CHAPITRE VI
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LE CHRIST MYSTIQUE
Nous abordons maintenant le sens plus intime qui donne à l'histoire du Christ son véritable pouvoir sur le coeur humain. Nous approchons de cette inépuisable vie qui sort en bouillonnant des profondeurs d'une source invisible ; ses flots resplendissants descendent sur Celui qui la représente, et, par la vertu de ce baptême, tous les coeurs vont au Christ et sentent qu'il leur serait presque plus facile de rejeter les faits présentés par l'histoire que de nier ce qu'ils reconnaissaient intuitivement comme une vérité essentielle et suprême de la vie d'en haut. Nous nous approchons du portique sacré donnant accès aux Mystères ; nous soulevons un coin du voile qui cache le sanctuaire à nos yeux.
Comme nous l'avons constaté, nous trouvons reconnue partout, même aux époques les plus reculées, l'existence d'un enseignement caché – d'une doctrine secrète que communiquent, sous des conditions sévères [132] et rigoureuses, à des candidats acceptés, les Maitres de la Sagesse. Des candidats ainsi qualifiés recevaient l'initiation aux "Mystères", nom qui, dans l'antiquité, comportait, comme nous l'avons vu, tout ce qu'il y a de plus spirituel dans la religion, de plus profond dans la philosophie, de plus précieux dans la science. Autrefois tout grand Instructeur avait passé par les Mystères, et les plus grands en étaient les Hiérophantes. Tous ceux qui allèrent vers l'humanité pour lui parler des mondes invisibles avaient franchi le portail de l'Initiation et appris le secret des lèvres mêmes des Êtres Saints ; tous ceux qui parurent firent le même récit, dont les mythes solaires sont invariablement des versions identiques dans leurs grandes lignes et ne différant que par la couleur locale.
Ce récit est, en principe, celui de la descente du Logos au sein de la matière. C'est à juste titre que le Logos a pour symbole le Dieu-Soleil – puisque le Soleil est Son corps et qu'Il est souvent appelé "Celui qui habite dans le Soleil". Sous un de Ses aspects le Christ des Mystères et le Logos descendant dans la matière, et le grand Mythe du Soleil est cette sublime vérité sous la forme de l'enseignement populaire. Comme il arrive toujours – l'Instructeur Divin qui apporta la Sagesse Antique et la proclama de nouveau dans le monde fut considéré comme une manifestation spéciale du Logos – et le Jésus des Églises devint graduellement le centre des récits qui appartenaient à cet Être exalté. Jésus S'identifia ainsi, dans la nomenclature Chrétienne avec la Seconde Personne de la Trinité – avec le Logos ou Verbe [133] Divin 187, et les grandes dates dont parle le Mythe du Dieu-Soleil devinrent les grandes dates de l'histoire de Jésus regardé comme la Divinité incarnée – comme le "Christ Mystique". Comme, dans l'univers, ou macrocosme, le Christ des Mystères représente le Logos, la Seconde Personne de la Trinité – de même, dans l'homme, ou microcosme, Il représente le second aspect de l'Esprit Divin dans l'homme – nommé pour cette raison, dans l'homme, "le Christ 188". – Le second aspect du Christ des Mystères est donc la vie de l'Initié – la vie qui s'ouvre au postulant après la première grande Initiation marquant la naissance du Christ dans l'homme. Pour rendre cela tout à fait intelligible, il faut considérer les conditions imposées au candidat qui se présente à l'Initiation et aussi la nature de l'Esprit qui est dans l'homme.
