LES BASES DU MONDE NOUVEAU

 

4 - LES BUTS SUPÉRIEURS DE LA GUERRE


4. D'éminentes personnalités considèrent ces deux guerres mondiales comme les avant-coureurs d'une nouvelle civilisation et d'une paix établie. Est-il donc vrai que la guerre, malgré les dévastations qu'elle cause et le sang qu'elle fait répandre, a un but évolutif et qu'elle a placé dans le Gouvernement intérieur ?


LA PLACE DE LA GUERRE DANS L'ÉVOLUTION


Bien que je plaide constamment pour que l'arbitrage soit substitué à la guerre et la Justice à la Force, aussi bien en ce qui concerne les nations qu'en ce qui concerne les individus, je maintiens pourtant que la guerre a sa place dans l'évolution de l'Humanité et que l'Humanité n'est pas encore suffisamment évoluée pour que la guerre disparaisse totalement (45).
Car l'Europe a complètement négligé la Loi de Fraternité, aussi bien dans ses organismes nationaux que dans ses relations avec l'extérieur. Elle a colonisé, conquis, tyrannisé ; elle s'est crue l'élue de Dieu et a cru aussi que Dieu lui donnait en pâture tout le reste de Son monde. Il a été permis à certains individus, dans les pays d'Europe, de réaliser une richesse extravagante [54] tandis que les masses populaires stagnaient dans une pauvreté sordide ; les classes laborieuses ne participaient ni au confort, ni à la beauté, ni à la splendeur qu'elles créaient et, comme dans l'Inde, les grands méprisaient les petits. L'Europe a vécu, à l'extérieur et à l'intérieur de ses frontières, comme si la Loi de Fraternité n'existait pas, comme si ses pauvres pouvaient être éternellement exploités et comme si les races de couleur étaient destinées à être ses proies. Pour ces raisons, les larmes des faibles et les souffrances des opprimés se sont rejointes pour former un puissant courant souterrain qui a miné les trônes européens. La civilisation européenne chancèle. Le résultat de la négation de Dieu dans la négation de la Fraternité et dans la misère qui accompagne l'injustice triomphante est visible aujourd'hui aux yeux de tous (49).
… Les dieux supérieurs ont envoyé aux hommes la Grande Guerre pour secouer jusqu'en ses fondations la civilisation occidentale, pour détruire le matérialisme, pour prouver que les nations ont besoin, pour perdurer, de conceptions spirituelles, pour établir la suprématie du Droit et de l'Honneur sur la Tyrannie, la Force et la violation de la Foi publique ; ils l'ont envoyée pour que l'Occident, par les exemples de l'Inde et du Japon, apprenne à
connaitre l'Orient et pour démontrer à l'Empire britannique et au monde la valeur du courage indien, la noblesse indienne, la conscience impériale indienne. Car l'éveil de la conscience de l'Inde en tant que nation a amené automatiquement l'éveil de sa conscience en tant que partie d'un Empire fédéré et le sens de sa responsabilité en tant que telle (47).
L'une des raisons d'être de cette guerre était la nécessité de faire reconnaitre la valeur de l'Inde sur [55] la scène du monde et de permettre à l'Empire de se rendre compte de ce qu'est l'Inde. La guerre ne l'a pas changée, elle n'a fait que la révéler au monde. Là est une des raisons de cette guerre.
Je crois que la tourmente et les batailles de l'époque actuelle ne sont rien d'autre que les secousses destinées à jeter bas les édifices trop vieux et devenus inutilisables, afin que sur le terrain ainsi déblayé d'autres, plus nobles, plus perfectionnés, puissent être construits (31).


