UNION

LES ENSEIGNEMENTS DES MAITRES DE LA HIERARCHIE

LES LOIS FONDAMENTALES DE LA THÉOSOPHIE Par Annie BESANT - 1910

L'ÉCHELLE DES VIES

L'ÉCHELLE DES VIES


J'entreprendrai aujourd'hui l'étude du premier des trois domaines dont j'ai parlé la dernière fois et qui forment les trois grandes divisions que j'ai choisies pour vous mieux exposer ce grand sujet qu'est la Théosophie. J'appelle : "l'Échelle des Vies" la première de ces trois divisions principales et je me propose de parcourir avec vous ce que la Science appellerait : le système d'évolution. Au point de vue théosophique, ce système est beaucoup plus étendu, beaucoup plus complet qu'il ne l'est au point de vue de la science ordinaire d'Occident. Lorsque celle-ci observe un phénomène, elle ne part guère que du milieu de l'évolution ; aussi lui faut-il un motif qui explique suffisamment la possibilité de l'évolution, une raison qui justifie la méthode qu'elle emploie.
La Science occulte, beaucoup plus complète, embrasse toute la vaste série de transformations successives qui commencent avec [27] la descente de l'Esprit dans la matière dont cet Esprit s'enrobe ; elle retrace l'évolution des formes qui s'effectue par degrés successifs, chaque degré étant toujours plus beau que celui qui l'a précédé, toujours plus complexe et plus parfait ; si bien que dans tout, la Vie involuée évolue. J'ai appelé ces différents stades, ces degrés, "l'Échelle des Vies". Ces formes vivantes occupent, sur l'échelle, divers échelons à partir du minéral jusqu'au trône du Logos lui-même. C'est une véritable échelle de Jacob dont les pieds reposent dans le limon de la terre et dont le sommet se perd dans la gloire divine. Les hiérarchies de formes vivantes forment les barreaux de l'échelle, depuis la poussière jusqu'au plus puissant Archange ou Déva. L'une de ces hiérarchies, à un point déterminé de l'échelle, est humaine et nous étudierons plus tard la méthode qui nous permettra de nous élever.
Il est clair qu'en cette matière, comme pour toutes les autres sciences, il existe certaines grandes conceptions, des idées mères, importantes et fécondes. Ces dernières peuvent être dégagées de l'immense masse de détails se rattachant à ces idées mères qui, ainsi, peuvent être clairement présentées à l'esprit de quiconque ne demande pas mieux d'exercer une certaine dose de patience et d'attention. [28]
D'autre part, il existe une foule de détails qui complètent ces grandioses conceptions ; la maitrise de ces détails ne peut être obtenue que par le sacrifice d'une vie tout entière à une petite portion du tout. Le cas est absolument le même en ce qui concerne l'enseignement théosophique. Il y a certaines grandes conceptions, relatives à l'évolution, que je me propose de vous exposer cet après-midi.
J'espère que cet aperçu incitera quelques-uns d'entre vous à connaitre davantage, et vous ne pourrez connaitre davantage qu'en vous livrant individuellement à une étude particulière. Je ne vous donnerai qu'une esquisse que vous devez compléter par le travail en y ajoutant les détails qui rendent toutes les parties de l'esquisse intelligibles. Je ne prétends pas vous offrir, dans le cadre restreint d'une conférence, tous les détails dont le nombre est infini et la complexité presque infinie elle-même ; tout ce que je puis faire est d'essayer de vous présenter quelques grandes lignes qui pourront vous aider par la suite. Dans une conférence populaire, l'on ne peut que dégager les idées principales pour ne présenter à l'esprit des auditeurs que quelques conceptions clairement définies : aucune conférence ne peut remplacer l'étude. Ceux qui n'apprennent qu'en assistant à des conférences [29] n'obtiennent jamais qu'une connaissance très superficielle sur un sujet donné. Seul un étudiant sérieux peut se rendre maitre des difficultés de n'importe quel sujet par un effort soutenu. Ainsi donc, lorsque j'aurai terminé, vous n'aurez plus qu'à vous mettre au travail ; si vous trouvez nos idées intéressantes, ce qui est le cas pour plusieurs d'entre nous, vous devez alors entreprendre l'étude qui vous rendra ces idées beaucoup plus palpables.


