LES BASES DU MONDE NOUVEAU
13 - LES PROBLÈMES ÉCONOMIQUES
13. Quelle ligne de conduite devrons-nous suivre en politique économique ? Quel sera le résultat de l'application de la Fraternité dans cette branche de la vie nationale ?
LA FONDATION DE LA SOCIÉTÉ
La mise au point détaillée du problème économique nécessitera certainement les intelligences les plus vives. Elles devront dresser un plan de production et de distribution conçu de telle sorte qu'il allègera le fardeau d'une partie de la population en réduisant le luxe de l'autre partie. Mais ce n'est pas avec les règles toutes faites du socialisme de rue que l'on résoudra équitablement ces grands et difficiles problèmes. Leur solution – car ils sont intimement liés les uns aux autres – demande une attention soutenue. Le principe qui permettrait de mettre en pratique ces conditions nouvelles devrait être basé sur un système de coopération générale, de partage général des profits, ou quelque chose d'analogue. Mais alors que vous améliorez et allègerez le sort des travailleurs, vous devrez veiller à ne pas laisser aux ignorants le contrôle de ce dont dépend leur fourniture en vivres, car cela serait la ruine… Aucune branche de commerce ne devrait pouvoir décider entièrement par elle-même le [132] taux des salaires payés par les employeurs. Cette question, en effet, se complique de nombreuses considérations. Ce n'est pas d'une seule branche de commerce que dépend la décision ultime, mais de la balance budgétaire de l'ensemble de tous les commerces. Il est donc nécessaire que ceux qui s'occupent de ces problèmes fassent preuve de capacités, d'un pouvoir de compréhension et d'une connaissance des questions économiques qu'aucun travailleur manuel n'est en mesure de posséder. La difficulté vient de là et c'est là qu'il est besoin, de part et d'autre, d'un état d'esprit ne recherchant que le bien commun. Faute de quoi il en résulte, en fin de compte, plus de troubles qu'avant et le commerce disparait là où les conditions d'existence lui sont rendues impossibles.
Nous avons besoin, pour traiter de ces questions économiques, des meilleurs cerveaux et des meilleurs coeurs, du savoir le plus étendu et de la sympathie la plus profonde. Seuls ceux qui remplissent ces conditions sont à même de résoudre les terribles problèmes économiques du temps présent. Aucune mesure toute faite, aucune mesure prise à la hâte ne sont à même de les résoudre. Ils ne peuvent l'être que par la sagesse et l'amour et il faut pour cela avoir constamment présent à l'esprit que l'intérêt de la nation est l'intérêt de tous et non celui d'une classe opposée à une autre classe. L'intérêt de la nation est dans l'union de tous pour le bien de la communauté (92).
Si l'on veut traiter sérieusement le grand problème du paupérisme tel qu'il se présente dans les pays modernes, il est indispensable de prendre pour base une politique économique appropriée. Vous ne pourrez jamais persuader les gens d'écouter des projets de réforme alors que leurs corps sont mal nourris, qu'ils vivent dans des taudis et que les conditions générales [133] de leur vie quotidienne ne leur permettent pas de jouir d'une santé normale. Les travaux relatifs aux questions économiques peuvent à peine les intéresser, à moins qu'ils ne traitent précisément des remèdes à apporter et faut-il encore que ceux qui préconisent ces remèdes soient disposés à faire le nécessaire pour qu'ils puissent être appliqués sans trop de délai. Il suffirait presque, pour susciter un changement économique, de considérer les absurdités parmi lesquelles nous vivons. Je veux dire celles que nous rencontrons à chaque pas, telle que celle du chômage, de ce grand nombre de producteurs potentiels des articles nécessaires à la vie, qui n'ont pas de travail, qui ne produisent pas par suite des conditions sociales dans lesquelles ils vivent. Ils ne trouvent pas de travail ce qui les oblige à vivre dans l'oisiveté et à dépendre de certaines formes de charité humiliantes pour leur dignité…
PRODUCTION ET RÉPARTITION
Je veux vous dire, à vous qui vivez en Angleterre, qu'un changement économique profond est nécessaire et qu'à moins qu'il ne se produise, la civilisation ne durera pas. Il ne serait d'ailleurs pas à souhaiter qu'elle dure avec ce chancre qu'est la pauvreté et qui ronge la vie même des grandes masses de notre peuple. Nous voulons que les grandes entreprises nationales soient graduellement prises en charge par le peuple dans son ensemble afin que les richesses qu'elles produisent reviennent au peuple lui-même.
