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LES ENSEIGNEMENTS DES MAITRES DE LA HIERARCHIE

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CHAPITRE II — LE DÉSIR 1 — NATURE DU DÉSIR

CHAPITRE II

LE DÉSIR

1 —

NATURE DU DÉSIR


Lorsque la Monade envoie ses rayons dans la matière des troisième, quatrième et cinquième plans, et s'empare d'un atome de chacun de ces plans 67, elle donne naissance à ce qu'on appelle souvent sa réflexion dans la matière – l'Esprit dans l'homme – et l'aspect volonté se trouve reproduit dans l'Atmâ de l'homme qui a sa demeure sur le troisième plan, ou plan âtmique. Par cette première hypostase, la Monade perd naturellement certains de ses pouvoirs, à cause des voiles de matière qui viennent l'envelopper, mais sa nature n'est altérée en aucune façon. De même que l'image d'un objet reflété par un bon miroir est une reproduction parfaite de cet objet, de même l'Esprit humain, Atmâ-Bouddhi-Mânas, est une image parfaite de la Monade ; c'est, en vérité, la Monade elle-même, voilée par la matière dense qui l'entoure. Mais de même qu'un miroir convexe ou concave ne nous donnera qu'une image faussée de l'objet qui s'y reflète, de même la réflexion ou l'involution de [246] l'Esprit dans de la matière encore plus dense, ne nous donnera qu'une image déformée de cet Esprit.
Ainsi, lorsque la volonté, qui dans sa descente se voile de plus en plus en passant par les plans successifs, arrive au monde immédiatement supérieur au monde physique, c'est-à-dire le monde astral, elle apparait sous la forme du désir. Le désir présente toute l'énergie, toute la concentration, tout le caractère impulsif de la volonté, mais la matière l'a enlevé au contrôle et à la direction de l'Esprit, et c'est elle qui en devient maitresse. Le désir, c'est la volonté à laquelle on a arraché sa couronne, c'est la volonté captive, esclave de la matière. Elle n'agit plus par elle-même, mais sous l'empire des attractions de ce qui l'entoure.