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Commençons par envisager ensemble une grande théorie sur la Matière de l'Univers, théorie du système solaire. Traçons par la pensée un cercle qui contient l'univers discursif, pour parler en logicien ; mon univers discursif représente notre propre système solaire, en dehors des limites duquel nous ne saurions passer. La nature et notre propre vie demeureront à jamais inintelligibles à moins que nous ne tenions compte de mondes autres que le monde physique, et les conceptions théosophiques sont, elles aussi, inintelligibles si nous essayons de les présenter comme étant limitées au seul monde physique dans lequel nous vivons. Ce monde physique [30] est pénétré, et pour ainsi dire tissé avec la matière d'autres mondes, et c'est au milieu de cette trame que nous vivons. L'homme n'est pas l'habitant d'un monde seulement, mais, dans les premiers stades de son évolution, il est actif sur trois et passif sur d'autres, supérieurs.
Représentons-nous le système solaire comme une sphère, comme un oeuf, large portion circonscrite de l'espace, remplie au commencement (avant que les planètes n'apparaissent), d'une matière homogène et ténue, homogène pour nous dont les pouvoirs de perception sont limités, matière interstellaire, la matière de l'espace. C'est dans ce grand cercle symbolisant le système solaire que le pouvoir créateur, préservateur et régénérateur de Dieu doit faire évoluer ses enfants, depuis l'état de poussière jusqu'à la divinité. C'est dans ce cercle que se trouve notre échelle des vies, qu'en pensée, et dans un certain sens, nous allons gravir ensemble.
La matière de notre système, avec ses différents états de densité, résulte du premier acte du pouvoir créateur, qui différencie la matière homogène de l'espace, et cet acte prépare ce que nous appelons le champ de l'évolution. La matière existe (ainsi que vous le savez parfaitement pour le monde physique) [31] sous des formes variées et à différents états.
Supposez que je tienne une orange : vous pouvez voir l'état solide en regardant l'écorce ; l'état liquide en voyant le jus, et, bien que vous ne soyez pas capables d'en voir l'air, la partie gazeuse, vous savez qu'il est là, interpénétrant à la fois le solide et le liquide, et vous savez de plus que les trois sont interpénétrés par l'éther. Par analogie, si je pouvais tenir ainsi le système solaire dans ma main, comme une orange, nous pourrions voir ces états s'interpénétrant les uns les autres : partant de la matière plus subtile qui est à la première ce que le liquide est au solide, cette dernière interpénétrée par une autre encore plus subtile – l'état gazeux de notre orange – puis l'éther. Ici, nous allons plus loin que la science actuelle ; l'existence de l'éther est pour elle une hypothèse nécessaire pour expliquer les phénomènes de la lumière, etc. mais elle ne le subdivise pas encore en densités différentes. Elle étudie les modes de mouvement dans l'éther et donne à ces modes des appellations variées telles que : forces et énergies de la nature. Elle reconnait qu'il y a différents modes de mouvement mais elle n'admet pas que ceux-ci correspondent à des densités différentes de la matière éthérique. Il y a dans l'éther des [32] différences de densité, différences aussi sensibles que celle qui distingue le liquide du solide et c'est ce que nous appelons électricité, son, lumière, chaleur, etc. (Je n'oublie pas que la science appelle "son" les vibrations de l'air, mais ces vibrations ne sont que secondaires.)
Une densité déterminée de l'éther correspond à cette forme de mouvement qui, en électricité, fait par exemple marcher les tramways et dont les vibrations tuent l'homme. À cette même espèce d'éther correspondent les vibrations du son qui mettent en branle l'air grâce auquel nous percevons le son. Une autre espèce d'éther correspond aux vibrations de la lumière, vibrations qui nous permettent de voir. Il y en a d'autres encore que l'on connait sous forme de vibrations rapides et courtes donnant lieu à des phénomènes électriques d'un degré supérieur. Il y a encore un éther plus subtil dont le mode vibratoire permet la transmission de pensée de cerveau à cerveau.
La matière, dont les états respectifs sont à l'univers ce que sont les états que nous connaissons au monde sensible, remplissait le système solaire tout entier comme de vastes sphères s'interpénétrant les unes les autres avant l'apparition des planètes. Toutes ces [33] sphères sont matérielles et peuvent être connues par l'intermédiaire des organes de perception dont les éléments respectifs correspondent aux états de matière. Imaginez-vous donc ce système solaire comme composé de matière à différents degrés de densité ; toutes les recherches concernant la nature de la matière, la structure de l'atome – non seulement du monde physique mais encore de toutes les autres grandes sphères – doivent être poursuivies à l'aide d'organes et d'instruments déterminés.
Ici commence cette complexité sans fin dans les détails et qui demanderait des vies et des vies pour être clairement comprise. Comment cette matière à différents états de densité vient-elle à l'existence ? D'après la Théosophie, la vie est primaire et la matière secondaire ; la vie divine s'incarne dans chaque atome de la matière du système solaire. La première grande vague de vie qui se répand dans l'océan de matière interstellaire a sa source en Dieu, ainsi que le chrétien le dirait ; dans le troisième Logos, disent les théosophes ; dans Brahma, disent les Indous ; dans "Esprit de Dieu se mouvant à la surface des eaux", dirait un hébreu ; du créateur, dirait un mahométan.
Vous pouvez vous la représenter comme [34] descendant le long d'un immense cercle, du zénith au nadir, puis remontant du nadir au zénith. Cette puissante vague de vie jaillit, comme une source, du sein du Logos lui-même, se répand dans le système solaire tout entier, se divise à l'infini (telle une cascade qui, en tombant du haut d'un précipice devient, dans le bas, une poussière d'eau), et elle se divise ainsi pour animer de sa vie les atomes qui prennent alors le nom de matière. Il n'est pas un atome, pas une particule de matière qui n'ait pour âme la vie même de Dieu. Il n'est rien d'inerte. Cette grande vague, en descendant dans l'océan de matière homogène, cristallise cette matière en atomes et devient la vie animatrice de toute particule de matière ; c'est avec cette matière vivante que s'édifie un univers. C'est pourquoi nous appelons souvent : Esprit-matière, ce que la science appelle matière, ce qui, en d'autres termes, signifie : la manifestation de l'Esprit. Il n'existe rien qui soit uniquement matière et l'Esprit ne peut se manifester sans un véhicule de matière. La matière est le véhicule indispensable à la manifestation de l'Esprit. L'Esprit et la matière forment la première dualité ; l'un ne peut être sans l'autre car la Vie divine ne devient Esprit qu'à la condition d'être incorporée dans la matière. [35]
Tel est le premier acte créateur, telle est la première vague de vie. Ayant formé les atomes, elle les rassemble et constitue ces innombrables agrégats aux atomes si variés et, dans notre monde physique, nous appelons ces agrégats : des éléments 2. Ces éléments sont les matériaux qui serviront à la construction de toutes les formes.
Il est intéressant de constater dans quelle mesure les scientistes éminents commencent à reconnaitre la présence de la vie dans toutes les formes de matière ; il est intéressant aussi de les entendre employer des termes tels que : "les maladies des métaux", leur "fatigue", leurs "degrés de sensibilité aux poisons". Il a été en effet prouvé que la vie dans les métaux et les plantes répond aux excitations de l'extérieur comme la vie dans le règne animal et dans le règne humain. J'ai vu le fait démontré à Londres par un célèbre chimiste indou : le Dr Jagadish Chandra Bose ; rappelez-vous qu'il conclut sa magnifique conférence, en déclarant qu'il avait simplement prouvé, expérimentalement, cette grande vérité proclamée par ses ancêtres il y a des millions d'années, lorsqu'ils chantaient [36] dans les Vedas : "Il n'y a qu'une vie, bien que les hommes l'appellent de noms différents." Cette vie une est ce qu'il importe de bien saisir et de bien se rappeler avant tout. Cette conception nous présente en effet le Logos comme le maitre-constructeur, comme le grand architecte de l'univers.


