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LES ENSEIGNEMENTS DES MAITRES DE LA HIERARCHIE

LES LOIS DE LA VIE SUPÉRIEURE — Conférences données à la douzième Convention annuelle de la Section Indienne de la Société Théosophique en décembre 1902 à Bénarès Par Annie BESANT - 1902

CHAPITRE II — LA LOI DU DEVOIR

CHAPITRE II

LA LOI DU DEVOIR


Dans notre précédent entretien, nous sommes arrivés à certaines conclusions déterminées. Nous avons étudié la nature de la Loi et nous avons trouvé qu'une Conscience, plus étendue que la conscience du cerveau à l'état de veille, existe en chacun de nous. Nous avons vu que pour que cette Conscience se manifeste, il était nécessaire que les sens fussent placés sous un contrôle sévère et que l'intellect fût tenu en bride. Voilà où nous nous sommes arrêtés dans l'étude de la Vie Supérieure.
Nous entrons maintenant dans un autre stade de notre étude : nous allons voir comment un homme doit guider sa conduite afin que la Conscience Supérieure puisse manifester en lui tous ses pouvoirs. Il faut que nous passions en revue les stages de préparation et que nous réalisions ce que chacun de nous peut faire maintenant, dans la situation où nous sommes, pour nous préparer au développement du divin et à l'épanouissement de ce bourgeon de Conscience qui croît lentement en chacun de nous. Afin de bien suivre le sujet, nous allons définir quelques mots et quelques expressions que nous devrons employer fréquemment.
D'abord, qu'entend-on par la Vie Supérieure ? J'ai employé cette expression dans son sens le plus étendu pour désigner toutes les manifestations de la vie superphysique ; elle renfermera la manifestation humaine dans les différentes régions invisibles aux yeux physiques – régions que nous désignerons par le mot "plan" : les plans astral, mental, buddhique, atomique et tout ce qui peut, dans le vaste univers, être au-delà. [24]
Qu'entendez-vous par "Spirituel" ? Toutes les manifestations de la Vie Supérieure, ainsi que nous l'avons définie, ne sont pas nécessairement spirituelles. Il faut séparer, dans notre pensée, la forme que revêt la Conscience, de la Conscience elle-même. Rien de ce qui tient à la forme n'est, par sa nature, spirituel. La vie de la forme, sur chaque plan, appartient à la manifestation de la vie dans la forme et peut avoir lieu sur chaque plan ; mais, qu'elle ait lieu sur le plan astral ou sur le plan manasique, elle n'est pas plus spirituelle là que sur le plan physique. Partout la manifestation prakritique est purement phénoménale et rien de ce qui est phénoménal ne saurait être spirituel. Il faut nous souvenir de cela, autrement nous commettrons de fâcheuses erreurs dans nos études et nous ne choisirons pas bien les moyens par lesquels la spiritualité doit évoluer. Que le plan sur lequel la vie de la forme existe soit inférieur ou supérieur cela importe peu. Pierre, végétal, animal ou Déva, la vie, en tant que prakritique et phénoménale en sa nature, n'a rien de commun avec ce qui peut se dire spirituel. Un homme peut développer des siddhis astrals ou manasiques, il peut entendre les chants des Dévas, et entendre la musique de Svarga, mais tout cela est phénoménal, tout cela est transitoire. Le spirituel et l'éternel ne sont pas la vie de la forme.
Mais alors, qu'est-ce que le spirituel ?
C'est uniquement la vie de la Conscience qui reconnait l'Unité, qui voit le Soi Unique en toutes choses et toutes choses en le Soi. La vie spirituelle est la vie qui, à travers le nombre infini des phénomènes, perce le voile de Maya et voit l'Un, l'Éternel sous chaque forme changeante. Connaitre le Soi, Aimer le Soi, Réaliser le Soi, cela et cela seul est la Spiritualité, et la Sagesse consiste seulement à voir le Soi partout. Tout, en dehors de cela, est l'ignorance ; tout, en dehors, est contraire à la Spiritualité. Quand vous aurez compris cette définition, vous vous trouverez forcés de choisir, non le phénomène, mais le réel ; de choisir la Vie de l'Esprit [25] comme étant distincte de la vie de la forme, celle-ci fût-elle sur le plan le plus élevé. Vous serez forcés de choisir des méthodes particulières qui permettent d'évoluer la Vie de l'Esprit et vous chercherez à connaitre la Loi qui permet à la Conscience de se développer de façon à ce qu'elle puisse reconnaitre son Unité avec toutes les Consciences n'importe où elles soient ; de sorte que toute forme deviendra chère, non pour l'amour de la forme, mais pour l'amour du Soi qui est la Vie et la réalité de la forme. Rappelez-vous comme Yâjnavalkya instruisait Maitreyî qui désirait connaitre la partie spirituelle même de la Vie Supérieure ; il lui disait :
"Ce n'est pas pour l'amour de l'époux que l'époux est cher ; mais c'est pour l'amour du Soi que l'époux est cher. Ce n'est pas pour l'amour de l'épouse que l'épouse est chère ; mais c'est pour l'amour du Soi que l'épouse est chère."
