LE KARMA COLLECTIF


Le rassemblement des Âmes en groupes formant des familles, des castes, des nations, des races, introduit un nouvel élément de confusion dans les résultats karmiques, et c'est là que se trouve une place pour ce qu'on nomme les "accidents", et pour les adaptations que font sans cesse les Seigneurs du Karma. Bien qu'il ne puisse rien arriver à un homme que ce qui se trouve "dans son Karma" individuel, il parait qu'une catastrophe nationale, un tremblement de terre par exemple, peut servir de prétexte pour lui permettre d'épuiser une certaine quantité de mauvais Karma qui, régulièrement, n'aurait pas été affecté à sa période d'existence actuelle. [104] Il semblerait, – et je n'en parle que spéculativement, n'ayant pas sur ce point de connaissances spéciales, – que la mort subite ne peut supprimer le corps d'un homme que s'il doit une telle mort à la loi ; peu importe le tourbillon de malheurs et de catastrophes dans lequel il peut être entrainé ; il sera ce qu'on appelle "sauvé miraculeusement" au milieu de la mort et de la ruine qui ont balayé ses voisins, et sortira sans mal de la tempête ou de l'explosion. Mais s'il doit une vie, et si son Karma national ou familial l'a attiré dans la zone d'action d'une semblable catastrophe, aucune intervention ne pourrait être utilement efficace pour le préserver, même si cette mort subite ne fait pas partie de la trame du Linga Sharîra spécialement affecté à sa vie présente. On prendra tout particulièrement soin de lui ensuite, pour qu'il ne souffre pas injustement de son expulsion subite de la vie terrestre ; mais il aura eu la faculté de payer sa dette au moment de cette éventualité, mise à sa portée par l'action élargie de la loi, par le Karma collectif qui l'enveloppe.
De même, il peut lui arriver de tirer bénéfice de cette action indirecte de la loi, si par exemple il fait partie d'une nation qui jouit des effets d'un [105] bon Karma national ; il peut recevoir ainsi le montant d'une dette que la Nature ne lui aurait pas payée dans sa vie présente, si son Karma individuel seul était entré en ligne de compte.
La naissance d'un homme dans telle ou telle nation est déterminée par certains principes généraux d'évolution, aussi bien que par ce qui constitue sa caractéristique propre. Dans son lent développement, l'Âme n'a pas seulement à passer par les sept races racines d'un globe (je parle de l'évolution normale de l'humanité), mais encore par les sous-races. Cette nécessité impose certaines conditions auxquelles doit s'adapter le Karma individuel, et la nation qui appartient à la sous-race par laquelle doit passer l'Âme offrira le champ où devront se trouver les conditions les plus spécialement requises. Là où de longues séries d'incarnations ont pu être suivies, on a trouvé que certains individus progressent régulièrement de sous-race en sous-race, tandis que d'autres sont plus errants, et se réincarnent parfois plusieurs fois dans telle ou telle sous-race. Tout en restant dans les limites de la sous-race, les caractéristiques individuelles de l'homme l'attirent vers telle ou telle nation, et nous pouvons remarquer des caractéristiques [106] nationales dominantes réapparaissant "en bloc" sur le théâtre de l'histoire, après l'intervalle normal de quinze cents ans. C'est ainsi qu'une foule de Romains se réincarnent aujourd'hui comme Anglais, et leurs instincts d'entreprise, de colonisation, de conquête, de domination réapparaissent comme des attributs nationaux. L'homme chez qui de pareilles caractéristiques nationales sont fortement marquées et pour lequel le moment de renaitre est venu, peut être attiré dans la race anglaise par son Karma, et partager la destinée de cette nation, pour le bien ou pour le mal, en tant que cette destinée peut affecter le sort d'un individu.
Naturellement le lien familial est d'un caractère plus personnel que le lien national, et ceux qui ont formé des liens d'étroite affection, pendant leur vie, tendent à revenir comme membres d'une même famille. Quelquefois ces liens se retrouvent avec persistance d'une vie à l'autre, et les destinées de deux individus peuvent être très intimement entrelacées dans les incarnations successives. Quelquefois, en raison de la longueur différente des Dévachans, longueur nécessitée par des différences d'activité intellectuelle et spirituelle pendant les vies passées ensemble sur terre, les membres [107] d'une famille peuvent être disséminés et ne pas se rencontrer de nouveau avant plusieurs incarnations. D'une façon générale, plus le lien est étroit dans les régions supérieures de la vie, plus grande sera la probabilité de renaitre dans un même groupe familial. Ici encore le Karma de l'individu est affecté par les Karmas entremêlés de sa famille ; il peut en jouir, en souffrir d'une façon qui n'est pas inhérente à son Karma personnel et ainsi recevoir ou payer des dettes karmiques pour ainsi dire non échues. En ce qui concerne la personnalité, cela semble entrainer un certain redressement, une certaine compensation dans le séjour en Kâmaloka et en Dévachan, pour que justice entière soit rendue même à la personnalité éphémère.
Le fonctionnement détaillé du Karma collectif nous entrainerait bien-au-delà des limites d'un travail aussi élémentaire que celui-ci et bien au-delà du savoir de l'auteur. Pour le moment, il ne peut être présenté à l'étudiant que des aperçus et des fragments. Pour comprendre le sujet avec précision, il faudrait faire une longue étude de cas individuels et les suivre au cours de plusieurs milliers d'années. Il est oiseux de conjecturer sur [108] ces matières ; ce qu'il faut, c'est observer avec patience.
Il y a cependant un autre aspect du Karma collectif sur lequel on peut avec à-propos dire quelques mots ; c'est le rapport qui existe entre les pensées, les actes de l'homme et les aspects de la nature extérieure. Voici ce que Mme Blavatsky a écrit sur ce sujet obscur :
"Après Platon, Aristote a expliqué que le terme ςτοιχεια 25 ne représentait que les principes incorporels placés aux quatre grandes divisions de notre monde cosmique pour le surveiller. Ainsi, pas plus que les chrétiens, les païens n'adorent ni ne révèrent les éléments et les points cardinaux imaginaires, c'est aux "Dieux" qui les gouvernent respectivement qu'ils rendent un culte. Pour l'Église, il existe deux sortes d'êtres sidéraux : les Anges et les Démons. Pour le cabaliste et l'occultiste, il n'y a qu'une classe, et ni l'occultiste ni le cabaliste ne font de différence entre les "Recteurs de Lumière" et les "Rectores Tenebrarum" ou Cosmocratores que l'Église romaine imagine et découvre dans les "Recteurs de lumière" dès que l'un d'entre eux est appelé d'un autre nom que celui qu'elle lui affecte. Ce n'est pas le Recteur, ou le Mahârâja, qui punit ou qui récompense avec ou sans la permission [109] ou l'ordre de "Dieu" ; c'est l'homme lui-même. Car ses actes, ou son Karma, attirent individuellement et collectivement (comme il arrive parfois pour des nations entières) toute espèce de maux et de calamités. Nous produisons des Causes et celles-ci éveillent les pouvoirs correspondants du monde sidéral, lesquels sont alors magnétiquement et irrésistiblement attirés vers ceux qui produisent ces causes et réagissent sur eux, qu'ils soient des malfaiteurs en acte, ou simplement des "penseurs" qui couvent de mauvaises actions. La science moderne enseigne en effet que la pensée est de la matière, et "toute particule de matière existante doit enregistrer tout ce qui est arrivé" ; c'est ce que MM. Jevons et Babbage annoncent dans leurs Principes de la science. La science moderne est tous les jours attirée plus profondément dans le maëlstrom de l'occultisme, inconsciemment, sans doute, mais très sensiblement.