LE SACRIFICE DES GUERRIERS


Certaines guerres ont eu pour mobiles des objectifs temporaires : il en est qui ont été livrées pour la conquête d'un morceau de territoire, pour l'affaiblissement d'un rival, pour un accroissement de puissance ; des raisons d'ambition, d'avidité, de jalousie sont aussi intervenues. Dans ce genre de guerre, les vies humaines sont gaspillées pour rien, bien que les hommes qui en souffrent et qui en meurent trouvent dans leur propre angoisse la source d'une force accrue et d'un caractère ennobli, ce qui est la pleine récompense des maux endurés. Ils reviennent, chargés du butin de la guerre, vers de nouvelles avenues ascendantes de la vie, et cela est bien. Ce que ces guerres ont de mauvais, c'est leur origine, quand bien même l'alchimie divine peut transmuter le vil métal en or fin.
Mais la guerre actuelle n'est pas de celles-là. De puissants principes s'y livrent combat pour obtenir la maitrise. Les idées sont engagées dans une lutte à mort de l'issue de laquelle dépend l'orientation future – ascendante ou descendante – de notre civilisation. Deux conceptions de l'empire mondial se mesurent sur les [56] plateaux de la balance de l'avenir. C'est pourquoi cette guerre est d'un niveau supérieur à celui de toutes les autres que la brève histoire d'Occident a connues jusqu'à présent. Elle est le dernier en date des pivots autour desquels, successivement, l'avenir immédiat du monde a tourné. Mourir en combattant pour le Droit est le sort le plus heureux qui puisse attendre l'homme jeune dans la joie de sa virilité
naissante, l'homme adulte dans la fierté de sa force, l'homme mûr dans la sagesse de sa maturité et – aussi –, le vieillard dans la plénitude de son chef blanchi. Être blessé dans cette guerre, c'est se trouver enrôlé parmi les guerriers de l'Humanité, c'est avoir senti la caresse du couteau du sacrifice, c'est porter en son corps mortel les cicatrices glorieuses de la lutte immortelle (48).


IDÉAUX OPPOSÉS


Deux idéaux d'empire mondial s'offrent à nous. Aucun des deux n'est encore réalisé ; ils n'en sont encore qu'au stade préparatoire. Mais tout homme qui pense et réfléchit a le devoir d'en examiner les traits essentiels, de faire son choix et, ensuite, de travailler sans relâche pour la réalisation de celui qu'il aura adopté. L'un de ces idéaux est d'édifier un avenir heureux ; l'autre est de faire revivre un passé que l'on croyait mort. L'un demande une même justice pour les forts et pour les faibles et la sécurité pour tous. L'autre déclare que le monde appartient aux forts et que les faibles doivent périr. L'un proclame que l'Humanité est au-dessus de la Nation et que la Nation doit être subordonnée au bien supérieur de la race. L'autre soutient la suprématie de la Nation et dit qu'elle ne doit lutter que pour elle-même sans prendre rien d'autre [57] en considération. L'un voit dans l'établissement de la Loi internationale l'acceptation par tous des principes du droit et l'incarnation la plus élevée de l'opinion publique qu'ait connue notre ère – toujours plus élevée au fur et à mesure de l'évolution de l'Humanité, – et cherche à faire du Concert des Nations son corps législatif ; l'autre prétend que la puissance d'une nation fait loi et n'admet, comme arbitrage, que la guerre. L'un de ces idéaux est humain et cherche le progrès dans la collaboration de tous dans la paix, dans la protection des faibles par les forts. L'autre est bestial ; il cherche à progresser par le combat, comme les animaux sauvages de la jungle ; il écrase les faibles, dont il estime la vie inutile.
