LA RELIGION, LA SCIENCE ET L'ART DANS UNE IMPASSE
Transportez-vous, en pensée, au bord de l'océan et observez la marée montante ! Voyez les vagues se succéder les unes aux autres, chacune d'elles s'étendant sur la grève plus loin que la précédente, puis se brisant pour faire place à celle qui suit. Cette image peut s'appliquer à l'évolution des races humaines.
Observez maintenant avec plus d'attention cette marée montante. La vague qui s'avance le plus loin sur le rivage n'est pas la plus importante ; elle bouillonne sur les galets, monte et se brise dans un flot d'écume puis se disperse enfin en poussière d'eau, chantant au vent cette chanson si chère aux poètes. Cette vague est [2] celle qui, arrivée au terme de sa course, cesse d'être.
Soyez plus attentifs encore ! Tandis que nos sens étaient attirés par le fracas et le spectacle de la lame qui s'effondrait, une autre petite vague, silencieusement, presque subrepticement, arrivait sur le brisant, pour déferler à son tour, et avancer sur le sable plus loin que la précédente.
Ce tableau, si familier aux enfants qui ont été au bord de la mer, peut symboliser l'évolution des races ; les vagues nous représentent alors les races ; l'océan : l'humanité en général. Les vagues plus petites, qui se produisent entre chacune des grandes, sont, elles, les sous-races issues de la race-mère.
L'ESPRIT DU SIÈCLE
Ce qui est vrai pour la mer, est vrai aussi pour l'humanité : quand une vague secondaire se brise, une autre apparait qui domine à son tour, et, pour les yeux qui savent regarder, émerge l'Être puissant que nous appelons :
L'Esprit du siècle.
Les pieds sur les flots, les cheveux dorés de soleil, on l'entend s'écrier d'une voix de tonnerre : [3]
"J'apporte un nouveau ciel et une nouvelle terre où la justice règnera."
Nous assistons actuellement à pareil spectacle ; la vague, ou plutôt la sous-race, à laquelle nous appartenons tous, ou presque tous, déferle et se brise sur le brisant du Temps. Celle qui apporte un nouveau ciel et une nouvelle terre, c'est la race qui nait et va dominer le monde transformé.
Durant des siècles et des siècles, pendant des milliers d'années, la marche lente de l'évolution se poursuit insensiblement jusqu'à ce qu'un changement survienne. Une race meurt et disparait, une autre la remplace mais précédée par une époque de transition, époque durant laquelle les évènements se précipitent. Les catastrophes sont alors plus fréquentes, les transformations se font sentir plus brutalement, les hommes progressent en une année, plus que leurs ancêtres en un siècle.
Le monde traverse actuellement une période analogue.
Pendant de longs siècles, la grande race Aryenne s'est répandue sur la surface du globe ; ses vagues successives, c'est-à-dire ses sous-races, ont parcouru l'Asie et l'Europe, chacune d'entre elles ayant, chaque fois, [4] traversé les phases de la naissance, de la croissance, du progrès, de l'apogée et du déclin.
C'est ainsi que, peu à peu, sous-race par sous-race, régulièrement, tranquillement, le monde s'est transformé sans trop grands heurts ni trop grands troubles, les roues de notre univers ayant tourné à une vitesse modérée, d'une façon continue et sans trop de cahots, jusqu'à ce que soit arrivée la naissance de la nouvelle sous-race destinée à remplacer celle qui va disparaitre.
À certains signes, en examinant les choses qui nous entourent, vous ne sauriez manquer de constater la fin d'un cycle ; vous vous apercevrez que la pensée humaine a désormais atteint un point au-delà duquel elle ne pourra plus avancer si elle ne s'engage pas dans des voies nouvelles, si elle n'adopte pas d'autres méthodes d'investigation ; et vous remarquerez, qu'en tout et pour tout, les activités de l'intelligence, après un développement rapide, se trouvent maintenant engagées dans une véritable impasse.
Les changements, que les plus âgés parmi vous ont pu voir, sont certainement merveilleux. Ces transformations se succèdent, chaque fois plus importantes, et l'humanité tout [5] entière est ainsi entrainée, sans cesse, vers le Progrès. Aussi les hommes se demandent-ils ce que l'avenir leur réserve.
Ce n'est pas la première fois, certes, qu'une telle période surgit dans le monde ; l'histoire nous confirme le fait. Reportez-vous au passé, au moment où la race qui précéda notre race indo-germanique était arrivée à son apogée, et voyez combien les esprits étaient alors troublés ! Ce moment coïncide avec la naissance de celui que l'on connait en Occident sous le nom de Christ. Ce fut, comme aujourd'hui, une période de transitions brusques, de changements soudains et caractéristiques. Et si, comme je vous le dis à présent, vous vous étiez alors écriés : "Vous vivez à l'une des grandes époques de transition de l'histoire du monde ; la race qui domine est à son apogée mais bientôt, lente et inévitable, la décadence suivra" ; si vous vous étiez écriés qu'un grand instructeur allait apparaitre, pour révolutionner le monde à venir, changer les bases mêmes de la civilisation, donner une nouvelle religion aux races les plus avancées, établir un nouveau code de morale, qualifier de vertueux ce que l'on avait jusqu'alors méprisé, et tresser la couronne de sainteté à l'aide même des matériaux qu'on [6] avait jusqu'alors dédaignés ; si, dis-je, vous aviez, en ce temps-là, prononcé de telles paroles, l'on se serait ri de vous, l'on vous aurait appliqué l'épithète de rêveurs, l'on vous aurait menacés, maltraités et considérés comme de dangereux utopistes. En effet ! Pourquoi le monde changerait-il de route ? Quel besoin pour les hommes de porter leurs pas vers des sentiers nouveaux et par conséquent inconnus ?
