LES INITIATIONS DU CHRIST

(Allocution prononcée le 21 Mai 1922)


Toutes les grandes religions du monde ont reconnu que la vie humaine, la vie de l'homme qui évolue, s'élève au cours de révolution normale, mais qu'à un moment donné l'homme atteint un degré auquel cette semence du Christ intérieur dont j'ai parlé dimanche dernier, entre, lorsqu'elle s'est développée jusqu'à un certain point, dans une phase nouvelle et spéciale d'évolution. Le but de cette évolution est l'union avec Dieu ; la méthode qu'elle emploie porte des noms différents dans les différentes religions mais toutes ont le même sens. En Orient, dans les religions anciennes, c'est le Yoga ; en Occident, dans l'Église catholique de l'obédience romaine, une importance spéciale est attachée au mot dont je me suis servie tout à l'heure, l'union.
Je vais vous parler ce matin des phases de cette évolution plus rapide et, avant tout, je tiens à vous rappeler qu'il existait dans l'église primitive un certain nombre de rites, de méthodes ou de cérémonies désignées sous le nom de mystères de Jésus.
Dans les écrits de Saint Clément d'Alexandrie vous verrez sous quelle forme les fidèles étaient invités à y prendre part. Il les décrit comme les enseignements donnés en secret par Jésus à ses disciples ou bien il emploie l'expression que vous trouvez dans les Évangiles et à laquelle les anciens Pères de l'Église donnent un sens mystique plutôt que littéral, et parle des choses qu'il disait à ses disciples "dans la maison". Vous vous rappelez que selon l'Évangile, le Christ parlait au peuple sous forme de paraboles, employant des comparaisons simples et frappantes pour permettre à l'homme simple et ignorant d'apercevoir quelque lueur au moins des grandes vérités que son évolution insuffisante ne lui aurait pas permis de saisir si elles lui avaient été présentées directement. Il est dit aussi en plusieurs occasions qu'après que la foule s'était retirée, Il parlait à disciples "dans la maison" et tandis qu'il ne parlait au peuple qu'en paraboles, Il en expliquait le sens profond à ceux qui avaient tout quitté pour Le suivre. [7]
Eh bien, dans le texte de Saint Clément d'Alexandrie auquel je viens de faire allusion, il est dit que peuvent venir ceux "qui depuis longtemps n'ont conscience d'avoir commis aucune transgression" et ces mots voilent ce qui, dans l'Église catholique romaine, est appelé la voie de la Purification. Ceux d'entre nous qui sont théosophes le nomment Le Sentier de Probation. Le long de ce sentier préparatoire, il s'agit de développer certaines vertus, de cultiver certains pouvoirs de la vie intérieure, l'idée directrice étant que l'homme, suivant le tempérament émotionnel et mental qui lui est particulier, s'approprie en cheminant le long de ce sentier de Purification un certain nombre de vertus vitales et arrive à l'épanouissement de certains pouvoirs de la pensée et des sentiments. C'est essentiellement un sentier de préparation.
Puis vient la phase suivante qui porte plusieurs noms ; elle est divisée par les Orientaux et les adeptes des enseignements théosophiques en quatre grandes étapes, caractérisées chacune par un type particulier de développement. Elle aboutit à ce que nous appelons la cinquième des grandes initiations d'où sort "l'Esprit libéré" que l'Orient nomme le Jivanmukta.
C'est le stade d'évolution de ceux qu'on nomme Maitres, parce qu'ils prennent des élèves. Mais étant donné qu'il en existe beaucoup qui ne prennent pas d'élèves et que certains de ceux qui ont dépassé l'évolution humaine se trouvent plus haut encore sur la route ascendante, il me semble qu'il est préférable d'employer le terme d'Esprit libéré. Il signifie que l'Être a triomphé du pouvoir de la mort, qu'il n'est plus obligé de se réincarner, de prendre un corps nouveau, mais qu'il peut vivre, comme c'est le cas pour beaucoup d'entre eux, en contact intime avec notre univers.