Le premier de ces idéaux est celui de l'Empire britannique, qui commence actuellement à se recréer sous la forme d'un groupe de nations à gouvernements autonomes libres et fédérées sous l'égide de la Fraternité et de la Justice. Les relations qu'il entretient avec les peuples primitifs ou arriérés : Kafirs, Hottentots, Négroïdes, sont d'une nature protectrice et éducatrice et ne tendent pas à les exploiter. Tel est l'idéal que précise la littérature britannique et c'est celui vers lequel se dirige l'Empire britannique. C'est l'acceptation de cette tendance (ceci n'est pas encore
d'actualité) qui a permis cet immense ralliement à l'Empire qui a étonné le monde et a faussé tous les calculs allemands. L'Empire mondial sera basé sur la Justice et s'exprimera par la Paix. Il favorisera le développement national et les liens qui uniront les peuples seront ceux de l'amour, de la vérité, de l'équité et, pour lui, la diversité dans les stades de croissance représentera une évolution organique supérieure à celle que révèle l'uniformité.
L'autre idéal conçoit une nation régnant sur le [58] monde entier et dont le seul maitre est le Seigneur de la guerre… Il est basé sur la Force et s'exprime par la guerre ; il réduit en poussière sous ses pieds les peuples assujettis et s'impose à tous les autres… Tel est l'idéal allemand de l'empire mondial : conquêtes, esclavage et meurtres en masse. L'Allemagne veut des colonies pour son excédent de population et les indigènes sont pour elle des êtres superflus.
C'est entre ces deux idéaux que le monde doit choisir : Liberté, Justice, Paix, si l'idéal britannique triomphe ; esclavage, oppression, guerre, si l'Allemagne réussit à imposer au monde son hégémonie (49).
C'est ainsi que de grands changements se produisent dans le tumulte et le fracas confus des armées en guerre et sous le fouet de la souffrance, puisque les hommes n'ont pas voulu écouter la voix claire de la raison et de l'amour. Comme l'a vu Matthew Arnold, il existe une puissance en cours d'évolution "qui se dirige vers la Droiture" et qui brise toutes les civilisations qui ignorent la loi de la Fraternité. Il est tout aussi impossible pour des nations de créer une société durable sans tenir compte de la loi de Fraternité que pour un homme de construire une maison équilibrée sans tenir compte de la loi de gravitation. Cette Puissance qui va vers la Droiture ne permet pas qu'une société puisse vivre, qui laisse ses pauvres croupir dans d'immondes taudis tandis que ses riches se prélassent dans de somptueux palais. L'heure de la transformation est venue… Le monde ne va pas à la dérive ; un pilote, la main à la barre, le mène vers une destination prévue. "Le mécanisme de la civilisation" a été nettoyé bien des fois lorsque la rouille l'envahissait et que des fissures internes en menaçaient la stabilité extérieure. Les civilisations périssent mais l'Homme reste et le lit de mort [59] d'une civilisation devient le berceau de la suivante.
C'est ainsi que la vieille civilisation agonise, dans le fracas des trompettes de bataille, dans le grondement des charges et celui de l'artillerie, dans le piétinement de la cavalerie et parmi les monceaux de morts et de
blessés. Eh bien, qu'elle meure ! Car, en silence, dans les maisons, les écoles, les collèges, les enfants grandissent, garçons et filles, dont la sagesse sera le fruit de nos erreurs, dont les succès naitront de nos échecs, dont les joies seront les fleurs écloses de la racine de nos maux. C'est à nous de semer dans le chagrin ce qu'ils récolteront dans la joie et c'est avec les pierres extraites par nous qu'ils édifieront les foyers futurs où s'abritera l'Humanité (49).