Et pourtant, des âmes sentirent qu'un changement était imminent ; des prophètes et des voyants parlèrent du royaume à venir, de l'instructeur futur, des transformations qui devaient s'opérer ici-bas et bouleverser la face du monde.
LA FIN D'UN CYCLE
Mais à quoi bon regarder si loin en arrière, si vous devez être aujourd'hui aussi aveugles qu'on le fut dans le passé ? Deux mille ans se sont écoulés ! Les hommes ne sont-ils pas devenus plus sages, leurs yeux ne sont-ils pas décillés et les signes de
La Fin d'un Cycle ne leur sont-ils pas plus visibles qu'ils ne le furent pour leurs ancêtres aux derniers jours de Rome ? En ce temps-là aussi, il fut [7] question d'importants changements à venir, de l'apparition nouvelle d'un grand instructeur, de la naissance d'une nouvelle ère, d'un nouveau ciel, d'une nouvelle terre.
Nous vivons actuellement à une semblable époque de transition ; plus d'un, fort probablement, me traitera, comme il l'aurait fait jadis, d'utopiste ou d'insensée, mais je ne m'en appliquerai pas moins, ce soir et les dimanches qui suivront, à vous parler des signes d'après lesquels vous pourrez vous-mêmes prévoir de prochains changements et l'avènement d'un nouvel instructeur dans un nouveau royaume ; je ne m'en appliquerai pas moins à vous parler des signes d'après lesquels vous pourrez vous convaincre de la possibilité, aujourd'hui comme autrefois, d'une forme nouvelle pour le monde, d'un type plus noble d'humanité sur la terre. Nombreux sont les signes qui marquent la fin d'un cycle, nombreux aussi les signes de l'aurore dont les premières lueurs se distinguent déjà à l'horizon.
Dans cette conférence, comme dans la prochaine, je ne m'étendrai pas sur la race qui doit naitre, mais sur celle qui s'en va. S'il vous arrive de trouver ces deux conférences un peu sombres et quelque peu attristantes, je vous [8] rappellerai que la nuit précède toujours l'aurore, que le ciel est toujours terne, un peu avant le lever du soleil. Si, au-delà de ce ciel terne, nous pouvons apercevoir les premiers rayons d'une aube resplendissante, ne nous attristons donc pas en constatant l'obscurité qui nous entoure ; cette obscurité va bientôt se dissiper et nous assisterons à la glorieuse naissance du jour qui point déjà.
* * *
Nous nous occuperons, ce soir, des trois grandes divisions de la pensée humaine :
La Religion ;
La Science ;
L'Art.
Voyons maintenant si, en examinant les mondes religieux, scientifique et artistique, nous arriverons à constater que les méthodes usitées jusqu'à présent nous ont conduits aussi loin qu'elles pouvaient le faire, qu'elles nous deviennent inutiles, et qu'il nous est désormais impossible de nous en servir pour [9] ouvrir à la pensée humaine de nouveaux horizons pleins d'espoir et de promesses.
Il existe partout un sentiment d'inquiétude, d'incertitude, et même d'angoisse ; nous nous demandons où git la vérité et ce à quoi nous pourrions bien nous fier ; nous cherchons un roc où poser le pied au milieu de ces divergences d'opinions, au milieu du doute ou, pour mieux dire, de cette atmosphère de scepticisme et d'incrédulité.
I. — LA RELIGION
Quelle est, aujourd'hui, la situation du monde religieux ?
Disons tout d'abord que, durant de longues années, certaines forces se sont plu à saper la religion de l'époque, – (par religion, j'entends celle de l'Occident, puisque je m'adresse à des Occidentaux). – Il est certain qu'il me serait possible de vous montrer que ces mêmes forces sont à l'oeuvre en d'autres parties du monde ; elles ne s'exercent pas d'une manière aussi sensible, mais elles sont cependant, dans une certaine mesure, arrivées aux mêmes résultats. [10]
Je ne vous demanderai pas d'accepter, sans discussion, le témoignage, que la théosophe que je suis peut vous donner au sujet des difficultés en présence desquelles le monde religieux se trouve être aujourd'hui, difficultés dont je me propose d'aborder les points principaux. Lorsque j'aurai attiré votre attention sur les forces destructrices qui se sont attaquées à la religion, je vous citerai des évêques, et autres ecclésiastiques, dont vous pourrez lire les oeuvres.
Les principales forces auxquelles je viens de faire allusion sont au nombre de trois ; elles sont toutes destructrices. Nous savons démolir mais nous sommes incapables de reconstruire ; c'est là l'un des signes de la fin d'un cycle.
En premier lieu, – vous ne l'ignorez pas, – il y eu des savants en matière religieuse qui, sous le prétexte de haute critique, ont mis en pièces les documents sur lesquels reposait l'histoire du Christianisme. Ils s'emparèrent successivement de ces documents, les examinèrent, les analysèrent, les scrutèrent, comparant, les uns avec les autres, les textes originaux et leurs diverses traductions. Ils prouvèrent que ce que l'on attribuait à un [11] seul auteur présentait, au contraire, les signes d'époques différentes et, ayant placé en regard les unes des autres les versions diverses qu'ils avaient rassemblées, ils montrèrent que celles-ci s'annulaient réciproquement. La chose prit des proportions telles que, récemment, le chef reconnu de l'Église Romaine mit ces travaux à l'index. Haute critique, méthode historique appliquée à l'enseignement et à l'histoire de l'Église, esprits d'analyse, d'investigation, de recherche, tels qu'on les comprend de nos jours, tout cela fut condamné, il est maintenant interdit d'en faire usage dans toutes les écoles catholiques romaines. Les résultats de la critique historique sont donc proscrits, et, politique des plus funestes, on les cache à ceux qui se proposent de devenir les éducateurs des générations à venir.