Ceux-là seuls pouvaient être regardés comme candidats à l'Initiation qui étaient déjà bons, humainement parlant, et se conformaient à la loi d'une manière absolue. – Purs – saints – sans souillures – sans péché – vivant sans transgression – telles sont quelques-unes des épithètes qui leur étaient appliquées 189. De plus ils devaient être intelligents et offrir des facultés mentales bien développées et bien [134] exercées 190. L'évolution qui, dans les vies successives, a le monde pour théâtre – le développement et la soumission des facultés intellectuelles, des émotions, du sens moral – les leçons des religions exotériques – l'accomplissement des devoirs regardé comme un moyen d'avancement – les efforts pour aider et relever son prochain – tout cela constitue la vie ordinaire d'un homme qui évolue. Quand il a fait tout cela, cet homme est devenu "bon" – le "Chrêstos" des Grecs – et cette qualité, il doit l'acquérir avant de pouvoir devenir le "Christos" – l'Oint. Étant parvenu à vivre d'une manière vertueuse au point de vue exotérique, il devient candidat à la vie ésotérique et commence à se préparer à l'initiation, c'est-à-dire à satisfaire à certaines exigences.
187 Voyez à ce sujet le commencement de l'Évangile selon saint Jean, I, 1-5. Le terme Logos (la Parole), appliqué au Dieu manifesté qui façonne la matière – ("Toutes choses ont été faites par Elle") – est Platonicien, et par conséquent, dérivé directement des Mystères. Bien longtemps avant Platon, le mot Vâk – la Voix – ayant la même origine, était employé parmi les Indous.
188 Ante, p. 126.
189 Ante, pp. 98-99.
190 Ante, p. 90.
Ces exigences déterminent les qualités qu'il doit acquérir, et tant qu'il lutte pour les faire naitre en lui-même, il marche – suivant une expression quelquefois employée – dans le Sentier de la Probation – le Sentier qui mène à la "Porte Étroite", qui donne accès au "Chemin Étroit", au "Sentier de la Sainteté", au "Chemin de la Croix". Le candidat n'est pas supposé pouvoir développer ces qualités d'une manière parfaite, mais il doit les avoir poussées toutes assez loin avant que le Christ puisse naitre en lui ; il doit préparer une demeure pure à cet Enfant divin qui va grandir en lui.
La première de ces qualités – elles sont mentales et morales – est le Discernement. Il faut entendre [135] par-là que le postulant doit commencer à établir intellectuellement une distinction entre l'Éternel et le Temporaire – entre le Réel et l'Illusoire – entre le Céleste et le Terrestre. – Les choses visibles ne sont que pour un temps, mais les invisibles sont éternelles, dit l'Apôtre 191. Les hommes sont victimes d'une illusion permanente causée par le monde visible qui les empêche de percevoir l'invisible. Le postulant doit apprendre à distinguer entre ces deux mondes ; ce qui est irréel, pour le monde, doit devenir réel pour lui, car c'est la seule manière de marcher par la foi et non par la vue 192. – C'est encore ainsi qu'un homme devient un de ceux dont l'Apôtre parle dans ce verset : La nourriture solide est pour les hommes faits, dont la pratique a exercé les facultés à discerner ce qui est bon et mauvais 193. – Le sentiment de l'irréel doit ensuite faire naitre le Dégout de l'irréel et du passager – de ces déchets de l'existence, incapables de rassasier et qui ne sauraient assouvir que des pourceaux 194. – Ce stade, Jésus le décrit en termes énergiques : – Si quelqu'un vient à moi et ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses soeurs, bien plus – s'il ne hait pas sa propre vie, il ne peut être mon disciple. 195. – C'est là une parole "dure", assurément, mais de cette haine naitra un amour plus profond, plus véritable ; il faut passer par là pour atteindre la Porte Étroite. [136]
191 2 Cor. IV, 18.
192 2 Cor., V, 7.