67 Voir première partie, chap. IV, $ 3,

Telle est la différence entre la volonté et le désir. Leur nature intime à tous deux est identique, car tous deux ne sont, en réalité, qu'une seule et même modification, l'Atmâ, le pouvoir moteur unique dans l'homme, qui se détermine lui-même et devient le pouvoir qui pousse à l'activité, qui incite l'homme à agir sur son entourage, sur le non-soi. Lorsque c'est le Soi qui détermine cette activité, sans être influencé par les attractions ou les répulsions des objets extérieurs, c'est la volonté qui se manifeste. Lorsque ce sont les attractions et les répulsions des objets extérieurs qui déterminent l'activité, et que l'homme, sourd à la voix du Soi, inconscient de la présence du Maitre intérieur, devient le jouet de ces influences, c'est le désir qui apparait.
Le désir, c'est la volonté revêtue de matière astrale, de cette matière, dont la deuxième vague de vie a formé des combinaisons nombreuses, [247] et qui, dans sa réaction sur la conscience, donne naissance, en celle-ci, à des sensations. Revêtue de cette matière dont les vibrations sont accompagnées de sensations dans la conscience, la volonté se transforme en désir. Enveloppée de matière donnant naissance à des sensations, sa nature essentielle, qui est de donner des impulsions motrices, répond par une énergie impulsive et c'est cette énergie qui s'éveille et agit dans la matière astrale qu'on appelle le désir.
Sur les plans supérieurs la volonté constitue le pouvoir actif ; sur les plans inférieurs c'est le désir qui remplit ce rôle. Lorsque le désir est faible, toute la nature de l'individu est faible dans sa réaction sur le monde extérieur. La force effective de la nature d'un individu se mesure d'après sa force de volonté ou de désir, selon le stade de son évolution. Il y a une grande vérité au fond de ce dicton populaire : "Les plus grands pécheurs font les plus grands saints."
Une personne de nature tiède ne sera jamais ni très bonne ni très méchante ; elle n'est pas assez forte de tempérament pour avoir autre chose que des demi-vertus ou des demi-vices. La force de la nature de désirs d'un individu nous donne la mesure de sa capacité de progresser, la mesure de l'énergie motrice, grâce à laquelle il pourra se frayer son chemin. La force qui pousse l'individu à réagir sur son entourage nous donne la mesure de son pouvoir de modifier, changer, conquérir cet entourage. Dans la lutte contre la nature des désirs, lutte qui marque l'évolution supérieure, l'énergie motrice ne sera pas détruite, mais transmuée ; les désirs inférieurs seront transmués en désirs plus élevés ; l'énergie s'affinera sans perdre rien de son pouvoir, et finalement [248] la nature des désirs disparaitra pour réapparaitre sous forme de volonté, toutes les énergies se trouvant rassemblées et fondues dans l'aspect volonté de l'Esprit, le pouvoir du Soi.
Aussi l'aspirant ne se découragera pas devant l'assaut furieux des désirs, pas plus qu'un dresseur de chevaux ne saurait s'émouvoir devant les bonds et les ruades d'un poulain fougueux. L'impétuosité du jeune animal encore indiscipliné et sa révolte contre les efforts que son maitre fait pour le dompter ne sont que les promesses de tous les services qu'il rendra un jour lorsqu'il aura été dompté et dressé. De même, la résistance qu'opposent les désirs au joug de l'intelligence n'est que la promesse de la future puissance de la volonté, l'aspect pouvoir du Soi.
Là où la difficulté apparait plutôt, c'est lorsque les désirs sont faibles, avant même que la volonté se soit affranchie des entraves de la matière astrale, car dans ce cas la volonté de vivre ne se manifeste que faiblement et la force motrice qui active l'évolution est presque nulle.
Les véhicules constituant une sorte d'obstacle, de barrière, qui arrête l'énergie de la Monade et en empêche le libre épanchement ; et tant que cet obstacle n'est pas supprimé, tout progrès est à peu près impossible. Le navire file droit devant lui dans la tempête, s'exposant peut-être par-là à un naufrage, mais, lorsque la mer est calme comme un lac, il reste immobile et n'obéit plus à la voile ni au gouvernail.
Et comme dans ce grand voyage qu'est l'évolution, la catastrophe finale est impossible, et que seule une avarie passagère peut se produire, comme l'ouragan souffle, plutôt que le calme plat, vers le progrès, ceux qui se voient ballotés [249] par la tempête peuvent attendre avec confiance le jour où les coups de vent impétueux des désirs feront place aux courants continus de la volonté.