25 Éléments.

"La pensée est de la matière" mais non pas bien entendu au sens du matérialiste allemand Moleschott, qui nous assure que "la pensée est le mouvement de la matière", – formule d'une absurdité presque sans pareille. Les états mental et physique sont ainsi mis en complète opposition. Mais cela ne change pas l'assertion que toute pensée, en plus de son accompagnement physique (modification cérébrale), présente un aspect objectif, – quoique pour nous d'une objectivité suprasensorielle – sur le plan astral." 26 [110]
Lorsque les hommes, parait-il, produisent un grand nombre de formes-pensées mauvaises, ayant un caractère destructif, et que des forces s'assemblent en grandes masses sur le plan astral, leur énergie peut être et est souvent projetée sur le plan physique, où elle provoque des guerres, des révolutions, des troubles sociaux et des soulèvements de toute sorte qui frappent, en tant que Karma collectif, leurs progéniteurs et propagent au loin la ruine. En conséquence, à un point de vue collectif aussi, l'homme est le maitre de sa destinée et le monde où il évolue prend forme sous l'influence de son action créatrice.
Les épidémies de crimes et de maladies, les cycles d'accidents peuvent être expliqués d'une façon analogue. Les formes-pensées de colère aident à la perpétration des meurtres ; les élémentals de cette catégorie se nourrissent du crime, et les résultats du crime – pensées de haine et de vengeance de ceux qui aimaient la victime, ressentiment farouche et fureur impuissante du criminel lorsqu'il est violemment projeté hors de ce monde – ne font que renforcer leur propre troupe d'une quantité de formes malfaisantes. Celles-ci, du plan astral où elles sont, incitent l'homme méchant à [111] des crimes nouveaux, de sorte qu'un cycle d'impulsions nouvelles s'ouvre encore et que nous constatons une épidémie d'actes violents.

26 Doctrine secrète, Volume 1, pages 108-109.

Les maladies se répandent et les pensées d'effroi qui accompagnent leur progrès ont une action directe qui renforce la puissance du mal ; des perturbations magnétiques naissent, se propagent et réagissent sur le champ magnétique de ceux qui se trouvent dans leur zone d'action. De tous côtés, en des modes sans fin, les pensées mauvaises de l'homme causent des ravages, là où celui qui devrait collaborer à l'oeuvre Divine de la construction de l'Univers, emploie pour la destruction son pouvoir créateur.