RÉSURRECTION ET ASCENSION

(Allocution prononcée le 22 mai, 1922)


Dimanche dernier, j'ai essayé de vous donner une esquisse brève, il est vrai, et imparfaite de ces étapes du Sentier manifestées expressément dans la vie humaine vécue par le Christ en Palestine il y a près de deux mille ans. Vous vous rappelez sans doute que cette vie se divisa en quatre grandes périodes. Chacune de celles-ci représente ce qu'on nomme une Initiation, c'est-à-dire une grande expansion de conscience devançant de beaucoup l'évolution normale de l'humanité et conduisant directement à travers des phases de durées inégales (qui peuvent englober parfois plusieurs existences) vers la cinquième grande étape appelée celle de l'Esprit libéré, qui est la victoire remportée sur la mort et l'ascension vers une région plus sublime [23] encore de la vie éternelle. Ces quatre phases, nous le savons, furent marquées par la Naissance, le Baptême, la Transfiguration et la Passion, et il nous faut noter que ce n'est pas seulement dans ces sublimes expressions des grandes vérités de la vie intérieure, mais même dans le monde extérieur, en matière de religion, que nous retrouvons cette grande Loi de la Nature en vertu de laquelle il faut avant de terrasser la mort, vaincre également les tristesses et les épreuves de la vie. De sorte que dans la vie de l'homme idéal, dans ces étapes sur le chemin de la perfection, nous trouvons sur un plan inférieur l'image des derniers jours qui précédèrent la mort du Christ. Nous constatons que toujours, à la veille de quelque victoire, l'homme qui s'efforce à monter traverse une période de souffrance, d'épreuves durant laquelle il lui faut faire face à des obstacles exceptionnels, symbolisés dans la Passion du Christ par la flagellation, le couronnement d'épines, la condamnation du peuple et la préférence donnée sur Lui au larron.
Puis, en arrivant au Calvaire, voici la dernière épreuve de l'esprit avant que puisse commencer sa libération, il lui faut se sentir complètement isolé, abandonné au regard du monde – et même de sa propre conscience intérieure, de Dieu Lui-même. C'est alors que, dans cette suprême épreuve, il trouve le Dieu qui est en lui. Dans sa conscience humaine il avait pu se croire délaissé même par Dieu, mais le Père n'est jamais plus près du Fils qu'à l'instant où il semble à celui-ci que les bras protecteurs se sont retirés et où il se sent absolument isolé. Tel est le symbole de cette vérité vitale sans cesse renaissante : celui qui perd sa vie la retrouvera dans la vie éternelle. Ce n'est qu'en se sentant seul que l'homme peut découvrir le Dieu intérieur.
Puis viennent les paroles finales : "Tout est consommé". La vie d'épreuves est terminée ; il remet son âme humaine, son esprit divin entre les mains du Père retrouvé, puis il passe dans le monde d'outre-tombe. Ces régions, tant dans la vie du Christ lui-même que dans celle de l'Initié près d'atteindre le but, restent entièrement voilées pour nous, comme pour tous ceux qui ne les ont pas traversées en personne. Il fallait que la mort fût vaincue, l'humanité rachetée, et quelques écrivains de l'Église primitive, essayant en quelque sorte de plonger leur regard dans ces ténèbres que nul ne peut percer, si ce n'est ceux qui sont sur le point de les traverser, ont parlé de la descente du Christ dans un monde mystérieux, demeure des esprits en prison, comme dit Saint Pierre dans son épitre.
