LES DIFFICULTÉS DU PROBLÈME SOCIAL LE LUXE ET LA MISÈRE

 


Je traiterai, ce soir, un sujet qui sortira peut-être du cadre de nos conférences habituelles. En général, le théosophe s'intéresse aux causes plutôt qu'aux effets ; c'est pourquoi il étudie les causes de la misère et n'attribue qu'une importance secondaire aux formes particulières que celle-ci revêt ; aussi, dit-on parfois que le théosophe n'est nullement pratique. C'est mal s'exprimer que de parler ainsi.
Il est certainement beaucoup plus pratique de s'attaquer bien plus aux causes de la misère qu'à ses effets : autrement c'est vouloir faucher les mauvaises herbes sans arracher les racines qui, demain, donneront de nouvelles plantes. Prétendre que cette étude et la discussion qui en découle ne sont pas utiles revient à dire qu'il est préférable d'envoyer des infirmières et des médecins sur le champ de bataille [42] pour ranimer les blessés, amputer les membres hors d'usage, plutôt que de songer à faire disparaitre les causes mêmes de la guerre. Il est bien certes, en de pareilles occurrences, d'envoyer infirmières et médecins, mais je soutiens qu'il est infiniment mieux de tendre à substituer l'arbitrage à la guerre.
Ainsi en est-il des questions qui, ce soir, feront l'objet de cette conférence. Je vous exposerai pourtant certains effets, à seule fin de vous amener à étudier les causes, comme aussi les changements fondamentaux qui devront s'effectuer pour la réalisation d'une civilisation meilleure.
Pour diriger l'esprit humain dans cette voie, lui donner l'impulsion qui lui fera prendre à coeur l'amélioration et l'élévation de la société, il faut tout d'abord le mettre en présence des conditions intolérables au milieu desquelles nous vivons aujourd'hui. Ce faisant, je ne m'écarte pas de l'enseignement et de l'exemple prêchés par la noble femme restée si longtemps incomprise : H.-P. Blavatsky, à qui je dois les meilleurs et les plus heureux jours de ma vie.


LA MISÈRE DES QUARTIERS PAUVRES DE LONDRES


Ceux d'entre vous qui ont étudié la théosophie peuvent ne pas avoir oublié certain [43] passage de La Clef de la Théosophie, où H.-P. Blavatsky parle de La misère des quartiers pauvres de Londres, et loue les tentatives qui furent faites, à cette époque, pour y pallier. Elle fit mieux que d'encourager par le livre.
Je lui dépeignais un jour quelques-uns des tristes spectacles auxquels j'assistais régulièrement, comme membre du School Board dans le quartier Est de Londres. Le lendemain, je recevais un petit mot contenant deux pièces d'or et ces quelques lignes : "Vous savez que je suis pauvre, moi aussi, mais donnez ce que je vous envoie, aux enfants qui, hier, vous demandèrent des fleurs."
Cette sympathie, toujours prête à soulager les souffrances humaines, se manifesta une autre fois, sous une forme que peu d'entre nous, sans doute, seraient disposés à adopter.
HPB partait pour l'Amérique ayant juste la somme nécessaire à l'achat de son billet. Elle venait à peine de quitter le guichet, qu'elle rencontrait, sur le quai, une femme pleurant auprès de ses enfants, HPB la pria de lui confier la cause de son chagrin, et la pauvre [44] femme lui raconta qu'un escroc lui ayant vendu de faux billets de passage, il lui était impossible de faire la traversée et de rejoindre son mari de l'autre côté de l'Atlantique. HPB retourna au bureau et changea son billet de première classe contre des billets d'entrepont pour elle, comme pour cette femme et ses enfants, pratiquant ainsi la fraternité qu'elle proclamait.
Je ne m'éloigne donc pas beaucoup de ses principes en choisissant, pour thème de conférence, la misère et les souffrances humaines, en vous citant, bien que vous ne les connaissiez sans doute que trop, quelques cas qui devraient vous inciter à l'action. Et si vous m'objectez que c'est vouloir répéter inutilement une vieille histoire, je vous répondrai que jusqu'à ce que les maux d'ici-bas aient disparu, il sera nécessaire de revenir sans cesse à cette histoire, si vieille et si connue soit-elle.


