CHAPITRE II

LA GÉNÉALOGIE PHYSIQUE


Lorsqu'on étudie l'évolution physique de l'homme, on se trouve en face d'une difficulté qui se rencontre chaque fois que l'on s'occupe du monde physique, c'est-à-dire qu'il se présente une masse de détails d'un caractère extrêmement compliqué. Comme on le sait, la Science moderne, elle-même, qui ne s'occupe que d'une partie de l'ensemble des choses, est d'une étude difficile, si l'on veut comprendre réellement ce qu'elle nous révèle combien plus grande dès lors est la difficulté, quand on étudie les choses telles qu'elles sont réellement sur leurs plans variés, dans leurs états divers, et quand, loin de se borner à la différenciation du Tatwa physique, on [54] doit prendre en considération les différenciations des Tatwas qui appartiennent aux plans supérieurs. Je dis cela, parce que je me rends compte du considérable effort d'attention qui est nécessaire pour suivre vraiment les étapes de l'évolution physique de l'homme et bien saisir le rôle que joue dans le monde celui qui y représente le degré le plus élevé, celui dont proviennent tous les germes de vie, du moins en ce qui concerne l'évolution actuelle, celui qui est à la tête de l'évolution du globe, et de qui dépendent la vie et la direction des divers règnes inférieurs de la nature. Il nous faudra trouver comment il se fait que les germes de vie qui peuplent tous les grands règnes du globe existent dans le corps de l'homme. La seule théorie qui semble donner un aperçu de la vérité, et encore un aperçu très partiel, est la théorie de Weissmann, qui, dans sa merveilleuse complication, est assez difficile à saisir, mais qui nous montre comment, même au point de vue de la science moderne, on peut rencontrer des complications si nombreuses, si variées, si enchevêtrées dans l'espace infinitésimal d'un germe, que l'on y retrouve la trace de milliers de générations et la possibilité, pour [55] une quelconque de ces traces, de se développer et de réapparaitre dans l'homme actuel.


Les Pitris conducteurs de l'évolution physique


En ce qui concerne l'évolution physique, il y a une grande classe d'êtres qui la dirigent, la surveillent, qui, en somme, fournissent les modèles d'après lesquels tout dans cette évolution est modelé. C'est la classe connue dans la littérature indoue sous le nom général de Pitris, ou Ancêtres. Mais ce nom manque de précision et pour une raison très simple. D'abord les Pitris originaux, ceux à qui j'aimerais, si possible, limiter ce nom, réapparaissent sans cesse dans de nouveaux rôles. On les revoit à chaque Ronde, et quand on arrive à l'évolution de notre globe, ils se montrent dans les divers cycles de croissance. On les retrouve ensuite se perdant en quelque sorte dans l'humanité, puis on les voit reparaitre sous d'autres formes. Ce sont donc comme des acteurs, qui, changeant de costumes, jouent différents rôles : ce sont les mêmes hommes sous d'autres vêtements. Ces changements de rôle troublent beaucoup l'étudiant qui ne sait comment retrouver par [56] quel acteur tel rôle a été joué. Une partie de la tâche présente sera de suivre ces êtres à travers leurs transformations, et de voir comment les Pitris réapparaissent de cycle en cycle, demeurant toujours les Seigneurs du domaine physique, les guides, les modeleurs et les architectes de l'homme mortel.
Ce même nom de Pitris est appliqué à ceux qu'on appelle Agnishvattas, qui n'ont rien à voir avec le corps physique de l'homme. Nous les laisserons absolument de côté pour le moment. Disons toutefois que ce sont les trois plus hautes des sept classes de Pitris qui vous sont plus ou moins familiers grâce aux Shastras Indous, mais que l'on distingue sous le nom d'Aroupa, sans forme ; et qui appartiennent à une évolution différente. Ils s'occupent des Devas et on les appelle parfois Pitris des Devas. Ils s'occupent aussi de l'évolution intellectuelle de l'homme et nous les retrouverons sous le nom de Mânasaputras qui s'applique à eux et à beaucoup d'autres.
Les Pitris de l'ascendance physique de l'homme, ceux qui sont réellement les ancêtres [57] de son corps, sont groupés dans les quatre dernières classes, et, dans l'enseignement occulte, ces quatre classes ont un seul nom, celui de Barhishads. Mais ce nom se donne souvent à une seule de ces classes, ce qui cause en partie la confusion. Le nom générique est Pitris Barhishads, ceux qui possèdent le feu créateur. Quoique ce nom s'applique spécialement aux fils de l'un des Fils nés du mental de Brahmâ, il n'en est pas moins vrai qu'il sert aussi à désigner l'ensemble des quatre classes de Roupa Pitris qui président à l'évolution physique. Aussi, quand je parlerai des Pitris Barhishads, sans autre explication, il s'agira des quatre classes de Roupa Pitris.