Ils interprétèrent ces mots les esprits en prison dans ce sens que nul de ceux qui étaient morts avant la venue du Christ n'avait pu s'élever jusqu'au Paradis. Et comme justement Il est représenté comme ayant dit, en pleine agonie, au larron repentant : "Aujourd'hui tu seras avec moi au Paradis", ces mêmes écrivains essayèrent de se faire une idée du sens de ces paroles.[24] Ils en conclurent que le grand ennemi du genre humain tenait toutes les âmes humaines captives, que l'homme ayant failli (à ce qu'ils croyaient), était au pouvoir de celui qui était censé l'avoir trompé, et que, jusqu'à la venue du vainqueur, ces âmes devaient rester plongées non pas dans les tourments, mais dans l'obscurité d'une aspiration jamais satisfaite, dans l'attente de l'arrivée du Maitre. Enfin, Celui-ci ayant brisé les portes de la mort et vaincu le dernier ennemi de l'homme, Il avait délivré tous ceux qui étaient au pouvoir de l'ennemi, tous ses frères, et les avait rachetés de la mort, impuissante à enchainer l'Homme Divin. Et ils peignirent et décrivirent cette scène miraculeuse où l'on voyait des ancêtres de l'humanité en grand nombre sortir du lieu qui avait été pour eux une sorte de prison et monter avec le Christ au Paradis pour y demeurer désormais. C'est ainsi qu'ils se représentèrent la sublime Expiation subie par le Christ pour ses frères.
Mais ceci n'est qu'une tentative faite par les hommes pour percer le mystère impénétrable de cette dernière et triomphale Initiation qui met fin à l'esclavage de l'Esprit. De cela nous ne pouvons rien savoir, et il me parait plus sage de ne pas nous laisser entrainer à des spéculations à ce sujet. Il est des cimes où nous devons atteindre et que notre intellect ne peut mesurer, en face desquelles, ainsi qu'il est dit dans un livre sacré indou, l'esprit s'effondre dans le silence et ne peut que s'efforcer, du sein de ce silence, de saisir un reflet intérieur de la perspective qui s'ouvre devant nous, enfants des hommes.
Nous savons une chose, c'est que vers la fin du sublime Sentier de l'Initiation, de la partie de celui-ci qui est comprise dans la vie normale du monde, l'Initié qui est sur le point de franchir le seuil peut, s'il veut demeurer un aide, un sauveur de cette humanité d'où Il a surgi, accomplir ce qu'on nomme le Grand Renoncement à la liberté individuelle. Ce sont précisément ceux qui ont passé par cette phase d'évolution que nous désignons sous le nom de Maitres, parce qu'ils sont restés pour enseigner, et d'Eux nous savons seulement qu'ils avancent sans cesse sur la voie glorieuse en devenant toujours plus puissants pour servir l'humanité.
C'est leur propre volonté qui les lie à ce service. Seuls leur propre choix et leur volonté propre les guident sans cesse en avant vers l'accomplissement des tâches toujours plus sublimes destinées à aider notre humanité. Quant à la résurrection du Christ, c'est cette sublime cinquième Initiation au moyen de laquelle les hommes continuent à vaincre la mort ; car la mort ne peut plus rien sur eux lorsque l'Esprit est libéré de toutes les entraves qui le paralysaient et qu'il a pris conscience de sa propre majesté de l'empire qu'il exerce sur la matière. La matière devient son esclave lorsqu'il s'est élevé au rang de vainqueur de la mort. Mais des états de conscience d'une sublimité [25] encore plus merveilleuse, succèdent à celui-ci où l'être destiné à devenir un Christ, parmi les hommes avec toute la puissance de l'Instructeur, du Rédempteur et du Protecteur s'élève jusqu'à la cime incomparable où il se tient alors comme un Sauveur du monde. Efforçons-nous de nous représenter un instant cette gloire ineffable, quelque misérable que soit l'image que nous nous en faisons.