Cela doit-il nous étonner quant au point de vue extérieur ?
Si l'on fait de la religion une question d'autorité, de textes, de chronologie, d'évènements historiques, la critique sera toujours et fatalement destructrice. En effet, la forme change ; elle ne peut être stable dans un monde où tout est transitoire. Les anciens textes perdent la valeur qu'on leur attribuait autrefois ; [12] l'on en mesure l'inspiration en s'attachant à la lettre plus qu'à l'esprit, et cette inspiration est impuissante à résister aux critiques de l'heure présente. De plus, comme des enfants abandonnent sur la plage des châteaux de sable qu'ils rêvaient de voir résister aux vagues, l'on abandonne successivement ses réquisitoires, contre ou pour l'Église, à mesure que s'avance la marée montante du progrès. De tous côtés, vous le savez, s'élèvent des doutes concernant les textes ; la chose serait décourageante si la religion n'était réellement qu'une question de livres et de mots, si elle ne dépendait pas de l'Esprit vivant et divin dont tout homme est animé. Cet Esprit-là, aucune critique ne le détruira, puisqu'il est lui-même la source de la pensée et, par conséquent, du sens critique. Cependant, il faut bien convenir que, par suite du discrédit jeté sur ces documents, la religion se trouve avoir du plomb dans l'aile.
Désirez-vous maintenant connaitre la seconde des forces destructrices ? Cherchez-la dans l'archéologie, dans ce que l'on appelle la mythologie comparée, science édifiée à l'aide des recherches archéologiques. On a fouillé le sol où l'on trouva des villes, des bibliothèques, [13] des tombeaux qui nous révélèrent des secrets demeurés longtemps cachés, secrets qui ne tardèrent pas à devenir des armes contre la religion de l'Occident. Les dates adoptées jusqu'alors furent rejetées, les centaines d'années se transformèrent en millions d'années.
L'archéologie, la géologie, l'étude de l'antiquité sous toutes ses formes, les recherches qu'on fit sur les races disparues, tout amena un résultat identique, en ébranlant ce que l'on s'imaginait, à tort, être les bases mêmes de la religion.
De toutes ces attaques, de cette incessante destruction, de ce perpétuel esprit de critique, naquirent le doute, l'incertitude, le demi-scepticisme. Seule, l'espérance a remplacé la connaissance, le désir de connaitre s'est substitué à la foi vivante.
CREUSET DE LA RAISON
Outre les détails secondaires donnant prise à la critique, on a jeté les idées maitresses de la religion au Creuset de la Raison.
L'idée de Dieu elle-même a été controversée, commentée, et notre conception de la Divinité s'est modifiée. [14]
Qui songe, aujourd'hui, à étudier Analogy, oeuvre de Butler ? qui donc serait disposé à méditer sur Evidences, oeuvre de Paley ? Ce sont là, n'est-ce pas, des ouvrages surannés où l'on ne saurait trouver, traitées, les questions à l'ordre du jour.
L'idée d'évolution a, en effet, touché la religion ; la conception qu'on a de celle-ci, comme celle aussi qu'on se fait de la Divinité, n'a pu échapper à cette atmosphère corrosive de la pensée humaine à cet égard.
Ici, et quant à ces questions, toutes les soi-disant preuves qu'on puisse fournir demeurent impuissantes et stériles ; les raisonnements les plus subtils sont insuffisants. Si grande que soit l'accumulation des arguments, l'on n'obtient jamais, par le raisonnement, qu'une probabilité plus ou moins rationnelle lorsqu'on se contente de chercher Dieu hors de nous, et non dans sa manifestation la plus élevée, c'est-à-dire dans l'Esprit, vivant en chacun de nous.
L'idée d'un Dieu extra-cosmique, il est vrai, se dissipe peu à peu ; l'on ne croit plus guère, à présent, que Dieu ait créé l'univers comme un ingénieur construit une machine, et qu'Il se tient en dehors pendant que les roues tournent, que les courroies transmettent le [15] mouvement. À cette théorie s'est substituée celle qui admet un Dieu immanent en toutes choses, un Dieu qui est une vie et non plus un mécanicien, un Dieu qui est l'Esprit animant toutes les formes ; il ne s'agit plus enfin d'un Créateur extérieur à son univers ; cette façon de voir, plus noble, plus élevée que la précédente, commence à être admise dans le monde religieux actuel.
Mais considérer Dieu comme immanent dans l'univers n'est pas l'ultime réponse qu'on soit en droit d'attendre de la religion. Il faut plus encore que ce Dieu, résidant dans l'univers et dans l'homme, il faut proclamer cette grande vérité que les Écritures orientales contiennent :
"J'édifie cet univers avec une partie de moi-même ; puis je demeure 1."
1 Bhagavad-Gitâ (NDT).
C'est là l'une des perspectives nouvelles de la pensée religieuse à cet égard et les forces destructrices que nous considérons ne sauront l'atteindre.
Il est une autre grande conception chrétienne fertile en embarras et en difficultés de toutes sortes.
JÉSUS OU LE CHRIST ?
Je vais, ici, vous présenter un article [16] remarquable ayant paru dans le Hibbert Journal de janvier 1909. C'est peut-être l'un des plus beaux qui aient paru sur la question. Il porte un titre étrange qui dénote bien sur quelle énigme s'acharnent nombre de penseurs actuels.
Jésus ou le Christ ?
