LIVRE
AVANT-PROPOS
Apprenez à discerner le vrai du faux, ce qui fuit toujours de ce qui dure toujours. Apprenez, avant tout, à distinguer la science de Tête de la sagesse de l'Âme, la Doctrine de "l'oeil" de la Doctrine du "Coeur".
LA VOIX DU SILENCE
Sous le titre de LA DOCTRINE DU COEUR sont publiés ici une série d'articles comprenant principalement des extraits de lettres reçues d'amis indous. Ils ne sont pas donnés comme ayant aucune "autorité", mais simplement comme contenant des pensées que quelques-uns d'entre nous ont trouvées utiles et que nous désirons partager avec d'autres. Ils sont destinés à ceux-là seuls qui cherchent résolument à vivre de la Vie Supérieure, et s'adressent surtout à ceux qui savent que cette [6] vie mène à l'entrée dans le sentier du Disciple, sous la direction des grands Êtres qui le suivirent jadis et qui restent sur la terre pour aider les autres à suivre à leur tour. Les pensées, dans ces lettres, sont des pensées communes à toutes les-religions, mais le style et les sentiments sont indous. La dévotion 1 y est celle qui, généreuse et intense, est connue en Orient sous le nom de Bhakti la dévotion qui s'abandonne entièrement et sans réserve à Dieu et, à l'Homme-Divin par lequel Dieu se manifeste, dans la chair, à Son adorateur. Cette Bhakti n'a jamais trouvé d'expression plus parfaire que dans la religion indoue. Or les auteurs de ces lettres sont des Indous. Habitués à la richesse luxuriante du Sanscrit, ils cherchent à éveiller dans l'Anglais, au génie plus rude, un faible écho de la suavité poétique qui caractérise leur propre langue. La dignité froide et réservée de l'Anglo-Saxon et son manque [7] d'expansion n'ont rien de commun avec la surabondance du sentiment religieux jaillissant du coeur de l'Oriental aussi naturellement que le chant du gosier de l'alouette. De temps à autre, en Occident, se rencontre un vrai Bhakta (fervent), comme saint Thomas A-Kempis, sainte Thérèse, saint Jean de la Croix, saint François d'Assise, sainte Elizabeth de Hongrie. Mais, généralement, le sentiment religieux en Occident, même le plus profond et le plus véritable, tend à rester silencieux et cherche à se cacher. À ceux qui craignent l'expression du sentiment religieux ces lettres ne seront d'aucun secours ; elles ne leur sont point destinées.
1 Dévotion signifie ici, non pas l'observation zélée et un peu étroite de pratiques religieuses extérieures, mais la consécration absolue de l'idéal Spirituel le plus sublime.
Portons maintenant notre attention sur un des contrastes frappants de la Vie Supérieure. Nous avons tous reconnu ce fait que l'Occultisme a des exigences qui nécessitent un certain isolement et une discipline personnelle rigide. Notre bienaimé et vénéré instructeur HPB, et aussi les traditions de la Vie Occulte, nous ont enseigné que le renoncement et un réel empire sur soi-même sont exigés de l'homme qui veut franchir le seuil du Temple. La Bhagavad-Gîtâ exhorte sans cesse à envisager avec indifférence la souffrance comme [8] le plaisir et à garder l'équilibre parfait, en toute circonstance, sans quoi aucune véritable Yoga n'est possible. Cette face de la Vie Occulte est théoriquement admise par tous, et quelques-uns s'efforcent docilement de se conformer au modèle. L'autre face de la Vie Occulte est exposée dans la Voix du Silence 2 ; elle se montre dans cette sympathie pour tout ce qui est doué du sentiment, dans cette lutte de subvenir à tout besoin humain, dont l'expression parfaite chez Ceux que nous servons leur a valu le titre de "Maitres de Compassion". C'est sur ce point, sous son aspect pratique et quotidien, que ces lettres ramènent nos pensées, et c'est celui que nous négligeons le plus dans nos vies, malgré toute l'impression que sa beauté parfaite peut produire sur nos coeurs. Le véritable Occultiste, tout en étant pour lui-même le plus sévère des juges, le plus inflexible des maitres, est pour tous ceux qui l'entourent l'ami le plus sympathisant, le plus bienveillant des aides. [9] Acquérir cette bienveillance et cette puissance de sympathie doit donc être le but de chacun de nous. Il ne peut s'atteindre qu'en témoignant sans cesse une bienveillance et une sympathie semblables à tous ceux qui nous entourent, sans exception. Tout aspirant Occultiste devrait donc être, dans sa propre maison et dans son propre milieu, la personne à qui tous ont le plus volontiers recours dans les heures de tristesse, d'anxiété, de péché, certains de rencontrer de la sympathie, certains de trouver du secours. L'être le plus ordinaire, le plus épais, le plus stupide, le plus antipathique devrait sentir que dans celui-là du moins il a un ami. Toute aspiration à mener une existence meilleure, tout désir naissant d'abnégation et de service, tout voeu à demi formulé de vivre plus noblement devrait toujours le trouver prêt à encourager et, à fortifier, afin que tout germe de bien puisse commencer à croitre, réchauffé et stimulé par la présence de sa nature aimante.