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Une seconde grande vague de vie jaillit du Logos, Logos sous un autre aspect : celui de constructeur et préservateur des formes. Les Théosophes nomment cet aspect : le second Logos ; les Indous, Vishnou. Cette grande vague de vie, comme la première, s'épanche du zénith au nadir, donne à la matière certaines qualités qui la rendent apte à répondre, de bien des manières différentes, aux impacts de l'extérieur ; c'est ainsi qu'un atome déterminé, dans ses combinaisons avec d'autres, est sensible aux vibrations de la pensée comme un autre sera sensible aux vibrations de l'émotion, du désir, etc. Les diverses particularités d'un atome et de ses combinaisons sont dues à cette seconde vague de vie qui descend jusqu'à ce qu'elle ait atteint le point le plus bas du cercle qu'elle décrit, puis elle remonte du nadir au zénith. C'est durant [37] la période de "remontée" qu'elle commence la construction des formes tirées de la matière, douée maintenant des qualités qu'elle lui a imparties pendant sa période de descente. Cette matière, possédant dès lors des qualités déterminées et le pouvoir de vibrer sous l'influence d'impacts extérieurs, est combinée, par agrégations successives, en formes : minérales, végétales, animales puis semi-animales, semi-humaines.

Sur l'arc ascendant, la vague de vie construit les formes ; sur l'arc descendant, elle donne des qualités à la matière.
Telle est la seconde conception qu'il importe d'avoir présente à l'esprit. Elle nous montre le Logos comme le maitre-artisan, et, comme ses plans sont toujours basés sur le nombre et selon des lignes géométriques, il se révèle comme étant le grand géomètre de l'univers. ("Dieu géométrise", dit Platon.)

