LE BIEN ET LE MAL


Pendant nos deux dernières réunions, nous avons porté notre attention et fixé notre pensée sur ce que je puis appeler le côté théorique, dans une très large mesure, de ce problème compliqué et difficile. Nous avons essayé de comprendre comment naissent les différences naturelles. Nous avons essayé de saisir cette idée sublime : que ce monde, d'abord simple germe vital donné par Dieu, doit croitre jusqu'à devenir l'image de Celui dont il émane. La perfection de cette image ne peut s'atteindre – nous l'avons vu – que par la multiplicité d'objets finis. La perfection consiste en cette multiplicité, mais cette même multiplicité qui s'offre à nos yeux [62] implique nécessairement la limitation de chaque objet. Nous avons alors trouvé qu'en vertu de la loi du développement la nature intérieure évoluante devait présenter dans l'univers, en un seul et même moment, toutes les variétés possibles.
Ces différentes natures ayant atteint chacune un degré d'évolution différent, nous ne pouvons avoir pour toutes les mêmes exigences, ni nous attendre à ce que toutes remplissent les mêmes fonctions. Il faut étudier la moralité au point de vue des hommes qui doivent la pratiquer. En décidant ce qui est bien et ce qui est mal pour un individu donné, il faut considérer le degré de développement atteint par cet individu. Le bien absolu n'existe que dans Ishvara. Notre bien et notre mal dépendent, dans une large mesure, du degré d'évolution atteint par chacun de nous.
Je vais essayer ce soir d'appliquer cette théorie à la manière de vivre. Il faut examiner si, au cours de notre étude, nous avons gagné une idée rationnelle et scientifique de ce qu'est la moralité, afin de ne plus partager les notions confuses répandues de nos jours. Nous voyons bien tel idéal présenté comme devant être réalisé dans la vie, mais nous trouvons aussi que les hommes sont absolument incapables même de le prendre pour objectif. Nous constatons la [63] divergence la plus regrettable entre la foi et la pratique. La moralité n'est pas sans avoir ses lois. Comme tout ce qui est dans l'univers l'expression de la pensée divine, la moralité, elle aussi, a ses conditions et ses limites. Par là il peut devenir possible de voir sortir un cosmos du chaos moral présent et d'apprendre des leçons morales pratiques qui permettront à l'Inde de croitre, de se développer, de redevenir un modèle pour le monde, de retrouver son antique grandeur et de manifester de nouveau sa spiritualité d'autrefois.
On compte, chez les peuples occidentaux trois écoles de morale. Il faut nous rappeler que la pensée occidentale a une très grande influence sur l'Inde, tout particulièrement sur la génération qui grandit et sur laquelle reposent les espérances de l'Inde. Il est donc nécessaire d'avoir quelques notions sur les écoles de morale, différentes par leurs théories et leurs enseignements, qui existent en Occident, quand ce ne serait que pour apprendre à éviter ce qu'elles ont d'étroit et leur emprunter ce qu'elles peuvent offrir de bon.
Une certaine école dit que la révélation de Dieu est la base de la morale. À cela ses adversaires répliquent qu'il existe dans ce monde bien des religions et que chacune a sa révélation [64] particulière. Cette variété d'Écritures sacrées rend difficile a-t-on dit, d'affirmer qu'une seule révélation doive être considérée comme fondée sur l'Autorité suprême. Que chaque religion considère sa propre révélation comme supérieure aux autres, cela est naturel ; mais comment, dans ces controverses, le chercheur pourrait-il se former une opinion ?
On dit encore que cette théorie pèche par la base, comme tous les codes de morale établis sur une révélation donnée une fois pour toutes. Pour qu'une loi morale puisse être utile au siècle qui l'a reçue, il faut que son caractère soit approprié à celui du siècle. À mesure qu'une nation évolue et que des milliers et des milliers d'années passent sur elle, nous voyons que ce qui convenait à la nation en bas âge ne convient plus à la nation arrivée à l'âge viril. Beaucoup de préceptes, jadis utiles, ne le sont plus aujourd'hui, les conditions actuelles étant différentes. Cette difficulté est reconnue, et trouve sa réponse dans les Écritures Indoues, si nous les étudions à leur tour, car elles offrent une immense variété d'enseignements moraux, convenant à toutes les catégories d'âmes en cours d'évolution. Il y a là des préceptes si simples, si clairs, si précis et si impératifs, que l'âme la plus jeune peut en faire son profit. Mais nous voyons aussi que les Rishis [65] ne considéraient pas ces préceptes comme applicables à l'avancement d'une âme déjà très développée. La sagesse antique nous apprend que certains enseignements étaient encore donnés à quelques âmes avancées, enseignements qui à cette époque étaient tout à fait inintelligibles pour les masses. Ces enseignements étaient réservés à un cercle intérieur formé des âmes ayant atteint la maturité de la race humaine. La religion indoue a toujours regardé la pluralité des écoles de morale comme nécessaire au développement de l'homme. Mais, chaque fois que dans une grande religion ce principe n'est pas posé, vous trouvez une certaine morale théorique qui n'est pas en rapport avec les besoins croissants du peuple. Elle a par suite quelque chose de chimérique et nous donne le sentiment qu'il n'est pas raisonnable de permettre aujourd'hui ce qui était permis à une humanité dans l'enfance. D'autre part vous trouvez, parsemés dans toute Écriture, des préceptes du caractère le plus élevé auxquels peu sont capables d'obéir, même en intention. Quand un commandement approprié à un être presque sauvage est déclaré obligatoire pour tous ; quand, émanant de la même source que le commandement donné au saint, il s'adresse aux mêmes hommes, alors nait en nous le sentiment que cela ne doit pas être et il [66] en résulte un certain trouble dans nos idées.