2 — APPARITION DU DÉSIR


C'est du monde astral que dépendent toutes nos sensations. Les centres par lesquels nous sentons sont situés dans le corps astral, et les réactions qu'ils opposent aux contacts de l'extérieur donnent naissance, dans la conscience, aux sensations de plaisir ou de douleur. D'ordinaire, le physiologiste fait partir la sensation de plaisir ou de douleur du point de contact avec un centre du cerveau, et ne reconnait que des vibrations nerveuses, allant de la périphérie au centre, et la réaction de la conscience dans le centre du cerveau constitue pour lui la sensation. Mais nous suivons les vibrations plus loin ; nous ne trouvons dans le centre du cerveau et dans l'éther qui le pénètre que des vibrations pures et simples et pour nous, le centre astral est l'endroit où la réaction de la conscience prend place.
Lorsque le corps astral se sépare du corps physique, que ce soit sous l'influence du chloroforme, de l'éther, d'un gaz stupéfiant ou d'une drogue quelconque, le corps physique, avec tout son système nerveux, n'a pas plus conscience que s'il avait été privé de tous ses nerfs. Les liens entre le corps physique et le corps des sensations perdent l'équilibre de leurs fonctions, et la conscience ne répond plus aux influences de l'extérieur. L'éveil des désirs se produit dans le corps des sensations et fait suite aux premières vagues sensations de plaisir et de douleur. Comme nous l'avons dit plus [250] haut 68, "le plaisir se traduit par un sentiment d'augmentation, de vie plus intense, plus riche". Tandis que la douleur provoque un sentiment de suppression, de diminution de la vie. Toutes deux font partie de la conscience dans sa totalité. À cet état primitif, la conscience ne manifeste pas les trois aspects familiers de volonté, sagesse et activité, même à l'état de germe ; la sensation les précède, et appartient à la conscience dans son ensemble, quoique dans deux stades ultérieurs de l'évolution, elle se montre si souvent alliée à l'aspect volonté-désir, qu'on l'identifie presque avec lui. À mesure que les états de plaisir et de douleur deviennent plus fréquents dans la conscience, ils donnent naissance à un état spécial ; lorsque le plaisir est passé, il reste dans la conscience une attraction qui se transforme en un tâtonnement vague vers ce plaisir – et, chose importante à noter, un tâtonnement, non pas vers un objet procurant le plaisir, mais vers la continuation de la sensation de plaisir – une vague poursuite de la sensation qui s'évanouit, un mouvement – trop peu défini pour qu'on l'appelle un effort – pour s'emparer de cette sensation et la retenir. De même lorsque la douleur est passée, il reste dans la conscience un sentiment de répulsion qui devient un vague effort pour repousser la douleur. Ce sont ces états qui donnent naissance au désir. Cet éveil du désir est un faible effort, un mouvement, un tâtonnement vague, sans direction déterminée, que fait vers l'extérieur la Vie en quête du plaisir. Il ne peut pas aller plus loin tant que la pensée ne s'est pas [251] développée jusqu'à un certain point, et n'ait reconnu la présence d'un monde extérieur, un non-soi, et n'ait appris à rattacher à différents objets de ce non-soi, le sentiment de plaisir ou de douleur, que leur contact produit dans la conscience.
Mais bien avant que la présence des objets extérieurs ait été reconnue, les résultats de ces contacts ont provoqué, comme nous l'avons dit plus haut, une division, un dédoublement du désir. Prenons un exemple très simple : le désir de la nourriture dans un organisme inférieur ; lorsque le corps physique s'use, s'affaiblit, il se produit dans le corps astral une sensation de douleur, un besoin, une demande impérieuse, mais vague et indéterminée ; par l'usure, le corps est devenu un véhicule moins effectif de la vie qui se déverse à travers le plan astral, et cet arrêt provoque la douleur. De la nourriture est apportée par le courant d'eau qui baigne cet organisme ; à mesure qu'elle est absorbée, l'usure est réparée, la vie reprend son cours normal : c'est le plaisir. À un stade un peu plus élevé nous voyons, sous l'influence de la douleur, apparaitre le désir de se soustraire à son atteinte, un sentiment de répulsion, opposé au sentiment d'attraction provoqué par le plaisir. Il en résulte que le désir se trouve divisé en deux. De la volonté de vivre est né le désir ardent de la sensation, et cette envie qui apparait dans les véhicules inférieurs sous la forme du désir, devient d'une part le désir intense des sensations qui donnent plus de force à la vie et d'autre part un dérobement à tout ce qui affaiblit ou amoindrit cette vie. Cette attraction et cette répulsion sont toutes deux également de la nature du désir. De même qu'un aimant attire ou repousse certains métaux, de même le [252] Soi attire et repousse ce qui l'entoure. L'attraction et la répulsion sont toutes deux le désir ; ce sont les deux grandes énergies motrices de la vie, dans lesquelles peuvent se résoudre tous les désirs. Le Soi tombe sous le joug du désir, de l'attraction et de la répulsion, et se trouve attiré de ce côté, repoussé de celui-là, jeté au milieu d'une foule d'objets qui provoquent le plaisir ou la douleur, comme un bateau sans gouvernail au milieu des tourbillons du vent et des eaux.