2 Pour les détails, voir Occult Chemistry, ouvrage non traduit encore en français. (NDT).


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Nous arrivons à la troisième et dernière grande vague de vie. Il existe cinq sphères, ou plans, qui constituent le champ de l'évolution. Au-delà, dans la matière la plus subtile que nous puissions imaginer, dans une splendeur inconcevable réside, dans toute sa perfection, [38] le Seigneur du Système, Celui que les Indous appellent Ishvara, le Seigneur indivisible, non manifesté.
Dans la seconde sphère, les aspects s'expriment, ce sont ses pouvoirs manifestés, que nous appelons Logoï, sources des vagues de vie, ce sont ces pouvoirs qui modèlent la matière et construisent les formes ; reste maintenant le pouvoir régénérateur, source de la troisième grande vague de vie.
Tout ce qui n'est pas Dieu ne peut exister dans cette sphère supérieure et c'est là que résident les germes divins, parties de Lui-même ; émanations (si nous pouvons toutefois nous servir de ce mot pour ce qui demeure dans
le sein du Père), émanations qui sont appelées à devenir des âmes humaines dans le champ de l'évolution, dans les régions de la Forme. Ces émanations descendent dans les régions inférieures ; car, l'édification des mondes n'a d'autre but que celui de donner à ces Germes Divins la possibilité de se développer au travers des nombreuses formes des différents règnes, jusqu'à ce que ces divines semences se soient révélées, triomphantes, Fils de Dieu resplendissants comme le foyer de splendeur d'où ils proviennent. N'a-t-il pas été dit, en Orient : "Tu es Brahman ?" N'a-t-il pas été dit, en Occident : [39] "Soyez parfaits comme votre Père au Ciel est parfait ?"
En vérité, l'évolution humaine atteindra ce but glorieux ; l'homme est une semence divine qui, jetée dans le sol de la terre, germera et se développera jusqu'à ce qu'elle atteigne enfin la stature de Dieu lui-même.
La troisième grande vague de vie renferme ces âmes humaines envoyées pour animer et utiliser les corps qui ont été préparés pour elles durant les nombreux siècles d'une longue évolution, du minéral à la plante, de la plante à l'animal, de l'animal au règne semi-animal semi-humain. Alors, point une aube nouvelle, instant où les âmes humaines divines qui ont attendu le jour de leur incarnation, planent au-dessus des formes qui, pour elles, ont été préparées ; à cet instant cependant, elles sont encore incapables d'influencer ces corps, de les gouverner, de les contrôler. Elles constituent la troisième grande vague de vie qui se répand dans les mondes.
Telle est la troisième grande conception qu'il importe de connaitre. Du Très-Haut, la vague s'épanche dans les formes préparées pour lui servir de canaux.
La première vague de vie, donc, fit la matière. La seconde impartit à la matière des [40] qualités et construisit des formes. La troisième vague de vie effleure la crête de la seconde en apportant ses fragments de Vie divine, fragments destinés à s'incorporer dans les formes et faire de celles-ci des tabernacles dignes de Dieu 3.

3 Nous ne saurions trop conseiller au lecteur de vouloir bien se reporter aux ouvrages qui développent cette question : Études sur la conscience, du même auteur, est un des plus importants. Voir aussi La Sagesse antique, par A. Besant (NDT).