* * *


Examinons notre puissante civilisation et les difficultés du problème social.
Tout d'abord, avant d'aller plus loin, rappelez-vous que les grandes civilisations du passé périrent par suite du contraste par trop frappant qui existait entre la misère et le luxe. [45]
Ce qui eut lieu fréquemment autrefois, pourrait bien se renouveler aujourd'hui. Nous ne sommes pas plus avancés actuellement, qu'on ne l'était à Rome, en Assyrie, en Égypte. Consultez l'histoire de l'Égypte ancienne et vous verrez que ces mêmes questions qui nous troublent aujourd'hui furent soulevées, et il semble vraiment que notre monde, depuis lors, n'a nullement progressé dans ce sens. Des sculptures et des tablettes provenant des fouilles relatent un édit concernant le salaire des ouvriers auxquels on conseillait de ne pas céder au mécontentement, de ne pas refuser de travailler sous prétexte que leurs émoluments ne les satisfaisaient pas. Ailleurs, il s'agit d'indications, données pour faire face à ce qu'aujourd'hui nous appelons la grève.
Ces difficultés sont donc très vieilles ; le monde ne les a pas encore résolues et, avec l'espoir que la nouvelle civilisation y parviendra, je vous les signale à nouveau ce soir.
De nos jours, existent encore des classes opprimées qui forment un dixième de la population, proportion effrayante lorsqu'on y réfléchit. Figurez-vous une mutinerie éclatant dans un régiment ; on place les hommes en rang, on en choisit un sur dix, au hasard, [46] puis on le fusille, accordant la liberté à ceux qui restent. Telle est la situation actuellement : un homme sur dix est voué à la misère.
Aux Indes la proportion est plus forte, elle est d'un sixième. Par contre, les classes opprimées ne sont pas, là-bas, aussi misérables que les classes correspondantes ici. Elles sont peut-être plus méprisées, mais se trouvent, malgré tout, beaucoup plus heureuses. Cela est dû sans doute à ce que, depuis des milliers d'années, ce peuple est persuadé que les circonstances qui entourent la vie d'un homme sont les résultats des causes générées dans le passé par celui-là même qui en souffre, ou en jouit, dans le présent. Ces pauvres gens, loin d'accuser leurs semblables, se rendent donc seuls responsables de leur triste sort, et il arrive qu'ils se décident parfois à tirer le meilleur parti possible de leurs mauvaises conditions présentes, pour être plus heureux dans leur prochaine existence. Au surplus, la pauvreté n'est pas si terrible là-bas qu'ici. Sans doute, on apprend de temps à autre que la famine cause des milliers de victimes, mais est-ce là vraiment chose plus terrible que de n'avoir jamais de quoi manger à sa faim, ce qui est le cas pour nos classes opprimées ? Les registres [47] de l'état civil ne parlent pas des "morts de faim" ; cela choquerait le public. Et pourtant, pour peu que vous vous donniez la peine d'approfondir les faits, vous verrez la pauvre couturière rentrer chez elle avec son fardeau ; le vent glacial siffle et transperce ses minces vêtements, saisit son corps affaibli par une nourriture insuffisante, et elle meurt. L'officier de l'état civil inscrit alors, sur son registre, l'une des formules suivantes : morte de pneumonie, bronchite, tuberculose, etc. Mais sur les registres de Karma est écrit : "morte de faim".
C'est en effet l'insuffisance continuelle de nourriture qui cause la grande mortalité chez les pauvres. Pour vous mieux faire comprendre ce qu'est cette pauvreté, je vous citerai quelques exemples empruntés aux journaux de la semaine dernière ; ces exemples ne sont pas exagérés ; j'en ai vu de semblables autrefois que je ne vous citerai pas, préférant ceux, plus récents, que voici :
Des femmes cousent, sur des cartons, les agrafes que nous achetons très bon marché dans les grands magasins. Une femme coud quarante-sept mille agrafes avec leurs oeillets, pour un franc cinquante centimes, c'est-à-dire [48] environ deux mille pour un sou. Veuillez réfléchir à la somme de travail fourni pour un salaire si dérisoire. Cette travailleuse prend naturellement ses enfants pour l'aider, mais, comme l'instruction est obligatoire et que ceux-ci sont tenus d'aller à l'école, il se trouve, qu'après la classe, ils s'attèlent à l'ouvrage pour aider leur mère ; ces pauvres êtres, qui devraient plutôt se récréer pour se faire des corps vigoureux et sains, préparent, durant des heures, les agrafes pour lesquelles le magnifique salaire en question est offert.
Voici un autre exemple, bien connu. On donne aux confectionneuses de chemises d'hommes un franc vingt-cinq pour chaque douzaine ; cette somme se trouve souvent bien diminuée, la chemisière donnant quelquefois son ouvrage, pour quatre-vingts centimes, à une femme plus pauvre qu'elle, et ainsi de suite, de maison en maison, de mains en mains.
Ces deux cas sont empruntés au dernier numéro du Christian Commonwealth. Il y est aussi question d'une confectionneuse payée à raison de cinquante centimes la douzaine de faux cols, pour lesquels elle devait encore fournir le fil. Elle fut amenée devant la Commission royale comme un exemple typique. – (Nous [49] sommes toujours disposés à nommer des Commissions, bien qu'il n'en résulte jamais grand-chose une fois que les témoignages ont été soigneusement recueillis). Cette femme fut interrogée par un membre du Parlement qui lui demanda : "Comment faites-vous pour vivre, vous et vos enfants, avec ce que vous gagnez ? – Nous ne vivons pas !" fut-il répondu, et c'était vrai. Elle travaillait souvent vingt heures par jour, de six heures du matin à deux heures dans la nuit, afin de pourvoir à sa subsistance et à celle de ses enfants.
Je pourrais, durant des heures, vous raconter des faits de ce genre ; je ne prends que quelques cas typiques pour que vous puissiez vous rendre compte de la façon dont vivent quantité de gens, alors que nous vivons, nous, dans l'aisance. Laissons pour l'instant cette épouvantable misère que rien ne peut apparemment modifier et occupons-nous du Travail de la femme
en général, question se rattachant logiquement à ce que je viens de dire.