L'Église Romaine appelle ce sentier : le Sentier de l'Illumination. J'ignore si dans son enseignement secret il est subdivisé à son tour, mais dans un livre catholique romain que j'ai lu avec grand intérêt en raison de l'identité de l'enseignement qu'il donne en ce qui concerne ces étapes de progrès avec nos doctrines, il y est fait allusion dans son ensemble et le processus qui mène à l'illumination est désigné sous le nom de "prière intérieure". C'est aussi le titre du livre dont l'auteur est un dignitaire haut placé dans l'Église et qui est approuvé par l'autorité suprême. Si je me réfère à cet ouvrage, c'est en raison de la forme sous laquelle les faits y sont présentés et qui vous est plus familière que ne sauraient l'être beaucoup des doctrines orientales, bien qu'identiques au fond.
C'est alors qu'est atteinte dans cette évolution suprahumaine, l'étape finale appelée Sentier de l'Union. Ainsi que je l'ai déjà dit, le mot "yoga" l'embrasse toute entière, mais je vous citerai une expression pour vous faire toucher du doigt l'unité essentielle qui met tous les mystiques d'accord au fond en dépit des [8] divergences extérieures qui caractérisent l'expression de leur pensée. Dans le livre en question, je trouve comme apothéose de cette phase finale d'union le mot "déification". L'homme est déifié, c'est-à-dire devient Dieu.
Je parle de ces similitudes et de cette identité d'enseignement afin que vous ne croyiez pas qu'en vous parlant comme le fais ici je vous présente quoi que ce soit de nouveau pour la sublime foi chrétienne. Nous sommes sur un terrain commun, terrain sur lequel toutes les religions s'accordent, et mieux on s'en rendra compte, mieux ce fait sera reconnu, plus on s'approchera de cette union des religions à laquelle chaque religion apportera sa couleur spéciale, résultat du passage par le prisme de l'humanité de l'unique grande Lumière universelle. Chacune apportera sa couleur particulière afin que la lumière puisse être créée à nouveau par la synthèse des couleurs, et que tous les êtres puissent ensemble se rapprocher de ce but glorieux : l'union avec la divinité.
En me servant du mot Christ dans ma dernière causerie, je voulais parler de ce fragment divin qui est l'Esprit en chacun de nous et auquel Saint Paul fait allusion lorsqu'il dit : "Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous". (Saint Paul – première épitre aux Corinthiens, 3. 16)
La moitié des erreurs, des malheurs et du désespoir de l'humanité prennent naissance dans l'idée fausse que l'homme n'est pas par son essence l'enfant de Dieu. C'est sur cette doctrine sublime, qui enseigne que l'Esprit en l'homme émane de Dieu Lui-même, que se fonde l'espoir du monde. Dans la prière nommée Confiteor, se trouve l'indication de la véritable nature de l'homme, image de la propre éternité divine. Mais le fait sur lequel je vous prie de concentrer votre attention ce matin, c'est la croissance de cette semence divine qui est en l'homme et je me suis servi du terme Initiations non pas en pensant aux Initiations du Christ glorieux qui là-haut, bien haut, porte le titre sublime d'Instructeur du Monde, de Sauveur, mais du Christ en chacun de nous, du Christ dont Saint Paul disait, ainsi que nous en parlions dimanche dernier, qu'il souffrait des douleurs de l'enfantement afin que le Christ puisse naitre en eux. Passons pour un moment à l'étude positive de certaines phases du développement humain qui précèdent celle-ci ; il me semble que cela aidera à fixer nos idées. Patanjali, le grand philosophe oriental, a esquissé une représentation des étapes parcourues par l'être humain ordinaire au cours de son évolution. Il les compare à l'enfance, à la jeunesse, puis à deux périodes de maturité. De l'enfant, il dit qu'il est semblable à un papillon, volant de fleur en fleur, attiré par le charme extérieur du parfum et de la couleur tout comme le papillon [9] qui volète sans trêves de fleur en fleur sans se fixer nulle part. Ceci, dit-il, est le stade d'enfance de l'homme intelligent. Il n'est pas apte au Yoga. Puis il passe à la période de jeunesse, où l'homme, dans la fougue de la passion, est à la merci de violentes vagues d'émotions ; instable, mais distinguant cependant les buts divers qui s'offrent à son activité, il les poursuit, quitte à s'en détourner par la suite et à demeurer effaré, éperdu devant les énigmes de la vie.
