COMMENT LE KARMA PEUT ÊTRE FAÇONNÉ
L'homme qui se met délibérément à édifier l'avenir se rendra compte, à mesure que son savoir augmente, qu'il peut faire plus que mouler son propre caractère, mais bien composer ainsi sa destinée future. Il commence à comprendre qu'il est très réellement au centre des choses ; qu'il est un être vivant, actif, libre de ses déterminations, et capable d'agir sur les circonstances aussi bien que sur lui-même. Il s'est accoutumé depuis longtemps à suivre les grandes lois morales établies pour la conduite de l'humanité par les Instructeurs Divins qui sont nés d'âge en âge ; il comprend maintenant que ces lois ont pour [86] base les principes fondamentaux de la Nature et que la moralité n'est que la science appliquée à la conduite de l'homme. Il voit que, dans la vie journalière, il peut neutraliser les résultats mauvais qui découlent d'actes mauvais, en apportant, sur le même point, l'effort d'une force correspondante tournée vers le bien. Un homme, par exemple, dirige contre lui une pensée mauvaise : il pourrait l'affronter avec une pensée du même genre, et alors les deux formes-pensées, se fondant ensemble comme deux gouttes d'eau, se renforceraient, se fortifieraient l'une par l'autre ; mais celui contre qui est lancée la pensée mauvaise sait ce qu'est Karma, et oppose à la force malveillante la force de la compassion ; il met ainsi l'autre en miettes ; la forme brisée ne peut plus être animée par la vie élémentale ; la vie retourne à son foyer, la forme se désintègre, sa puissance pour le mal est détruite par la compassion, et "la haine cesse par l'amour".
Des formes trompeuses de mensonge cheminent dans le monde astral : l'homme qui sait envoie contre elles des formes de vérité ; la pureté chasse l'impureté, et la charité détruit l'avidité égoïste. À mesure que le savoir augmente, cette action [87] s'exerce directement et à propos ; la pensée poursuit un but avec une intention définie et est portée sur les ailes d'une puissante volonté. De cette façon, le mauvais Karma est enrayé dans son principe même, et, il ne reste rien pour établir un lien karmique entre celui qui a lancé le trait qui doit blesser et celui qui l'a désagrégé par le pardon. Les Instructeurs Divins qui ont parlé avec autorité sur le devoir de combattre le mal par le bien, basaient leurs enseignements sur la connaissance qu'ils avaient de la loi ; leurs disciples, qui leur obéissent sans percevoir entièrement la base scientifique du précepte, diminuent le lourd Karma qui prendrait naissance s'ils répondaient à la haine par la haine. Quant aux hommes qui savent, ils détruisent de propos délibéré les formes du mal, car ils comprennent les faits sur lesquels a toujours été basé l'enseignement des Maitres ; ils frappent de stérilité les semences du mal, et empêchent une future moisson de souffrance.
Arrivé à un degré relativement avancé, – si on le compare à celui qu'atteint la moyenne de l'humanité qui va lentement à la dérive – l'homme ne se contentera pas de construire son caractère, [88] ni même de mettre à profit de son mieux les formes-pensées qu'il trouve sur sa route ; il commencera à voir le passé et, par-là, à mesurer le présent, allant des causes karmiques à leurs effets. Il devient capable de modifier l'avenir en mettant consciemment en oeuvre des forces destinées à en contrebalancer d'autres qui sont déjà en mouvement. La connaissance le rend capable d'utiliser la loi aussi surement que le font les savants dans les différents règnes de la Nature.
Arrêtons-nous un moment pour considérer les lois du mouvement. Un corps mis en mouvement se meut dans un sens défini : si une autre force vient agir sur lui suivant une direction différente, son mouvement se produira dans une direction nouvelle qui sera la résultante des deux impulsions. Il n'y aura aucune perte d'énergie, mais une partie de la force initiale sera employée à contrebalancer la nouvelle, et la ligne suivant laquelle le corps va se mouvoir ne sera ni celle de la première force, ni celle de la seconde, mais une ligne intermédiaire qui participe des deux directions. Un physicien peut calculer exactement sous quel angle il faut frapper un corps en mouvement pour lui faire suivre une direction voulue, et, bien que le corps lui-même puisse se trouver [89] hors de sa portée immédiate, il peut envoyer dans sa direction une force donnée, d'une vitesse calculée, de façon à le frapper sous un angle donné, à le détourner ainsi de sa route première et à le pousser sur une ligne nouvelle. En cela il n'y a ni violation de la loi, ni entrave, mais seulement utilisation de la loi par le savoir, conquête des forces naturelles, obligées d'accomplir les desseins de la volonté humaine.
Appliquons ce principe lorsqu'il s'agit de façonner le Karma ; nous verrons de suite, – en dehors du fait de l'inviolabilité de la loi, – que ce n'est pas "contrarier l'action de Karma" que de la modifier par la connaissance. Nous nous servons d'une force karmique pour modifier des résultats karmiques et, une fois de plus, c'est par l'obéissance que nous faisons la conquête de la Nature.