193 Héb., V, 14.
194 Saint Luc, XV, 16.
195 Ibid., XI, 26.
Le postulant doit ensuite apprendre à devenir maitre de ses pensées et, par-là, maitre de ses actions ; car, pour la vue intérieure, la pensée et l'action ne font qu'un : – Quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis l'adultère avec elle dans son coeur 196. – Il faut acquérir la faculté d'endurer, car ceux qui aspirent à suivre "le Chemin de la Croix" devront affronter de longues et amères souffrances, et ils doivent pouvoir les endurer, comme s'ils voyaient Celui qui est invisible 197. – Aux qualités qui précèdent il faut joindre la Tolérance – pour être l'enfant de Celui qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et répand sa pluie sur les justes et sur les injustes 198 – un disciple de Celui qui invita Ses Apôtres à ne point empêcher un homme d'employer Son nom, bien qu'il ne suivît point le Maitre avec eux 199. – Le postulant doit encore acquérir la Foi, pour laquelle rien n'est impossible 200 et l'Équilibre décrit par l'Apôtre 201. – Il doit enfin ne rechercher que les choses qui sont en haut 202 et désirer avec ardeur le bonheur de voir Dieu et de s'unir à Lui 203. – Quand un homme a fait entrer ces qualités dans son caractère, il est considéré comme étant prêt pour l'Initiation, et les Gardiens des Mystères lui ouvriront la porte Étroite. [137] C'est ainsi – mais seulement ainsi – qu'il devient un candidat prêt à être agréé.
L'Esprit, dans l'homme, est le don du Dieu Suprême et réunit les trois aspects de l'Existence divine – l'Intelligence, l'Amour et la Volonté – puisqu'il est l'Image de Dieu. Au cours de son évolution, il commence par développer l'aspect de l'Intelligence – il développe les facultés mentales – et cette évolution s'accomplit dans la vie journalière. Ce développement, poussé très loin et parallèlement au développement moral, amène l'homme qui progresse à devenir candidat. – Le deuxième aspect de l'esprit est l'Amour ; son évolution est celle du Christ. Dans les véritable Mystères, cette évolution s'accomplit ; la vie du disciple est le Drame des Mystères, et les phrases en sont marquées par les Grandes Initiations. Dans les Mystères célébrés sur le plan physique ces Initiations étaient représentées sous une forme dramatique, et les cérémonies copiaient, à différents égards, "le modèle" toujours manifesté "sur la Montagne" – car elles étaient ces ombres, dans un âge de décadence, des formidables Réalités du monde spirituel.
196 Saint Matth., V, 27.
197 Héb., XI, 27.
198 Saint Matth., V, 45.
199 Saint Luc, XI, 49.
200 Saint Matth., XVII, 20.
201 2 Cor., VI, 8-10.
202 Col., III, 1.
203 Saint Matth., 8, et Saint Jean, XVII, 21.
Le Christ Mystique est donc double – d'abord le Logos, Deuxième Personne de la Trinité, descendant dans la matière – puis l'Amour, ou deuxième aspect de l'Esprit Divin évoluant en l'homme. L'un représente des processus cosmiques accomplis jadis ; il est la racine du Mythe Solaire ; l'autre représente un processus qui s'accomplit dans l'individu – phase dernière de l'évolution humaine – et a déterminé l'apparition, dans le Mythe, de nouveaux et nombreux détails ; tous deux se retrouvent dans le récit des [138] Évangiles, et leur union nous présente l'Image du "Christ Mystique".
Considérons tout d'abord le Christ Cosmique, c'est-à-dire la Divinité qui S'entoure de matière – la façon dont S'incarne le Logos et dont Dieu Se revêt de "chair".
La matière destinée à former notre système solaire ayant été séparée de celle dont l'océan incommensurable remplit l'espace, la Troisième Personne de la Trinité, le Saint-Esprit, déverse Sa Vie dans cette matière, pour l'animer et lui permettre de prendre forme. La matière, condensée, est ensuite façonnée par la vie du Deuxième Logos ou Seconde Personne de la Trinité, qui Se sacrifie en S'enfermant dans les limites matérielles et devient ainsi "l'Homme Céleste" ; dans Son Corps toutes les formes existent – de Son Corps toutes les formes font partie. Tel est le processus cosmique représenté dramatiquement dans les Mystères ; dans les véritables Mystères, il était montré en action dans l'espace ; dans les Mystères du plan physique, il était représenté au moyen des méthodes magiques ou autres – pour certains détails, même, par des acteurs.