Ce jeune homme, dit le philosophe, n'est pas prêt pour le yoga.
L'homme entre alors dans la période de sa vie où il perçoit un idéal, où il se donne tout entier à une idée. C'est dans cette phase de l'évolution humaine que se manifestent les êtres que nous nommons martyrs et héros et qui, possédés par un idéal unique, sont capables de lui sacrifier tout le reste. Impossible de discuter, de raisonner avec de tels êtres, car tous les arguments, tous les raisonnements humains s'écroulent devant cette emprise victorieuse d'un idéal plus puissant qu'eux.
Aucun des charmes, des attraits du monde ne saurait les empêcher de suivre cet idéal et de lui sacrifier tout ce qui rend la vie aimable pour l'homme et jusqu'à cette vie même. Cet homme, dit l'auteur, est près du yoga. Enfin le philosophe passe à la quatrième période où il dit que l'homme possède cette grande vérité. Au lieu de subir son emprise, c'est lui qui est le maitre. Il n'est plus à sa merci, il la domine, assez puissant pour se tenir en paix et en sagesse, attaché à l'idéal mais demeurant son maitre et non son esclave. Voilà l'homme, dit Patanjali, qui est prêt pour le yoga. Je sais bien que ces choses, soit qu'on les expose sous une forme orientale ou à la manière occidentale, choquent et blessent certaines personnes. Ces personnes ont tort, la nature entière est un phénomène de croissance. L'on n'attend pas de l'enfant le même genre de capacités que celles qu'on demande de l'adolescent ou de l'adulte. L'on n'exige pas du jeune homme la maturité de l'homme fait, son jugement ferme, sa force, sa volonté précise. L'on sait parfaitement que tout viendra en son temps et que jeunesse et âge mûr ne sont que questions de temps. Et qu'est-ce que le temps sinon en quelque sorte la grande forme-pensée imposée au système planétaire par l'Être sublime qui l'a créé et qui le conserve ? C'est pourquoi il nous faut, en matière religieuse, renoncer à l'idée que dans la religion tout convient également à tout le monde. Origène a écrit à ce sujet des choses très puissantes et très sages. Il semble qu'à son époque l'opinion se soit révoltée contre l'idée de ne pas révéler certaines choses à tous et on parlait du Christ comme du grand médecin et de l'Église comme étant son oeuvre.
La réponse d'Origène fut que, bien que l'Église possède des [10] remèdes pour tous les pécheurs, l'on ne saurait constituer une église avec des pécheurs seulement ; il faut aussi appeler ceux qui savent, les Gnostiques, c'est-à-dire ceux qui sont familiers avec la Gnose intérieure ou la sagesse divine. Ceux-ci, disait-il, forment les piliers et les murs de l'Église. Voilà ce qui a peut-être été un peu perdu de vue dans la suite de l'histoire du christianisme où l'idée directrice fut de rendre la doctrine entière accessible à la compréhension des moins cultivés, d'où il résulta qu'une grande partie du merveilleux héritage du christianisme demeura perdu pour le plus grand nombre qui n'en connaissait même pas l'existence. Le Christianisme fut affaibli d'autant aux yeux de la science grandissant du monde qui l'entourait.