Une autre école a pris naissance : elle donne comme base à la morale l'intuition et dit que Dieu parle à chaque homme par la voix de sa conscience. Elle soutient que peuple après peuple reçoit la révélation, mais que nous ne sommes liés par aucun livre particulier : la conscience est l'arbitre suprême. On objecte à cette théorie que la conscience d'un homme a la même autorité que celle d'un autre. Si votre conscience diffère de celle d'autrui, comment décider entre conscience et conscience, entre la conscience du paysan ignorant et la conscience du mystique illuminé ? Si, admettant le principe de l'évolution, vous dites qu'il faut prendre pour juge la conscience la plus haute qui puisse se rencontrer dans votre race, l'intuition ne peut plus servir de base solide à la morale et, par le fait même que vous admettez la variété, vous détruisez le roc sur lequel vous vouliez bâtir. La conscience est la voix de l'homme intérieur qui se rappelle les leçons du passé. Cette expérience qui se perd dans la nuit des temps lui permet de juger aujourd'hui telle ou telle ligne de conduite. La soi-disant intuition est le résultat d'incarnations infinies. Du nombre des incarnations dépend l'évolution d'une mentalité déterminant, pour l'homme présent, la qualité de la conscience. Une [67] intuition comme celle-là, sans rien de plus, ne saurait être en morale un guide suffisant. Il nous faut une voix qui commande et non la confusion des langues. Nous avons besoin de l'autorité du maitre et non de la rumeur confuse des foules.
La troisième école de morale est l'école utilitaire. Ses vues, telles qu'elles sont généralement présentées, ne sont ni raisonnables, ni satisfaisantes. Quelle est la maxime de cette école ? – "Le bien est ce qui contribue au plus grand bonheur du plus grand nombre. Le mal est ce qui ne contribue pas au plus grand bonheur du plus grand nombre". – Cette maxime ne supporte pas l'analyse. Remarquez les mots : le plus grand bonheur du plus grand nombre. Une restriction semblable rend cette maxime inacceptable pour l'intelligence éclairée. Il ne s'agit pas de majorité quand l'humanité est en jeu. Une seule vie est sa racine, un seul Dieu est son but. Vous ne pouvez séparer le bonheur d'un homme du bonheur de son semblable. Vous ne pouvez briser le roc solide de l'unité et, prenant la majorité, lui accorder le bonheur en laissant de côté la minorité. Ce système méconnait l'unité inviolable de la race humaine ; sa maxime ne peut donc servir de base à la morale. Cette insuffisance résulte de ce que, par le fait de l'unité, un homme ne peut être [68] parfaitement heureux si tous les hommes ne sont pas parfaitement heureux. Son bonheur est incomplet tant qu'un seul être reste isolé et malheureux. Dieu n'établit pas de démarcation entre isolés et majorités, mais donne une vie distincte à l'homme et à toutes les créatures. La vie de Dieu est la seule vie dans l'univers, et le bonheur parfait de cette vie est le but de l'univers.
D'autre part, la maxime en question constitue un mobile insuffisant ; elle ne fait appel qu'à l'intelligence développée, c'est-à-dire à l'âme déjà très avancée. Adressez-vous à l'homme du monde ordinaire, à une personne égoïste. Dites à cet homme : "Il faut pratiquer le renoncement, la vertu et la moralité parfaite, même si cela doit vous couter la vie". – Que vous répondra-t-il ? Un homme semblable dira : "À quoi bon faire tout cela pour la race humaine, pour des hommes à naitre et que je ne verrai jamais ?" – Si vous prenez la maxime citée comme définition du bien et du mal, alors le martyr devient la plus grande dupe que l'humanité ait jamais produite, car il laisse échapper toutes les chances de bonheur et ne reçoit rien en échange. Vous ne pouvez accepter cette définition, sauf dans le cas où il s'agit d'une belle âme, très développée et, sinon tout à fait spirituelle, du moins susceptible d'une spiritualité naissante. Il y a des hommes, [69] comme William Kingdon Clifford, qui ont donné à la doctrine utilitaire un caractère d'élévation sublime. Clifford, dans son Essai sur la Morale, fait appel à l'idéal le plus haut et enseigne le renoncement dans les termes les plus nobles. Or il ne croyait pas à l'immortalité de l'âme. À l'heure de la mort prochaine, il sut se tenir près de la tombe, croyant qu'elle était la fin de tout, et prêcher que la plus haute vertu est seule digne d'un homme véritable car il la doit à un monde qui lui a tout donné. Bien peu d'âmes savent trouver, dans une perspective aussi sombre, une inspiration aussi belle. Il nous faut une définition du bien et du mal qui inspire tous les hommes, qui fasse appel à tous et non pas seulement à ceux qui ont le moins besoin de son aiguillon.
