LES BASES DU MONDE NOUVEAU

 

19 - LA RELIGION


19. Quel sera le rôle de la religion dans le monde nouveau ? Certains semblent pencher pour une religion universelle, synthèse de toutes les grandes croyances. Cette conception est-elle en régression ou l'idée d'une religion universelle est-elle encore puissante ? Devons-nous la développer ?
L'oeuvre de la religion est de modifier notre attitude dans la vie et les bits que nous poursuivons, de nous inciter à rechercher des idéaux désintéressés plutôt qu'égoïstes et de faire en sorte que le désintéressement, s'étendant en cercles toujours croissants, finisse par embrasser tout ce qui vit en une puissante Fraternité (23).
La tâche particulière que nous avons à remplir envers la religion… est de proclamer, avec toute l'énergie dont nous sommes capables, l'unité des religions et non seulement de répandre verbalement ce postulat, mais aussi de vivre en conformité avec lui. Car, qu'est-ce que la vraie Religion, dont toutes les autres ne sont que des formes extérieures ? C'est la réalisation de l'Unique : nous ne faisons qu'un avec Dieu et, par conséquent, nous ne faisons qu'un avec tous les enfants de Dieu, avec tous les fils de l'Homme. Notre devoir religieux particulier à l'heure actuelle consiste à vivre ce devoir, et non seulement à le dire. L'Indou et le Musulman doivent unir leurs mains comme fils [191] d'un même Père, le Brahmane et le Paria doivent unir leurs mains comme fils d'Un Dieu. Tout ce que nous possédons en abondance, que ce soit le savoir ou autre chose, doit être partagé avec ceux qui n'ont pas assez de ce dont nous avons trop. Il faut comprendre que la Fraternité ne nous dirige pas seulement vers un plan d'égalité avec ceux qui nous sont supérieurs, mais qu'elle nous dirige aussi vers ceux qui nous sont inférieurs afin que nous les élevions au niveau qui est le nôtre (28).
Il n'est pas de domaine de la vie humaine qui ne devrait être imprégné par la religion et spiritualisé par, elle. Le grand devoir de la classe enseignante, quel que soit son domaine a été – et est toujours – de spiritualiser chacun des domaines où elle s'exerce : celui de la politique, afin que ceux qui la pratiqueront soient des hommes nobles et droits qui ne recourent à aucun expédient politique pour couvrir une déloyauté, un parjure ou un tort ; celui des relations, mercantiles ; pour qu'un commerçant n'utilise pas, dans l'exercice de son métier, des procédés qu'il n'appliquerait pas à son frère ou à un ami ; celui du travail, afin que le producteur, puisse accomplir son devoir envers la nation en comprenant que travailler honnêtement, loyalement et bien est une tâche aussi spirituelle que peut l'être celle du prêtre ou du ministre d'une religion. C'est de cette manière seulement que nous apprendrons la loi de la Fraternité, c'est-à-dire la loi du Sacrifice ; car tout travail est honorable s'il est accompli honorablement, mené loyalement et avec droiture (86).
La multiplicité des croyances devrait être un avantage plutôt qu'un désavantage pour la Religion, mais ceci si les religions s'unissaient en une Fraternité au lieu de s'affronter sur un champ de bataille. Chaque [192] religion, en effet, possède une particularité que les autres n'ont pas et qu'elle peut donner au monde. Chaque religion épèle une lettre du grand Nom de Dieu, Un sans Second, et ce nom ne sera prononcé que lorsque chaque religion aura émis la lettre qui lui correspond en mélodieuse harmonie avec les autres.
Dieu est si grand, si illimité, qu'aucun cerveau, pour vaste qu'il soit, qu'aucune religion, même parfaite, ne peut exprimer son infinie perfection. Il faudrait un univers entier pour le refléter… Que dis-je ? les univers innombrables ne parviendraient pas à l'épuiser. Une étoile pourrait dire Son rayonnement à lui, Soleil de tout ; une planète pourrait dire Son Ordre, dans le rythme immuable de sa révolution ; une forêt pourrait chuchoter Sa Beauté, une rivière Sa Vie fertilisante, un océan, Son Changement sans changement. Mais aucun objet, aucune beauté de forme, aucune splendeur de couleur, non, pas même le coeur de l'Homme où Il réside, ne peut montrer la perfection multiple de cette richesse infinie d'Être. Ce n'est qu'un fragment de Sa Gloire que l'on trouve en chaque objet, en chaque mode de vie et seule la totalité des choses passées, présentes et à venir pourrait représenter Son Infinité dans leur étendue illimitée.
Une religion ne peut donc montrer que quelques aspects de cette Existence aux myriades de faces. Qu'est-ce que l'Indouisme dit au monde ? Il dit le Dharma : la loi, l'ordre, la croissance harmonieuse et conforme au devoir, la place qui revient à chacun, le devoir tel qu'il doit être, l'obédience telle qu'elle doit être. Que dit le culte de Zoroastre ? Il dit Pureté : la parole, la pensée, l'acte immaculés. Que dit le Bouddhisme ? Il dit Sagesse : le savoir dans tous les domaines uni au parfait Amour, l'amour de l'homme, le service de l'Humanité, la compassion parfaite, le [193] rassemblement des inférieurs et des faibles dans les tendres bras du Seigneur de l'Amour Lui-même. Que dit le Christianisme ? Il dit Abnégation et prend la Croix pour plus précieux symbole, se souvenant que là où un Esprit humain crucifie la vile nature et s'élève vers l'Être Suprême, là brille la Croix. Et que dit l'Islamisme, la plus jeune des grandes croyances du monde ? Il dit Soumission, la remise de soi-même à la Volonté Unique qui guide le monde ; il voit cette Volonté partout en sorte qu'il n'aperçoit pas les minimes volontés humaines qui ne vivent que parce qu'elles fusionnent avec Elle.
Nous ne pouvons nous permettre de perdre aucun de ces mots qui résument les grandes caractéristiques de chaque croyance et puisque nous reconnaissons les différences qui existent entre elles, voyons ce que nous pouvons en apprendre plutôt que ce que nous pouvons en critiquer. Que le Chrétien nous enseigne ce qu'il a à enseigner, mais qu'il ne refuse pas d'apprendre de son frère musulman ou de toute autre croyance ; car si chacun a quelque chose à apprendre, chacun a aussi quelque chose à enseigner et, en vérité, celui qui prêche le mieux sa religion est celui qui fait d'elle la puissance motrice de l'amour envers Dieu et du Service envers les hommes.