Je n'insisterai pas davantage sur ce point. J'ai voulu simplement vous l'indiquer, de manière à ce que vous vous efforciez de vous débarrasser complètement de ce sentiment, si vous le partagez si peu que ce soit. Comment, en effet, pourrait évoluer le monde s'il n'y avait des hommes plus avancés qui, ayant été plus longtemps à l'école de l'univers, ont appris les leçons qui y sont enseignées. C'est précisément de ces leçons que je parle sous le nom d'Initiations du Christ, du Christ humain qui s'efforce de se rendre digne de ce que le Christ puisse naitre en lui et y atteindre son plein développement.
Ceci, d'après moi, n'implique pas encore dans cette période d'évolution l'égalité avec le grand Christ, l'Instructeur du Monde, mais bien qu'il s'est libéré des leçons du monde et qu'en servant le monde ou un autre peut-être, il s'élèvera à des hauteurs qui le rapprocheront de plus en plus du Père. C'est ainsi que dans la vie humaine du Christ, dans la vie qu'Il passa sur terre, il est possible de discerner plusieurs étapes ; car il est dit qu'Il vint pour donner un exemple que les hommes puissent suivre. En réalité, depuis le baptême, sa vie tout entière est suprahumaine et même avant cet évènement, durant ses années de jeunesse et dans ce corps qui était préparé pour Lui, apparaissait déjà beaucoup de la sagesse du Christ futur.
Dans les diverses religions, nous voyons qu'à cette phase de développement, au début du Sentier de Sainteté, il est dit que l'Initié nait. Dans les Écritures indoues, par exemple, les instructeurs diront, en
employant les paroles des Upanishads : Dans le coeur de l'homme se trouve une grotte et dans cette grotte il y a une chose qu'il faut découvrir ; oui, en vérité, cette chose mérite qu'on la recherche. Dans certains documents chrétiens anciens (je ne veux pas dire plus anciens que les Évangiles, mais non considérés comme canoniques par l'Église comme les Évangiles), au lieu de dire que l'Enfant naquit dans une étable, il est dit qu'il naquit dans une grotte. Ce n'est qu'une question de mots. Une grotte peut évidemment être utilisée comme étable, mais en employant le mot étable [11] on supprime le rapport qui eût existé si ce mot eût été remplacé par grotte, expression commune à toutes les religions. Et ce qu'il faut chercher dans le coeur, c'est le Christ qui vous transforme à son image, qui vous modèle à sa ressemblance. Le grand Christ extérieur contribue sans aucun doute dans une immense mesure à cette transformation, mais la plus grande part du travail d'épanouissement et de transformation est accomplie par le Christ intérieur.
Et c'est ce Christ qui est dans le coeur humain, ce Christ qui, quelque faiblement qu'on sente sa présence, est là, qui peu à peu fait de la vie humaine une vie suprahumaine contenant en germe la promesse des splendeurs de la vie divine. C'est ainsi que cette naissance du Christ, dont il est parlé dans les Évangiles, est considérée au point de vue mystique. Souvent l'on dit : "le Christ mystique" pour le distinguer du grand Instructeur du monde.
Dans cette naissance du Christ, nous voyons le symbole de la première des grandes Initiations de l'esprit humain, celle qui caractérise le premier stade de cette évolution accomplie par l'homme au cours de sa marche ascensionnelle vers Dieu. Et du fait que le petit Enfant est naturellement encore faible à bien des égards, l'homme peut demeurer à ce stade pendant bien des vies. Le nombre n'en est pas exactement fixé, mais on dit généralement qu'il est de sept environ. En réalité cela dépend du degré que l'homme avait atteint lorsque, dans un but déterminé, le premier grand Portail s'est ouvert devant lui. En effet, les qualités qui permettent aux humains d'aborder cette première étape sont d'ordres très divers. À notre époque de transition, une des grandes qualités qu'on demande est la faculté de servir des groupes importants d'êtres humains, la faculté de servir de canal à la force divine pour lui permettre d'atteindre de grandes collectivités et de les préparer ainsi à la venue du Grand Instructeur du Monde. De sorte que parfois, un individu peut être choisi en raison d'une certaine qualité qu'il possède, tandis que d'autres qualités nécessaires ne
sont pas encore développées en lui, ce qui l'oblige à passer encore par bien des existences avant d'aborder l'étape suivante.