Voyez cela comme un grand tableau ; L'Esprit-Saint, troisième personne de la Trinité chrétienne, Brahma, le troisième Logos, est comme une rivière se vaporisant par la force de sa descente ; ainsi la Vie de Dieu anime tous les atomes. La Vie du Vishnou, la seconde Personne de la Trinité chrétienne, la Sagesse, construit les formes "ordonnant méthodiquement et harmonieusement toutes choses" ; enfin la Première Personne, le Père des chrétiens, le Shiva ou Mahadéva des Indous, le Dispensateur, est la source des âmes humaines.
Nous n'irons pas plus avant dans l'étude de la première vague, l'aspect créateur, car cette étude, dans tous ses détails, demanderait des vies et des vies ainsi que je le disais au début de cette conférence. Nous considèrerons [41] plutôt la deuxième vague dans la partie ascendante de la courbe qu'elle décrit et qui constitue l'Échelle des Vies, cette échelle que chacun doit gravir, que tous avons gravie jusqu'à un certain point, point auquel ceux qui sont derrière nous devront arriver à leur tour.
Ainsi que nous l'avons vu, la seconde vague de vie impartit à la matière des qualités en ce qui concerne la constitution même de cette matière et ses agrégats lui fournissent la possibilité qu'elle aura de pouvoir répondre à différents modes de conscience.
En premier lieu, dans les trois sphères inférieures, nous trouvons ce que Clifford, en avance sur son époque, appelle : "matière mentale" ; c'est la matière dont les vibrations correspondent aux modifications de la pensée. Vient ensuite la matière dont les vibrations répondent aux modifications de l'émotivité, de la sensation, du sentiment, de la passion, du désir. De semblables états de matière ne sont pas reconnus par la science moderne. Poursuivant ainsi jusque dans la région la plus inférieure, nous arrivons à notre monde physique dont la matière est arrivée à un point d'évolution tel, qu'elle peut répondre aux impulsions de la pensée et du désir qui viennent la modifier. Aux [42] changements dans l'état vibratoire du véhicule dense, répond un changement dans l'état de conscience, toute modification de la conscience et les vibrations de la matière qui l'enveloppe étant intimement reliées les unes aux autres.
La grande oeuvre qui consiste à construire les corps, commence avec le règne minéral, par l'intermédiaire des métaux, des minéraux, et par ce que l'on appelle communément : la matière inorganique. Immense est la richesse de la croute terrestre en ce qui concerne ces divers éléments et c'est par eux que débutent les efforts en vue de la construction des formes.
Delà, nous passons aux cristaux qui offrent, de la part de la vie qui évolue en eux, des pouvoirs plus nombreux ; nous arrivons par degrés successifs, aux cristalloïdes 4 qu'on trouve dans les plantes, cristalloïdes plus plastiques que ceux des règnes minéral ou végétal. Puis, nous trouvons le royaume qui n'appartient ni au végétal ni à l'animal, mais qui forme la base des deux : c'est celui du Monisme ; de ce tronc principal partent les deux évolutions des règnes végétal et animal. [43]
Les membres très développés du règne végétal, tels que les grands arbres des forêts, sont plus avancés, sur l'échelle de l'évolution que bien des formes appartenant au règne animal.
Toutes les expériences qui doivent être faites, dans le règne minéral, consistent à marteler fortement la matière grossière de ce règne, en vue de susciter un état vibratoire de la part de la vie cachée dans le minéral. Des tremblements de terre boursoufflent la croute terrestre, des volcans vomissent des torrents de matière liquide, l'océan se brise contre les rochers et heurte les lourds galets les uns contre les autres jusqu'à ce qu'ils soient pulvérisés en un sable fin. Ce brutal traitement infligé au règne minéral a, je le répète, pour effet d'éveiller de l'extérieur la vie dormante qui s'y trouve.
Au moyen âge un sage Soufi disait : "Dieu dort dans le minéral." En réalité, la vie est encore loin de diriger son attention vers l'extérieur et de voir par l'intermédiaire de son véhicule. Le but de ces violents impacts n'est donc autre que celui d'éveiller l'âme encore assoupie.
Le règne minéral offre bien des classes dont les degrés d'évolution diffèrent les uns des autres. Une barre de fer dure attirée ou [44] repoussée par l'aimant indique déjà ces obscures vibrations qui résultent de la loi d'attraction et de répulsion dans ses premiers effets, effets qui, beaucoup plus tard, se retrouveront sous les noms d'amour et de haine. L'intérieur répond à l'extérieur qui le frappe. Vous voyez la même chose partout et, plus ils seront près l'un de l'autre, plus vivant sera le résultat produit.
Après des âges et des âges d'expériences semblables, maintes et maintes fois répétées, les fragments de matière vivante donnent de plus en plus des preuves que la vie de l'intérieur répond aux impacts de l'extérieur.