Tel est le titre. Non pas Jésus-Christ, ni Jésus et le Christ mais bien Jésus ou le Christ ? Cela ne surprendrait pas de la part d'un théosophe, mais l'article est écrit par un ministre de l'Église chrétienne. Celui-ci reconnait, avec une franchise et une audace dignes d'éloges, les difficultés que doivent affronter tous ceux qui, d'un côté, se trouvent en présence de l'idéal spirituel et, de l'autre, de l'homme. L'auteur demande si les revendications de l'Église sont émises au nom d'un idéal spirituel auquel on pourrait, provisoirement, donner le nom de Christ, ou si elles sont faites au nom de Jésus. Il examine ensuite un certain nombre de difficultés (vous feriez bien de lire l'article), en faisant remarquer que, dans l'étude du Nouveau Testament, l'on se trouve souvent en présence de concessions aux idées de l'époque et de beaucoup d'autres [17] difficultés qui ne concordent pas avec l'idée qu'il s'agit là du "Vrai Dieu émané du seul Dieu 2".
Il nous montre que, dans le sermon sur la montagne :
"on ne flétrit nullement cette cruelle loi relative au débiteur et au créancier",
et il ajoute qu' : "on ne saurait trouver, dans les paroles attribuées au Maitre en cette circonstance, aucun encouragement tendant à réformer la loi en question. Le précepte de Jésus, en ce qui concerne la soumission et la prestation de serment est absolu, et pourtant le Christianisme l'a ouvertement violé au cours de son histoire."
L'auteur envisage ensuite les idées relatives à l'homme et à la femme et parle :
"de ce principe inique concernant l'infériorité du sexe féminin, principe qui fut la cause [18] d'innombrables souffrances pour la majorité des individus".
L'auteur poursuit de la sorte son étude, point par point, pour aboutir à cette conclusion, qu'il juge inévitable :
"Identifier Jésus avec le Christ, c'est faire un Dieu d'un être omnipotent et cependant limité en Puissance, omniscient et cependant limité en Connaissance, infiniment bon et refusant cependant de communiquer sa Science divine à l'homme. Appeler cela un mystère serait un abus de langage, c'est de la pure contradiction."
Dès lors qu'un pasteur fait de pareilles assertions, dans une publication qui s'adresse presque exclusivement aux classes supérieures, l'on se rend compte de la nature des obstacles rencontrés par la pensée moderne au sujet de la personne de Jésus et de la révélation, plus vaste, du Christ.
Il est impossible que des questions de ce genre restent sans réponse, que de semblables problèmes puissent être soulevés pour demeurer sans solutions. Inévitablement, péniblement, le Christianisme devra trouver une solution rationnelle et déterminer qu'une révélation divine eut réellement lieu par l'intermédiaire de cette merveilleuse personnalité que fut Jésus, [19] chose que les hommes ont toujours acceptée et espérée ; le Christianisme devra avouer qu'une réponse doit être donnée, réponse que l'orthodoxie n'est peut-être pas prête encore à fournir.
2 Les théosophes font une distinction entre le Christ, incarnation divine, et Jésus, le disciple qui incarna le Christ. Jésus était donc homme, et le Christ est considéré comme étant l'incarnation d'un Dieu participant à la conscience divine. Pour plus amples explications nous prions nos lecteurs de se reporter au début de la conférence sur Le Christ futur et à la conférence sur La nature du Christ. Nous leur conseillons également la lecture du Christianisme Ésotérique. Ils comprendront alors qu'il peut exister, dans les Écritures, certains passages attribués à tort au Christ et dont Jésus fut l'auteur, et vice versa (NDT).
* * *
LA MORALE
Si, de la religion proprement dite, nous passons au vaste domaine qui lui est intimement lié :
La Morale, nous voyons que la situation adoptée à cet égard est des plus embarrassantes.
Depuis mon dernier séjour à Londres, vous avez eu ici le Congrès de l'Éducation morale où pas moins de vingt-deux gouvernements européens envoyèrent leurs représentants. On se préoccupa fort de savoir si l'éducation était, ou non, indépendante de la religion. Il s'agit là d'une question sociale de la plus haute importance parmi toutes celles qui sont aujourd'hui à l'ordre du jour ; la société devra la résoudre.
La morale aura-t-elle la religion pour base et sera-t-elle sanctionnée par cette dernière, ou peut-elle s'en séparer et vivre, isolée, [20] indépendante, sur le terrain qu'elle aura choisi ?
La réponse la plus courante, la plus en vogue, est en faveur de la seconde alternative ; d'après celle-ci, la morale doit exister sur son propre terrain, indépendamment de toute sanction religieuse. Cela n'a rien qui puisse nous surprendre, car les querelles entre les gens appartenant à des fois différentes et les violentes polémiques qui ont été faites au sujet de l'éducation, ont lassé les esprits en Angleterre où hommes et femmes s'impatientent en présence de ces luttes. Cette impatience est-elle fondée alors qu'il s'agit de l'éducation morale de milliers d'enfants, citoyens de l'avenir ?
Au Congrès, la question fut catégoriquement posée, et d'une façon si précise qu'aucune ambigüité n'en permettait des interprétations variées. Or, nous trouvons dans un numéro du même Hibbert Journal, cité tout à l'heure, un bref aperçu traitant des rapports de l'éducation avec la religion. L'auteur de l'article parle d'un remarquable discours fait au Congrès, dans lequel il est dit :
"que si l'on veut enseigner aux enfants le respect dû à l'idée de religion…, il faut aussi leur apprendre que la meilleure manière d'honorer Dieu consiste à [21] faire chacun son devoir selon sa conscience et selon sa raison."
Voilà une affirmation que, de nos jours, on serait prêt à accepter, et pourtant, sa valeur, comme aussi son manque de valeur, dépendent des deux mots : conscience et raison qu'elle renferme.