TRAVAIL DE LA FEMME


Considérons surtout ces grandes industries manufacturières. Au début, on s'imagina que [50] les femmes qui y travailleraient pourraient ainsi contribuer au bienêtre de leur foyer. Il en résulta, au contraire, une diminution des salaires pour les hommes et la misère augmenta.
En effet, tout d'abord il n'y a plus de foyer lorsque la femme abandonne ses enfants pour l'usine où elle gagne de quoi nourrir sa petite famille ; en outre, on préfère la femme à l'homme pour cette raison qu'un grand manufacturier exprima très ouvertement devant une autre Commission royale : "Je préfère les femmes mariées parce qu'elles sont plus dociles."
Oui ! C'est juste ! la femme mariée est beaucoup plus docile, car, au lieu de résister, elle pense aux enfants qu'il faut nourrir ; ce qui la rend si malléable ce sont les mains du dernier-né dont les petits doigts se crispent en vain sur le sein maternel ; ce sont ces mains d'enfants qui pétrissent le coeur de la mère et rendent celle-ci toujours prête à céder aux exigences de ceux qui l'emploient.
Et les choses, au lieu de se simplifier, se sont compliquées ; les hommes chôment ; celles qui ne devraient pas se départir de leur rôle de mère, travaillent à l'usine ; les salaires baissent, les hommes sont renvoyés pour que, à leur place, les femmes puissent être embauchées. [51]
Et qui peut soigner les petits restés à la maison ?
Une mère seule peut le faire et la nature même l'exige ; un père ne saurait se substituer à elle, si doux, si affectueux fût-il.
C'est là un autre problème difficile à résoudre, c'est là une situation délicate nécessitant une solution urgente, car la misère augmente avec une effrayante rapidité dans la classe ouvrière.


LA DÉGÉNÉRESCENCE PHYSIQUE


Passons, je ne veux qu'effleurer successivement tous ces problèmes. Nous arrivons maintenant à une question d'un intérêt national concernant
La Dégénérescence Physique dans nos grandes villes. Le mal existe depuis plusieurs générations ; c'est un fait d'autant plus incontestable qu'on a dû abaisser la taille exigée autrefois pour ceux qui se destinaient à l'armée. D'autre part, en considérant les classes aisées, il est possible de constater que celles-ci deviennent au contraire physiquement plus fortes ; les femmes surtout, s'adonnant beaucoup plus que jadis à la vie en plein air, deviennent plus grandes et plus robustes. Mais, [52] en général, pour la majorité, la taille décroit, les forces physiques s'affaiblissent. Or, cette majorité qui constitue presque à elle seule la nation est la plus prolifique ; c'est elle qui remplit les registres de l'état civil et c'est elle qui donnera naissance à la nation future. À quoi bon dès lors la vigoureuse santé des classes dirigeantes si la masse de la population dégénère ?
C'est encore là un problème pour lequel une prompte solution s'impose.
Tous ces divers problèmes ressemblent étrangement aux questions que posait le sphinx qui, lorsqu'on ne pouvait lui répondre, vous dévorait.
Les questions sociales sont posées, il faut y répondre, sinon c'est la mort, c'est la disparition même de notre civilisation.
Des remèdes divers ont été proposés par des sociologues, de savants docteurs, des charlatans ; un de ces remèdes, très à la mode en ce moment, tend à rendre stériles les incapables. Mais de tels remèdes sont pires que le mal et augmentent la dégénérescence physique d'une dégénérescence morale.
Ne serait-il pas plus logique de s'inquiéter des causes générant les incapables, plutôt que [53] de laisser la société les créer par milliers puis de songer à en diminuer le nombre ?
Nous voici, une fois de plus, en présence d'une grave difficulté, et ces problèmes que notre sphinx nous pose en nous enjoignant de les résoudre ne sont pas les seuls. Nous avons soulevé la question de la misère, celle du travail des femmes ; nous avons constaté la dégénérescence physique et la rapide multiplication des incapables ; que dirons-nous maintenant de l'Armée du Crime ?


L'ARMÉE DU CRIME


Nous créons actuellement, avec une rapidité extrême, des criminels invétérés ; nous arrêtons jeunes gens et jeunes filles que nous jetons en prison pour une semaine, un mois, un an ou dix ans : les peines s'accumulent sur le récidiviste, si bien que celui-ci se voit parfois condamné à une détention dont la durée dépasse celle de la vie d'un homme. Par contre, rien n'est tenté pour corriger un tel individu, le ramener au bien et essayer d'en faire un bon et utile citoyen.
Lorsque la loi s'empare d'un homme, ce devrait être pour le rendre meilleur et le transformer. Ce n'est pas le cas : on laisse le [54] criminel s'endurcir dans le crime ; à chaque faute nouvelle il est puni, jusqu'à ce que l'habitude de mal faire, – habitude que la loi a contribué à lui donner, – soit invoquée, pour permettre à la Cour de lui infliger une peine exemplaire. Ce n'est pas là faire preuve de sagesse, c'est de la démence.
Il arrive souvent qu'un jeune homme intelligent, entreprenant, commet un délit ; il n'a qu'une chance sur cent pour ne pas déchoir au rang des criminels invétérés et de profession.
Ne devrait-il pas exister, au degré actuel de civilisation, une meilleure méthode pour le traitement des criminels ? Il en est une, et je vous en parlerai lorsque j'en serai venue à vous exposer l'application du principe de fraternité dans la vie sociale.