204 Gen., I, 2.
205 Saint Jean, I, 3.
La progression est très clairement indiquée dans la Bible. Quand l'Esprit de Dieu se mouvait sur les eaux – dans les ténèbres qui étaient sur la face de l'abime 204 – l'immense abime de la matière n'avait pas de formes ; il était vide, il commençait. La Forme fut donnée par le Logos – la Parole, dont il est écrit : Toutes choses ont été faites par Elle, et rien [139] de ce qui a été fait n'a été fait sans Elle 205. Comme l'a dit C. W. Leadbeater en termes excellents : "Le résultat de ce premier grand efflux (le mouvement de l'Esprit), est l'éveil de cette vitalité inouïe, merveilleuse, qui pénètre toute matière, bien que celle-ci paraisse inerte à notre vue physique si imparfaite ; les atomes des plans divers, électrisés par elle, développent des attractions et des répulsions, latentes jusque-là, et entrent dans toute espèce de combinaisons 206."
Quand le travail de l'Esprit est achevé – et alors seulement – le Logos, le Christ Cosmique et Mystique, peut Se revêtir de matière ; Il entre alors, véritablement, dans le sein de la Vierge – dans le sein de la Matière encore vierge et infertile. Cette matière avait été vivifiée par le Saint-Esprit, qui – planant au-dessus de la Vierge – avait versé Sa vie dans la matière, la préparant ainsi à recevoir la vie du Deuxième Logos ; Celui-ci la prend alors pour véhicule de Son énergie. C'est ainsi que Christ S'incarne et Se fait chair ; "Tu n'as point méprisé le sein de la Vierge."
Dans les traductions Latine et Anglaise du texte original Grec du Symbole de Nicée et dans le passage exprimant cette période de la descente de Christ, les prépositions ont été changées et, avec elles, le sens lui-même. Le texte original dit : "… et fut incarné du Saint-Esprit et de la Vierge Marie" ; tandis que [140] la traduction dit :… "et fut incarné par le Saint-Esprit, de la Vierge Marie 207". Le Christ "ne Se revêt pas seulement de la matière vierge, mais de la matière déjà imprégnée, palpitante, de la vie du Troisième Logos 208 ; si bien que la vie et la matière L'entourent comme d'un double vêtement 209".
Telle est la descente du Logos dans la matière, décrite comme la naissance donnée au Christ par une Vierge ; elle devient, dans le Mythe Solaire, la naissance du Dieu-Soleil, au moment où se lève le signe Virgo.
Alors commence l'action du Logos sur la matière. Dans le Mythe, le symbole de cette période primitive est l'enfance du Héros. La majestueuse puissance du Logos se plie à l'extrême faiblesse de l'enfance et fait à peine sentir sa présence aux formes si fragiles dont elle est l'âme. La matière emprisonne – semble vouloir tuer son Roi-Enfant – dont la gloire est voilée par les limites qu'Il S'est imposées. Lentement Il façonne la matière pour une destinée sublime. II l'amène à sa maturité – puis Lui-Même S'étend sur la croix de la matière afin de pouvoir répandre, de cette croix, toutes les puissances de Sa vie sacrifiée. C'est le Logos dont Platon dit qu'Il est comme une croix étendue sur l'univers : c'est l'Homme Céleste debout dans l'espace, les bras ouverts pour bénir ; c'est le Christ crucifié dont la mort sur la croix de la matière imprègne toute la matière de Sa vie. Il semble mort, enseveli, disparu – mais Il Se relève, [141] vêtu de la matière au sein de laquelle Il avait semblé périr et porte au ciel Son corps matériel, maintenant radieux, où ce corps, recevant la vie qui émane du Père, devient le véhicule des vies humaines immortelles. C'est la vie du Logos qui forme le vêtement de l'âme humaine ; ce vêtement Il le donne afin que l'homme vive à travers les âges et parvienne "à l'état d'homme fait" – à la hauteur "de Sa propre stature". Nous sommes véritablement revêtus de Lui – d'abord matériellement – puis spirituellement. Il S'est sacrifié pour amener beaucoup de Ses fils à la gloire et Il est toujours avec nous ; oui, jusqu'à la fin de cet âge.