68 Voir première partie, chap. IV, 1.


3 — RELATIONS ENTRE LE DÉSIR ET LA PENSÉE

Voyons maintenant quelles relations il y a entre le désir et la pensée et voyons comment ce désir gouverne d'abord la pensée et se trouve ensuite lui-même gouverné par elle.
La raison pure est la réflexion de l'aspect sagesse de la Monade, et se montre dans l'esprit humain sous la forme de Bouddhi. Mais nous ne nous occuperons pas ici de la relation entre le désir et la raison pure, car on ne peut pas dire qu'il y ait une relation directe avec la sagesse, mais plutôt avec l'amour, manifestation de la sagesse sur le plan astral. Ce qu'il nous faut étudier plutôt, c'est la relation avec l'aspect activité de la Manade, aspect qui apparait sur le plan astral sous forme de sensation et sur le plan mental sous forme de pensée. Nous ne nous occuperons pas de l'intelligence supérieure, l'activité créatrice, manas, dans toute sa pureté, mais de sa réflexion déformée, l'intelligence inférieure. C'est cette intelligence inférieure qui se trouve en relation directe avec le désir, auquel elle est indissolument liée dans [253] l'évolution humaine ; ils sont si intimement liés l'un à l'autre qu'on emploie souvent le terme kâma-manas, l'intelligence-désir, comme si c'était une seule chose, tant il est rare de trouver dans la conscience inférieure une seule pensée qui ne soit pas influencée par le désir. "En vérité il est dit que manas est double, pur et impur ; le manas pur est déterminé par la pensée 69."
Cette intelligence inférieure devient la pensée sur le plan mental. Sa propriété caractéristique est l'affirmation et la négation ; elle ne connait pas la comparaison ; elle perçoit et se souvient. Comme nous l'avons vu plus haut, ce même aspect, qui, sur le plan mental, est la pensée, devient sur le plan astral la sensation et résulte du contact avec le monde extérieur.
Lorsqu'un plaisir a été ressenti et s'est évanoui ensuite, le désir prend naissance de le ressentir à nouveau comme nous venons de le voir. Ceci implique la présence de la mémoire, qui est une fonction de l'intelligence. Ici comme partout, il faut se rappeler que la conscience agit toujours sous ses trois aspects, quoique l'un ou l'autre des aspects prédomine, car il est impossible qu'un désir, si rudimentaire soit-il, prenne naissance, si la mémoire n'existe pas. Il faut que la sensation produite par un impact extérieur se renouvèle un grand nombre de fois avant que l'intelligence n'établisse une relation entre la sensation dont elle a conscience et l'objet extérieur qui l'a provoquée. L'intelligence finit par percevoir l'objet, c'est-à-dire le rattache à l'un des changements qui se produisent en elle-même, reconnait qu'une modification a été provoquée [254] en elle par un objet extérieur. La répétition de cette perception établit un lien défini dans la mémoire entre l'objet et la sensation de plaisir ou de douleur, et lorsque le désir pousse l'individu à répéter le plaisir, l'intelligence se remémore l'objet qui lui a procuré ce plaisir. Le mélange de la pensée et du désir donne naissance à un désir particulier, le désir de trouver et de s'approprier l'objet qui procure le plaisir.
Ce désir pousse l'intelligence à exercer son activité naturelle. Le désir intense, lorsqu'il n'est pas satisfait, provoque un sentiment de gêne, et l'individu fait un effort pour s'en défaire, en s'emparant de l'objet convoité.
L'intelligence jette des plans, forme des projets, pousse le corps à agir, en vue de satisfaire l'ardeur du désir. De la même façon, poussée par le désir, elle jette ses plans, forme des projets, pousse le corps à agir, pour éviter le retour de la douleur provoquée par un objet, qui, elle le sait maintenant, donne naissance à la douleur.
Telle est la relation qui existe entre le Désir et la pensée. Elle provoque, stimule, engendre les efforts de l'intelligence. Cette intelligence au début est l'esclave du désir, et la rapidité de sa croissance dépend de l'intensité des excitations du désir. Nous désirons, et nous sommes forcés de penser.

69 Bindopanishad, 1.


4 — DÉSIR, PENSÉE, ACTION


Le troisième stade de ce contact du Soi et du non-soi est l'action. L'intelligence ayant perçu l'objet de son désir, provoque l'action, qu'elle guide et façonne. On dit souvent que l'action nait du désir, mais le désir seul ne pourrait [255] donner naissance qu'à un mouvement, à une action imprécise. La force du désir est propulsive et non directe. C'est la pensée qui apporte l'élément directeur et guide l'action selon les besoins.
Ce cercle – désir, pensée, action – se répète continuellement dans la conscience. Le pouvoir propulsif du désir fait naitre la pensée ; le pouvoir directeur de la pensée guide l'action. Cette succession est invariable et il est de toute importance de bien le comprendre, car le contrôle de la conduite dépend de sa compréhension et de son application dans la pratique. Pour façonner le karma, il faut bien comprendre cet ordre de succession, car ce n'est qu'ainsi que nous pourrons distinguer entre l'action que l'on peut éviter et celle qui est inévitable.
C'est par la pensée que nous pouvons transformer le désir et, par suite, l'action. Lorsque l'intelligence s'est rendu compte que certains désirs l'ont poussé à des actions qui ont eu des résultats désastreux, elle est capable de résister à l'avenir à tous les assauts des désirs de ce genre, et de refuser de guider des actions qu'elle sait devoir se terminer d'une façon malheureuse. Elle peut se représenter ces résultats douloureux et éveiller ainsi l'énergie répulsive du désir et peut voir en imagination les résultats heureux que donneraient des désirs d'espèce opposée. L'énergie créatrice de la pensée peut s'employer à façonner les désirs, et son énergie propulsive peut prendre une direction plus avantageuse. Ainsi, la pensée peut s'employer à maitriser les désirs et devenir le maitre au lieu d'être l'esclave. Et lorsqu'elle affirme ainsi sa suprématie sur son partenaire rebelle, elle commence la transmutation du désir [256] en volonté, transférant le contrôle de l'énergie rayonnante, de l'extérieur à l'intérieur, des objets extérieurs qui attirent ou repoussent, à l'Esprit, le Maitre intérieur.