La politique économique constitue la base indispensable, la racine même, les fondements mêmes de la société. Elle implique la science de la production et [134] celle de la répartition de tout ce qui est nécessaire à la vie matérielle. Elle implique, en outre, la possibilité pour chacun de mener une vie qui soit réellement humaine. Et je n'entends pas seulement, par vie humaine, tout ce qui est nécessaire à la vie physique, mais aussi le développement des facultés supérieures de l'homme dont le bonheur réside, non dans les choses périssables mais dans celles dont l'usage et la pratique communs ne font qu'accroitre la valeur : les trésors de l'esprit humain tels que nous les rend la littérature, les trésors de l'émotion humaine tels que nous les livre l'art sous toutes ses formes, j'entends ces joies élevées et relativement permanentes qui raffinent, cultivent, développent le côté le plus élevé de notre nature et qui contribuent à faire de l'homme ce qu'il devra devenir s'il doit atteindre à la perfection, fin naturelle de l'évolution (23).
L'HOMME A BESOIN DE LOISIRS POUR SE CULTIVER
Il serait vain de chercher les moyens de répandre la culture sans chercher ceux de procurer les loisirs nécessaires pour y parvenir. Il est donc d'une importance vitale que des hommes et des femmes capables, issus de toutes les classes, cherchent en commun à améliorer d'une façon pratique le mode actuel de répartition des produits industriels. Ce que devraient être tes améliorations est encore à discuter mais il me semble hors de doute que le besoin en est urgent et que l'énergie politique devrait être dirigée en sorte d'amener aussi rapidement que possible un changement social, aussitôt que l'on aura décidé que ce dernier doit intervenir. Que cette réforme soit accomplie par [135] une monarchie, une chambre législative, un référendum populaire, cela a relativement peu d'importance. Un pays revêt la forme politique qui convient le mieux à son génie national et à sa culture ; ce qui peut convenir à l'un peut ne pas convenir à l'autre. Ce qui est important, c'est que tout être né dans un pays quelconque ait la possibilité d'y parvenir au degré de croissance atteint par sa race et qu'il ne soit pas arrêté par des anachronismes tels que ceux que présente le système social actuel (95).
Notre système économique est celui du libre combat avec son inévitable "malheur aux vaincus !" Ce combat était autrefois corporel ; il est devenu, à présent, surtout une bataille cérébrale, mais ce n'en est pas moins une bataille. Nous avons appris qu'un homme ne doit pas utiliser sa force corporelle pour dépouiller son voisin. Il nous faut encore apprendre que l'on ne doit pas utiliser les ressources de son cerveau pour arriver aux mêmes fins. Nous n'avons pas davantage le droit de fouler aux pieds nos voisins parce que nous sommes plus intelligents ou plus rusés qu'eux, que l'homme n'avait, à l'époque que l'on appelle barbare, celui d'utiliser sa force pour piller, opprimer et réduire en esclavage. Le libre combat que nous nommons "civilisation" n'est pas un état de choses durable. Je ne nie pas qu'il soit nécessaire de passer par ce stade de l'évolution pour que l'individu puisse se développer, mais je porte mes regards vers l'étape future en vue de laquelle nous avons toutes les raisons de commencer à oeuvrer (40).
Le véritable motif de la grande bataille d'aujourd'hui n'est pas la question des salaires et des bénéfices. Le motif en est les bases mêmes de la société et la position occupée par chacun dans cette société ; tout [136] homme, toute femme, devraient y être honorés et honorables et ne pas être considérés uniquement comme des "mains", comme si la main n'avait pas de cors, ni de cerveau, ni de coeur. Que signifie donc mener une vie humaine ? Cela ne signifie pas travailler tout le jour, rentrer épuisé pour se mettre au lit, se lever au matin suivant pour retourner au travail, et continuer ainsi jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année, jusqu'à ce que l'enfance devienne vieillesse et que la petite pension ou l'asile soit la récompense de toute une vie de travail. Vivre dans ces conditions est impossible ou, du moins, devrait être impossible. Il est juste que cela devienne impossible dans l'avenir (31).