Supposons maintenant qu'un étudiant avancé, en jetant ses regards en arrière, voie les lignes d'un Karma passé converger vers un centre d'action de nature fâcheuse ; il pourra faire intervenir une force nouvelle parmi ces énergies convergentes et modifier ainsi l'évènement qui doit résulter de toutes les forces utilisées pour sa [90] génération et sa maturation. – Mais une opération de ce genre nécessite chez lui la connaissance ; non pas seulement le pouvoir de voir le passé et de tracer les lignes qui le rattachent au présent, mais celui de calculer exactement l'influence que va exercer la force introduite par lui et surtout les effets qui découleront de cette résultante considérée à son tour comme cause. Il peut de cette façon diminuer ou détruire les résultats du mal causé par lui dans le passé, en répandant des forces bienfaisantes dans son courant karmique ; il ne peut ni défaire ni détruire le passé, mais, autant que les effets en sont encore à venir, il peut modifier ceux-ci ou les retourner par les forces nouvelles qu'il apporte et qu'il fait agir comme causes dans leur production. En tout ceci il ne fait qu'utiliser la loi, travaillant avec la certitude de l'homme de science qui équilibre une force par une autre, et qui, incapable de détruire un atome d'énergie, peut cependant obliger un corps à se mouvoir comme il le désire, par un calcul d'angles et de forces. On peut, de même, accélérer ou retarder le Karma, et lui faire subir des modifications par l'action de l'entourage dans lequel il se forme.
Répétons la même chose sous une autre forme, car la conception en est importante et féconde. [91] À mesure que la connaissance augmente, il devient de plus en plus facile de se débarrasser du Karma du passé. Les causes, à mesure que leurs effets se préparent, viennent toutes dans le champ visuel de l'âme qui approche de sa libération ; car elle considère ses vies passées et jette un regard rétrospectif sur les siècles qu'elle a lentement franchis ; elle peut alors se rendre compte de la manière dont se sont formés ses liens, et des causes qu'elle a mises en mouvement ; elle peut voir combien de ces causes ont été mises en oeuvre et se sont épuisées, et combien il en reste encore qui sont en voie d'accomplissement. Elle peut regarder non seulement en arrière, mais aussi en avant et voir les effets que ces causes produiront, de sorte que, en regardant en avant, elle aperçoit les effets qui seront produits et, en regardant en arrière, elle voit les causes qui amèneront ces effets. Il n'y a aucune difficulté à supposer que si dans la nature physique ordinaire la connaissance de certaines lois nous rend capables de prédire un résultat et de voir quelle loi le produit, transportant cette idée sur un plan plus élevé, nous puissions imaginer un état de l'Âme développée qui lui permette de voir les causes karmiques qu'elle a mises en mouvement derrière [92] elle et les effets karmiques au milieu desquels elle aura à travailler dans l'avenir.
Avec une semblable connaissance des causes et la vision de leurs résultats, il est possible de faire intervenir des causes nouvelles pour neutraliser ces effets et de préparer pour l'avenir les effets que nous désirons, en utilisant la loi, en nous confiant absolument à son caractère immuable et invariable, et en calculant avec soin les forces mises en jeu. C'est une simple affaire de calcul.
Supposez que, dans le passé, des vibrations de haine aient été mises en mouvement ; nous pouvons résolument nous mettre à travailler à les anéantir, pour les empêcher d'agir dans le présent et l'avenir, et cela en leur opposant des vibrations d'amour. C'est ainsi que, en prenant une première onde sonore, puis une seconde et en les lançant toutes deux, l'une légèrement en retard sur l'autre, de façon que les vibrations de la partie la plus dense de l'une correspondent à la partie la moins dense de l'autre, nous pouvons, de ces sons, faire du silence par interférence ; de même, dans des régions supérieures, il est possible avec des vibrations d'amour et de haine employées en connaissance de cause et contrôlées par la volonté, de mettre fin à des causes karmiques et d'arriver [93] ainsi à l'équilibre, mot qui veut dire aussi libération.
Cette connaissance est hors de la portée de la grande majorité des hommes. Voici ce que l'on peut faire, si on tient à utiliser la Science de l'Âme. On peut prendre le témoignage d'hommes expérimentés dans la matière, suivre les préceptes de morale des grands Instructeurs religieux du monde et, par l'obéissance à ces préceptes, – auxquels correspond l'intuition, bien que cette méthode de travail puisse ne pas être comprise – arriver à accomplir ce que peut accomplir directement un savoir éclairé et conscient et ainsi, le dévouement et l'obéissance à un Maitre peuvent travailler en vue de la libération comme pourrait le faire, quoique différemment, la connaissance.
En appliquant partout ces principes, l'étudiant commencera à se convaincre du retard que fait subir à l'homme son ignorance, et du rôle important que joue la connaissance dans l'évolution humaine. Les hommes vont à la dérive parce qu'ils ne savent pas ; ils sont impuissants parce qu'ils sont aveugles. Celui qui veut faire son chemin plus vite que le commun des mortels et distancer la foule paresseuse, "comme le cheval de course laisse derrière lui le bidet", celui-là a besoin de [94] sagesse tout à la fois et d'amour, de savoir autant que de dévouement. Il n'est pas dans l'obligation d'user lentement les mailles des chaines qu'il a forgées dans un passé lointain ; il peut rapidement les couper à la lime et se débarrasser d'elles aussi complètement que si la rouille l'en avait lentement délivré.