LA GUERRE, MESSAGÈRE DE LA NOUVELLE CIVILISATION


Nous ne voyons pas les guerres sous l'angle qu'il faudrait. Nous les croyons dues au fait qu'une nation convoite le territoire d'une autre nation ou qu'elle désire la dominer. Nous devrions voir, au-delà des dirigeants extérieurs, les Dirigeants intérieurs du monde, les Maitres, qui comparent entre eux les évènements du monde afin que rien de ce qui est précieux ne soit perdu et que tous les gains soient conservés. Et, graduellement, l'Orient et l'Occident, le Nord et le Sud contribueront chacun pour sa part à la création de l'Humanité parfaite des temps encore à venir ; ils constitueront cette puissante Fédération du Monde dont la pauvre Société des Nations est un commencement sur le plan de l'idéal, mais qui se réalisera dans le monde des hommes et deviendra la Grande Paix sur laquelle descendra la bénédiction de l'Être Suprême (14). [60]
Pour nous, Théosophes, la guerre n'est qu'un évènement inévitable, précurseur d'un grand changement dans la civilisation ; le spasme d'agonie d'une civilisation basée sur le conflit et les rivalités et dont la guerre est l'incarnation suprême. En même temps que le spasme d'enfantement d'une civilisation nouvelle basée sur la paix, sur la collaboration de tous et dont l'idée maitresse sera la Fraternité. La vieille civilisation sombre dans le sang, comme il lui convient : n'était-elle pas basée sur l'oppression des faibles par les forts, sur l'exploitation des races de couleur par les blancs ? Ses fondations n'ont-elles pas été rongées par les vagues de la pauvreté, de la misère, de la famine et tous les pays civilisés n'ont-ils pas eu leurs classes submergées ? Des civilisations plus anciennes ont péri parce qu'elles reniaient pratiquement la loi de Fraternité et il en est de même à présent. Mais nous pouvons apercevoir au loin un horizon plus clair. Le soleil couchant d'une civilisation agonisante teinte de rouge le ciel d'Occident ; l'aube d'un Jour Nouveau commence à teinter de rouge le ciel d'Orient (51).
Pour nous, une guerre entreprise pour la défense des faibles, pour la sauvegarde de l'honneur et de la parole donnée contre une nation qui foulé aux pieds la moralité publique, est une guerre juste et mourir dans cette guerre, c'est bien mourir (42).
Cette tragédie mondiale présente un profond intérêt pour tous ceux qui y voient une préparation nécessaire, un déblayage du terrain pour l'avènement de l'Instructeur du Monde et de la nouvelle civilisation. L'idée se fait jour de bien des côtés déjà que cette guerre sera l'introductrice d'une paix stable et que les États d'Europe devront désigner un Conseil dans lequel chaque nation sera représentée. Ce Conseil exercera un pouvoir suprême devant lequel tous les pays [61] devront s'incliner. La terrible leçon qui nous est actuellement enseignée : l'étendue des souffrances, la dévastation par le fer et par le feu, l'appauvrissement dû au dérèglement du commerce, la tension générale, les faillites, – en vérité, il semble que ceux qui trouvent sur le champ de bataille une mort rapide sont les plus favorisés par le sort. Mais le monde sortira de cette épreuve pour entrer dans le règne de la paix, de la Fraternité, de la collaboration. Et il oubliera dans la joie de l'aube, les ténèbres et les terreurs de la nuit (52).
Quelle est la leçon qui se dégage pour l'Humanité de ce tourbillon d'horreur et de mort ? Cette leçon est celle-ci : l'intelligence non illuminée par l'amour ne peut conduire notre race qu'à l'anéantissement. Il y a bien des années, un Maitre a averti le monde moderne que la connaissance avait éliminé la conscience et n'était plus régie par la morale. Ces yeux clairvoyants, sages et compatissants ne voyaient rien d'admirable dans le fait que la connaissance fût mise au service de la compétition, qu'elle ne servît que de stimulant cérébral et laissât le coeur sans nourriture. Car le bonheur et le malheur humains résident dans l'utilisation juste ou fausse des émotions et l'intelligence peut aussi bien travailler à répandre le malheur qu'à répandre la joie. La Connaissance et l'Amour devraient avancer la main dans la main sur le chemin de l'Évolution. La Connaissance sans l'Amour est un navire sans boussole et, d'autre part, l'Amour sans la Connaissance peut devenir un torrent destructeur au lieu de rester un cours d'eau fertilisant. C'est pourquoi la Sagesse, qui est fusion de l'Amour et de la Connaissance, est le plus haut accomplissement de l'homme qui se tient sur le seuil de l'Immortalité (53). [62]
Je crois que la guerre disparaitra et que, l'ayant dépassée, nous croitrons au-delà d'elle. Mais alors que je pense qu'une Loi internationale pourra éviter les conflits entre nations, je crois aussi que ces derniers, lorsqu'ils sont
livrés pour des fins supérieures, sont une des voies choisies par Dieu pour développer plus rapidement l'Esprit dont Il a besoin pour Son service et pour édifier une civilisation plus glorieuse, basée sur un idéal plus noble (89).
De même que le chimiste mélange des ingrédients divers, Dieu, au moyen de la guerre, de l'invasion, de la révolution, fait fusionner des hommes de types différents en un seul et même peuple que cette fusion ne rend que plus riche. Chaque conflit laisse un apport derrière lui et il en sort, en définitive, un bien. Nous sommes ainsi amenés à comprendre que Dieu est dans la guerre aussi bien que dans la paix et que c'est par ces voies diverses qu'Il conduit l'Homme vers la perfection humaine (54).
Les dieux utilisent pour leurs fins aussi bien les vices de l'homme que ses vertus, aussi bien leurs passions mauvaises que leurs aspirations désintéressées. Que ceux qui sont sages collaborent à ce plan selon les voies les plus sages et qu'ils admirent la sagesse profonde et divine qui sait tirer, même des mauvais éléments, d'excellents résultats (88).