2 Fragments choisis du Livre des préceptes d'or à l'usage journalier des disciples, traduit et annoté par H.-P. Blavatsky. (NDT).
Pour arriver à pouvoir servir ainsi, il faut s'imposer un entrainement de chaque jour. D'abord nous devons regarder comme un fait que, dans tous, le Soi est un. Dans chaque personne avec [10] laquelle nous entrerons en rapport, nous ferons donc abstraction de tous les côtés antipathiques de son enveloppe extérieure et reconnaitrons le Soi au fond de son coeur. Le point à réaliser ensuite – par le sentiment et non pas seulement en théorie – c'est que le Soi s'efforce de s'exprimer à travers les enveloppes qui l'emprisonnent et que la nature intérieure, digne de tout amour, n'est défigurée à nos yeux que par les voiles qui l'entourent. Puis il faut nous identifier avec ce Soi qui, à vrai dire, est nous-même en son essence, et coopérer avec lui dans la guerre contre les éléments inférieurs qui étouffent son expression. Et, puisque nous sommes forcés d'atteindre la nature inférieure de notre frère par l'intermédiaire de notre propre nature inférieure, le seul moyen de l'aider vraiment est de voir les choses comme notre frère les voit, avec ses limitations, ses préjugés et sa vue défectueuse, et, les considérant sous ce jour-là, tandis que notre nature inférieure en reçoit l'impression, d'aider notre frère à sa manière et non pas à la nôtre ; car ainsi seulement se donne le véritable secours. Ici intervient l'entrainement Occulte. Nous apprenons à nous isoler de notre [11] nature inférieure, à l'étudier, à partager ses sensations sans en être affectés. Aussi, pendant que, émotionnellement, nous éprouvons des impressions, intellectuellement nous sommes juges.
Il faut employer cette méthode pour aider notre frère. Tout en sentant ce qu'il sent comme deux cordes à l'unisson donnent la même note. Il faut employer notre "moi" devenu indépendant à juger, à conseiller, à relever, mais toujours de telle façon que notre frère comprenne que c'est sa propre nature supérieure qui lui parle par nos lèvres.
Il faut désirer partager ce que nous possédons de meilleur. Ce n'est, pas garder, c'est, donner qui est la vie de l'Esprit. Souvent notre "meilleur" aurait aussi peu d'attrait pour le frère que nous essayons d'aider que des vers sublimes pour un petit enfant. Il faut alors lui donner ce qu'il peut assimiler de meilleur et garder le reste, non parce que nous le lui refusons, mais parce qu'il n'en a pas encore besoin. Ainsi nous aident les Maitres de Compassion, nous qui sommes à leurs yeux comme des enfants, et il nous faut, aider de même ceux qui sont plus jeunes que nous dans la vie de l'Esprit. [12]
N'oublions pas, non plus, que toute personne se trouvant avec nous à un moment quelconque est celle que le Maitre nous donne à servir, à ce même moment. Si, par insouciance, impatience ou indifférence, nous négligeons de l'aider, nous négligeons le travail de notre Maitre. Notre absorption dans une autre tâche nous fait, souvent oublier ce devoir immédiat. Nous ne comprenons pas qu'aider une âme humaine qui nous est envoyée est notre travail présent. Nous avons besoin de nous rappeler ce danger. Il est d'autant plus subtil que le devoir sert à masquer le devoir. Or ne pas savoir discerner, c'est ne pas savoir réussir. Il ne faut pas sacrifier notre indépendance, même à aucun travail particulier. Travaillons sans cesse, certainement, mais notre âme demeurant libre, l'attention tendue et prête à saisir l'injonction la plus subtile de Celui qui peut avoir besoin de nos services pour un être en détresse, s'il veut, par notre intermédiaire, le secourir.