Qu'est-il sorti de toutes ces controverses ? – La confusion et pis encore ; une acceptation extérieure de la révélation qu'en réalité on laisse de côté. Nous avons, en somme, une révélation modifiée par l'usage. Voilà où nous
fait aboutir cette confusion. Théoriquement la révélation est regardée comme l'autorité. Dans la pratique on en fait abstraction, parce qu'on la trouve souvent imparfaite. Conséquence absurde : ce qui est déclaré l'autorité est rejeté dans la vie et l'homme mène, au petit bonheur, une existence illogique, [70] sans rime ni raison, sans avoir pour base aucun système précis et rationnel.
Pouvons-nous trouver dans l'idée du Dharma une base plus satisfaisante, une base sur laquelle puisse être intelligemment édifiée la manière de vivre ? Que l'individu soit arrivé, dans son évolution, à un niveau peu avancé ou à un niveau très élevé, l'idée du Dharma implique l'existence d'une nature intérieure se développant au cours de sa croissance. Nous avons vu que le monde dans son ensemble évolue, évolue de l'imperfection à la perfection, du germe à l'homme divin, s'élève de niveau en niveau, suivant chaque degré de vie manifestée. Cette évolution a sa cause dans la volonté divine. Dieu est la puissance motrice, l'esprit directeur de l'ensemble. C'est Sa manière de construire le monde, c'est la méthode qu'il a adoptée pour que les esprits, Ses enfants, puissent présenter un jour l'image de leur Père. Cela même n'implique-t-il pas l'existence d'une loi ? – Le bien, c'est ce qui travaille, conformément à la volonté divine, à l'évolution de l'Univers et hâte cette évolution dans sa marche de l'imperfection à la perfection. Le mal, c'est ce qui ralentit ou entrave la réalisation des desseins divins et tend à faire rétrograder l'Univers jusqu'au degré au-dessus duquel s'élève l'évolution. La vie se développe, passant [71] du minéral au végétal, du végétal à l'animal, de l'animal à l'homme animal, enfin de l'homme animal à l'homme divin. Le bien, c'est ce qui contribue à l'évolution vers la divinité ; le mal, c'est ce qui la tire en arrière ou ralentit sa marche.
Examinons un instant cette idée ; nous obtiendrons peut-être une notion claire de ce qu'est la loi et ne nous sentirons plus troublés par cet aspect relatif du bien et du mal. Placez une échelle, le pied sur cette estrade, et faites-lui dépasser le niveau du toit. Supposez qu'un de vous soit monté sur le cinquième échelon, un sur le deuxième et qu'un troisième auditeur se tienne sur l'estrade. Pour l'homme du cinquième échelon, ce serait descendre que de se placer à côté de l'homme du deuxième, mais, pour l'homme debout sur l'estrade, ce serait monter que de rejoindre l'homme du deuxième échelon. Supposez que chaque échelon représente une action : chacune serait à la fois morale et immorale suivant le point de vue auquel nous nous plaçons. Une action, morale pour l'homme brute, serait immorale pour un homme très cultivé. Descendre de l'échelon supérieur à l'échelon inférieur c'est, pour l'homme le plus élevé, s'opposer à l'évolution. Agir ainsi est donc pour lui immoral. Mais il est moral, pour l'homme inférieur, de s'élever jusqu'à ce même échelon, parce qu'il se conforme [72] ainsi au sens de son évolution. Deux personnes peuvent donc fort bien se tenir sur le même échelon, mais l'une ayant monté et l'autre étant descendue pour s'y placer, l'action est morale pour l'une et immorale pour l'autre. Cela bien saisi, nous allons commencer à en dégager notre loi.
Voici deux jeunes garçons. L'un est doué et intelligent, mais il aime beaucoup ce qui est physiquement agréable, la table et tout ce qui lui procure un plaisir sensuel. L'autre présente les signes d'une spiritualité naissante ; il est vif, alerte et intelligent. Prenons-en un troisième, doué d'une nature spirituelle fort développée. Voilà trois jeunes garçons. À quel mobile nous adresserons-nous pour aider l'évolution de chacun ? Commençons par le jeune homme qui est très porté au plaisir sensuel. Si je lui dis : "Mon fils, ta vie ne doit pas présenter la moindre trace d'égoïsme ; il faut vivre en ascète" ; – il haussera les épaules et s'en ira. Je ne l'aurai pas aidé à s'élever d'un seul échelon. Si je lui dis : "Mon garçon, tes plaisirs te donnent une joie momentanée, mais ils te ruineront, physiquement, et détruiront la santé. Vois cet homme, vieillard avant l'âge, qui s'est laissé aller à une vie sensuelle. Tel sera ton sort si tu continues. Ne vaut-il pas mieux consacrer une partie de ton temps à ta [73] culture intellectuelle, à ton instruction, de manière à pouvoir écrire un livre, composer un poème ou joindre les efforts à quelque entreprise ? Tu peux gagner de l'argent, t'assurer la santé et la célébrité et satisfaire ainsi ton ambition. Consacre de temps en temps une roupie à l'achat d'un livre au lieu de la dépenser dans un repas". – En m'adressant ainsi à ce jeune homme, j'éveille en lui l'ambition – une ambition égoïste, je l'admets ; mais la faculté de répondre à un appel au renoncement n'existe pas encore chez lui. Le mobile de son ambition est égoïste, mais c'est un égoïsme plus relevé que celui du plaisir sensuel et mon enseignement donnant au jeune garçon quelque chose d'intellectuel, le mettant au-dessus de la brute, le plaçant au niveau de l'homme qui développe son intelligence et l'aidant ainsi à s'élever sur l'échelle de l'évolution, mon enseignement est plus sage que ne serait celui d'un renoncement personnel impraticable. Il lui présente, non pas un idéal parfait, mais un idéal à sa portée.