et ainsi de suite d'une chose à l'autre, pour l'enfant, l'ami, l'amant, finissant enfin avec la Vie qui s'étend au-delà du plan physique :
"Ce n'est pas pour l'amour des Dévas que les Dévas sont chers, mais c'est pour l'amour du Soi que les Dévas sont chers".
C'est la note de l'Esprit. Tout est dans le Soi ; l'Un est trouvé partout. Comment pouvons-nous l'atteindre ? Comment, aveuglés que nous sommes par la matière, pouvons-nous le connaitre ?
Le premier pas important vers la réalisation de cela est, remarquez-le bien, la Loi du Devoir. Arrêtons-nous un moment pour comprendre pourquoi la Loi du Devoir est la première vérité à laquelle un homme doit obéir s'il désire s'élever à la Vie Spirituelle. Nous voyons autour de nous des êtres qui appartiennent aux mondes supérieurs qui ne sont pas spirituels, mais qui émettent des forces énormes, qui communiquent leur énergie à la nature et soumettent la matière à leur volonté : ce sont des êtres puissants doués d'un pouvoir redoutable qui parcourent le monde et le soumettent ; quelques-uns aident l'évolution à avancer, en inspirant de nobles pensées, de nobles efforts ; d'autres aident aussi [26] l'évolution, mais ils le font en s'efforçant d'enrayer le progrès de l'homme, de le troubler afin qu'il puisse apprendre à marcher d'un pas ferme et, qu'en luttant contre le mal, il devienne parfait dans la justice. Ce sont les deux côtés de la manifestation divine : vous ne pouvez pas avoir la lumière sans l'obscurité, ni le progrès sans la résistance ; il n'y a pas d'évolution sans la force qui agit contre elle. C'est la force qui agit contre l'évolution qui donne la stabilité au progrès et rend possible la croissance supérieure de l'homme. Cependant, il faut nous garder de tomber dans l'erreur commune qui consiste à confondre les deux fonctions. Les forces et les êtres du monde supérieur qui aident l'évolution à avancer, qui guident et inspirent, nous élèvent et nous purifient sont, à juste titre, des objets de vénération et nous pouvons marcher sur leurs traces en toute sécurité et les prier. Les autres pouvoirs sont nos amis dans la mesure où nous leur résistons et nous opposons à eux, et ils ne peuvent nous aider que lorsque nous leur résistons, car ils donnent ainsi de la force à nos muscles et à nos nerfs spirituels. Mais le succès que l'évolution peut remporter de leur côté se trouve dans le pouvoir par lequel nous les combattons, et la force gagnée dans la lutte, aide à faire avancer notre évolution. Il ne faut ni les suivre, ni leur obéir, ni méditer sur eux, ni faire appel à eux. Comment donc le voyageur pourra-t-il choisir sa voie et connaitra-t-il la pierre de touche qui lui permettra de les distinguer les uns des autres ? Par la Loi du Devoir qui est en lui, par le Divin Soi qui indique le chemin du progrès et, au-dessus de tout, par l'obéissance au Devoir, par le respect pour la vérité qui est ce qu'il y a de plus grand, puis en adorant cette Vérité sans ombre d'hésitation et sans esprit de changement.
On dit, et cela est vrai, qu'il n'y a pas, en sanscrit, de mot pour désigner ce qu'en Occident on appelle la Conscience. En effet, les lettrés sanscrits nous apprennent qu'il n'y a pas un mot qui soit l'équivalent [27] exact de Conscience. Mais nous ne nous attachons pas aux mots : nous n'avons d'égard qu'aux choses ; nous ne regardons pas les étiquettes, mais les faits. Je vous demande : dans quelles Écritures et dans quelle littérature trouverez-vous une meilleure expression de cette idée de Conscience et du respect du devoir briller dans des exemples divins et pratiqués dans la vie des hommes de l'Inde ancienne, tout aussi bien que dans les préceptes contenus dans les anciens livres sanscrits ?