Ces quatre classes, les Pitris Barhishads, viennent de la Lune. Vous avez lu que la lune est la porte de Svarga, l'un des Lokas, la demeure des Pitris. Cela est vrai par rapport aux hommes, car ils passent du Pretaloka au Pitriloka et de là à Svarga. Au sens cosmique, la lune est la porte à travers laquelle ses habitants descendent sur la terre. Ces Pitris étant venus de la chaine de la lune sur la chaine terrestre, nous les appelons Pitris lunaires, Pitris venus de la lune. [58]
La première question qui se pose, quand on veut élucider leur nature, est celle-ci : Que faisaient-ils sur la lune et quel fut le résultat de leur séjour sur elle ? Nous savons déjà que la chaine lunaire est celle qui a précédé la nôtre et que les liens les plus étroits nous unissent à son évolution. On se rendra mieux compte des fonctions des Pitris lunaires, pendant la chaine lunaire, en songeant un instant à ceux que l'on appelle généralement les Maitres, sur notre terre. Les Maitres sont ceux qui, ayant poursuivi leur évolution humaine, ici-bas, ont dépassé l'humanité ; ils en sont la fleur, comme on l'a dit ; ils ont triomphé de toutes les difficultés inhérentes à la matière et sont devenus, sur notre globe, les Seigneurs de la matière, les Gardiens et les Protecteurs de l'humanité. Telle était exactement la fonction des Pitris lunaires dans l'évolution de leur chaine. Ils traversèrent l'étape humaine équivalente ; ils furent les fruits mûrs de cette évolution, ils s'élevèrent de plus en plus haut jusqu'à ce qu'ils eussent dompté absolument toute la matière de la chaine lunaire et réduite à l'état d'instrument docile. On les appelle parfois les Cubes, parce que, dans la chaine lunaire, [59] ils ont vaincu la matière sous sa forme quadruple ou quaternaire, et qu'ils ont apporté cette matière avec eux dans la chaine terrestre afin qu'elle y poursuive son évolution. Représentons-les comme les Seigneurs de la lune, titre qui leur est souvent donné dans les livres occultes.
On les appelle, aussi "Fils du crépuscule", pour une raison que nous allons voir tout à l'heure, et qui montre aussi leurs rapports avec la lune ; ou encore Hommes célestes, Fils de la lune, Progéniteurs. Ne les confondons pas – car c'est encore une de nos difficultés – avec les monades de la chaine lunaire, autres classes de Pitris, qui viennent de la lune pour passer dans l'humanité sur notre globe. Celles-ci n'ont rien à voir avec les grands Pitris lunaires, sauf qu'elles se sont développées sur la lune, sous leur protection, comme nous nous développons, ici, sous la protection des Maitres de Sagesse et de Compassion. Ces Pitris ordinaires, si souvent confondus avec les autres, sont les monades venues de la lune dont une partie forme la majorité de notre humanité actuelle et une autre partie est emprisonnée dans les règnes animal, végétal et minéral de notre globe, car toutes [60] les formes de notre chaine sont, en somme, occupées par ces monades lunaires. On les appelle bien Pitris, mais ce ne sont pas les grands Pitris lunaires.
On peut remarquer que cette identité de nom se retrouve dans la littérature indoue, dans les Shrâddhas, et dans la conversation courante ; car tout homme, d'un certain niveau, passe à son décès, après le stade de Preta, dans le Pitriloka et on le compte parmi les Pitris. Cependant les Indous savent très bien que ces êtres humains classés parmi les Pitris sont plutôt leurs hôtes, leurs protégés, gardés et abrités par eux, que des participants à leur propre nature. Et l'on ne confond pas les hommes qui passent après leur mort, au bout d'un certain temps, dans le Pitriloka, avec ces grands et puissants Pitris constamment invoqués dans les Shrâddhas et qui sont les enfants des fils nés du mental de Brahmâ. C'est que l'habitude de les confondre est très générale et elle a persisté dans notre propre terminologie. Convenons, pour la clarté de la présente exposition, que le nom de Pitris sera réservé aux Seigneurs de la lune, à l'exclusion des membres de notre humanité ordinaire dont ils vont diriger l'évolution physique. [61]
À la fin de leur évolution sur la chaine lunaire, ces Pitris rentrèrent dans le sein du Logos planétaire, Souverain de cette Chaine. Nous dirions maintenant qu'ils atteignirent le Nirvâna ; ils entrèrent dans la conscience du grand Seigneur sous la direction duquel ils avaient évolué ; ils firent partie de son être, devinrent en quelque sorte les germes de vie dans son corps.