Si, au contraire, je m'adresse au jeune homme intellectuel chez qui la spiritualité s'éveille, je lui présenterai comme idéal le service de son pays, le service de l'Inde. J'en ferai son but et son objectif, mélange d'égoïsme et
de désintéressement, élargissant ainsi son ambition et activant son évolution. Et quand j'arrive au jeune [74] homme spirituellement doué, je laisse de côté tous les mobiles inférieurs et j'invoque, au contraire, la loi éternelle du renoncement, la consécration personnelle à la Vie unique, le culte des Grands Êtres et de Dieu. J'enseignerai le Vivéka [Discernement entre le réel et l'illusoire, entre le permanent et le passager (Note du traducteur)] et le Vairagya [Indifférence pour tout ce qui n'est pas réel et permanent (Note du Traducteur)], pour aider ainsi la nature spirituelle à développer ses possibilités infinies. Comprenant donc que la moralité est relative, nous pourrons travailler avec fruit. Si nous ne savons aider chaque âme, quel que soit son niveau, c'est que nous sommes des maitres sans expérience.
Dans toute nation, certains actes déterminés sont déclarés mauvais, tels que l'assassinat, le vol, le mensonge, la bassesse. Dans toutes ces choses on reconnait des crimes. Voilà l'idée générale ; mais elle n'est pas corroborée par les faits. Jusqu'à quel point, dans la pratique, ces choses sont-elles reconnues morales ou immorales ? Pourquoi admet-on qu'elles sont mauvaises ? – Parce que la masse de la nation a, dans son évolution, atteint un certain niveau ; parce que la majorité de la nation est arrivée sensiblement au même degré de développement et que, de là, [75] elle regarde ces choses comme mauvaises et contraires au progrès. Par suite la minorité, se trouvant au-dessous de ce degré, est considérée comme se composant de "criminels". La majorité est arrivée, dans son évolution, à un niveau supérieur et la majorité fait la loi. Ceux qui ne peuvent atteindre même le niveau inférieur de la majorité sont intitulés criminels. Deux types de criminels s'offrent à nous. Sur ceux de la première catégorie notre action est nulle quand nous faisons appel à leur sentiment du bien et du mal. Le public ignorant les traits de criminels endurcis. Mais cette manière de voir est erronée ; elle a des conséquences déplorables. Ce ne sont là que des âmes ignorantes, en bas âge, des âmes-enfants, des bébés dans l'école de la vie. Nous ne les aiderons pas à s'élever en les foulant aux pieds et en persistant à les maltraiter sous prétexte qu'elles sont à peine supérieures à la brute. Nous devrions employer tous les moyens possibles, tout ce que notre raison peut nous suggérer, pour guider et instruire ces âmes-enfants et les former à une vie meilleure. Ne les traitons pas comme des criminels endurcis parce qu'elles ne sont que des bébés dans une pouponnière.
L'autre type de criminels comprend ceux qui éprouvent jusqu'à un certain point des remords [76] et du repentir après avoir commis le crime et qui savent qu'ils ont mal agi. Ils sont à un niveau plus élevé que les précédents et sont susceptibles d'être aidés à l'avenir et de résister au mal, grâce à la souffrance même que leur impose la loi humaine. J'ai dit que toutes les expériences étaient nécessaires pour rendre possible à l'âme la distinction du bien et du mal. Il nous faut l'expérience du bien et du mal, jusqu'au moment où nous arrivons à les distinguer – mais pas plus longtemps. Dès que les deux modes d'action vous paraissent distincts, vous savez que l'un est bon et l'autre mauvais. Alors, si vous choisissez la mauvaise route, vous péchez, vous violez la loi que vous connaissez et admettez. Un homme arrivé à ce point commet un péché, car ses désirs sont impérieux et le poussent à choisir le mauvais chemin. Il souffre – et cela est juste – s'il obéit à ces désirs. Au moment précis où la connaissance du mal existe, à ce moment aussi, céder au désir devient une dégradation volontaire. L'expérience du mal est nécessaire seulement avant que le mal soit reconnu comme tel et afin qu'il le puisse être. Quand deux partis se présentent devant un homme et qu'ils ne semblent pas moralement distincts, alors il peut prendre indifféremment l'un ou l'autre sans mal faire. Mais, du moment qu'une action est reconnue mauvaise, c'est une [77] trahison envers nous-mêmes que de permettre à la brute qui est en nous de l'emporter sur le Dieu qui est en nous. Voilà, en réalité, ce qu'est le péché ; voilà la condition de la plupart des hommes – je ne dis pas de tous – qui commettent le mal aujourd'hui.