L'OFFRE ET DE LA DEMANDE


Laissant ces cas extrêmes pour nous occuper des questions courantes de L'Offre et de la Demande, de la production et de la répartition, nous verrons que nous arrivons à un point tel, que l'état de choses ne peut demeurer ce qu'il est. La question est d'autant plus délicate que le [55] moindre changement entrainera le bouleversement de notre système économique actuel.
Peut-être nous sera-t-il possible de nous en rendre mieux compte, en examinant ce qui se passe en Amérique. Là-bas, en effet, manquent totalement ces influences du sentiment qui, dans une certaine mesure, prévalent encore dans notre pays où, autrefois, la société reposait sur une base plus humaine que la simple question d'argent. Nous verrons ce que valent nos systèmes en nous rendant en Amérique où ils ont trouvé leur libre cours, plus rien n'arrêtant leur complète application.
Deux choses remarquables nous frappent tout d'abord sur le nouveau continent. En premier lieu nous y trouvons l'homme capable d'amasser une fortune colossale en ruinant, de propos délibéré, les petits capitalistes.
En voici un exemple :
Un groupe d'individus, composé d'un grand nombre de gens plutôt pauvres que riches, fonde une Société, dans le but de construire une voie ferrée indispensable au développement de la contrée. Des communications rapides s'imposent ; il faut, pour les grains et autres marchandises, des moyens convenables de transport et l'on construit un chemin de fer [56] régional. Tout marche à souhait et les bénéfices, sans être importants au début, sont néanmoins satisfaisants. Mais survient sur les lieux un individu plus intelligent, plus entreprenant que les autres ; il s'aperçoit que la région est susceptible de prendre une grande extension et que, par conséquent, les chemins de fer deviendront une source incomparable de revenus. Que fait-il ? Il construit, non loin de la première, une autre voie ferrée dont nul n'a besoin si ce n'est lui qui veut s'enrichir. Nous allons voir comment. Il commence par faire concurrence à la première ligne en établissant, sur la sienne, pour les voyageurs et les marchandises, un tarif moins élevé auquel il se tient, en engageant son capital, – car il ne couvre pas ses frais, – jusqu'à ce que l'autre soit contraint d'adopter le même tarif. Lorsque les actions de son voisin atteignent une forte baisse en Bourse, il les rachète toutes. Dès qu'il en est possesseur, il laisse alors tomber son entreprise de circonstance, la région lui appartient et il réalise la colossale fortune qu'il avait convoitée, fortune édifiée aux dépens des actionnaires qui avaient placé leurs capitaux dans l'affaire, pensant contribuer à l'amélioration des moyens de communication dans leur région. Cet homme les [57] a sacrifiés pour satisfaire ses intérêts personnels. De semblables individus sont appelés, en Amérique, des wreckers, c'est-à-dire des naufrageurs, ce qui n'empêche pas la société d'avoir une haute opinion d'eux, étant donné qu'ils fondent des hôpitaux, voire même des églises ; en un mot, ils font de bonnes oeuvres en empruntant un peu aux fortunes qu'ils se sont indument appropriées.
Bien que la loi de leur pays ne les condamne pas, je prétends que, vis-à-vis de la véritable et éternelle justice, ils sont plus coupables, plus condamnables que le cambrioleur vulgaire qui dérobe les bijoux d'une grande dame ou la vaisselle d'or d'un millionnaire. On punit d'importance ce cambrioleur, lorsqu'on s'en est emparé, et il mérite d'être châtié car il est évidemment répréhensible, mais mille fois plus coupable encore est ce voleur caché sous des dehors honnêtes qui, à l'aide d'une intelligence brillante, s'attaque aux cerveaux plus faibles, vole à ses semblables le résultat de leurs travaux pour augmenter son butin de pillard.
On trouve encore cette sorte de vol sous forme de trusts et de sociétés d'accaparement. C'est ainsi qu'un accaparement de blé fut tenté dernièrement ; à ce que je sais, il échoua, un [58] autre spéculateur ayant réussi, le premier, à verser sur le marché des millions d'hectolitres de blé. Quel que soit le spéculateur qui l'emporte, personne n'en est mieux nourri, puisque la seule chose importante consiste à savoir lequel des deux spéculateurs réalisera les plus gros bénéfices.
Quant aux trusts, on les imagina pour permettre à quelques individus de réaliser d'immenses fortunes au détriment des petites bourses. Nos frères d'Amérique commencent à se lasser un peu de ce genre d'affaires et cherchent un moyen de l'enrayer, émettant l'espoir qu'un acte de Congrès, ou une loi, interdira bientôt les trusts.