Quand la Chaine planétaire terrestre va commencer, nouveau corps du Logos planétaire – alors appelé, à cause de ses fonctions, Brahmâ, le Créateur, reflet du grand Brahmâ du système – ces Pitris naissent de son Corps du Crépuscule. Ces quatre corps de Brahmâ sont les quatre Chaines planétaires : le premier est son Corps des Ténèbres, le second son Corps du jour, le troisième le Corps lunaire, le Corps du Crépuscule, le quatrième le Corps terrestre, au point tournant, Corps de l'Aurore. Ainsi nés de lui, les Pitris sont appelés Fils du Crépuscule, Fils de la Volonté, Seigneurs de la Yoga ; on les nomme même parfois Svayambhûva, puisqu'ils n'ont pas eu de naissance, mais sont sortis du Corps du Seigneur. Ils naquirent de son Corps du Crépuscule, dit le Vishnou Purâna, pendant qu'il [62] méditait sur lui-même, sous son aspect de Père du monde et sur la venue du monde des hommes, et le Vahâra Purâna s'exprime de même en disant qu'ils apparurent, couleur de fumée, pendant qu'il méditait sur la création de toutes les sortes d'êtres. C'est quand il pensait ainsi lui-même, comme Père, que ces Pitris Fils de la Volonté, Seigneurs de la Chaine lunaire, émanèrent de son corps du crépuscule.
En possession de la quadruple matière et du feu créateur, ils purent donner aux hommes leur double éthérique, prâna, le Kâma animal, et le germe animal de l'intelligence. Ils ne purent rien faire de plus, mais c'était assez pour donner une forme à l'évolution physique pour construire l'homme animal et toutes les formes inférieures.
Ces Pitris sont considérés comme soumis à Yama, le seigneur de la mort, appelé "Pitripati", le seigneur des Pitris. C'est pour cela que les corps qu'ils donnent aux hommes sont mortels, nés qu'ils sont sous l'empire du Seigneur du changement et de la mort. Ils ne peuvent donner la partie immortelle, mais seulement la partie mortelle. Les hommes, étant leur progéniture, doivent être, comme [63] eux, sous l'empire de la mort. Et c'est ce en quoi les enfants de la terre diffèrent des enfants de Buddha, la planète Mercure, car les hommes y sont immortels, tandis que l'homme terrestre est mortel. En outre, le travail de ces Pitris dans la Chaine terrestre avancera leur évolution et les soustraira à la puissance de la mort. Dans la prochaine Chaine planétaire, la cinquième, ils joueront le rôle de Mânasaputras, Fils du mental et Seigneurs de la mort.
Tel est notre premier aperçu des Pitris lunaires. Nous les retrouverons sans cesse, comme je l'ai déjà dit. D'abord, ils nous apparaissent comme les maitres de la matière, quand les premières formes vivantes doivent se montrer sur cette chaine-ci, quand les globes sont formés, mais qu'ils sont encore dénués d'habitants vivants, et que seule la matière des globes est modelée en forme globulaire. Nous les rencontrons au commencement de la première Ronde. Comment donnerai-je une idée de ce que verrait l' "oeil divin" d'un Yogi s'il se fixait sur cette première Ronde ? Je voudrais tracer un tableau qui, malgré son imperfection, fournisse à l'esprit une idée précise. Qu'on se représente une masse immense de matière ignée, se soulevant, s'agitant, [64] tourbillonnant, jetant des éclairs, roulant, changeant, formant des vagues monstrueuses, et s'agrégeant lentement, selon trois densités différentes, en sept formes translucides. À peine peut-on les appeler des formes, car, même si l'on descend jusqu'à la quatrième, ce n'est que bien vaguement que l'on devine la première Rupa de la terre, une mince pellicule d'Akâsha, ténue, radiante, lumineuse, incandescente. Dans cette Ronde, il n'y a rien de visible que des formes de feu ; on en distingue vaguement sept, dont la quatrième, qui sera notre terre, est la plus visible. Au-dessus d'elle, sur l'arc descendant, des ombres de plus en plus vagues apparaissent dans les nuées incandescentes. Au-dessus d'elle encore, mais sur l'arc ascendant, trois autres ombres, incandescentes à peine perceptibles. En somme, un immense panorama de flammes qui prend et perd la forme de globes colossaux inouïs, stupéfiants, dans leur irrésistible puissance et leur insurmontable énergie.