La sévérité à l'égard du soi inférieur, dont j'ai parlé plus haut, est une condition nécessaire pour servir ainsi en secourant autrui, car celui-là seul qui n'a pas de soucis personnels, qui est pour [13] lui-même indifférent au plaisir et à la douleur, est suffisamment libre pour accorder aux autres une sympathie parfaite. N'ayant besoin de rien, il peut, tout donner. Sans amour pour lui-même, il devient pour les autres l'amour incarné.
En Occultisme, le livre de la vie est celui qui nous retient le plus. Si nous étudions d'autres livres, c'est seulement pour pouvoir vivre, car l'étude, même d'ouvrages Occultes, n'est un moyen de développement spirituel que si nous faisons des efforts pour vivre de la Vie Occulte. C'est la vie et non le savoir, le coeur purifié et non la tête bien remplie, qui nous amènent aux pieds de notre Maitre.
Le mot "dévotion" est la clef de tout progrès véritable dans la vie spirituelle. Si, en travaillant, nous cherchons l'accroissement du mouvement spirituel et non des succès agréables, le service des Maitres et non notre agrément personnel, nous ne pourrons être découragés par des échecs momentanés, ni par les nuages et la torpeur qui viendraient, assombrir notre propre vie intérieure.
Servir pour l'amour du service, et non pour le plaisir éprouvé en servant, est un pas en avant bien [14] marqué, car nous commençons alors à atteindre cette pondération, cet équilibre, qui nous permettent de servir avec le même contentement dans le succès comme dans l'insuccès, dans l'obscurité intérieure comme dans la lumière intérieure. Quand nous sommes arrivés à dominer la personnalité au point d'éprouver un vrai plaisir à faire, pour le Maitre, un travail pénible à notre nature inférieure, le pas suivant consiste à faire ce travail avec le même entrain et la même conscience quand le plaisir disparait et que toute la joie et la lumière s'éteignent. Autrement, en servant les Êtres Saints, nous pourrions servir le soi, servir pour ce que nous recevons d'Eux au lieu de servir par amour pur.
Tant que subsiste cette forme subtile d'égoïsme, nous courons le danger d'abandonner notre service si l'obscurité nous entoure longtemps et si, au dedans, nous sentons la torpeur et le désespoir. C'est dans cette nuit de l'esprit qu'on sert le plus noblement et que les derniers lacets du soi inférieur sont rompus.
Nous insistons sur cette dévotion, car partout nous voyons les aspirants mis en danger et le [15] progrès du travail des Maitres retardé par la prédominance du soi personnel. Voilà notre ennemi ! Voilà notre champ de bataille ! Une fois convaincu de ce fait, l'aspirant devrait accueillir avec joie dans sa vie quotidienne tout ce qui vient écorner la personnalité ; il devrait être reconnaissant envers tous les "gens désagréables" qui lui marchent sur les pieds, agacent sa sensibilité et froissent son amour propre. Ce sont là ses meilleurs amis, ses auxiliaires les plus utiles. Il ne devrait éprouver à leur égard que de la gratitude pour les services qu'ils lui rendent en meurtrissant notre plus dangereux ennemi. En envisageant ainsi la vie quotidienne, elle devient une école d'Occultisme et nous commençons à apprendre cet équilibre parfait nécessaire aux disciples d'un grade plus élevé, avant qu'un savoir plus profond, c'est-à-dire le pouvoir, puisse leur être confié. Là où font défaut un tranquille empire sur soi-même, l'indifférence pour les questions personnelles, une dévotion sereine au travail pour autrui, là il n'y a ni véritable Occultisme, ni vie vraiment spirituelle. Le psychisme inférieur ne demande, pour s'acquérir, aucune de ces qualités ; aussi le pseudo-occultiste [16] le recherche-t-il avec avidité. Mais la Loge Blanche les exige de ses postulants et fait d'elles la condition de l'entrée dans l'Enceinte des Néophytes. Que le but de tout aspirant soit donc de se former lui-même, pour pouvoir servir, et de se soumettre à une discipline sévère afin que, "si le Maitre regarde en son coeur, il puisse n'y point voir de tache". Alors Il le prendra par la main et le conduira plus avant.
ANNIE BESANT.