Prenez par exemple la conduite de Yudhisshthira, le roi juste, à qui il arriva, dans une épreuve imposée par Shri Krishna lui-même, de faillir à la vérité. Voyez le dernier épisode de sa vie, avant qu'il quitte cette terre, lorsqu'Indra, le Roi des Dévas, descend de son char et lui dit d'y monter pour aller au plus haut des cieux. Rappelez-vous comment, désignant le fidèle chien qui a survécu au terrible voyage à travers le désert, le roi dit : "Mon coeur est ému de compassion pour le chien, laissez-le venir en Svarga avec moi". "Il n'y a pas de place en Svarga pour les chiens", répond Indra et, comme Yudhisshthira refusait, il lui dit d'un ton railleur : "Vous avez laissé vos frères mourir dans le grand désert, vous les avez laissés là gisant, morts. Vous avez laissé Draupadi mourante et son corps ne vous a pas empêché de poursuivre votre route. Si vous avez abandonné vos frères et votre femme, pourquoi vous attacher à un chien et vouloir le prendre avec vous ?" Alors, Yudhisshthira répondit : "Nous ne pouvons rien pour les morts ; je ne pouvais sauver ni mes frères ni ma femme, mais cette créature est vivante, elle n'est pas morte. Le péché d'abandonner un être faible qui a cherché un refuge près de vous est égal au meurtre du deux fois né, égal au pillage des biens d'un Brahmane. Je ne veux pas aller au Ciel seul", et, quand il se fut montré inébranlable à tous les arguments divins et à tous les sophismes du Déva, le chien disparut et Dharma incarné se dressa devant lui et lui ordonna de monter au ciel. La Conscience ferme du roi l'emporta sur l'ordre [28] d'Indra. L'attraction de l'immortalité n'ébranla pas son sentiment du devoir, et le langage insinuant du Déva ne put lui faire perdre de vue le chemin de la justice que lui montrait la Conscience.
Si nous remontons plus loin dans l'évolution, nous voyons Bali, roi des Daityas, offrant un sacrifice au Suprême, quand un nain difforme survint lui demandant un don : "Trois pas de terre, ô roi, comme don du sacrifice" ; trois pas de terre, mesurés par les courtes jambes du nain ! Un bien petit don, en vérité ! Le don fut accordé ; voyez-en le résultat : le premier pas couvre la terre, le second embrasse le Ciel ; que reste-t-il, alors ? Il ne reste plus que la poitrine du roi dévot qui se couche à terre afin que le troisième pas s'appuie sur son sein. De toutes parts s'élèvent alors des récriminations : "C'est une fraude, c'est une tromperie, c'est Hari en personne qui t'attire à ta perte, manque à ta parole et ne suis pas la vérité jusqu'à ta ruine". Mais, tandis que ces cris frappaient son oreille, il se disait que la vérité, le devoir et la Conscience sont au-dessus de la perte de la vie et d'un royaume ; aussi restait-il étendu impassible. Son Gourou, révéré entre tous, s'approche de lui et lui dit de reprendre sa parole ; mais Bali refuse de l'écouter, alors le Gourou le maudit à cause de sa désobéissance ; et alors ? Alors la forme de Vishnou se manifeste, cette forme puissante qui couvre la terre et le Ciel, et une voix, douce comme le roucoulement de la colombe, se fait entendre au milieu du silence absolu : "Bali, vaincu et attaqué de tous côtés, méprisé par ses amis, maudit par son précepteur, est resté fidèle à la vérité". Ensuite, Vishnou déclare que, dans un kalpa futur, il sera Indra, souverain des Dévas, car là seulement où la vérité est adorée, le pouvoir peut être confié avec sécurité.
Peu importe qu'en de tels exemples et en présence de bien d'autres que l'on pourrait citer, on ne trouve pas le mot de conscience ; l'idée s'en fait jour constamment : idée de fidélité au devoir, de reconnaissance de la Loi [29] du Devoir. Quel est le mot unique qui est comme la loi dominante du peuple indou ? C'est Dharma, c'est à dire devoir et droiture.
Quelle est donc alors la Loi du Devoir ?