206 Le Crédo chrétien, par C. W. Leadbeater, p. 34. Précieux petit volume et d'un intérêt captivant, mettant en lumière le véritable sens du Crédo.
207 Le Crédo chrétien, pp 57, 58.
208 Nom donné au Saint-Esprit.
209 Le Crédo chrétien, p. 59.
La crucifixion de Christ est donc une partie du grand sacrifice cosmique. La représentation allégorique de cette crucifixion, dans les Mystères du plan physique, et le symbole sacré de l'homme crucifié dans l'espace se matérialisèrent au point de devenir une véritable mort subie sur la croix et un crucifix portant un être humain expirant. C'est alors que cette histoire – aujourd'hui celle d'un homme – fut appliquée à l'Instructeur Divin, Jésus, et devint l'histoire de Sa mort physique – tandis que la naissance de l'enfant d'une vierge, le bas âge entouré de périls, la résurrection et l'ascension devinrent également des incidents de Sa vie humaine. Les Mystères disparurent, mais leurs représentations grandioses et saisissantes de l'oeuvre cosmique accomplie par le Logos entourèrent et rehaussèrent la figure vénérée de l'Instructeur de la Judée ; le Christ Cosmique des Mystères devint ainsi, sous les traits de Jésus historique – la Figure centrale de l'Église Chrétienne. [142]
Mais il y a plus. Un autre fait donne à l'Histoire du Christ un caractère de fascination suprême : c'est que, dans les Mystères, il est encore un Christ, intimement lié et cher au coeur humain – le Christ de l'Esprit humain – le Christ qui existe en chacun de nous, y nait et y vit, est crucifié, ressuscite d'entre les morts et monte au ciel, dans les souffrances et dans le triomphe de tout "Fils de l'Homme".
210 Ante, p. 129, et Gal., VI, 10.
La vie de tout initié aux véritables Mystères – aux Mystères célestes – est retracée, dans ses grandes lignes, par la biographie des Évangiles. Voilà pourquoi saint Paul parle, comme nous l'avons constaté 210, de la naissance, de l'évolution et de la pleine maturité du Christ dans le disciple. Tout homme est potentiellement un Christ et le développement, en lui, de la vie du Christ, suit, d'une manière générale, le récit des Évangiles dans ses incidents marquants ; ceux-ci, comme nous l'avons vu, ont un caractère universel et non particulier.
Cinq grandes Initiations se succèdent dans la vie d'un Christ ; chacune marque un degré atteint, dans son développement, par la Vie de l'Amour. Ces Initiations sont accordées aujourd'hui comme dans le passé ; la dernière indique le triomphe final de l'Homme qui, arrivé à la Divinité, a dépassé le niveau de l'humanité, en devenant un Sauveur du monde.