Si la conscience n'est pas éclairée, les jeunes gens qui lui obéiront rendront peu de services à l'humanité lorsqu'ils seront des hommes.
La conscience éclairée est vraiment la base d'un État ; une conscience ignorante et aveugle peut conduire les hommes à tous les vices, à tous les crimes. L'inquisiteur n'obéissait-il pas à sa conscience lorsqu'il livrait l'hérétique à la torture avant de l'envoyer au bucher ?
Laud n'obéissait-il pas à sa conscience lorsqu'il persécutait, torturait et mutilait les Puritains qui refusaient de s'incliner devant lui ?
La conscience est responsable de tous les crimes commis contre les nations et les individus. Elle a besoin d'être éclairée avant de pouvoir servir de point d'appui.
Et il en est de même pour la raison.
Si la raison est développée, illuminée, cultivée, exercée, elle peut alors être écoutée, car elle conduira vers la lumière ; si elle n'est pas entrainée au bien, selon les lois de la logique [22] et de la pensée droite, elle sera tout aussi irrationnelle que si le nom de raison ne lui était pas appliqué.
Il ne suffit pas de conseiller aux hommes de suivre leur conscience et leur raison si vous ne tentez rien pour éclairer cette dernière. Mais comment y parviendrons-nous ?
La religion autrefois, et dans une grande mesure, s'acquittait de cette tâche.
La société peut-elle, oui ou non, enseigner une morale, qui soit indépendante de toute religion ? demande-t-on, et voici que les difficultés surgissent.
L'évêque de Tasmanie a très courageusement attiré l'attention de l'Empire Britannique sur les problèmes en présence desquels se trouve l'enseignement religieux. Il montre que l'Ancien Testament ne peut être, en général, utilisé pour donner aux enfants chrétiens les bases d'une instruction morale. Peut-on, dit-il, se servir de l'Ancien Testament pour l'éducation ? et sa réponse est négative. Il ajoute qu'il est possible de trouver dans l'Ancien Testament de magnifiques passages, et des plus moraux, mais à condition toutefois de procéder par élimination, en appliquant, à ce choix, la conscience morale. Sa qualité d'évêque ne [23] l'empêche pas de déclarer courageusement que l'Ancien Testament ne saurait, en thèse générale, trouver place dans l'éducation de l'enfant.
Supposez maintenant que nous admettions, – et beaucoup de personnes intelligentes seraient disposées à le faire, – supposez, dis-je, que nous admettions la nécessité de procéder par élimination, en choisissant ; cela encore ne répond pas suffisamment bien à l'importante question. Comment croyez-vous pouvoir enseigner la morale à l'enfant sans recourir à la religion ? Êtes-vous disposés à penser qu'il est possible d'enseigner certaines vertus indépendamment de toute sanction religieuse, non pas toutefois ces vertus fort en honneur à notre époque de luttes perpétuelles et de concurrence à outrance ? Certes, vous pouvez apprendre à l'enfant : la prudence, l'économie, la circonspection ; vous pouvez lui apprendre l'utilité qu'il peut y avoir, pour lui, d'acquérir certaines choses, lui faire ressortir qu'il est de son devoir d'économiser pour parer aux éventualités de l'avenir. Il vous est possible d'enseigner cela, en vous plaçant, selon le terme consacré, sur le terrain purement utilitaire ; mais, ainsi que le fait observer un autre article, fort remarquable aussi, sur "La [24] conscience sociale de l'avenir", certaines qualités, autrefois considérées comme des vertus, sont aujourd'hui démodées et qualifiées de défauts ou de vices.
C'est ainsi que la soumission, dit l'auteur, devient, de nos jours, de la lâcheté ; la douceur est faiblesse ; le fait de ne pas se soucier du lendemain s'appelle de l'imprévoyance ; le détachement du monde est, le plus souvent, qualifié de fausse sentimentalité.
Tout cela est très vrai.
Comment donc allez-vous enseigner les vertus qui ont eu leurs racines dans la religion, vertus sans lesquelles un État ne peut être durable ? Il vous est effectivement impossible d'enseigner les vertus civiques en vous basant sur l'égoïsme éclairé. C'est là un point que les éducateurs de la jeunesse ne doivent pas oublier. Sacrifice, compassion, dévouement, faire porter aux forts le fardeau des plus faibles, montrer et se rendre compte que le devoir est supérieur au droit et que le sentiment de responsabilité est de beaucoup plus important que la protection de soi-même, comment, dites-moi, enseignerez-vous tout cela en vous basant sur l'égoïsme ?
En ce qui me concerne, j'ai autrefois, au [25] temps où j'étais sceptique, essayé de prouver qu'il serait relativement aisé d'amener les individus à l'esprit de sacrifice, au renoncement, en faisant appel à leur humanité même, en faisant appel à leur sentiment du devoir vis-à-vis de la race entière. Mais il se trouve que c'est précisément là où ces vertus sont le plus nécessaires que de semblables appels échouent immédiatement. Cet appel est entendu des natures nobles, et celles-ci ne forment pas la majorité ; il est entendu des désintéressés et des âmes de héros, mais la plupart des hommes ne possèdent qu'un héroïsme médiocre et un désintéressement très limité. Un tel appel est entendu de ceux mêmes qui n'en n'ont nul besoin, laissant insensibles et impassibles ceux qui devraient l'écouter. Irez-vous parler de la beauté du sacrifice, de la grandeur de l'abnégation, au millionnaire qui édifia son immense fortune en vouant à la ruine des centaines de familles ?
"Pourquoi me sacrifierais-je et que m'importe l'avenir ?" Telle est la réponse des égoïstes.