Ce qui est indispensable, c'est qu'il se libère de trois choses au cours de ces vies. L'une d'elles est le sentiment d'être séparé des autres hommes, sentiment qui empêche de reconnaitre la Vie unique, le Dieu unique en tous. Parfois, ce sentiment est appelé la grande hérésie de la séparativité ; l'expression n'est pas mauvaise. Pour se libérer de ce sentiment, l'homme doit s'efforcer de voir clairement qu'il ne fait qu'un avec ses semblables. Nous savons tous combien il est facile de nous identifier avec les hommes supérieurs, les hommes suprahumains qui collaborent à l'évolution du monde ; tous nous aspirons à nous rapprocher d'Eux, à nous réclamer d'Eux comme des [12] frères ainés de l'humanité. Mais le véritable signe de la naissance dans l'esprit intérieur de l'esprit christique, c'est la reconnaissance de la fraternité avec tous les êtres, les plus humbles comme les plus élevés. Tant que vous n'aurez pas, dans une certaine mesure, senti cela, il nous faudra rester stationnaires jusqu'à ce que vous vous rendiez clairement compte de ce que le criminel le plus abject est un avec vous comme vous espérez être un avec Dieu.
Si Dieu ne considère pas que sa Vie divine soit souillée du fait de demeurer dans le plus vil de ses enfants, notre tâche à nous est d'apprendre que le péché du monde est notre péché et que nous n'avons le droit de nous isoler de nul d'entre les êtres en disant : "Je suis plus pur que toi", car il n'y a ni toi, ni moi dans la vie spirituelle. Il y a une Unité, l'Unité divine. C'est une acquisition nécessaire au développement de la vie. Elle est indispensable à un stade plus avancé, la grande tâche du Christ triomphant étant le service de l'humanité, de tout membre de l'humanité. L'on peut dire, pour exprimer ceci d'une manière claire, que toutes les âmes humaines sont ouvertes vers le haut et enfermées de murs sur le plan inférieur de manière à permettre au Christ d'infuser en chacune d'elles son amour et son aide ; c'est pourquoi, sous son aspect triomphant, on l'appelle le Sauveur du monde. Pour lui, aucun être n'est un étranger, tous sont ses frères, et peut-être pouvons-nous juger de notre progrès sur le Sentier en voyant si nous sommes arrivés au point où nul sentiment de condescendance n'est éprouvé à prendre place auprès du plus humble des enfants des hommes. L'effort pour atteindre ce point peut durer une vie, plusieurs vies, nous ne pouvons dire combien de temps, jusqu'à ce que l'homme remplisse parfaitement cette première condition.
Il lui faut ensuite se débarrasser de ce que l'on nomme le doute. Mais se libérer du doute ne signifie pas qu'il soit interdit de discuter une opinion intellectuelle, car la croissance de l'intellect est stimulée par la discussion. Ce qui nous est demandé, c'est la faculté d'arriver à une décision par la force de notre propre raisonnement ; car il est dit que "ni dans ce monde ni dans aucun autre, il n'y a de félicité pour l'âme qui doute", l'âme qui sans cesse interroge, se débat dans le trouble, trouve partout des obstacles et ne peut arriver à une conclusion. Cette âme est toujours malheureuse et tout progrès lui est impossible. On dit aussi que les grandes vérités au sujet desquelles l'homme doit avoir laissé derrière lui toute espèce de doute sont celles de l'unité de l'humanité, de la réincarnation et de la grande loi de causalité que les Orientaux nomment karma. Durant la première période, l'homme doit également se libérer de la superstition. Il y a bien des manières d'envisager la superstition. Certains déclarent qu'en matière religieuse [13] tout ce qui ne fait pas partie de leurs croyances est superstition. Il n'en est pas ainsi ; pris dans son sens fondamental, ce moi implique la confusion faite entre ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas, la concentration de l'attention, dans nos rapports avec de grandes vérités, sur ce qui n'est pas partie intégrante de l'essence de cette vérité. L'attachement à ce qui n'importe pas et la confusion de ceci avec la réalité, voilà ce qui constitue la superstition. Telles sont les trois choses qui doivent être rejetées au cours de la première période, sans égard au temps qu'il en puisse couter pour atteindre ce résultat.