Cela posé, examinons d'un peu plus près certaines fautes. D'abord le meurtre. Nous remarquons que le sens commun de notre société fait une distinction entre tuer et tuer. Un homme en colère s'arme-t-il d'un couteau et poignarde-t-il son ennemi ? La loi l'appelle assassin et le fait pendre. Mille hommes s'arment-ils de couteaux et en poignardent-ils mille autres ? Cette manière de tuer se nomme la guerre. La gloire et non le châtiment attend celui qui tue de la sorte. La même foule qui hue l'assassin d'un ennemi unique acclame les hommes qui ont tué dix mille ennemis. Pourquoi cette étrange anomalie ? Comment l'expliquer ? N'y a-t-il rien pour justifier la décision de la société ? Existe-t-il une distinction entre les deux actes, justifiant la différence de traitement ? – Oui. La guerre est une chose qui soulève de plus en plus les protestations de la conscience publique et nous aurons tout à l'heure à constater ce fait que la conscience publique se développe. Mais, si nous devons faire tout notre possible pour empêcher la guerre, essayer [78] d'étendre la paix et élever nos enfants dans l'amour de la paix, il n'en existe pas moins une distinction réelle entre la conduite d'un homme qui tue par méchanceté personnelle et la manière de tuer que nous montre la guerre. La différence est si profonde que je vais m'étendre un peu sur ce point. Dans le premier cas, une rancune personnelle est assouvie, une satisfaction personnelle est éprouvée. Dans le second, un homme en tuant son prochain n'obéit pas à un mobile personnel, n'a pas en vue un but personnel, ne cherche pas un avantage personnel. Si les hommes s'entretuent, c'est pour obéir à un commandement qui leur est imposé par leurs supérieurs, responsables de la légitimité de la guerre. Je n'en reconnais pas moins qu'à elle seule la discipline militaire présente des avantages d'une importance extrême pour les hommes soumis à son école. Qu'apprend le soldat ? Il apprend l'obéissance, la propreté, l'activité, l'exactitude, l'action rapide ; il apprend à supporter de bon gré les épreuves physiques, sans plainte ni murmure. Il apprend à risquer sa vie et à la sacrifier à une cause idéale. N'est-ce pas là une école pouvant trouver sa place dans l'évolution de l'âme ? L'âme ne gagnera-t-elle pas à cette école ? Quand l'idéal patriotique enflamme le coeur, quand, pour lui, des hommes grossiers, communs et sans [79] éducation, font le sacrifice de la vie, fussent-ils frustes, violents, intempérants, ils n'en passent pas moins par une école qui, dans les existences futures, fera d'eux des hommes meilleurs et plus relevés.
Voici une expression employée par un Anglais d'un talent assez étrange, Rudyard Kipling. Il fait dire aux soldats, qu'ils veulent se battre "pour la veuve qui est à Windsor". Ces mots peuvent sembler un peu rudes, mais il est bon pour l'homme qui meurt de faim, qui subit la mutilation sur le champ de bataille d'avoir présente l'image de sa Reine-Impératrice, mère de millions de sujets, et de lui donner sa vie, apprenant ainsi pour la première fois la beauté de la fidélité, du courage et du dévouement. Voilà la différence qui, très obscurément sentie par la masse, distingue de la guerre le meurtre commis pour un motif personnel. Dans le premier cas le mobile est égoïste ; dans le deuxième il relève d'un moi plus vaste, le moi national.