4 Cristalloïdes : contiennent nombre de cellules végétales et ont l'aspect de cristaux. (NDT).

Longtemps, la science crut que la vie et la conscience résultaient de la matière ; elle vient de changer d'opinion car elle affirme maintenant que ce n'est pas l'organe qui crée la fonction, mais la fonction qui crée l'organe. Lorsque nous étudions une parcelle de matière vivante (protoplasma), comme l'amibe, par exemple, nous constatons qu'il n'existe pas de bouche pour la nourriture, pas de poumons pour la respiration, pas de coeur qui conduise le fluide vivifiant dans le corps, pas de pieds qui permettent le déplacement. Il n'y a qu'un instinct, un désir ; et le désir construit la forme à mesure qu'il cherche obscurément sa satisfaction. N'a-t-il [45] pas été dit dans les anciennes Écritures : "Atma désire voir : les yeux. Il désire entendre : les oreilles. Il désire penser : le mental." La bouche résulta du désir intense manifesté par la vie intérieure qui voulut nourrir son corps. Cet intense désir se prolongeant, la vie évoluant, par l'intermédiaire de son véhicule, chercha tout d'abord à envelopper l'objet qui touchait son corps pour s'en emparer et, cette action sans cesse et sans cesse répétée, aboutit à une sorte de dépression, à une cavité buccale, puis à un tube communiquant avec l'intérieur du corps ; de la sorte, lentement, graduellement, s'organisèrent la bouche et le système digestif, cette organisation complexe résultant du simple désir exprimé par la vie. De même, la matière vivante voulut se mouvoir, un point du corps fit saillie vers la direction voulue, s'accrocha, tirant et entrainant le corps ; répétée indéfiniment, cette action aboutit à créer des jambes et des pieds résultant de la volonté de se mouvoir. La matière devenant de plus en plus plastique, les organes se perfectionnent et deviennent graduellement plus aptes à satisfaire les exigences de la vie évoluante. La "volonté de vivre" de Schopenhauer est le facteur primordial de l'évolution et elle implique la [46] volonté qu'a l'Esprit de se créer un véhicule et des organes qui lui permettent de s'exprimer à mesure qu'il se manifeste plus complètement.
Une vague de vie, par exemple, donne naissance aux herbes, aux arbrisseaux ; les arbres offrent déjà les premiers signes d'intelligence. La constante venue des saisons, en agissant régulièrement, chaque année, éveille finalement la mémoire des expériences passées et il en résulte une sorte d'attente, d'aspiration, de la part de l'organisme vivant, pour la saison qui doit suivre. La mémoire, en s'éveillant, agit à la façon d'un aiguillon, et stimule ; dès qu'un organisme vivant commence à se rappeler le passé, il commence inévitablement à aspirer au lendemain. D'années en années, l'arbre subit les épreuves de nombreuses expériences ; de saisons en saisons, c'est la montée de la sève, le bourgeonnement, la venue des feuilles, la chaleur du soleil, la pluie, les alternatives de lumière et d'ombre, le chaud, le froid, la résistance des racines et des branches sous les rafales, sous les tempêtes ; puis la chute des feuilles, le retrait de la sève, la période stationnaire dans le froid de l'hiver. Tout cela répété pendant des âges éveille à la longue les premiers signes de la mémoire, [47] éveille, en quelque sorte par anticipation, les activités d'une intelligence naissante.
C'est ainsi que les hommes de science en arrivent à parler des yeux des plantes, sens qui leur permettent de choisir des endroits déterminés où elles peuvent croitre, d'arbrisseaux qu'elles sont, en arbres majestueux. Il est bien entendu que la conscience du règne végétal diffère grandement de la conscience du règne animal, qu'elle lui est relativement très inférieure. Ces deux évolutions des deux règnes se poursuivent parallèlement et il peut très bien se faire que la conscience dans le règne végétal atteigne un point tel, que, lorsqu'elle passe dans le règne animal, elle n'y entre pas dans les formes les plus inférieures.
Considérons cependant cette évolution comme si elle était graduelle dans le sens le plus strict du terme, ce qui n'est pas, ainsi que le prouve d'ailleurs Haeckel dans sa Généalogie de l'Homme. Ce point de vue n'infirmera en rien notre théorie.
Lorsque la liberté de se mouvoir enivre de joie un organisme vivant, son champ d'expériences s'étend, car cet organisme se place de lui-même en contact avec le monde extérieur sans être obligé d'attendre que les objets extérieurs viennent le frapper. Cela étant, son [48] pouvoir de perception augmente rapidement. C'est par la lutte pour la vie, par le besoin constant de pourvoir à sa subsistance, que l'animal développe les qualités nécessaires à la protection et à l'élevage des petits ; en traversant les séries de vicissitudes, soit en chassant, soit en étant chassé lui-même, il devient prévoyant et concentre ses forces ; il devient rusé, prend de plus en plus conscience de ses moyens de défense, se fait brave, et développe même les qualités qui lui donneront accès au règne humain.
