparfait ; [60] il est chargé d'une glorieuse mission qui consiste à montrer aux hommes aveugles la beauté parfaite, de telle façon qu'en la voyant ils puissent prendre cette beauté comme modèle pour que leur vie devienne aussi belle que la nature, laquelle est la vie de Dieu. Telle est la signification de l'Art.
La Grèce comprit l'Art et peu de nations, en dehors d'elle, ont su distinguer ce qu'il a de divin ; mais la Grèce comprenait que l'art n'est pas un luxe, comme on le pense en général de nos jours.
Beaucoup plus que pour vous, l'Art est une nécessité pour la masse du peuple dont l'existence est privée des jouissances que vous avez. Un bouge, dans une grande ville, n'est pas seulement une dégradation pour les habitants, mais sa laideur même amoindrit la vitalité de la nation. Tous souffrent de cette hideur autour d'eux. L'existence même d'une femme en haillons, la physionomie hagarde, vicieuse souvent, habitante d'un tel bouge, par sa misère, par son seul aspect, fait si bien que tout le sexe féminin est par là dégradé. Lorsqu'on voit, dans le quartier Est de Londres, sortir d'un cabaret, un homme titubant, répugnant par le vice qui le ronge, toute l'humanité est amoindrie [61] et affectée par le dégout qu'inspire celte malheureuse créature. Aucun homme ne peut être parfait aussi longtemps que l'un de ses semblables demeure à l'état de brute.
Or l'art est un moyen de purifier, d'élever, de perfectionner. On parle souvent de la beauté des anciens Grecs. Pourquoi cette beauté ? Parce que leurs rues étaient parsemées de choses belles, placées toujours de façon telle que tous pouvaient les voir ; quand les femmes étaient sur le point de devenir mères, on les entourait de choses belles si bien que la beauté de l'enfant en résultait, la beauté étant en Grèce l'élue même de la vie. Et c'est cela qu'il nous faut apprendre.
Or que fait-on de nos jours ? Lorsqu'il vous arrive d'avoir une statue trop laide pour figurer dans un musée, vous là placez dans la rue ; si vous possédez un beau tableau, vous l'accrochez dans une galerie, oubliant que ceux qui ont le plus besoin d'art sont justement ceux-là qui ne vont pas dans les musées. Je sais que l'on tend à introduire quelques améliorations dans ce sens : je sais que dans l'Est de Londres on tente de rendre l'art un peu plus accessible au peuple, mais a-t-on tout à fait bien compris que le fait d'exposer le beau, [62] d'en faire une chose familière de la vie courante, c'est rendre la vie ordinaire de l'homme plus raffinée, plus délicate, plus remplie de grâce.
La bonne musique, la bonne peinture, la bonne sculpture, sont autant de facteurs d'éducation de la race et le moindre objet devrait avoir sa beauté propre. Les objets usuels de la maison devraient être artistiques, rien ne s'y oppose : mais vous préférez un salon encombré autant qu'un bazar plutôt que d'avoir une seule chose réellement artistique qui donnerait à la pièce une atmosphère d'exquise délicatesse et de vie. Vos écoles, elles aussi, devraient être belles, car le coeur et le cerveau de l'enfant sont de nature malléable. Ces hideuses bâtisses de Londres, que vous appelez Board schools ou Council schools, suffisent à elles seules pour enlaidir la nation tout entière. Si une
pièce de votre logis doit être dépourvue de beauté que cela ne soit pas la chambre des enfants dont les murs sont habituellement ornés d'affreuses gravures sous prétexte que c'est toujours assez beau pour des enfants. Il n'est rien de trop bon ou de trop beau pour l'enfant, et la religion de demain apportera avec elle ce pain de vie de telle sorte qu'il sera distribué à tous sans [63] exception. En outre, on comprendra qu'un seul foyer dénué de beauté condamnera le luxe de ceux qui se complaisent dans la beauté et qui ne songent pas à le partager avec leurs frères.
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La religion de l'avenir aura aussi sa SCIENCE ; celle-ci ne sera plus limitée au seul monde physique, mais s'étendra à tous les mondes de matière. Si la philosophie consiste dans le fait de reconnaitre l'unité dans la diversité, la science, elle, consiste dans l'observation de la diversité et des faits dans la nature. La science de demain, dans la religion de l'avenir, embrassera tous les mondes et non pas seulement le plus grossier, celui du plan physique. Elle étendra ses observations au monde des sensations, au monde mental puis, plus loin encore, au monde spirituel où la matière n'est plus qu'un instrument docile pour la vie agissante sans plus être une entrave, soumise qu'elle est entièrement à la volonté. La science de demain observera les faits, les forces et les lois de la nature dans tous les mondes sur lesquels s'accomplit l'évolution de l'homme. Elle [64] étudiera non seulement les lois physiques de la nature mais encore les lois des mondes mental et moral ; elle établira ainsi, que les actes mauvais, les pensées mauvaises sont autant de facteurs contraires à la loi du progrès. En observant les résultats produits par les pensées et les actions mauvaises, la science formulera que, dans ces mondes supérieurs, comme sur le plan physique, fonctionne la loi d'action et de réaction que les Orientaux appellent : KARMA. Sentir mal, c'est penser et agir mal ; si le désir est mauvais, pensées et actions sont inévitablement mauvaises.