Elle varie avec chaque stade de l'évolution, bien que le principe en soit toujours le même ; elle est progressive comme l'évolution elle-même. Le devoir du sauvage n'est pas le même que celui de l'homme cultivé et évolué. Le devoir de l'instructeur n'est pas celui du roi. Le devoir du marchand n'est pas celui du guerrier. De sorte que, lorsque nous étudions la Loi du Devoir, nous devons commencer par étudier notre propre place sur la grande échelle de l'évolution, ainsi que les circonstances qui nous entourent et qui nous montrent notre karma, nous rendant compte ainsi de nos propres moyens, de nos capacités et de notre faiblesse. De cette étude attentive découlera pour nous la connaissance de la Loi du Devoir qui doit nous servir de guide.
Dharma est le même pour tous ceux qui sont arrivés au même stade d'évolution et qui se trouvent dans les mêmes circonstances. Il y a une sorte de Dharma commun pour tous. Il y a des devoirs qui incombent à tous. Les
dix devoirs imposés par Manou sont obligatoires pour tous ceux qui veulent oeuvrer avec l'évolution : ce sont les devoirs généraux que l'homme doit à l'homme. L'expérience du passé les a consacrés et ils ne peuvent donner lieu à aucun doute.
Mais, à propos de Dharma dont le caractère n'est pas si simple, il se pose de nombreuses questions. Pour ceux qui s'efforcent d'avancer sur le sentier de la spiritualité, la difficulté réelle est souvent de distinguer leur Dharma et de savoir ce que la Loi du Devoir exige d'eux.
Il y a souvent, dans notre vie journalière, bien des cas où des conflits de devoirs paraissent se dresser ; un devoir nous sollicite d'un côté et un autre dans un sens [30] opposé ; nous sommes alors perplexes à l'égard de notre Dharma, comme le fut Arjuna à Kurukshetra.
Ce sont là quelques difficultés de la Vie Supérieure, c'est l'épreuve de la Conscience qui évolue. Il n'est pas difficile de remplir un devoir clair et simple, en ce cas, l'erreur est peu probable ; mais quand le chemin de l'action est embrouillé, quand nous ne le voyons pas clairement, comment le trouver dans l'obscurité ? Nous savons qu'il y a des dangers qui obscurcissent la raison et la vision et qui rendent très difficile de distinguer le devoir. Nos personnalités sont nos perpétuelles ennemies ; le soi inférieur, qui revêt cent formes différentes et prend parfois le masque de Dharma, nous empêche ainsi de reconnaitre qu'en le suivant nous suivons plutôt le sentier du désir que le sentier du devoir. Comment pourrons-nous reconnaitre alors si c'est la personnalité qui nous fait agir ou si c'est le devoir qui dirige nos actes ? Comment pourrons-nous savoir si nous nous égarons enserrés dans l'atmosphère même de la personnalité qui déforme sous l'influence du désir et de la passion les objets au loin ?
En de telles épreuves, je ne connais pas de moyen plus sûr que de se retirer dans son for intérieur, d'essayer de mettre de côté les désirs personnels, de chercher pour un moment à nous séparer de notre personnalité et d'envisager la question d'une façon plus large, plus claire, en priant notre Gouroudeva de nous guider ; alors, grâce à la lumière que nous pouvons obtenir par la prière et par l'analyse du soi et la méditation, il nous sera possible de choisir le sentier qui nous parait être celui du devoir. Nous pouvons nous tromper, mais si, après nous être efforcés de voir clairement, nous nous trompons, rappelons-nous que l'erreur est nécessaire pour donner une leçon que nous devons apprendre et qu'elle est d'une importance vitale pour notre progrès ; nous pouvons nous tromper et choisir le sentier du désir, induits en erreur par son influence, et nous pouvons obéir à Ahamkara en croyant choisir [31] Dharma. Nous serions-nous trompés : en nous efforçant de bien voir, nous avons bien fait, ainsi qu'en prenant la résolution de bien faire. Si même en essayant de faire le bien nous avons mal fait, soyons assurés que le Dieu en nous nous en corrigera. Pourquoi nous désespérer quand nous nous sommes trompés, quand notre coeur est dirigé vers le Suprême et que nous avons cherché à voir juste ? Je dirai plus : quand nous nous sommes efforcés de bien faire et que, dans notre aveuglement, nous avons mal agi, nous devrions plutôt accueillir avec plaisir la souffrance qui éclaire la vision mentale et, nous adressant avec intrépidité au Seigneur, lui dire :
"Encore, encore ici-bas les Flammes pour bruler tout ce qui obscurcit la vision, pour consumer toutes les scories mêlées à l'or pur. Brule, ô Toi le Radieux, jusqu'à ce que nous sortions du feu, purs et raffinés comme l'or dont toute impureté a disparu !"