Suivons l'histoire de cette carrière qui, sans cesse, se répète dans le domaine des expériences spirituelles et voyons l'Initié reproduisant dans sa propre vie l'existence du Christ. [143]
À la première grande Initiation, le Christ nait dans le disciple, qui réalise alors pour la première fois en lui-même l'effusion de l'Amour divin et éprouve cette transformation étrangement merveilleuse par laquelle il se sent un avec tout ce qui vit. C'est la "Seconde Naissance", accueillie avec allégresse par les êtres célestes – car le disciple est né dans "le Royaume de Dieu", comme un de ces "petits", comme un "petit enfant". Tels sont les noms toujours donnés aux nouveaux Initiés. Ainsi l'entendait Jésus, quand il disait : Si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez point dans le Royaume des Cieux 211. Certains auteurs Chrétiens du commencement de notre ère disent – en termes significatifs – que Jésus "naquit dans une caverne" – "l'étable" des Évangiles. Or, la "Caverne de l'Initiation" est un terme ancien bien connu ; c'est toujours là que nait l'Initié. Au-dessus de la caverne où est le petit enfant brille "l'Etoile de l'Initiation" – cette Etoile qui resplendit toujours dans l'Orient quand nait un Christ-Enfant. Chacun de ces Enfants est entouré de dangers et de menaces – de périls étranges auxquels ne sont pas exposés les autres enfants, car il est oint du chrême de la nouvelle naissance et les Puissances Ténébreuses du monde invisible cherchent sans cesse sa perte. Malgré toutes ces épreuves, il atteint l'âge viril – car le Christ étant né, ne peut jamais mourir – le Christ dont le développement a commencé ne peut faiblir dans son évolution. Sa vie s'épanouit en beauté et en force, [144] grandissant sans cesse en sagesse et en spiritualité, jusqu'au moment de la deuxième grande Initiation – le Baptême du Christ par l'Eau et par l'Esprit – qui lui confère les pouvoirs
nécessaires à un Instructeur destiné à parcourir le monde et à accomplir la tâche du "Fils bienaimé".
211 Saint Matth., XVIII, 2.
Alors l'Esprit divin descend, à flots, sur lui, et la gloire du Père invisible l'éclaire de sa pure lumière. Mais, quittant ce lieu de bénédiction, il est conduit par l'Esprit dans le désert, et, de nouveau, exposé à l'épreuve de tentations terribles. Car maintenant les pouvoirs de l'Esprit se développent en lui, et les Êtres Obscurs s'efforcent de lui faire abandonner sa route ; ils emploient pour cela ces pouvoirs eux-mêmes et l'invitent à les faire servir à son propre salut, au lieu de se reposer sur son Père avec une patiente confiance. Dans les transitions brusques et soudaines qui mettent à l'épreuve sa force et sa foi, le chuchotement du Tentateur incarné succède à la voix du Père – et les sables du désert brulent ses pieds que lavaient naguère les ondes fraiches de la rivière sainte. Vainqueur de ces tentations, il se rend parmi les hommes afin de consacrer à leur service les pouvoirs qu'il n'avait pas voulu mettre en jeu pour son propre usage – et lui, qui avait refusé de changer une pierre en pain pour apaiser sa propre faim, nourrit avec quelques pains cinq mille hommes, sans compter des femmes et des enfants.
Sa vie de service incessant traverse alors de nouveau une courte période de gloire – quand il gravit une haute montagne, à part – la Montagne sacrée de l'Initiation. Là il est transfiguré et rencontre quelques-uns [145] de ses grands Prédécesseurs – Êtres Puissants qui jadis avaient suivi le même chemin. Il reçoit ainsi la troisième grande Initiation – puis l'ombre de sa Passion prochaine s'étend sur lui et il tourne résolument son visage vers Jérusalem, repoussant les paroles tentatrices de ses disciples – Jérusalem, où l'attend le baptême du Saint-Esprit et du Feu. Après la Nativité – la persécution d'Hérode ; après le baptême – la tentation dans le désert ; après la transfiguration – l'entrée dans la dernière étape du Chemin de la Croix. C'est ainsi que toujours l'épreuve succède au triomphe, jusqu'à ce que le but soit atteint.