Un Français spirituel disait : "Qu'a fait pour moi la postérité pour que je me sacrifie à elle ?" [26]
Ce sont là, vous écrierez-vous, des sentiments très mesquins et fort égoïstes. C'est juste, mais ceux qui les adoptent sont précisément ceux qui ont besoin d'être aidés par une force morale qui s'impose à eux.
Où trouverez-vous cette force ?
Sans l'esprit de sacrifice, aucune nation n'est en sécurité ; sans la soumission volontaire des petits aux grands, de l'individu à la collectivité, la vie nationale est impossible, aucun système social ne saurait durer.
Or, ces vertus nous viennent de la religion et nullement de ce que l'on appelle, à tort, l'utilitarisme.
Le système le plus utile, pour une nation, est celui qui comprend les rapports existant entre la partie et le tout, et ce point, seule la religion l'enseigne car elle seule connait le "Moi supérieur" qui relie l'homme au tout, qui lui fait comprendre tous les rapports existants, lui fait savoir qu'il n'est pas une créature appartenant à un unique petit globe, mais un habitant de l'Univers, une vie cosmique et non pas une vie planétaire. La religion seule apprend cela, par l'intermédiaire de l'Esprit divin et immortel présent dans tous les coeurs. Sans religion, pas de morale possible ; vous [27] commettrez une erreur qui sera funeste si, à cause des fautes momentanées des partisans des religions, vous séparez de l'Éducation cette Religion qui en est l'Inspiration et la Force. Tels sont les problèmes que vous avez à résoudre à cet égard. Oui vraiment ! Une nouvelle synthèse religieuse et morale vous est nécessaire, et vous ne la trouverez pas sans le secours de l'inspiration provenant du "Moi supérieur" que l'homme, en tâtonnant, recherche actuellement.
II. — LA SCIENCE
Abandonnant pour l'instant l'impasse où la religion est engagée, impasse dont nous essaierons de sortir dans une autre conférence, portons maintenant notre attention sur la science qui, à l'heure actuelle, est arrivée à un point extrêmement intéressant.
En Occident, comme ailleurs, la science consiste essentiellement dans l'observation, la mesure, l'évaluation des quantités, l'étude des analogies et elle se trouve avoir atteint dans cette voie, d'une façon très nette et très curieuse, la limite de ses pouvoirs. Ses appareils sont arrivés à la précision la plus haute, ses [28] balances sont des merveilles capables d'apprécier des poids infinitésimaux. Rien en effet de plus étonnant que la délicatesse et la sensibilité de certains appareils qui mettent en valeur la grande précision recherchée par l'homme de science. Et cependant ceux-ci ne suffisent plus au savant dont les observations deviennent, de jour en jour, de plus en plus difficiles.
Considérons l'atome.
Chimiste et physicien peuvent-ils suivre l'atome et l'observer ? Ne sont-ils pas obligés d'avoir recours au mathématicien pour lui demander de leur trouver un atome qui réponde aux exigences de la science expérimentale, celle-ci se voyant incapable de le découvrir ? Remarquez que toutes les récentes données reposent sur des formules mathématiques, et que les savants ne peuvent observer l'atome qui leur échappe en raison de sa ténuité, de son infinitésimale petitesse. Ils éprouvent un embarras non moins grand vis-à-vis de l'atome du chimiste, – lequel est de quatre degrés au-dessous de l'ultime atome physique, – et ils ne peuvent que discuter, sans plus 3 [29]
Mais une science qui discute sur des faits que l'observation n'a point relevés, n'est plus la science telle que l'Occident la comprend ou l'a jusqu'à présent comprise. Tous les raisonnements scientifiques sont censés reposer sui l'observation, mais, lorsque celle-ci devient impossible et que les savants se voient contraints d'employer le simple raisonnement ou les spéculations intellectuelles, il devient dès lors nécessaire de chercher d'autres méthodes et de s'engager dans des voies nouvelles. Je ne prétends pas dire qu'il n'y a pas d'autres méthodes et de nouvelles voies, mais ce ne sont pas celles de la science actuelle.
Et alors survient cette difficulté : l'infiniment petit échappe à la science, par sa petitesse même ; le subtil est devenu trop subtil pour ses recherches. Si la chose est vraie, – et elle l'est pour la physique et la chimie, comme aussi, jusqu'à un certain point, pour l'électricité, – nous nous verrons obligés de convenir que les sciences ont atteint leurs limites, que les méthodes employées jusqu'ici ne sont plus d'aucune utilité, les organes des sens ne [30] répondant plus à la délicatesse, à la subtilité des ondes qui, de l'extérieur, viennent les frapper. Les sciences ont vaincu et conquis la matière dense et grossière, mais l'autre leur échappe ; ni les instruments de cuivre, de verre, ni même les aiguilles les plus sensibles, rien n'est plus assez délicat pour la continuation des recherches entreprises.
3La Théosophie reconnait, pour le plan physique, l'existence de sept états de matière : solide, liquide, gazeux, puis quatre éthériques. L'atome appartenant au plus haut état éthérique est appelé : atome ultime du plan physique et se trouve aux confins du plan astral, voisin du nôtre (NDT).
PSYCHOLOGIE
Les mêmes difficultés se rencontrent dans les autres domaines scientifiques comme celui, par exemple, de la Psychologie.