On devient inéluctablement ce que l'on pense. C'est la loi. Aussi, quand la science étendra ses études aux trois mondes qui servent à l'homme de champ d'évolution, elle sera en mesure d'établir scientifiquement cette théorie. Nous récoltons ce que nous avons semé, non pas toujours dans le seul et même monde d'action mais, dans un monde ou dans un autre, nous récolterons invariablement ce que nous aurons semé. Telle est la loi ; et nul ne peut y échapper. C'est à la science de l'avenir qu'il appartient de faire ce que seul un petit nombre est apte à faire aujourd'hui, c'est-à-dire : observer
les lois de l'évolution humaine, voir comment [65] la loi effectue son oeuvre en ce qui concerne la pensée et le caractère. De même qu'elle examinera les lois de la nature dans les trois mondes, elle en étudiera le champ d'action comme aussi les effets de ces forces et établira, d'après les données de ses observations, que la pensée est une force créatrice. Ce travail, je le sais, est d'ores et déjà chose accomplie aujourd'hui par ceux qui se sont entrainés dans cette science qu'on appelle : l'occultisme ; mais ce que celle-ci expose actuellement sera exposé par la science elle-même qui poussera ses recherches jusqu'en ces régions plus subtiles de notre vie ; grâce à ses expériences avec les forces de la nature, elle pourra s'exprimer avec autorité quant au but et aux résultats de ces forces. Elle étudiera non seulement les lois générales, forces de la nature afférentes à tous les mondes où nous vivons, mais aussi tous les phénomènes naturels qui s'y produisent.
Cette sphère d'activité intermédiaire qui s'ouvre après ce que nous appelons la mort, comme cette autre sphère connue sous le nom de ciel, seront tout aussi observables que ce monde dans lequel vit le corps physique. La Science de la Religion mondiale donnera par conséquent avec précision les lois, les forces, [66] les faits appelés à servir de bases à l'enseignement de la morale en faisant entrer celle-ci dans le domaine des lois ; et elle ne sera plus dès lors ce qu'elle est aujourd'hui, c'est-à-dire un facteur abandonné au hasard.
Cette science de l'avenir entrainera les hommes à étudier selon les méthodes de la science actuelle, de façon à ce qu'ils sachent se servir de leurs instruments, de leurs appareils ; plus encore, elle entrainera l'étudiant à développer les pouvoirs qu'il possède à l'état latent. Elle ne se contentera pas de lui apprendre à façonner le fer, le cuivre et le verre en instruments pouvant suppléer aux sens non encore éveillés. Les corps subtils de l'homme, ses sens les plus parfaits, les plus sensibles, seront développés par celle science qui est le côté matériel de la Yoga. L'homme se verra ainsi plus apte à acquérir la connaissance. Les véhicules des émotions et de la pensée évolueront plus rapidement ; aussi surement que la science, en étudiant les règnes animal et végétal, a enseigné à l'homme comment faire évoluer en quelques années ce que la nature, non aidée, mettrait des siècles à accomplir, de même, la science de la Yoga enseignera à l'homme la façon de faire évoluer ses corps pour les rendre plus complètement [67] utiles par une application des lois d'un monde plus subtil, par l'accélération de l'évolution sur des sentiers que tous ne peuvent encore fouler actuellement.
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Et quand cette religion mondiale aura ainsi enseigné l'essence même des religions, qu'elle aura satisfait la raison grâce à une véritable philosophie, qu'elle aura élevé l'art à la place qu'il doit occuper dans la vie, et qu'elle aura donné une science établissant enfin une base à l'ensemble, elle couronnera finalement son oeuvre par une haute moralité en appliquant à la vie humaine les vérités qu'elle aura découvertes. Elle apprendra à l'homme comment on peut vivre d'une vie noble et lui dira pourquoi un tel genre de vie est désirable. Rappelez-vous ce que je vous ai dit de l'âme, une partie s'élevant vers l'esprit, l'autre subissant l'attirance du corps et de toutes ses contingences. L'homme apprendra à mener une vie héroïque quand il aura entrevu, par lui-même, l'existence des possibilités qui sont à sa portée et celles qui existent dans le pouvoir de la pensée. Il commencera à comprendre que dès [68] l'instant où cette vie éternelle est en lui, tout ce qu'il y a de bas, de vulgaire, de brutal est incompatible avec la grandeur de ses responsabilités et de son devoir ; il commencera à se dire que tout individu sachant que la vie est une et que cette vie est incorporée en lui, ne peut que vivre une vie noble, et ne saurait, sans honte, mener la vie de l'animal d'où provient son corps.