5 — LES LIENS DU DÉSIR


Comme la volonté de vivre est la cause du rayonnement vers l'extérieur, la cause qui pousse la vie à s'incorporer et à s'approprier ce qui est nécessaire à sa manifestation et à sa subsistance dans la forme, le désir, étant la volonté sur un plan intérieur, offrira les mêmes caractéristiques ; il cherchera à s'approprier, à attirer pour en faire une partie de lui-même, tout ce qui pourra contribuer à maintenir et favoriser sa vie dans la forme. Lorsque nous désirons un objet, nous cherchons à faire de cet objet une partie de nous-mêmes, une partie du Moi, afin qu'il fasse partie de la forme dans laquelle le Moi est incorporé.
Le désir est la manifestation du pouvoir d'attraction, c'est lui qui attire à nous l'objet de nos désirs. Tout ce que nous désirons, nous l'attirons à nous. Le désir de posséder établit un lien entre l'objet et l'être qui désire cet objet. Nous attachons ainsi au Soi cette portion du non-soi, et le lien ainsi établi persiste jusqu'à ce que l'objet entre entièrement en notre possession ou que le Soi ne brise ce lien et ne refuse d'accepter l'objet. Ce sont là les "liens du coeur", qui attachent le Soi à la roue des renaissances et de la mort.
Ces liens entre celui qui désire et les objets désirés sont comme des cordes qui tirent le Soi vers l'endroit où il trouvera les objets de ses désirs, et déterminent sa naissance dans un monde ou dans l'autre. C'est de cela que parle [257] ce verset :
"Et celui qui est attaché, obtient toujours par l'action, l'objet sur lequel son intelligence s'est arrêtée. Et ayant obtenu l'objet de l'action qu'il accomplit ici-bas, il revient de l'autre monde dans celui-ci pour l'amour de l'action. Il en est ainsi de l'intelligence qui désire 70".

70 Brihadaranya Upanishad, IV, 6.

Si un homme désire les objets d'un autre monde plus ardemment que ceux de celui-ci, c'est dans cet autre monde qu'il renaitra. Ce lien du désir se resserre continuellement, jusqu'au moment où le Soi et l'objet se trouvent réunis.
Cette grande et unique énergie directrice, la volonté de vivre, qui maintient le cours des planètes autour du soleil, qui empêche la dissociation de la matière des mondes, et maintient la forme de nos corps, c'est l'énergie du désir, et ce désir attire infailliblement à nous tous les objets sur lesquels il a jeté son dévolu ou bien nous attire nous-mêmes vers ces objets. L'hameçon du désir se fixe dans un objet comme un harpon dans le flanc de la baleine. Lorsque le désir s'est fixé sur un objet, le Soi se trouve attaché à cet objet ; il se l'est approprié par la volonté et bientôt va le faire sien par l'action. C'est pourquoi un grand sage a dit : "Si ton oeil droit te gêne, arrache-le et jette-le loin de toi… Si ta main droite te déplait, coupe-la et jette-la loin de toi 71." La chose désirée devient partie intégrante du Soi, et, si cette chose est mauvaise, il faut l'arracher coute que coute. Autrement elle ne disparaitra que sous l'influence du temps ou de l'usage continu. "L'homme fort, [258] seul, pourra l'anéantir. Le faible devra attendre qu'elle croisse, murisse et meure 72."