Cette civilisation individualiste a apporté avec elle des maux qui sont l'oppression des pauvres par les riches et le fait que l'homme est, pratiquement, mis en vente comme une marchandise sur le marché. Il est vrai que l'on ne vend pas le corps de l'homme, comme dans l'esclavage mais, dans un certain sens, le procédé est pire encore. Car un esclavage a au moins une valeur en tant qu'animal : son maitre a donné de l'argent pour le posséder ; il le nourrit et le vêt ; il ne le surmène pas parce qu'il lui est une possession de valeur. Lorsque l'esclave devient vieux et impotent, le maitre au service duquel il a passé sa jeunesse et son âge mûr continue à le nourrir. Je suis d'avis que l'esclavage corporel est, par bien des côtés, moins condamnable que l'esclavage industriel : Je parle là d'une chose que je connais et j'ai lutté pour ces idées pendant la plus grande partie de ma vie passée. On n'achète pas littéralement un homme sur le marché libre : on n'achète que son travail. Il cesse alors d'être un homme pour devenir une "main-d'oeuvre", selon le langage industriel. [137]
On n'a aucun devoir vis-à-vis de lui, sauf celui de payer son salaire ; on n'entretient pas avec lui de relations humaines. On achète son travail aussi longtemps qu'il est fort, mais aussitôt qu'il commence à faiblir, on le rejette. À partir de ce moment, qu'il ait faim ou qu'il meure, on n'a plus de responsabilités vis-à-vis de lui. On achète tout simplement d'autre "main-d'oeuvre" que l'on rejette de même lorsqu'elle devient, à son tour, inutilisable. Voilà ce qu'a donné la croissance démesurée de l'individualisme. La misère des producteurs a crû dans les pays occidentaux au point de devenir insupportable. Contre cet état de choses, une révolte s'est fait jour. Elle a pour nom : socialisme (27).
L'on peut dire que le seul élément stable d'un pays est la terre. Elle devrait donc appartenir à l'ensemble de la nation dont la subsistance, la vie, la prospérité en dépendent… Il faut donc en déduire… que les travailleurs essentiels à la nation sont les cultivateurs et les ouvriers agricoles.
Mais une nation ne peut vivre uniquement de ses cultivateurs, de ses artisans, de ses ouvriers. Elle a besoin de gens qui la défendent, soit contre des groupements internes, soit contre l'invasion… Nous arrivons ainsi à une deuxième catégorie de gens nécessaires : les défenseurs. Ceux-ci seront répartis – comme on le verra en examinant cette question – par le gouvernement qui organise les trois grands départements d'état : l'exécutif, le législatif, le judiciaire et qui y répartit les fonctionnaires et les employés nécessaires.
Mais les peuples ont aussi d'autres besoins que ceux de la nourriture, des vêtements, d'un toit et de la sécurité intérieure et extérieure. Ils ont besoin de beaucoup d'autres choses et notamment d'instruction, [138] de santé, d'aide pendant les maladies, et ainsi de suite. Il faut donc prévoir une catégorie de citoyens, très étendue, qui serait celle des instructeurs et des surveillants de la nation et qui comprendrait les éducateurs et les médecins. Elle comprendrait aussi ceux qui sont chargés de la répartition des biens de la nation : banquiers, commerçants, marchands, etc., corporations qui se développeraient en tant que partie intégrante de l'organisation nationale.
… Il faudra trouver une solution pour que personne, dans une nation, ne soit démuni des avantages de la terre, je veux dire par là, personne qui n'ait point de part à ce que fournit la terre, héritage commun.
Il faut faire renaitre des conditions de vie telles que tout homme servira la nation d'une façon ou d'une autre. La terre sera l'héritage commun de la nation et chacun aura sa part des profits qui en sont issus.
La population s'accroit. Faut-il donc que les enfants naissent sur une terre qui appartient aux autres ? Pourtant, ne les appelle-t-on pas les "natifs" de cette terre ? C'est là un des problèmes auxquels il faudra faire face, faute de quoi les uns continueront à vivre dans une misère profonde tandis que les autres jouiront d'une richesse irrationnelle (24).