Mais, alors même que l'animal arrive aux limites extrêmes du règne auquel il appartient, il lui faut quelque chose de plus, qui lui manque, pour franchir le seuil et devenir un homme vrai. Et c'est précisément la troisième grande vague de vie qui entraine les âmes dans les formes dont elles attendaient l'édification ; elles s'y incorporent alors et l'animal devient semi-humain, semi-animal.
À cette période, ces formes sont naturellement grossières mais conviennent parfaitement aux premiers efforts tentés par l'Égo qui, de l'état sauvage, en passant par le règne strictement humain, atteindra la divinité. Au moment où il commence, il se trouve sur le premier échelon de l'Échelle des Vies, la hiérarchie humaine commence donc là, et [49] l'être, degré par degré, entreprend sa lente ascension, pénétrant d'abord, de l'état sauvage, dans une civilisation très inférieure.
Une question surgit : comment cette ascension s'effectuera-t-elle? Il ne semble pas exister de motif plausible indiquant que le sauvage doit, de cet état non civilisé, entrer dans un autre état qui soit civilisé ; en outre, qui nous fait supposer qu'une civilisation ayant atteint un degré déterminé du développement soit vouée à la décadence pour retourner à l'état sauvage ? Et pourtant c'est ainsi que les choses se passent et il doit y avoir une ou plusieurs causes : nous envisagerons ces causes au cours des conférences qui suivront celle-ci.
Contentons-nous aujourd'hui de suivre les périodes de développement de la conscience à partir du bas de l'Échelle des Vies où commence la hiérarchie humaine ; nous nous en tiendrons aux grandes lignes tout en n'oubliant pas qu'à chacune de ces périodes appartiennent une foule de détails.
Il y a quatre grandes étapes que Patanjali a fort bien décrites. Vous pouvez d'ailleurs vous en rendre fort bien compte par vous-mêmes.
I. La pensée est déjà suffisamment alerte et souple, mais change continuellement l'objet [50] de son attention ; une chose l'attire qui, tout d'abord, est le seul sujet de préoccupation et de joie ; puis une autre lui succède, et ainsi de suite, à l'infini. C'est la pensée à la période de l'enfance, au début de la longue évolution ; tout jouet nouveau la captive. Patanjali dit judicieusement que cette pensée est papillonnante ; tel un papillon, en effet, la pensée court de fleur en fleur, zigzague dans l'air, sans qu'aucun but déterminé dirige son vol. Un grand nombre d'individus, tout en étant âgés, sont encore dans cette période de l'enfance, attirés qu'ils sont par ce qui les entoure sans qu'intervienne le contrôle de l'Égo.
II. À cette période, succède celle de l'adolescence, celle des tumultueuses passions. L'idéal commence à attirer, mais il n'y a encore ni stabilité, ni une claire compréhension des choses. Ce ne sont qu'impulsions, qu'impatiences, aspirations injustifiées, pensées confuses et peu sages. C'est l'étape de la confusion, des illusions de l'erreur. Patanjali en parle comme étant celle de "la pensée trouble".
III. Vient ensuite l'âge d'homme dont le mental est subordonné à une idée nettement déterminée pouvant être due à l'ambition, à des aspirations philanthropiques au [51] patriotisme ou à l'amour de la vérité. Tout ce à quoi il pense, tout ce à quoi il aspire, dirige sa conduite. S'il s'agit d'ambition, il choisit ses amis parmi ceux qu'il suppose pouvoir servir ses intérêts ; il projette, établit des plans dans le but d'arriver à ses fins, d'atteindre au pouvoir. S'il s'agit de patriotisme, il devient un héros, si l'amour de la vérité l'inspire, dans une période de troubles, il devient un martyr. Il n'est pas de raisons, pas d'arguments qui puissent l'écarter de la ligne de conduite qu'il s'est tracée ; rien de ce qui persuade habituellement d'autres hommes n'a de prise sur lui. Je me rappelle avoir rencontré, en Amérique, une personne que, seules, les formes géométriques intéressaient ; elle ne parlait que de cela, ne pensait et ne vivait que pour son sujet de prédilection. Un tel individu, assure Patanjali, est mûr pour le Yoga 5.
IV. À la quatrième étape, l'homme n'est plus l'esclave d'une idée, il en est le maitre. Ayant acquis, dans la précédente étape, une immense force de caractère et de volonté, il est maintenant capable de choisir délibérément un objet quelconque d'étude sur lequel [52] il peut se concentrer et réussir dans la voie où il s'est momentanément engagé. Ce n'est seulement qu'à cette période que l'homme arrive à faire de réels progrès dans la vie supérieure, cette vie qui est celle de l'homme parfait. À ce moment, le héros et le martyr peuvent devenir des saints, des voyants ; les portails de l'initiation s'ouvrent devant eux.
Ayant passé par les portails de l'initiation, l'homme gravit les derniers échelons avec une rapidité toujours croissante, jusqu'à ce qu'il se trouve sur le seuil de l'évolution suprahumaine, jusqu'à ce qu'il arrive auprès de ces êtres sublimes que nous appelons Maitres, jusqu'à ce qu'il devienne Homme Parfait.