LA CONCURRENCE À OUTRANCE


Mais quelle loi pourrait empêcher le trust, résultat naturel et logique de La concurrence à outrance ?
Comment empêcher cela sans paralyser en même temps toutes les industries basées sur le principe d'une concurrence sans merci ?
Encore une difficulté !
Le système commercial repose tout entier sur la lutte, chacun essayant de l'emporter sur son voisin, de conclure des marchés, avantageux pour certains, mais désastreux parfois pour [59] d'autres. S'il en est ainsi, comment voulez-vous vous opposer aux conséquences naturelles de ce système, aux résultats qui en découlent inévitablement ? Vous vous attaquez à l'application excessive d'un principe que vous désirez cependant garder tel quel ; l'application excessive choque la conscience publique qui s'émeut à la vue de gens ruinés par centaines et par milliers, alors qu'elle se trouvait tranquille lorsqu'on ne ruinait que par petits groupes ; pourtant, tous ont enduré les mêmes souffrances et subi le même misérable sort.
Comment donc voulez-vous enrayer l'excès sans ébranler l'édifice tout entier.
Tel est encore un problème, problème dans l'énoncé duquel nous découvrons d'ores et déjà l'indice d'un avenir meilleur, car la grande alchimie du laboratoire de l'univers où le Tout-Puissant transmue les forces qui détruisent en forces bienfaisantes, fait prévoir que tout ce qui est sorti de l'activité égoïste des hommes amènera une organisation du travail ; il fait prévoir que, dans l'avenir, ce travail profitera à tous, quand la fraternité aura remplacé la concurrence, quand l'intérêt qu'on porte aux autres sera devenu plus grand que celui qu'on se porte à soi-même. [60]
Nous voyons donc l'espoir poindre au milieu des difficultés.


* * *


Examinons à présent un autre côté du problème et considérons les tentatives qui ont été faites pour améliorer les conditions sociales dans ce que l'on appelle les pays neufs, l'Australie par exemple.
Les classes ouvrières ont obtenu, en Australie, tout ce qu'elles demandent ici, et l'on considère maintenant ce pays comme étant : "le paradis de l'ouvrier".


LE DROIT DE VOTE


Tout homme ayant atteint vingt et un ans a Le Droit de vote.
Songez à la soi-disant liberté que cela procure ! Toute jeune fille de vingt et un ans a le droit de vote. Que voudriez-vous de plus ? Plus n'est besoin, n'est-ce pas, de susciter des troubles ?
Par malheur, les jeunes gens se soucient beaucoup plus du football que des questions politiques, les jeunes filles s'inquiètent plus des chapeaux à la mode que de la manière dont elles doivent voter. [61]
Tout le monde a le droit de vote et on ne sait qu'en faire, ce qui a lieu fréquemment, non pas seulement en Australie.
Ne vous êtes-vous jamais aperçu que vous renonciez à un peu de bonheur en échange de la liberté que, d'après vous, le droit de vote vous confère ? Qu'importe que vous soyez ou non qualifié pour voter, au courant ou non de la politique, et des sujets qu'elle traite ! Qu'importe l'intelligence ! Votre voix, n'est-ce pas, vaut, dans le scrutin, celle de l'homme politique, celle du plus grand savant, celle de l'économiste le plus réputé. Vue de l'extérieur, c'est là certes une admirable façon de gouverner.
Voyons maintenant les résultats qu'on obtient en Australie où le système est appliqué, système que vous êtes sur le point d'adopter ici.
Tout le monde a donc là-bas le droit de vote ; mais, comme c'est toujours le cas, la majorité est formée d'ignorants. Là-bas, comme ici, existe la législation de classe, – chose d'ailleurs néfaste, – mais, en Australie, l'ordre est renversé, c'est-à-dire que le gouvernement est entre les mains des ignorants au lieu d'être entre celles d'hommes instruits, ce qui donne de fort mauvais résultats.
Qu'arrive-t-il ? [62]
Il en résulte tout d'abord une diminution progressive de l'habileté dans tous les genres de métier, et de cette habileté dépend, vous le savez, la prospérité d'un pays. Lejeune homme qui se sait libre, se soucie peu d'un apprentissage ; si vous osez lui dire que son ouvrage est mal fait, il vous tourne les talons et s'en va, en citoyen de la libre Australie qu'il est ; puisqu'on lui reproche de mal travailler, il refuse le travail.
Mais vous n'ignorez pas que la nature vient souvent à l'encontre de nos théories politiques et sociales, et ses lois ne se modifient pas comme nous serions parfois désireux de les voir se modifier. Le jeune homme qui refuse d'apprendre son métier reste ou devient forcément inhabile ; la fabrication s'en ressent et, le jour où l'on a besoin d'une bonne pièce de machine, on s'adresse en Angleterre malgré les frais d'importation qui, là-bas, sont très élevés. Ce que l'on fait en Australie est si mal construit que les machines ne fonctionnent pas au moment de leur montage.
Voilà un des résultats du système ; en voici un autre : [63]
Le chômage augmente.