Tous les faits que relate la Néo-Psychologie ont-ils été empruntés aux découvertes des hommes de science ? Pas le moins du monde ils nous viennent d'imposteurs, de charlatans, de théosophes, de mesméristes, de spiritualistes et de tous ces autres istes que la science officielle méprise et considère comme étant tout à fait indignes de figurer dans son cadre. Néanmoins, c'est à ces individus qu'elle prend les faits qu'elle relate, qu'elle emprunte ces Phénomènes étranges de la Néo-Psychologie, qui bouleversent complètement les théories sur la conscience et révèlent les pouvoirs cachés [31] dans l'homme. Tous ces phénomènes, qu'on emprunte à des gens si peu respectables, s'accumulent sans que la science parvienne à les expliquer. Certes, elle a beau jeu pour se vouer à de nouveaux travaux de classification, pour débaptiser et rebaptiser, appeler le mesmérisme : hypnotisme ; appeler la clairvoyance : autoscopie. Ses travaux de classification et ses nouvelles étiquettes ne nous empêchent nullement de constater ce fait évident : elle ne possède aucune théorie qui puisse s'adapter à ces phénomènes et permettre de les classer dans un ordre logique. En psychologie donc, comme en physique, en chimie et en électricité, l'on se trouve engagé dans une véritable impasse.
LA MÉDECINE
Que dirons-nous de La Médecine ?
Les médecins commencent à douter, de plus en plus, de l'efficacité des remèdes qu'ils ordonnent. Dans mon jeune temps, un docteur digne de foi, me raconta un jour qu'il donnait parfois de l'eau colorée et des pilules de mie de pain à des malades qui, – il en était certain, – se seraient mieux portés sans médicaments, mais qui y tenaient à ce point, qu'il se [32] voyait dans l'obligation de leur donner quelque chose et prescrivait des choses anodines. Cette idée s'est propagée et les médecins perdent la foi en ce qui concerne les médicaments ; ils reconnaissent déjà que leur médecine est une science empirique, peu sure, ne reposant sur aucune saine théorie et qu'elle est tout expérimentale, ainsi qu'ils le disent eux-mêmes. Désespérant de trouver le moyen de guérir, ils se sont engagés dans un terrible à-côté :
La Vivisection.
LA VIVISECTION
Ils ont essayé, en torturant leurs frères inférieurs, les animaux, d'arracher à la nature les secrets qu'ils ne parvenaient pas à découvrir autrement. C'est là une voie dangereuse : au lieu de faire de la médecine une science qui guérit, elle en fait une science qui intoxique.
La médecine devient effectivement l'art de contrebalancer un poison par un autre poison et l'on tente, entre ces deux poisons, de recouvrer un semblant de santé. Lorsqu'ils découvrent un élément nouveau dont ils ne connaissent pas l'emploi, les médecins s'écrient aussitôt : "Expérimentons sur un animal, c'est [33] toujours mieux que d'expérimenter sur l'homme." C'est juste, mais si l'effet n'est pas le même ? Si ce qui est, pour l'homme, un poison, n'en est pas un pour l'animal, les résultats de l'expérience consisteront alors dans une intoxication générale involontaire qui s'ajoutera aux intoxications volontaires des temps présents. Il y a donc là un danger qui, dorénavant, empêchera peut-être d'accepter, aussi volontiers, les découvertes des vivisecteurs. Au fait, prenez la jusquiame : Les chèvres en mangent impunément et cette plante entrainerait notre mort. Si, au moment où l'on désire connaitre les effets de la jusquiame sur l'organisme humain, on avait au préalable essayé celle-ci sur des chèvres, d'innombrables décès auraient été la conséquence de cette application, à l'homme, de la méthode expérimentale.
Et dites-moi ! Qu'obtient cette science erronée et aveugle, avec tous ses sérums, ses toxines et tout ce qu'elle fait ingurgiter ? Elle diminue la vitalité de la race et le pouvoir qu'a le mental de résister à la maladie. Je ne dis pas qu'il ne soit pas possible d'immuniser un homme, pendant un certain laps de temps, en l'empoisonnant progressivement pour que le poison, absorbé ensuite en grande quantité, [34] n'ait plus d'effet sur lui.
On peut faire cette expérience avec l'arsenic. Me direz-vous qu'il s'agit là de santé ?
Non ! Il ne peut s'agir que de maladie, et toutes ces méthodes, je le répète, abaissent la vitalité du corps, en faisant de ce dernier une proie facile pour toutes les autres maladies, sous prétexte de le sauver de quelques-unes.
La santé ne s'obtient pas à l'aide de poisons, si savamment dosés soient-ils.
La santé s'obtient par une vie pure, par une nourriture saine, par la maitrise de soi ; on l'acquiert en devenant son maitre et non pas en demeurant l'esclave de ses appétits et de ses passions.
La voie prise par la science conduit à la mort et non à la vie ; elle n'a de raison d'être que pour ceux qui veulent mener mauvaise vie et se préserver ensuite des conséquences de leur conduite, en absorbant les produits empruntés aux animaux qu'on a, pour cela, martyrisés.
Nous voici donc, une fois de plus, dans une impasse, et d'ailleurs les partisans de la vivisection commencent eux-mêmes à s'effrayer des résultats qu'ils obtiennent.
S'il y a des solutions à ces problèmes de la [35] souffrance, elles ne seront pas trouvées sur les chemins qu'on a poursuivis jusqu'à présent.
III. — L'ART
Et l'Art ?
De nos jours, nombre de personnes, je le crains, dans ce pays comme ailleurs, ignorent que la Beauté est, pour l'homme, une nécessité de la vie de chaque jour. L'homme et la femme qui en sont privés perdent de leur humanité. Point n'est besoin de se demander si l'on peut et si l'on doit s'offrir le luxe des choses belles ; la beauté n'est pas là un luxe, mais une véritable nécessité ; c'est un autre pain quotidien.