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Il faut vous persuader de votre divinité, comprendre ce qu'est en réalité l'homme, c'est-à-dire un fils de Dieu en voie d'évolution. Pas de menaces, de malédictions, d'anathèmes ! On dit que le plaisir est facile et le bien difficile ; cela dépend uniquement de la partie de votre être sur laquelle vous centrez votre conscience. Où est le contre de votre conscience ? Si c'est votre corps, alors oui ! Les plaisirs grossiers sont attrayants. Mais si vous vivez dans votre corps mental, vous serez indifférents aux plaisirs vulgaires. Devant un splendide tableau, une douce mélodie, un livre admirable, que deviennent les plaisirs de manger, de boire et la satisfaction des sens ? Point [69] n'est besoin, pour l'homme, de menaces, c'est la faculté de comprendre qui lui est nécessaire ; pas de malédictions ! Ce qu'il lui faut c'est l'illumination. Donnez-lui seulement une chance d'entrevoir ce qu'il y a pour lui de meilleur et il se précipitera au-devant de cet état meilleur, l'adoptera, l'aimera, car plus les plaisirs sont élevés plus ils sont agréables ; il en est comme de l'air des cimes qui est plus agréable à respirer que celui des bouges.
Du sein de cette noblesse en voie de développement dans l'individu, de l'unité de la vie comme base, viendra la Fraternité réalisée, accomplie entre tous les hommes. Et me voici revenue, à la fin de cette conférence, au point par lequel je débutai : l'immanence de Dieu. Ce principe implique nécessairement la Fraternité entre hommes ; ainsi qu'un cercle revient sur lui-même et que, partant d'un point de ce cercle on revient au point de départ, de même la Religion mondiale, partant de l'immanence de Dieu, doit trouver son accomplissement dans la Fraternité Universelle, la reconnaissance de l'Unité de la Vie.
Par Fraternité, il faut entendre tout ce que ce mot implique. Ah ! Si vous voyiez votre frère, votre soeur, mourir de faim, épuisés par [70] la maladie plongés dans l'ignorance, minés par la misère, resteriez-vous confortablement au repos, dans votre gai logis, au milieu d'un aimable entourage ? Votre bonheur ne vous deviendrait-il pas intolérable si votre soeur ou votre frère succombait à la douleur ou à l'angoisse ? Voilà ce qu'on entend par Fraternité ! C'est mettre à la disposition d'autrui tout ce que l'on possède pour que tous puissent ainsi participer à votre bonheur et s'élever au niveau que vous occupez aujourd'hui. Être fraternel, c'est partager de bon coeur avec les autres, non par force de loi, mais sous l'influence impérieuse de l'esprit qui, lui, connait l'unité de tout ce qui est. Fraternité réalisée est synonyme d'élévation de la race humaine ; c'est, en vérité, l'homme devenant Dieu !
En apprenant à apprécier ce qui donne à votre vie un milieu de beauté et de pureté, oh ! Quand vous serez convaincus que tous les hommes sont frères, alors, vous rejetterez loin de vous toutes vos jouissances pour travailler au bien de tous. Telle est la leçon, la dernière que nous ayons à recevoir et par laquelle nous apprendrons que, pour le Divin incarné en nous, rien n'a plus de valeur que l'acte de se vouer librement au service de ceux qui [71] ont besoin d'aide. Si vous êtes instruits, partagez votre science ! Si vous êtes purs, partagez votre pureté ! Il y a parmi vous des femmes qui sont pures, chastes, bonnes, mais il y a aussi dans les rues d'autres femmes à qui manquent les vertus que vous possédez. Ah ! Mes amies, votre pureté serait plus grande encore si vous la partagiez avec les impures, si vous vous efforciez d'élever vos soeurs jusqu'à ce qui, pour vous, constitue le bonheur, la joie de votre propre vie.
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Quand la Religion mondiale apparaitra avec cette majesté que l'Instructeur du monde lui donnera, les vérités que je ne fais moi, que balbutier à vos coeurs, s'auréoleront de force et de splendeur par le torrent d'inspiration dont Il les animera. Il rendra vivant ce que je ne fais que décrire, Il rendra captivant ce que je ne puis vous exposer qu'en langage humain ; Il parlera à votre esprit alors que je ne puis m'adresser, moi, qu'à votre raison et à votre coeur et Sa voix portera le monde plus près du Divin, parce que le Divin aura resplendi en Lui-même avec une évidence