LE CHÔMAGE AUGMENTE


Tout comme ici, en Angleterre, il y a des gens qui parcourent les rues en réclamant de l'ouvrage au gouvernement. La raison en est simple beaucoup d'ouvriers ne veulent pas travailler au-dessous d'un certain salaire qui, parfois, n'est d'ailleurs pas proportionnel à leurs capacités.
Supposons que vous ayez un jardin et que vous désiriez faire sarcler vos allées, faucher votre gazon. C'est là l'ouvrage d'un jardinier. Or, un jardinier prétend ne pas pouvoir travailler à moins de douze francs cinquante par jour, et le pauvre fonctionnaire, – qui, lui, n'est pas un électeur influent et ne dispose que d'un petit revenu fixe, – se voit dans l'impossibilité de payer douze francs cinquante par jour pour son jardin. Il sarcle alors lui-même ses allées pendant que le jardinier court les rues et réclame de l'ouvrage au gouvernement.
Il y a, dans cette question, autre chose que le chômage à considérer. Si vous obligez à sarcler, des hommes qui sont susceptibles d'être plus utiles à leur pays, vous entravez le [64] développement de toutes les formes supérieures de travail qui ennoblissent la vie d'une nation. Ce qui a toujours été vrai est encore vrai aujourd'hui : les hommes ne vivent pas seulement de pain ; si vous forcez tout le monde à exercer un travail manuel, vous n'obtiendrez que ce genre de paradis tel qu'il est décrit dans Looking Backward 4 livre que presque tous ont dû lire. Or, ce paradis est bien plus digne d'être celui d'un honnête faubourg plutôt que celui d'une nation qui ne peut se dispenser d'art, de beauté, de musique, de littérature ; et il faut du temps pour se perfectionner dans les arts, il faut de l'instruction pour s'en rendre maitre. Déplorable est l'organisation qui tend à rabaisser la nation à un niveau si bas qu'on ne songerait plus alors qu'à bien boire, à bien manger et à se distraire, oubliant les productions des génies et les créations de la pensée qui sont la vie même d'une nation.
Voilà donc un grand danger.
Il ne faut pas accuser le peuple ; tant qu'un [65] homme a faim, un bon repas est la seule chose qu'il désire et c'est là son idéal.

4 Cet ouvrage eut son heure de célébrité il y a une quinzaine d'années ; d'Amérique, où son auteur, Bellamy, l'écrivit, il parvint en France où il fut traduit et publié sous le titre : En l'an deux mille. Cette traduction est croyons-nous épuisée aujourd'hui (NDT).

Les idées peu intéressantes des ignorants ne doivent pas contribuer à l'édification d'une nation qui doit rester l'oeuvre des sages.
Mais voyez combien la question se complique !
Voyez même ce qu'il en est dans notre pays où l'instruction a assez de poids dans les affaires publiques, bien que le vote n'en tienne pas compte. Un homme peut connaitre à fond son métier et donner d'excellents conseils concernant sa besogne habituelle ; mais une nation ne se compose pas uniquement d'individus appartenant à un seul corps de métier ; elle comprend des centaines de professions différentes, se rattachant toutes les unes aux autres, chacune dépendant, dans une certaine mesure, de sa voisine, et l'on ne peut faire une loi nationale en se basant sur une seule profession, sur une seule classe. La loi doit s'appliquer à l'organisme entier, dans toute sa complexité ; sinon vous ruinez la nation pour le bénéfice d'un seul corps de métier. C'est précisément ce qui se passe en Australie. Certaines professions sont parfaitement bien organisées, largement pourvues, mais tous les autres éléments qui [66] participent à la constitution même de la nation, sont absolument écartés, si bien que la vie devient intenable pour eux.
En outre, le commerce se permet parfois des maladresses dont voici un exemple :
Melbourne est une très grande ville où il fait souvent très chaud. Des syndicats ont décrété que le dimanche, le lait ne serait livré qu'une fois par jour. Il faut bien que le pauvre puisse jouir du repos dominical, et c'est faire preuve d'égoïsme que de le contraindre au travail le dimanche. On ne livre donc le lait que le matin.
Malheureusement les vaches laitières n'ont pas encore de syndicat ; elles ne comprennent pas qu'elles devraient, le dimanche, ne donner du lait qu'une fois au lieu de deux ; sans pitié pour les dispositions prévues par des groupes socialistes, elles s'obstinent à donner du lait le soir comme le matin. Le malheureux laitier ne peut vendre cette seconde traite sans courir le risque d'être mis à l'index par son syndicat, ce qui, pour lui, serait la ruine. Il doit donc garder son lait et, quand il fait très chaud, le précieux produit a perdu le jour suivant ses propriétés, malgré l'acide borique qu'on y jette pour éviter qu'il se caille. Le laitier le mélange alors avec celui du lendemain [67] et vend le tout pour du lait frais ; dans le pot au lait on ne
s'aperçoit pas du mélange, mais le nouveau-né au biberon s'en aperçoit et la mortalité infantile augmente l'été, grâce à la savante disposition ci-dessus indiquée.
On ne peut gouverner un pays de cette façon ; et il existe beaucoup de petites choses de ce genre qui, à tout instant, nous font sentir que nous ne sommes pas absolument libres. Des dispositions analogues à celle que je viens de rapporter, ne sont possibles qu'à la condition d'être acceptées par tous ceux qui doivent les subir ; elles n'ont pas de raison d'être quand elles sont imposées, pour le bénéfice d'un commerce particulier, à une population qui ne les accepte qu'à contrecoeur.
Poussons plus loin nos investigations et il ne nous sera pas utile, cette fois, de considérer l'Australie. Il faut, dit-on,Remplacer la concurrence par la coopération.