LE TRAVAIL
Ceux qui ont réellement besoin d'une plus grande part de richesses et d'avantages matériels sont ceux qui produisent et ceux qui répartissent les biens de la nation. Ils en ont, plus que d'autres, besoin… Ceux pourtant, qui en ont le moins sont justement ceux [139] qui donnent leur travail pour produire et répartir tous les produits de nécessité et de luxe. Ce sont eux qui en ont le plus besoin pour développer leurs propres facultés. Il est injuste que ce soit la masse du peuple qui profite le moins de tout ce qui pourrait développer en elle des qualités humaines, qui lui permettraient, après le travail, d'avoir des satisfactions, du repos et de trouver, dans l'inspiration de la beauté, ce qui, graduellement, raffinerait et enrichirait son existence… Ceux qui possèdent une richesse intérieure sont ceux qui ont le moins besoin de richesse extérieure. Là réside, me semble-t-il, la grande erreur des gouvernements modernes. Là est le grand problème qu'il faut résoudre. La richesse est plus nécessaire à ceux qui produisent qu'à ceux qui sont doués de génie, d'intelligence, de puissance et dont la vie est, de ce fait, remplie. Celle des autres est vide de tout ce qui pourrait la rendre belle et heureuse et qui leur permettrait d'avoir leur part des avantages de la Civilisation. Le grand problème de gouvernement, à l'heure actuelle, est :
1. de choisir les gouvernants parmi les hommes ou les femmes ayant la compréhension du travail qu'ils doivent réaliser ;
2. de leur inculquer un idéal qui soit celui des devoirs à remplir envers le peuple, du bonheur duquel ils ont la responsabilité et de leur faire comprendre que tout pouvoir entraine des devoirs.
Aucune autorité ne devrait s'exercer qui ne soit justifiée par la sagesse de celui qui l'exerce.
C'est l'élite qui devrait répartir abondamment les bienfaits auxquels ont droit ceux qui sont trop frustes pour les réclamer. C'est là l'idéal le plus ancien, celui de la progression : intellectuelle, morale, spirituelle. C'est ce que demande toute nation. Elle sait, même si elle ne l'exprime pas, que ce qu'elle désire aujourd'hui [140] c'est, non pas la lutte pour l'obtention des biens matériels, mais une répartition loyale des abondantes richesses qu'elle produit et dont la plus grande partie devrait revenir aux producteurs et la moindre à ceux qui sont doués de toutes les grandes facultés d'esprit et de coeur (21).
Belle civilisation, en vérité, que celle où le succès du travail signifie sa mort. Il semble pourtant qu'il n'y ait pas de cerveaux ni de coeurs qui soient à même de modifier ce ridicule état de choses. Cela demande une réorganisation. Je voudrais que vous compreniez qu'un homme qui commence à travailler à vingt et un ans et cesse, disons, à cinquante ans, aura produit pendant ce laps de temps beaucoup plus qu'il n'aura consommé. Il se trouve pourtant que l'organisation des rapports entre producteurs et consommateurs est si surprenante que le surplus s'est englouti dans un gouffre.
Il faudrait arriver à déterminer quel est ce puits sans fond, créateur de tant de difficultés et, ensuite, lui fixer un niveau afin qu'il cesse d'être cet abime sans limites où disparait la production avant d'avoir pu enrichir, le producteur (31).
LE CAPITAL
À dire vrai, l'autocratie des grands capitalistes dans les domaines qui affectent la totalité de l'Europe et de l'Amérique et qui commencent à affecter d'autres régions encore, cette autocratie est beaucoup plus dangereuse pour le bienêtre des nations que celle d'un simple roi. Ce sont eux qui décident en fait de la guerre et de la paix. Sans leur consentement, les nations ne sont pas à même d'obtenir les moyens nécessaires [141] pour mener une guerre. Ils contrôlent sur une large échelle les relations diplomatiques entre nations. Ce sont eux qui favorisent la réussite ou déterminent l'échec des mouvements nationaux, selon qu'ils sont ou non favorables à leur clan. L'on s'aperçoit alors que bien des tentatives faites avec espoir par les ouvriers sinon pour contrôler, du moins pour participer au contrôle des richesses qu'ils produisent, sont constamment contrecarrées et anéanties par les intérêts capitalistes…
… Nous commençons à nous rendre compte que ce pouvoir à longue portée (le capitalisme) est l'un de ceux dont il faut s'occuper si l'on veut que la civilisation perdure. Car la richesse excessive de quelques-uns en contraste avec le chômage croissant de grandes masses de la population devient trop intolérable pour que ceux qui souffrent continuent à le supporter. Nos méthodes industrielles doivent être profondément modifiées pour que ne soit plus possible cette immense accumulation de richesses d'une part et cette immense accumulation de misère d'autre part. Et lorsque nous parlerons de réforme politique, il faudra nous souvenir que celle-ci est un moyen pour parvenir à une fin, et non une fin en elle-même (21).