Mais si nous reculons lâchement devant la responsabilité d'une décision et, sourds à la voix de la Conscience, nous choisissons le sentier facile qu'un autre nous indique comme étant le bon, bien que nous sentions qu'il soit mauvais, quand nous avons ainsi, malgré notre Conscience, suivi le sentier d'un autre, qu'avons-nous fait ? Nous avons fait taire la voix divine en nous, nous avons choisi la voie inférieure au lieu de la supérieure, nous avons choisi ce qui est facile et non ce qui est difficile ; nous avons choisi la soumission de la volonté plutôt que sa purification ; même si le sentier que nous suivons par le choix d'un autre pouvait être le meilleur des deux, nous n'en avons pas moins nui à notre évolution par la faute que nous avons commise en ne faisant pas ce que nous pensions être bien. Cette erreur est mille fois plus funeste que celle qui consiste à suivre la voix du désir. Faire ce que nous croyons être le plus élevé est le seul chemin pour celui qui aspire à la spiritualité. Si vous bravez votre sentiment du juste en adoptant comme chose juste ce que, dans votre coeur, vous sentez être mal, vous en remettant à l'avis d'un [32] autre, vous arriverez à perdre même le pouvoir de distinguer ce qui est bien de ce qui est mal, parce que vous avez éteint la seule lumière que vous ayez, si faible soit-elle, et que vous choisissez de marcher plutôt dans l'obscurité que dans le crépuscule. Comment serez-vous capable de distinguer la lumière des ténèbres, les Frères Blancs des Frères Noirs ; comment distinguerez-vous les Dévas des Démons, si vous ne les mettez pas à l'épreuve du devoir et du juste qu'ils doivent incarner ? Là où le devoir n'est pas rempli, où l'on ne voit ni amour, ni compassion, ni abnégation, il peut y avoir le pouvoir ; mais il n'y a pas la spiritualité qui éclaire le monde et sert d'exemple aux hommes.
Sur le sentier de l'aspiration spirituelle, nous ne devons pas nous attendre à trouver le chemin facile et uni, car la vie spirituelle n'est atteinte que par des efforts répétés et des erreurs constantes et le sentier du devoir n'est trouvé que par une persévérance indomptable. Désirons seulement connaitre le bien et nous le connaitrons surement ; peu importe par quel chemin de douleur on y arrive. Dans notre vie quotidienne, pratiquons le bien autant que nous le voyons et nous le verrons surement plus clairement à mesure que nous avancerons.
Mais comme il y a bien des personnes qui sont embarrassées quant au choix des Guides qui peuvent les aider dans leur marche ascendante et sur la manière de les reconnaitre, arrêtons-nous pour examiner quelles sont les preuves et la pierre de touche de la Vie Spirituelle, de cette spiritualité qui doit être copiée, vécue, qui est un exemple, un flambeau dans le monde.
Le critère et la preuve de l'homme avancé spirituellement, capable d'être le guide, l'instructeur, l'aide des autres, est dans la perfection des qualités que l'étudiant s'efforce de produire en lui-même. Cet être accomplit parfaitement ce que l'aspirant accomplit imparfaitement ; il incarne l'idéal auquel tend l'aspirant. [33]
Quelles sont donc les qualités qui indiquent la Vie Spirituelle ?
Autour de nous, de tous côtés, nous voyons des hommes et des femmes qui cherchent la lumière, qui luttent pour l'accroitre en eux. Ils sont perplexes, troublés, effarés.
Vis à vis de tous et vis à vis de chacun de ceux que nous rencontrons, nous avons un devoir à remplir. Il n'est aucune personne mêlée au cercle de notre vie vis à vis de laquelle nous n'ayons un devoir à remplir. Le monde n'est pas dirigé par la chance ; rien d'imprévu n'arrive dans la vie des hommes. Les devoirs sont des obligations que nous avons contractées envers ceux qui nous entourent et chacun de ceux qui vivent dans notre sphère d'action est quelqu'un envers qui nous avons un devoir à remplir.
Quel est le devoir que nous avons envers chacun ? C'est de nous acquitter de ces dettes que nos études nous ont rendues familières : le devoir de respecter nos supérieurs et de leur obéir ; le devoir de protection, de bonté, d'aide et de compassion pour ceux qui sont au-dessous de nous. Tels sont les devoirs généraux, et aucun aspirant ne devrait y manquer, ou au moins devrait-il essayer de les remplir. Sans l'accomplissement de ces devoirs, il n'y a pas de Vie Spirituelle.