REMPLACER LA CONCURRENCE PAR LA COOPÉRATION


Vous m'objecterez qu'on travaille déjà dans ce sens. En réalité on s'en est passablement occupé. Il est certain qu'on a fait beaucoup pour instituer des coopératives de consommation ; il en existe un certain nombre dans les comtés [68] de York et de Lancaster ; mais combien existe-t-il de coopératives de production ? On a bien essayé mais on n'a guère réussi, et cela pour deux raisons :
En premier lieu, la direction de la production nécessite un cerveau bien équilibré, clairvoyant, dirigeant avec autorité, et auquel ne doivent se substituer ni comités, ni bureaux, ni votes populaires, etc. Il y a en effet, en ce qui concerne la production, dans le commerce, pas mal de choses à prévoir ; de brusques changements peuvent survenir dont l'homme intelligent sait immédiatement éviter ou tirer parti pour conduire son entreprise au succès ; au contraire, discussions, désaccords, délais, peuvent entrainer la ruine. Telle est une des difficultés dans la question de production.
Il y a autre chose, – difficulté beaucoup plus grave, – résultant du manque de confiance. Les hommes ne se fient pas les uns aux autres ; ils sont soupçonneux, cachent leur jeu au lieu de coopérer honnêtement et ouvertement au bien général. Aussi changent-ils constamment de représentants, de dirigeants, et la direction des affaires en arrive à manquer totalement d'esprit de suite.
Ce manque de confiance, – imputation à [69] autrui de motifs égoïstes, – est fatal et restera néfaste aussi longtemps que le principe de fraternité ne sera pas mis en vigueur.
Actuellement, lorsqu'un homme sorti du peuple atteint un niveau social plus élevé grâce à son habileté, ses talents, son éloquence, sa persévérance, c'est toujours dans la classe où il est né qu'il trouve ses ennemis les plus acharnés. Quand il s'aperçoit, – et il s'en aperçoit inévitablement – que les remèdes proposés dans les meetings populaires sont impraticables et ne peuvent être ratifiés par le Parlement, ses frères le traitent de déserteur, de traitre, de renégat et, quoi qu'il fasse, il ne réussira pas à gagner leur confiance.
Que faire ?
Il faut, me direz-vous,
Changer la nature humaine,
avant de pouvoir mettre ces projets à exécution.


CHANGER LA NATURE HUMAINE


En effet, c'est précisément là ce qu'il importe de faire.
Pensez-vous que cela soit possible ?
La nature humaine change chaque jour, elle est perpétuellement en voie de transformation ; [70] elle n'était pas au moyen âge ce qu'elle est de nos jours. Lorsque les chevaliers errants parcouraient les campagnes, combattant et pillant, on aurait pu s'écrier alors : "Il faudra changer la nature humaine avant de voir les hommes se soumettre de bon gré à la loi, sans qu'on soit obligé de fendre les oreilles à ses oppresseurs." Depuis ce temps, l'homme a changé ; au lieu de partir en guerre nous-mêmes pour redresser les torts qu'on nous fait, nous appelons un représentant de la loi, et nous nous en rapportons à la justice du pays.
Pourquoi la nature humaine cesserait-elle de se transformer ? Elle change sous nos yeux et les changements qui s'accomplissent en elle sont l'éclosion graduelle de l'Esprit divin en l'homme. Les formes extérieures varient pour donner des corps appropriés à l'Esprit qui évolue ; la nature humaine inférieure se transforme constamment, revêtant des formes de plus en plus élevées.
Au sein même de toutes ces luttes, de cette concurrence effrénée, de cette misère, vous pouvez distinguer, pour peu que vous vous en donniez la peine, les germes d'une civilisation plus noble, plus grande, plus fraternelle. La conscience est, en général, au point de vue [71] social, bien différente de ce qu'elle était il y a un siècle. Combien différent aussi est le sentiment de responsabilité qu'on éprouve en présence des torts qui ont été faits, en présence de cette misère encore non soulagée ! Déjà, beaucoup de personnes appartenant à la classe, dite heureuse ou aisée, ne peuvent plus être heureuses, sachant que la misère est à leurs portes. Que de gens aussi commencent à se convaincre que tout ce que nous acquérons, nous ne le possédons pas en propriétaire ; dans le sens absolu du mot, mais comme des choses qui nous sont momentanément confiées dans un monde où tous les hommes sont frères et où le devoir de tous est le devoir de chacun !
Cette idée se répand de plus en plus, mais le changement doit venir d'en haut et non d'en bas. Les ignorants, les affamés, peuvent provoquer des émeutes ou des révolutions, mais seuls la Sagesse et l'Amour peuvent édifier une civilisation meilleure et durable.