En envisageant cette question de moralité, nous sommes souvent, dans nos actes, loin de compte. Il y a des vols, des mensonges, des meurtres, que les lois humaines ne punissent pas mais dont prend note la loi Karmique et qu'elle fait retomber sur leurs auteurs. Maint vol se déguise sous le nom d'affaires ; mainte indélicatesse se [80] déguise sous le nom de commerce ; maintes faussetés bien présentées sont intitulées diplomatie. Le crime reparait sous des formes surprenantes, déguisé et caché, et les hommes doivent apprendre vie après vie, à se purifier eux-mêmes. Ici se place, avant que nous arrivions à définir l'essence même du mal, un autre point que je ne saurais entièrement passer sous silence : celui de la pensée et de l'action. Certaines actions, que nous voyons commettre, sont inévitables. Vous ne savez ce que vous faites, quand vous laissez vos pensées suivre une direction mauvaise. Vous convoitez en pensée l'or d'autrui ; vous étendez sans cesse des mains imaginaires vers ce qui ne vous appartient pas. Vous vous préparez ainsi un Dharma de voleur. La nature intime, la nature intérieure constitue le Dharma et, si vous composez cette nature intérieure de pensées mauvaises, vous renaitrez avec un Dharma qui vous portera au vice. Ce mal, vous le commettrez sans réflexion. Vous doutez-vous de ce qu'il y a déjà de pensées en vous prêtes à faire naitre une action ? On peut endiguer l'eau et l'empêcher de suivre un certain canal ; mais si un trou est pratiqué dans la digue, l'eau, contenue jusque-là, s'écoulera par ce passage et emportera la digue. Il en est de même de la pensée et de l'action. La pensée s'accumule lentement derrière la digue des occasions [81] manquantes. Vous pensez, vous pensez toujours, et ce flot de la pensée grandit, grandit toujours derrière le barrage des circonstances. Dans une autre vie ce barrage cède et l'action se trouve commise sans qu'aucune pensée nouvelle n'ait eu le temps de naitre. Tels sont les crimes inévitables qui ruinent parfois une belle existence, au moment où les pensées d'autrefois portent leurs fruits dans le présent et où le Karma de la pensée accumulée se manifeste en action. Si, l'occasion se présentant, vous avez le temps de réfléchir, le temps de vous dire : "Vais-je le faire ?" – alors, pour vous, cette action n'est pas inévitable. L'instant de réflexion signifie que vous pouvez mettre vos pensées de l'autre côté et renforcer ainsi le barrage. Il n'y a pas d'excuse pour commettre une action reconnue mauvaise. Ces actions sont, seules, impossibles à éviter que l'on commet sans réflexions préalables. Dans ce cas la pensée appartient au passé, l'action au présent.
Nous arrivons maintenant à la question capitale, à celle de la Séparativité. Ici, en vérité, réside l'essence même du mal. Le grand fleuve de la vie divine s'est subdivisé, multiplié. Il le fallait, pour que des centres individuels et conscients devinssent possibles. Tant qu'un centre a besoin de grandir en force, la séparativité est [82] nécessaire au progrès. Les âmes, à un moment donné, ont besoin d'être égoïstes. Elles ne peuvent se passer d'égoïsme au début de leur croissance. Mais maintenant la loi de la vie qui progresse demande aux plus avancés de laisser là désormais la séparativité et de chercher à réaliser l'unité. Nous trouvant maintenant sur le chemin qui mène à l'unité, nous rapprochant de plus en plus les uns des autres, il faut nous unir pour pouvoir faire de nouveaux progrès. Le but final reste le même, bien que la méthode ait changé au cours de l'évolution à travers les âges. La conscience publique commence à reconnaitre que c'est, non pas la séparativité, mais bien l'unité qui permet le véritable développement d'une nation. Nous essayons de substituer l'arbitrage à la guerre, la coopération à la concurrence, la protection des faibles aux brutalités qu'ils ont à subir – et tout cela parce que la marche de l'évolution se dirige maintenant vers l'unité et non plus vers la séparativité. Celle-ci marque la descente dans la matière, l'unification marque la montée vers l'esprit. Le monde est sur l'arc ascendant, malgré les milliers d'âmes retardataires. L'idéal aujourd'hui tend à se chercher dans la paix, la coopération, la protection, la fraternité, les secours mutuels. Le mal aujourd'hui a sa source dans la séparativité. [83]
Mais cette idée nous amène à soumettre notre conduite à un nouvel examen. Notre action présente a-t-elle pour objet notre avantage personnel ou le bien général ? Notre vie est-elle une vie repliée sur elle-même et inutile, ou vient-elle en aide à l'humanité ? Si elle est égoïste, elle est coupable, elle est mauvaise, elle entrave le développement du monde. Si vous êtes de ceux qui ont vu quel bel idéal est l'unité et compris toute la perfection de l'humanité divine, vous devez étouffer en vous cette hérésie de la séparativité.