6 — RUPTURE DES LIENS


Pour briser les liens du désir, il faut avoir recours à l'intelligence. C'est en elle que réside le pouvoir qui purifiera d'abord et transmuera ensuite le désir.
Chaque fois qu'un individu s'empare de l'objet de son désir, l'intelligence enregistre les résultats de l'action, et remarque si cette union de l'objet avec le Soi incorporé provoque le plaisir ou bien la douleur. Lorsqu'elle s'est appropriée un certain nombre de fois un objet et se rend compte que le résultat est chaque fois une sensation douloureuse, elle range cet objet dans la catégorie de ceux qu'elle devra éviter à l'avenir. "Les plaisirs qui naissent des contacts sont en vérité des sources de douleur 73".

71 Mathieu, V, 29-30.
72 Lumière sur le Sentier, 4.
73 Bhagavad Gitâ, V, 22.

C'est alors qu'une lutte s'engage. Lorsque l'objet attractif se présente à nouveau, le désir lance son harpon pour le saisir, et commence à l'attirer. L'intelligence, se souvenant des résultats pénibles qu'ont eus les précédentes captures de ce genre, cherche à trancher avec le glaive de la connaissance le lien qui l'enserre. Un combat furieux se livre dans l'homme. Il est poussé en avant par le désir et retenu en même temps par la pensée. Maintes fois le désir triomphera et s'emparera de l'objet convoité ; mais la douleur qui en résulte se renouvèle continuellement, et à [259] chaque nouvelle victoire qu'il remporte, le désir voit se dresser devant lui un nouvel ennemi en la personne du pouvoir de l'intelligence. Inévitablement, quoique bien lentement, la pensée montrera sa suprématie, jusqu'à ce qu'enfin la victoire soit de son côté ; et un jour viendra où le désir, devenu plus faible que l'intelligence, l'objet attractif perdra tout son intérêt, et le lien se trouvera brisé. Le lien avec cet objet sera rompu à tout jamais.
La pensée cherche, dans ce conflit, à utiliser la force du désir contre le désir lui-même. Elle choisit parmi les objets du désir ceux qui procurent un plaisir relativement durable, et cherche à s'en servir contre les désirs qui provoquent rapidement la douleur. Ainsi, elle opposera les plaisirs artistiques aux plaisirs sensuels ; elle se servira de la renommée, du pouvoir politique ou social contre les jouissances de la chair ; elle stimulera le désir de faire le bien et de s'abstenir du vice ; et pour finir elle laissera le désir de la paix éternelle prendre la suprématie sur les jouissances temporelles. Par l'unique grande attraction, les attractions inférieures se trouvent obscurcies et cessent d'être l'objet des désirs. "Même le gout (pour ces objets) se détourne de lui, lorsqu'il a vu le Suprême" 74. L'énergie même du désir peut l'arracher à ce qui provoque la douleur, et l'attacher à ce qui apporte la joie. Cette même force qui, auparavant, tenait tout sous son joug, devient maintenant un instrument de délivrance. S'arrachant à l'attraction des objets extérieurs, elle tourne ses regards en haut, vers l'intérieur, et réunit l'homme à la Vie [260] dont il est sorti, et de l'union avec cette Vie naitra pour l'homme la félicité sans bornes.
En cela réside toute la valeur de la dévotion, comme agent libérateur. L'amour pour l'Être suprême trouve cet Être éminemment désirable, le considère comme un objet de plaisir sans borne, et les liens avec les objets inférieurs, qui tiennent le coeur captif, sont brisés.
C'est seulement par le Soi en tant que pensée, que le Soi, en tant que désir, peut être maitrisé ; le Soi qui a reconnu qu'il est la Vie l'emporte sur le soi qui se croit la forme. Il faut que l'homme apprenne à se séparer des véhicules dans lesquels il désire, pense, agit, afin de reconnaitre que tous font partie du non-soi, qu'ils constituent la vie en dehors de lui-même. De sorte que l'énergie qui, dans les désirs inférieurs se portait sur les objets, devient le désir supérieur, guidé par l'intelligence et prêt à se transmuer en volonté.

74 Bhagavad Gitâ, II, 59.

À mesure que l'intelligence inférieure se fond ainsi dans l'intelligence supérieure, et cette dernière dans la sagesse, l'aspect volonté pure apparait sous la forme du pouvoir de l'Esprit, qui se détermine et se gouverne lui-même, en harmonie parfaite avec la Volonté suprême, et libre par conséquent. C'est alors seulement que tous les liens sont brisés et que l'Esprit se trouve libéré de tout. C'est à ce moment seulement qu'on peut dire de la volonté qu'elle est libre.

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