L'ÉDUCATION CIVIQUE
Si les ainés voulaient admettre le fait que chaque nouvelle génération apporte avec elle quelques nouveaux dons pour la race humaine ; s'ils comprenaient que ce qui est nécessaire n'est pas seulement ce qu'ils ont désiré obtenir au temps de leur jeunesse mais aussi tout ce qui peut contribuer au progrès et au développement des qualités naturelles de la nouvelle [142] génération, s'il en était ainsi, la civilisation actuelle pourrait continuer sous une forme plus élevée, tandis que la jeune sous-race et la Race-Mère se développeraient. De nombreuses et bénéfiques modifications pourraient être apportées, non à la Nouvelle Civilisation, mais à celle qui est actuellement la nôtre et que nous appelons celle de la cinquième sous-race, et lui donneraient une forme plus élevée…
La tâche de l'éducation est de libérer le Divin dans ce que nous appelons la nature supérieure de l'homme et c'est aussi sa tâche de le révéler chez les êtres inférieurs par les méthodes extérieures d'enseignement les plus aptes à conduire vers l'évolution de l'Homme divin, du Dieu caché en lui.
Ne vous est-il jamais apparu qu'un enfant ne devrait jamais entendre de mots rudes qui lui soient adressés, qu'il ne devrait jamais ressentir un instant de crainte en face des dangers dont on peut le protéger ? La grande qualité dont nous avons tous besoin et que nous admirons tous, celle qu'il nous faut posséder si nous voulons réformer la Civilisation, est le courage, à l'obtention duquel la peur est le plus grand obstacle. Pour que l'enfant grandisse comme il devrait grandir, brave, courageux, plein d'enthousiasme il ne doit jamais savoir ce que c'est que la peur… Nous avons besoin de méthodes d'instruction débarrassées de tous les éléments qui peuvent provoquer la peur car la moitié des fautes (puisqu'ainsi on les appelle) commises par les enfants sont dues à la peur.
Dans la Nouvelle Civilisation et aussi, je l'espère, dans la forme améliorée de la civilisation présente, on enseignera aux enfants, qui l'apprendront aisément, à aimer tout ce qui les entoure : êtres humains, animaux, camarades, tout ce qui a des sens. Ils ne sauront jamais ce que c'est que de voir apparaitre sur la table de [143] famille – comme cela se produit quelquefois – un animal qu'ils ont aimé et caressé, ce qui les remplit d'horreur et de chagrin. Les enfants qui ont un gout naturel pour la viande sont très peu nombreux. Pourquoi alors ne pas se débarrasser du régime carné dont nous connaissons toutes les souffrances qu'il cause ? Beaucoup de maladies sont provoquées par les toxines que la terreur fait se multiplier chez les animaux que l'on conduit à l'abattoir et qui sentent l'odeur du sang. Ces toxines empoisonnent le sang de cette chair que vous servez sur vos tables. Comme on l'a si bien dit, vous "mangez de la souffrance". Et vous vous étonnez ensuite de l'expansion des maladies. Vous vous étonnez de l'accroissement du cancer, cette douloureuse maladie. Alors, vous torturez d'autres animaux pour en tirer des remèdes au lieu, plutôt, de cesser de torturer ceux dont vous faites votre nourriture. Dans la nouvelle civilisation, on ne mangera pas de viande ; l'on s'en passera et on ne s'en trouvera que plus heureux.