En étudiant beaucoup des enseignements d'autrefois et en examinant la conduite des Sages, il se présente au point de vue de la morale certaines questions parfois assez embarrassantes. Je place ici cette observation, car je puis vous suggérer un mode de raisonnement vous permettant de défendre les Shûstras contre une critique captieuse et d'étudier leurs enseignements avec fruit sans éprouver de trouble dans vos idées. Un grand Sage ne donne pas toujours dans sa conduite un exemple que l'homme ordinaire doive s'efforcer de suivre. Par grand Sage j'entends un homme chez lequel tout désir personnel est mort, qui n'éprouve d'attraction vers aucun objet terrestre, pour qui la vie n'est que l'obéissance à la volonté divine, qui s'offre enfin lui-même pour servir de canal à la force divine et en déverser sur le monde [84] les flots secourables. Il remplit les fonctions d'un Dieu, et les fonctions des Dieux sont différentes des fonctions humaines. La terre abonde en catastrophes de tout genre : guerres, tremblements de terre, famines, épidémies, pestes. Quelle en est la cause ? La seule cause, dans l'univers de Dieu, c'est Dieu Lui-même. Ces fléaux qui semblent si terribles, si révoltants, si cruels, sont Sa manière de nous instruire quand nous agissons mal. La peste emporte dans une nation des milliers d'hommes. Une guerre formidable couvre les champs de carnage de milliers de morts. Pourquoi ? – Parce que cette nation ne s'est pas conformée à la loi divine de son évolution et qu'il lui faut recevoir de la souffrance la leçon qu'elle refuse d'apprendre de la raison. La peste suit le mépris des règles d'hygiène et de propreté générale. Dieu est trop miséricordieux pour permettre qu'une loi soit méconnue par les caprices, les fantaisies et les sentiments de l'homme, si lent à évoluer, sans lui faire sentir l'infraction commise. Ces catastrophes sont amenées par les Dieux, par les agents d'Ishvara, qui, toujours invisibles en ce monde, font respecter la loi divine, comme un magistrat fait respecter les lois humaines. C'est précisément parce qu'ils remplissent ces fonctions et qu'ils agissent d'une façon impersonnelle, que leurs actions ne sont pas pour [85] nous des exemples à suivre ; pas plus que l'action d'un juge mettant un criminel en prison ne peut être invoquée comme argument pour montrer qu'un simple citoyen peut tirer vengeance de son ennemi. Voyez, par exemple, le grand sage Nârada. Nous le voyons susciter la guerre quand deux nations ont atteint un point où elles ne peuvent plus progresser que par une lutte acharnée et la conquête de l'une par l'autre. Des corps périssant et rien n'est plus utile, pour les hommes tués de la sorte, que la suppression rapide de leurs corps. Ils peuvent dès lors, dans des corps nouveaux, trouver des conditions plus favorables à leur développement. Les Dieux provoquent une bataille où des milliers d'hommes sont tués. Pour nous il serait coupable de les imiter, car ce serait un péché que de provoquer la guerre pour des motifs de conquête, de gain, d'ambition ou pour une raison d'un caractère personnel. Mais, dans le cas de Nârada, il n'en est pas ainsi, car les Devarshis comme lui secondent la marche du monde dans la route de l'évolution, en renversant les obstacles. Vous aurez une notion des merveilles et des mystères de l'univers, quand vous saurez que ce qui semble mal, vu du côté de la forme, est bien, vu du côté de la vie. Tout ce qui arrive, arrive pour le plus grand bien du monde. Oui, "il y a une divinité qui prépare [86] notre avenir, quelque insuffisamment que nous l'ébauchions". La religion a raison de dire que les Dieux gouvernent le monde et guident les nations, en les ramenant de gré ou de force dans le droit chemin, quand elles s'égarent.
Un homme absorbé par la personnalité, attiré par les objets du désir et dont le soi n'est que Kama (Désir), un tel homme, commettant une action à l'instigation du Kama, commet souvent un crime. Or, cette même et identique action faite par une âme libérée, délivrée de tout désir, en exécution d'un ordre divin, sera bonne. Étant donné que les hommes ont perdu toute croyance dans l'intervention des Dieux, ces mots peuvent sembler étranges ; mais il n'existe pas d'énergie, dans la nature, qui ne soit la manifestation physique d'un Dieu exécutant la volonté du Suprême. Voilà la véritable manière d'envisager la nature. Nous regardons du côté de la forme et, aveuglés par la Mâyâ, nous l'appelons le mal tandis que les Dieux, en brisant les formes, déblaient tout obstacle sur le chemin de l'évolution.
Nous pouvons maintenant comprendre un ou deux de ces autres problèmes que nous opposent souvent les esprits superficiels. Supposons qu'un homme qui brule de commettre un péché, ne [87] le puisse pas, uniquement par suite des circonstances. Supposons que son désir devienne de plus en plus fort. Que peut-il lui arriver de plus heureux ? – Une occasion de mettre son désir en action. – Quoi ! De commettre un crime ! – Oui. Un crime même est moins pernicieux pour l'âme que l'idée fixe continuelle, que le développement d'un cancer au centre de la vie. Une fois commise, une action est morte et la souffrance qui lui succède enseigne la leçon nécessaire. La pensée au contraire se propage et vit [Ceci ne signifie pas qu'un homme doive commettre un péché, au lieu de résister. Tant qu'il lutte, tout va bien car il acquiert des forces. Le cas envisagé est celui où il n'y a pas de lutte et où l'homme qui brule de commettre l'action manque simplement d'une occasion. Dans ce cas, plus l'occasion se présente vite, mieux cela vaut pour l'homme. Le désir accumulé brise ses digues, le souhait réalisé entraine la souffrance ; l'homme apprend une leçon nécessaire et se trouve purgé d'un poison moral qui ne cessait d'augmenter]. Comprenez-vous cela ? Oui ? Alors vous comprendrez aussi pourquoi, dans les Écritures, vous trouvez un Dieu plaçant sur le chemin d'un homme l'occasion de commettre le crime auquel cet homme aspire et qu'en réalité il commet dans son coeur. Il devra, bien entendu, expier son péché mais la souffrance qui attend le coupable l'instruira. Si rien n'avait empêché cette pensée mauvaise de [88] croitre dans le coeur, elle eût graduellement ruiné toute la nature morale de l'homme. Tel un cancer qu'une suppression rapide empêche seule d'empoisonner le corps entier. Il est bien préférable, pour cet homme, de pécher et de souffrir ensuite, que de désirer pécher et de ne trouver un obstacle que dans le manque d'occasion, se préparant ainsi une déchéance inévitable dans des vies futures.