La seconde grande étape est marquée dans le récit évangélique par ce qu'on nomme le Baptême du Christ, où il est dit que l'Esprit de Dieu descendit sur Lui et demeura en Lui, fait qui est caractérisé dans la seconde initiation par ce qui est parfois désigné sous le nom de descente de la Monade. Il s'agit de l'Esprit, de l'esprit divin qui est nôtre et qui, à la stricte vérité, ne se sépare jamais, ne peut pas se séparer de Dieu Lui-même. Néanmoins, dans notre langage humain qui exprime si mal certaines grandes vérités, nous parlons de descente et d'ascension, de ces changements dans l'espace qui, au fond, n'ont pas plus de sens réel que le temps. C'est pourquoi lorsque cet Esprit sublime, qui est notre Soi, vient en quelque sorte occuper les véhicules au-dessus desquels il avait jusqu'alors plané, ce fait est exprimé symboliquement par le Baptême du Christ. Il est qu'à dater de ce moment, Il alla prêcher, enseigner ce qu'il avait appris, tandis qu'auparavant, à l'exception d'une apparition dans le Temple, Il s'était peu montré aux hommes.
Puis les évènements se précipitent, et c'est le Grand Mystère de la Transfiguration, où les yeux dessillés des disciples purent contempler sa gloire qui restait invisible aux autres. C'est la troisième des grandes Initiations où toute attraction des sens doit disparaitre. L'homme doit alors être attiré par l'intérieur et non par l'extérieur et se débarrasser entièrement de l'orgueil et de la colère. La quatrième est appelée la Passion du Christ, au cours de laquelle Il passa de la montagne glorieuse de la Transfiguration au Jardin de Gethsémani et au Calvaire où il subit l'angoisse suprême de l'abandon de Dieu qui était Lui-même. Cette impression de complet isolement se fait parfois sentir pendant toute la durée de la quatrième période jusqu'au début de la cinquième ; c'en est la caractéristique la plus remarquable et qui abandonne l'Esprit humain à lui-même pour lui permettre de découvrir sa propre puissance, de connaitre sa propre divinité qu'il ne peut connaitre jusqu'à ce que le Dieu extérieur semble pour un moment avoir disparu.
C'est ce que symbolisent les paroles qui s'échappèrent des lèvres du Christ agonisant : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ?" En effet, ses disciples avaient pu [14] l'abandonner, ses amis le trahir, l'apôtre auquel Il avait donné sa confiance, le renier à la face de ses ennemis, dans toutes ces épreuves il lui restait le sentiment de la présence du Père, le sentiment du réconfort venant de Dieu lui-même. Mais au moment de l'angoisse suprême, même ceci lui fut retiré. Sinon, comment eut-Il pu reconnaitre sa propre divinité. Voilà pourquoi cette dernière phase, qui précède celle de la victoire, apporte avec elle la souffrance, la passion, l'angoisse, la flagellation, la couronne d'épines. Ce n'était là que les souffrances apparentes que devait suivre la désolation intime, prélude inévitable de la mort, de cette mort qui n'est plus alors que l'entrée dans une vie plus haute, dernière ennemie qui devait être vaincue, et vaincue par la puissance du Christ, conscient de sa Divinité