La vie de l'amour ne cesse de grandir – toujours plus riche et plus parfaite – la présence lumineuse du Fils de Dieu se montrant dans le Fils de l'Homme, jusqu'à l'heure imminente de la bataille finale ; la quatrième grande Initiation le fait alors entrer triomphalement à Jérusalem – en vue de Gethsémané et du Calvaire. Il est maintenant le Christ prêt à s'offrir – prêt à se sacrifier sur la croix. Le moment est venu, pour lui, d'affronter la cruelle agonie du Jardin – là s'endorment ceux mêmes qu'il a choisis, pendant qu'il se débat contre sa mortelle angoisse. Il demande, un instant, que la coupe passe loin de lui – mais sa volonté puissante triomphe ; il étend la main pour saisir la coupe et boire ; dans sa solitude, un ange vient à lui pour le fortifier – comme les anges ont coutume de le faire quand ils voient un fils de l'Homme fléchissant sous le faix de son agonie. Il boit la coupe amère de la trahison, de l'abandon, du reniement et, seul au milieu de ses ennemis qui le raillent [146] il s'avance vers sa suprême et terrible épreuve. Torturé par la douleur physique, transpercé par les cruelles épines du soupçon, dépouillé, aux yeux du monde, de son vêtement immaculé, laissé entre les mains de ses ennemis, abandonné en apparence par Dieu et par les hommes, il supporte tout avec patience et, dans sa détresse extrême, attend tristement le secours. Il lui reste à souffrir sur la croix, à mourir à la vie de la forme, à renoncer entièrement à la vie du monde inférieur ; environné d'ennemis triomphants et moqueurs, l'horreur de la grande obscurité l'enveloppe et, dans ces ténèbres, il subit l'assaut de toutes les forces du mal ; sa vision intérieure se voile ; il se trouve seul – complètement seul ; enfin, son coeur héroïque, s'affaissant dans le désespoir, pousse un cri vers le Père, qui semble l'avoir abandonné. L'âme humaine affronte, dans une solitude absolue, l'intolérable torture d'une apparente défaite. Mais, faisant appel à toute la force d'un "esprit indomptable", faisant le sacrifice de la vie inférieure, acceptant sa mort de plein gré, abandonnant le corps du désir, l'Initié descend aux enfers – car toutes les régions de l'Univers qu'il va secourir doivent lui être connues ; tous les déshérités doivent être atteints par son amour infini. S'élançant alors du sein des ténèbres, il revoit la lumière, se sent de nouveau le Fils, inséparable du Père, auquel il appartient, s'élève vers la vie qui n'a point de fin, rayonnant de joie, dans la certitude d'avoir bravé et vaincu la mort, assez fort désormais pour prêter à tout enfant des hommes un secours infini, capable de répandre sa vie dans toute âme qui lutte. Il demeure encore, [147] pour un temps, parmi ses disciples, les instruit, leur dévoile les mystères des mondes spirituels, les prépare à suivre le sentier qu'il a lui-même parcouru – puis, sa vie terrestre étant terminée, il monte vers le Père et, par la cinquième grande Initiation, devient le Maitre triomphant – le trait d'union entre Dieu et l'homme.
Telle était l'histoire – vécue, dans les véritables Mystères d'autrefois, comme dans ceux d'aujourd'hui – représentée sous une forme dramatique et symbolique dans les Mystères du plan physique, qui ne lèvent le voile qu'à demi. Tel est le Christ des Mystères sous son double aspect – Logos et homme – cosmique et individuel. Comment s'étonner que cette histoire, vaguement comprise par les mystiques, sans même qu'ils la connussent, soit indissolublement unie au coeur humain et que toute noble vie trouve en elle son inspiration ? Le Christ du coeur humain est, presque toujours, Jésus envisagé comme le Christ humain mystique, qui lutte, souffre, meurt, et finalement triomphe – l'Homme en qui l'humanité a été vue sacrifiée et ressuscitée – dont la victoire promet la victoire à tous ceux qui, semblables à Lui, sont fidèles jusqu'à la mort et au-delà – le Christ qui jamais ne sera oublié tant que le monde aura besoin de Sauveurs et que des Sauveurs se sacrifieront pour l'humanité.