5 Voir Les Trois Sentiers ; Le Pouvoir de la Pensée, par A. Besant. Voir aussi Raja-Yoga, par Vivekananda. (NDT).

Une autre évolution, plus splendide encore que celle qu'il vient de parcourir, s'ouvre devant lui ; haut au-dessus de lui sont les cohortes de la hiérarchie suprahumaine, rayonnantes de gloire et de splendeur, perdues qu'elles sont dans l'éclatante lumière où sont aussi les Christ, les Bouddha, les Manous des siècles passés. Doit-il donc atteindre la stature de ces Êtres sublimes ? Il peut abandonner définitivement ce monde d'ici-bas et faire partie de ces splendides hiérarchies d'Êtres qui guident et gouvernent les mondes, qui n'ont d'autre demeure que les champs de l'espace. Ils sont puissants et glorieux ; grandes, [53] glorieuses et indispensables sont aussi leur oeuvre. Mais s'il veut arriver jusqu'aux cimes les plus élevées qu'il soit donné à l'homme d'atteindre, il ne doit pas abandonner le monde inférieur dont les cris d'angoisse en retentissant à ses oreilles, l'arrêtent sur son chemin. "Oublies-tu la compassion ?" murmure la Voix du Silence. Et alors, il retourne sur ses pas, se revêt des grossiers vêtements charnels, il se donne à l'humanité dont il veut être le sauveur, le gardien. Il continue dès lors son ascension jusqu'à égaler un Bodhisattva, un Christ, un Bouddha, puis il disparait dans la gloire, jusqu'au jour, peut-être, où il revient, dans un monde nouveau, en tant qu'Avatar, divine incarnation.


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Voilà donc l'Échelle des Vies, vue de notre terre, avec les mondes qui s'y rattachent. Nous nous tenons tous sur les degrés de cette échelle, vous comme moi, et tous les êtres. Bien des degrés sont sous nos pieds, nombre d'autres aussi sont au-dessus de nos têtes. Nous pouvons poursuivre notre ascension lentement ou rapidement ; le plus indolent trouvera toujours le temps suffisant à son évolution si longue et si lente qu'il se la fasse ; [54] chacun de nous trouvera toujours en lui les forces nécessaires car, dans le coeur de tout homme, Dieu réside. Rien ne peut changer la destinée qui doit être la nôtre, rien ne peut influencer la Volonté de Dieu qui est en nous. Nous pouvons nous attarder dans les champs à jouer comme des enfants, côtoyer les sentiers fleuris des plaisirs, mais le Dieu en nous, nous ramènera toujours sur le bon chemin. Il est patient puisqu'il est éternel, parce que son Pouvoir est illimité. Sa volonté est immuable et c'est Lui qui demeure en chacun de nous ; c'est pourquoi l'homme peut être certain de la destinée qui l'attend et que la Pureté et la Béatitude résument.
Quelques-uns d'entre nous peuvent avoir cru à une souffrance sans fin, au péché mortel et luttent avec terreur contre cette idée d'un enfer éternel, idée n'ayant d'autre valeur que celle d'un conte imaginaire. Dieu est partout ! Il est Joie, Lumière, Amour et, puisqu'il est en tous lieux, rien de ce qui ressemble à un enfer éternel, ou à une damnation éternelle ne saurait exister dans son univers.
Mais vous devez vous-mêmes gravir l'Échelle des Vies et si vous êtes assez peu sages pour vous attarder par trop longuement ; si vous n'essayez pas de poursuivre votre ascension, [55] vous retarderez le cours de votre évolution au point qu'il vous deviendra impossible de participer aux progrès de la race dont vous faites actuellement partie. Une pénible lutte alors en résultera, vous souffrirez, vos corps paresseux contrasteront singulièrement avec les véhicules évolués qui vous entoureront ; le Dieu qui est en vous se manifestera pour vous en chagrin et en souffrance au lieu d'être une source de joies. Vous pouvez même vous retarder au point qu'il vous deviendra impossible de demeurer dans votre race ; vous serez mis en marge de la présente évolution et vous serez dans l'obligation d'attendre qu'une autre évolution, plus appropriée à vos caractéristiques, survienne, après de longues périodes perdues pour vous dans un sommeil profond. Mais alors et quand même, votre nature inférieure recueillera les fruits de la leçon et tentera de s'unir à votre "Moi supérieur".
Il nous reste il est vrai de nombreux échelons à gravir parce que la vie est sans fin ; il est vrai aussi que nous nous tenons tous à des niveaux différents ; cependant la Vie est Une et c'est pourquoi nous sommes tous frères.