Les peuples qui surent apprécier la valeur de la Beauté, possédaient de belles cités ; leurs oeuvres d'art étaient une propriété commune ; leurs édifices étaient magnifiques de proportions, leur architecture admirable, et l'on s'arrangeait de manière que le public pût en jouir. Aussi, en résultait-il une pureté de forme dont le moral bénéficiait en s'embellissant lui-même, ce qui ne saurait être pour un peuple que la laideur d'une ville n'effraie pas, qui respire une atmosphère délétère et s'entoure de choses laides. [36]
J'ai notamment fait, aux Indes, une pénible constatation, et ce que je puis vous en dire ne peut vous frapper ainsi que vous le seriez certainement si vous vous trouviez sur les lieux. Autrefois, la vie indoue respirait la beauté. Maintenant encore, en pleine campagne, la vie y est belle à voir. Les costumes sont jolis, amples, de couleurs ravissantes et c'est un charmant tableau qu'une paysanne aux champs, tant sont grandes la grâce de ses vêtements et la coloration des étoffes qu'elle porte. Lorsqu'elle va à la fontaine du village, elle a, sur la tête, un vase en bronze, en cuivre ou en argile, dont la forme et les tons sont toujours exquis.
Aujourd'hui, notre civilisation ayant filtré dans l'Inde tout entière, tout change. Les couleurs d'aniline remplacent les couleurs végétales, les objets en zinc prennent la place des ravissantes cruches d'autrefois. Jadis, lorsqu'il y avait une noce dans un village, chaque famille apportait, pour la fête, ses plus beaux vases, lesquels sont aujourd'hui délaissés et remplacés par d'horribles récipients en fer-blanc.
Tout cela, me direz-vous, est de peu d'importance ; je prétends et vous affirme que cela en a beaucoup.
Détruire le sentiment de la beauté, lequel [37] résulte du contact avec la nature, – (car la nature est toujours belle et notre contact avec elle ennoblit le visage, la forme et l'Esprit), – détruire ce sentiment, qui se développe en nous à la vue des montagnes, des rivières, des prés, des bois… c'est là une perte nationale, c'est là un signe de décadence. Les cités jardins, que vous commencez à construire, ne sont pas des caprices d'insensés ; c'est au contraire une sage tentative pour arracher les individus au spectacle affreux de la brique et du mortier tels qu'ils sont employés dans la campagne anglaise où la vie est encore belle, où le soleil et la couleur resplendissent.
Là où la Beauté n'est pas une force dominante, la vie est misérable, devient commune et vulgaire.
La Beauté est l'une des grandes révélations divines car elle consiste dans une harmonie parfaite, dans la perfection des lignes et de la couleur, caractéristiques de l'Artisan Divin qui, toujours, se manifeste par la Beauté assise sur la Sagesse et la Puissance.
Voyez vos oeuvres d'art ! Elles ne sont pas créées, mais imitées. Cela vous prouve que l'Art, lui aussi, est parvenu aux limites de son domaine, et que, pour continuer, une [38] nouvelle source d'inspiration lui est nécessaire. On entend dire parfois "qu'on ne peut faire plus beau que nature". Ignorez-vous donc qu'il est possible de voir la nature autrement que ne la voient les yeux aveugles des gens ordinaires ? Prenez une simple fleur qui, il est vrai, est belle d'elle-même ; un petit esprit de la nature l'a construite aussi bien que sa petite intelligence lui a permis de le faire dans sa conception de la Pensée Divine. Me direz-vous que l'artiste, dont l'évolution est de beaucoup supérieure à celle de ce petit esprit de la Nature, est incapable de mieux saisir la pensée que Dieu a mise en cette fleur ? C'est précisément ce que font les grands peintres, les poètes, les musiciens : ils voient, expriment et entendent les pensées divines, plus complètement que vous et moi ne saurions le faire à l'aide de notre vision limitée, de notre parole inhabile, de notre ouïe si peu sensible. La Pensée Divine est là, mais nous ne la percevons pas ; c'est à l'artiste qu'incombe le devoir de nous révéler la Beauté divine dans la forme ; s'il n'y parvient pas, il n'est pas un véritable artiste.
À venir est encore l'artiste de la nouvelle civilisation, celui qui pourra voir, à travers [39] les formes, l'Idée Divine qui s'efforce de s'exprimer au moyen d'un nouvel idéal, d'une nouvelle espérance et de nouveaux pouvoirs. C'est là ce qui vous manque, en art, mais l'aurore va bientôt vous apporter un art nouveau sous le ciel nouveau et sur la terre de demain.
Si je vous ai conduits aujourd'hui sur une route désolée, – (en vous parlant de ce qui disparait et non de ce qui vient), – c'est pour vous montrer les signes qui vous entourent et vous indiquent la fin d'un cycle ; et ce n'est pas seulement pour vous les montrer, – ce qui serait de peu d'importance, – c'est aussi pour que, grâce à la connaissance que vous aurez de ce qui s'en va, vous puissiez préparer l'avènement de la race qui va naitre.
Vous ne saurez guider vos pas si vous ne comprenez pas ; si vous ne savez rien, si vous n'entrevoyez rien, le monde restera pour vous une énigme, au lieu d'être une expression de la Pensée Divine.
L'âge qui meurt a fait son oeuvre ; il a développé le mental concret, la pensée scientifique, la puissance, la force, l'énergie, autant de dons divins qu'il faut désormais employer à des buts plus nobles que ceux qu'on a poursuivis jusqu'alors. Il n'y a rien à regretter, [40] rien à pleurer, rien à souhaiter de plus, dans ce monde qui s'en va et a terminé son oeuvre.
À vous de sortir de ce monde agonisant pour pénétrer dans le nouveau. C'est vers ce dernier que je voudrais essayer d'entrainer vos pensées et peut-être aussi, je l'espère, votre vie.