Même quand nous nous sommes acquittés de la façon la plus complète des dettes imposées par la lettre de la Loi, quand nous avons payé et rempli les obligations que nous tenons de notre naissance, de notre milieu social et de notre karma national, il nous reste encore un devoir supérieur à remplir, devoir que nous devons avoir en vue et qui, comme un phare, doit éclairer notre chemin.
Toutes les fois qu'une personne entre en contact avec nous, faisons en sorte qu'elle ne quitte pas notre entourage sans être devenue meilleure ; quand un [34] ignorant vient et que nous avons la connaissance, il faut qu'il ne nous quitte que plus éclairé. Lorsqu'une personne affligée vient à nous, qu'elle s'en aille un peu moins triste, parce que nous avons partagé sa douleur. Lorsque nous avons affaire à un être faible si nous sommes forts, qu'il parte fortifié de notre force et non pas humilié par notre orgueil. Partout et pour tous, soyons tendres, patients, doux et secourables. Dans notre vie journalière, ne soyons pas durs afin de ne pas inspirer aux autres la confusion, l'embarras et la perplexité. Il y a assez de chagrin dans le monde. L'homme spirituel doit être une source de bienêtre et de paix, un flambeau qui éclaire le monde afin que tous marchent avec plus d'assurance lorsqu'ils se trouvent dans sa sphère d'influence. Que l'on juge de notre spiritualité d'après ses effets sur le monde et tâchons que le monde soit plus pur, meilleur et plus heureux parce que nous vivons en lui.
Pourquoi sommes-nous ici, sinon pour nous aider l'un l'autre, pour nous aimer l'un l'autre, et pour nous soulager l'un l'autre ? L'homme spirituel doit-il entraver ou aider ses semblables ? Doit-il être un Sauveur de l'humanité ou un être qui entrave l'évolution et dont on se retire découragé ? Observez comment votre influence affecte les autres et comment vos paroles agissent sur leurs vies. Votre langage doit être doux, vos paroles affectueuses ; les médisances, les paroles dures, les soupçons malveillants ne doivent pas souiller vos lèvres qui s'efforcent de servir de véhicule à la Vie Spirituelle. La difficulté est en nous, non hors de nous. C'est ici, dans notre propre vie et dans notre propre conduite que l'évolution spirituelle doit se faire. Aidez vos frères et ne soyez pas sévères pour eux. Relevez-les lorsqu'ils tombent et rappelez-vous que si vous vous tenez droit aujourd'hui, vous pouvez tomber demain et avoir besoin de la main secourable d'un autre pour vous relever. Toutes les Écritures déclarent que le Coeur de la Vie Divine est la compassion infinie, aussi l'homme spirituel doit-il être compatissant. De notre coupe d'amour, si [35] petite et misérable soit-elle, laissons tomber une goutte de cet océan de compassion dans lequel est baigné l'univers. Jamais vous n'agirez mal en aidant votre frère et en faisant passer ses besoins avant les vôtres.
C'est cela, et cela seul, la vraie spiritualité et cela signifie revenir au point de départ : c'est à dire qu'on reconnait le Soi en tous. L'homme spirituel doit vivre une vie plus haute que l'altruisme. Il faut qu'il mène la vie de l'identification du Soi avec tout ce qui vit et se meut. Il n'y a pas en ce monde de "prochain", nous ne formons tous qu'Un. Chacun est une forme séparée, mais un seul esprit se meut et vit en tous.
Écoutez ce que disait l'Amour Divin, Shri Krishna, en contemplant le monde des humains et en prononçant son verdict sur les justes et les pécheurs :
"Si le plus chargé de péchés m'adore d'un coeur sans partage, il doit être considéré comme juste, car il a pris une juste résolution, devient rapidement obéissant et marche vers la Paix Éternelle ; ô Kaunteya, sache avec certitude que celui qui se consacre à moi ne périt pas." 2
Prenez donc une sage résolution, qu'aucune crainte n'entre dans votre coeur. Vous pouvez errer, vous tromper, faillir mainte et mainte fois, mais vous vous soumettrez rapidement au devoir et vous irez à la Paix Éternelle.
Donnons notre dévotion à l'Amour Suprême, reconnaissons notre unité en Lui et, par conséquent, notre unité l'un avec l'autre. Comme nous avons pris une résolution juste, bien que nous ayons encore des faiblesses et des fautes, nous avons la promesse de la Vérité Elle-même et deviendrons promptement capables de remplir notre devoir et nous marcherons vers la Paix.

2 Bhagavad-Gîta, IX, 30, 31