L'enseignement devrait comporter dès son début un apprentissage manuel. Le travail manuel devrait accompagner les études de littérature, de mathématiques, etc. L'entrainement manuel donne de la précision, de la dextérité ; il développe la grâce corporelle et la force physique. Le corps étant entrainé dès l'enfance, pendant toute la jeunesse et jusqu'à l'âge adulte, hommes et femmes deviendraient plus beaux de génération en génération. C'est alors seulement que l'on se rendra compte de ce qu'est le corps humain et jusqu'à quel point il est possible de le développer. L'entrainement physique devrait également comprendre les jeux dits : d'équipe, qui forment le caractère aussi bien que le corps. Ils obligent en effet les participants à suivre le chef volontairement choisi pour son habileté, qui [144] demande ccc d'eux l'acceptation d'un rôle même insignifiant et effacé dans la partie si la victoire de l'équipe en dépend. Tous ces renoncements sont autant de pas en avant sur la route du Service et habituent progressivement à la bonne humeur, à la camaraderie, au gout du travail pour lui-même sans but intéressé. C'est de cette façon que l'on pourra former les jeunes gens pour qu'ils deviennent de meilleurs citoyens du Commonwealth dont ils feront partie.
Il nous faut graduellement arriver à admettre que tout individu a des devoirs vis-à-vis du pays où il est né, que personne n'a le droit de monopoliser tous les avantages et que tout homme doit avoir sa part de ce qui est nécessaire pour mener une vie saine et heureuse. Il nous faut une civilisation où tout individu recevra de l'instruction jusqu'à 21 ans, ainsi qu'il en est souvent à présent pour des êtres qui sont les moins utiles à la civilisation. Tout homme qui accomplit ses devoirs en bon citoyen aura droit au respect, quel que soit le métier qu'il exerce. Il faudra aussi tenir compte que celui qui accomplit un travail pénible doit être mieux payé que celui dont la tâche est plus aisée et facile, car pour lui les difficultés de la vie sont aggravées encore pour la dureté de son travail ; il devrait avoir un horaire de travail moins lourd et un salaire plus élevé, afin de jouir de loisirs et de pouvoir les utiliser pour cultiver les qualités humaines que lui refuse la civilisation d'aujourd'hui (23).
LA JOIE DANS LE TRAVAIL
Le salaire minimum fixé devrait pouvoir permettre au travailleur de se raffiner, de se cultiver pendant [145] ses loisirs et de comprendre les beautés de la nature et celles de l'art. Nous avons, vous et moi, ces possibilités. Quel droit avons-nous d'en jouir mieux qu'eux ? Et, surtout, quel droit avons-nous de décréter qu'ils ne doivent pas en jouir parce que cela nous dépouillerait des richesses qu'ils créent pour nous ? Il me semble que si l'on songe, en ce monde transitoire, à faire des lois pour les travailleurs, il faut aussi en faire pour les employeurs. Un bénéfice maximum devrait être fixé de même qu'un salaire minimum. La différence servirait à établir la graduation des salaires selon les capacités et à constituer un fonds de réserve destiné à alléger le fardeau financier de l'État (31).
Je voudrais voir revivre l'ancienne joie du travail, qui fait que les ouvriers sont fiers de leur oeuvre. La répartition mondiale de la production serait aussi une joie car elle rapprocherait les nations qui deviendraient collaboratrices et non rivales. Le principe de la production et de la distribution serait l'utilité et non le profit. Là est la solution du problème de la propriété et de la richesse. La terre et le capital devraient servir à ce qui est nécessaire et non ce dont on n'a pas besoin, à produire pour satisfaire la demande et non pour créer une demande pour ce dont on veut se débarrasser. L'ensemble de la vie en serait changé. La vie de la communauté serait ainsi organisée pour servir (96).
Le travail doit produire ce qui est nécessaire à la vie en premier lieu et en second lieu seulement ce qui n'est que du luxe destiné à une minorité. Il faut comprendre que tout ceci est fondamental ; il faut comprendre aussi que ceux qui produisent et ceux qui répartissent accomplissent là un service social et qu'ils remplissent ainsi leurs devoirs vis-à-vis de la nation… Le but de la Société est d'empêcher les souffrances et [146] non d'atteindre son but en faisant souffrir les autres et nous-mêmes. Nous n'avons pas le droit de toucher aux racines de l'union sociale pour arriver à obtenir ce que nous désirons (31).