ÊTES-VOUS SOCIALISTE ?


Je me souviens qu'un jour, on posa cette question à Mme H.-P. Blavatsky :
Êtes-vous socialiste ? [72]
Elle répondit :
– Je crois au socialisme qui donne et non à celui qui prend.
Telle sera la note caractéristique de l'avenir ?
Quand ceux qui possèdent seront disposés à se sacrifier, apparaitra, dans le ciel, l'aurore d'une ère nouvelle. Quand la richesse, l'éducation, les pouvoirs, seront considérés comme un dépôt devant servir au bien de tous, les fondations d'un État plus noble seront alors posées. Quand les hommes et les femmes se diront : "Je dois mon instruction à l'ignorance des milliers d'êtres qui, par leur travail, y ont contribué ; cette instruction leur appartient de droit, je dois l'employer pour les servir, acquittant ainsi la dette que j'ai contractée vis-à-vis d'eux" ; lorsque l'homme riche se dira : "Je ne suis qu'un dépositaire et non le propriétaire de ma fortune ; le labeur de milliers d'hommes me permit de l'acquérir et il est juste qu'elle soit destinée à soulager ceux qui m'ont aidé à la réaliser", alors la Fraternité commencera à se répandre ici-bas. Quand les gens du monde comprendront que leurs bonnes manières et leurs gouts raffinés devront être partagés au lieu d'être soigneusement renfermés dans leurs salons, comme quelque fragile [73] porcelaine de Saxe que l'on conserve à l'abri des chocs, quand ce jour viendra, viendra aussi le commencement d'une grande transformation sociale.
Cette grande et fraternelle civilisation sera basée sur le sacrifice, sur l'abnégation.
Dans une famille, les ainés penseront aux jeunes ; quand les moyens de subsistance seront insuffisants, les grands s'en priveront pour en faire bénéficier les cadets. De même, dans tout mouvement social, la caractéristique des classes élevées doit être le sacrifice ; celle des basses classes : l'amour et la solidarité ; toutes les classes alors fraterniseront, chacune apportant ce qu'elle a à donner ; aucune ne méprisera sa voisine car toutes sont également nécessaires à l'édification d'une nation.
La force physique du terrassier, le génie du philosophe, l'habileté de l'artisan, le cerveau puissant de l'organisateur, tout doit coopérer à l'oeuvre commune ; nul ne doit envier ou mépriser son prochain puisque tous travaillent en vue du bien général.


DES DIEUX EN VOIE D'ÉVOLUTION


C'est là un rêve irréalisable ! me direz-vous ; à cela je répondrai que l'homme est divin, qu'il n'est rien de si haut auquel il ne puisse prétendre, rien de sublime qu'il ne puisse [74] accomplir. Ayez une plus grande opinion de vous-mêmes, de vos divines possibilités et songez que vous êtes Des dieux en voie d'évolution,
que vous pouvez atteindre tout ce à quoi vous aspirez. Souvenez-vous en outre que la pensée est la plus grande des forces. Elle crée d'abord l'image, puis provoque sa réalisation dans le monde physique.
Il ne suffit pas de penser, encore faut-il cristalliser les pensées dans le monde physique et les signes de cette cristallisation deviennent visibles dans la grande civilisation chrétienne, qui est encore, quoi qu'on puisse en dire, une grande force dominante. Les hommes commencent à parler, non plus d'un ciel au-delà des nuages, mais d'un ciel sur la terre, du Royaume du Christ ici-bas ; on n'envisage déjà plus celui-ci comme une fiction mais comme une réalité, l'on pense à une civilisation dont les bases seront : Fraternité, Amour, Sagesse.
Voilà ce que le monde nouveau, qui déjà s'offre à nos regards, nous apportera. L'homme ne se contente plus de croire à la félicité post [75] mortem, il veut être heureux ici-bas, et il le sera, à moins que cette prière que vous, chrétiens, répétez chaque jour : "Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel" ne soit qu'une prière dite du bout des lèvres et n'ayant aucun sens réel.
C'est sur terre que s'édifiera la nouvelle civilisation, que la Fraternité se réalisera, que les nations de l'avenir deviendront une grande famille au lieu de vivre, entre elles, comme les fauves de la jungle.
Voilà ce que nous attendons, et si, aujourd'hui et dimanche dernier, je ne vous ai exposé que les côtés sombres, c'est pour vous montrer que Celui qui ouvre toutes les portes va revenir sur terre, précisément parce que nous sommes clans une impasse de laquelle nous ne saurions sortir sans Son aide.
Je compte, pendant les semaines qui suivront, étudier avec vous l'autre côté de la question, vous prouver que les cercles vicieux qui nous entravent se dissipent, que ce cri retentit dans les mondes supérieurs, répété par les mondes inférieurs :
"Je viens pour renouveler toutes choses !"