Même avec nos connaissances incomplètes, il nous semble possible que plutôt nous savons qu'il est certain qu'en s'élevant au rang de Christ un être devient capable d'aider toute âme qui se tourne vers Lui en quête de secours, d'être présent en quelque sorte en n'importe quel point de notre monde. Permettez-moi d'employer à cet effet une simple comparaison qui peut-être, si nous n'y avons déjà réfléchi, nous fera comprendre comment il peut se faire que de ce foyer merveilleux de lumière et d'amour irradient dans le coeur et l'âme des humains des rayons qui leur apportent une aide et qui sont Sa propre vie. Pensons au soleil, l'une des images si nombreuses employées ici-bas pour Le décrire. Parfois on Le nomme le Soleil de Justice. Représentons-nous le soleil physique montant dans notre ciel et envoyant à flots ses rayons vivifiants, sa propre substance, sur le vaste cercle de notre terre, où, songeons-y bien, toute vie est entretenue par ce foyer unique.
Rappelons-nous que la plante elle-même n'acquiert sa teinte verte qu'à condition d'être atteinte par le flot descendant de ces rayons, et nous pourrons comprendre que chacun des rayons contient la vie du soleil, que c'est le soleil lui-même qui stimule toute chose ici-bas, que tout vit grâce à sa lumière, grandit grâce à sa chaleur, est nourri et rendu capable d'absorber des aliments grâce à ses rayons.
Puisqu'il est dit que les choses d'en haut servent de modèles à celles d'ici-bas, il nous est permis de prendre notre grand soleil pour le symbole du Christ après l'Ascension. Il verse à flots sur le monde les rayons de sa propre vie et lui-même s'incarne en quelque sorte en chaque être humain. Tous ont la possibilité de Le recevoir, sauf s'ils Lui ferment leur coeur ; et dans ce cas même II ne se décide pas à abandonner ne fût-ce qu'une seule âme, et fait entendre Son appel à la porte close du coeur : "Voyez, je me tiens à la porte et je frappe, et si quelqu'un ouvre, j'entrerai". Il semble que si grand soit le respect de la Divinité manifestée pour la volonté humaine (l'un des trois aspects de la Trinité dans l'homme), que même le Christ respecte trop profondément ce pouvoir divin en l'homme pour lui faire violence, Il ne forcera pas la porte fermée, il faut qu'on l'ouvre de l'intérieur.
C'est là une grande vérité d'une importance vitale. Dieu rayonne également sur tous, mais comme l'a dit jadis Giordano Bruno : "L'homme ferme les persiennes de son esprit contre [26] le soleil ; le soleil darde ses rayons sur les persiennes, mais c'est à l'homme d'ouvrir celles-ci toutes grandes s'il veut que l'inférieur soit inondé de lumière". De même ce que l'on nomme parfois la grâce divine, cette grâce qui se déverse sans cesse sur notre terre chargée d'un amour constant, rayonne sur nous tous, sauf quand nous fermons pour un temps nos fenêtres devant elle. Ouvrons-les, et la grâce inondera le coeur humain, car Dieu n'a pas plus de favoris qu'il n'a d'ennemis.
Si dans leur folie certains l'empêchent de pénétrer, Il sait qu'alors même Sa vie est en eux, et que dès que cette vie se sera quelque peu fortifiée, ils ouvriront toutes grandes les portes, afin que Sa grâce puisse entrer et submerger la nature entière.
Il me semble donc que pour chacun de nous, quelle que soit l'étape d'évolution qu'il ait atteinte, la grande leçon apportée par la Résurrection et l'Ascension du Christ est l'annonce de la résurrection du Dieu en l'homme qui nous attend tous. Devant nous se trouvent des degrés que nous devons gravir, nous n'en pouvons apercevoir l'extrémité supérieure, mais à mesure que nous nous élevons se développe notre faculté de servir et d'aider nos semblables. Celui qui a gravi ces échelons durant sa vie humaine, Celui qui a vécu en homme sur la terre reviendra pour aider son Univers et seule notre volonté erronée peut nous exclure de Son action. En dépit de notre aveuglement, il ne nous apporte que de l'Amour, et le jour viendra inévitablement où nos yeux s'ouvriront grâce à l'amour qui ne se lasse point et à la sagesse qui ne peut manquer de résoudre l'énigme créée par notre ignorance.