De même, quand un homme fait des progrès rapides et qu'il subsiste en lui une faiblesse cachée, soit qu'un Karma d'autrefois ne soit pas épuisé ou qu'une mauvaise action ne soit pas expiée, cet homme ne pourra pas être libéré tant que ce Karma ne sera pas épuisé, tant qu'il lui restera une dette à payer. Quel est le parti le plus miséricordieux à prendre ? C'est d'aider cet homme à payer sa dette, dans l'angoisse et l'humiliation, afin que la souffrance consécutive à la faute puisse épuiser le Karma du passé. Ceci veut dire qu'un obstacle empêchant sa libération a été enlevé de son chemin. Dieu place la tentation sur sa route afin de renverser la dernière barrière. Le temps me manque pour développer jusque dans les détails cette idée si importante, mais je vous demande de la suivre vous-mêmes, de voir ce qu'elle implique et quelle lumière elle jette sur les problèmes obscurs de notre croissance [89] et les défaillances des Saints. Si, après l'avoir bien assimilée, vous lisez un livre comme le Mahabharata, vous comprendrez l'action des Dieux dans les affaires humaines ; vous verrez les Dieux travaillant dans l'orage et dans le rayon de soleil, dans la guerre et dans la paix, et vous saurez que tout va bien pour l'homme et pour la nation, quoi qu'il leur arrive, car la sagesse la plus haute et l'amour le plus tendre les guident vers le but qui leur est assigné.
Encore un dernier mot, un mot que j'oserai vous dire, à vous qui m'avez suivie patiemment dans l'étude d'un sujet si difficile et si abstrus. Nous pouvons monter plus haut encore. Sachez qu'il existe un but suprême. Les derniers pas qui nous y amènent ne sont pas de ceux que le Dharma puisse maintenant guérir. Voici des paroles admirables du grand Instructeur Shrî Krishna. Voyons comment, dans Son enseignement final, Il mentionne ce qui dépasse en sublimité tout ce que nous avons encore osé effleurer. Voici son message de paix :
"Écoute encore Ma parole suprême, la plus secrète de toutes. Tu es mon bienaimé ; ton coeur est ferme ; aussi te parlerai-je pour ton bien. Que ton Manas se perde en Moi. Consacre-toi à Moi. Offre-Moi tes sacrifices. Prosterne-toi devant Moi – et tu viendras jusqu'à Moi. Abandonnant tous les [90] Dharmas, viens à Moi comme à ton seul refuge. Ne t'afflige point. Je te délivrerai de tout péché."
Bhagavad Gita, XVIII, 64-66.
Mes derniers mots ne s'adressent qu'à ceux dont la vie se résume en un ardent désir de se sacrifier à Lui. Ils ont droit à ces derniers mots d'espérance et de paix. Alors le Dharma prend fin. Alors l'homme n'a plus qu'un seul désir : le Seigneur. Quand l'âme est arrivée à ce degré d'évolution où elle ne demande plus rien au monde, mais se donne tout entière à Dieu ; quand aucun appel du désir n'a plus d'action sur elle ; quand le coeur a, par l'amour, gagné la liberté ; quand tout l'être s'élance aux pieds du Seigneur – alors laissez là tous les Dharmas : ils ne sont plus pour vous. Elle n'est plus pour vous la foi du développement ; elle n'est plus pour vous la nécessité d'équilibrer les devoirs ; il n'est plus pour vous l'examen sévère de la conduite. Vous vous êtes donnés au Seigneur ; il n'est plus rien en vous qui ne soit divin. Quel Dharma pourrait-il vous rester encore ? Unis à Lui, vous n'avez plus d'existence séparée. Votre vie est en Lui ; Sa vie est la vôtre.
Vous pouvez vivre dans le monde, mais vous n'êtes que Ses instruments. Vous êtes à Lui tout entiers. Votre vie est celle d'Ishvara et le Dharma n'a plus de prise sur vous. Votre dévotion vous a libérés, car votre vie [91] est cachée en Dieu. Telle est la parole du Maitre. C'est sur cette pensée que je voudrais vous laisser en terminant.
Et maintenant, frères, adieu. Notre travail en commun est fini. Après vous avoir exposé bien imparfaitement un sujet immense, laissez-moi vous demander d'écouter la pensée qui est dans le message et non pas les paroles du messager ; d'ouvrir vos coeurs à la pensée et d'oublier les lèvres qui vous l'ont imparfaitement présentée. Rappelez-vous que, dans notre ascension vers Dieu, il faut bien essayer, même d'une manière imparfaite, de transmettre à nos frères un peu de cette vie que nous cherchons à atteindre. Oubliez donc celle qui vous parle, mais rappelez-vous l'enseignement. Oubliez les imperfections ; elles sont dans le messager et non dans le message. Adorez le Dieu dont nous avons étudié les enseignements et pardonnez, dans votre charité, les fautes que Sa servante a pu commettre, en vous les présentant.
PAIX A TOUS LES… ÊTRES !


FIN DU LIVRE