LA RELIGION MONDIALE


Il n'y a qu'un Dieu, qu'une nature, qu'une Religion. Le symbolisme est le langage commun par lequel toutes les religions révèlent leur origine, celle d'une seule Religion, la Religion de la Sagesse, la Religion mondiale, ancienne et pourtant toujours nouvelle. C'est par ce langage également qu'elles expriment [194] les vérités éternelles qui concernent Dieu et la Nature et c'est pour dire cela qu'elles ont été fondées par les Frères ainés de l'Humanité. Le Symbolisme est le langage commun et aucune des religions qui l'emploient – et elles l'emploient toutes ne peut se proclamer unique (117).
C'est ainsi que nous sommes amenés à penser à une Religion mondiale ; ce ne sera pas une Religion qui permettra qu'un homme cherche à convertir son frère, mais une Religion qui fera comprendre à tous les hommes que les grandes vérités de chaque religion constituent un chapelet de joyaux qui, l'un après l'autre, ont été donnés à la race humaine par les Instructeurs du monde lorsqu'ils se sont détachés de la puissante Hiérarchie des Frères ainés de notre Race qui, de temps en temps, envoient l'un des leurs en messager pour aider le monde. Et n'est-ce pas un fait que chacun de ceux qui ont proclamé une religion nouvelle, (que nous appelons nouvelle) ; a parlé d'une diversité sous laquelle se trouve l'unité, unité que l'Instructeur reconnait quand bien même ses fidèles ne la reconnaissent pas ? (21)
… Le jour ne vient-il pas – ne le voyons-nous pas, même, approcher, – où les hommes de toutes croyances comprendront qu'il n'y a qu'un seul Foyer ? où ils comprendront qu'ils adorent l'Être Suprême et que les divergences qui existent entre eux ne sont que les leçons successives qu'apprend l'Humanité pour pouvoir édifier la grande Croyance qui, finalement, dominera le monde. Chacune des religions a sa place marquée ; chacune d'elle correspond à un typé particulier de l'espèce humaine, aux intelligences et aux tempéraments divers de l'homme qui rendent nécessaires des présentations différentes ; et les nombreuses civilisations qui doivent être créées tandis que le [195] hommes s'efforcent de réaliser l'Union sociale sur la terre doivent aussi être édifiées brique par brique, pierre par pierre en vue de ce grand Temple de l'Humanité divine vers lequel tend sans cesse l'évolution et qu'elle réalisera enfin. Chacun de nous, quelle que soit sa religion, qu'il soit indou, bouddhiste, musulman, parsi ou Chrétien, ne reconnaitra-t-il pas dans les croyances d'autrui les mêmes grandes qualités qui lui font aimer la sienne ? N'apprendrons-nous pas tous à partager avec autrui ce que notre religion possède en propre afin que chacun puisse s'enrichir des messages successifs venus de la Maison de notre Père ? Car le fait que les nations se rapprochent les unes des autres et apprennent ainsi à se mieux connaitre les portera soit à se haïr, soit à s'aimer. Le grand éclaircissement se trouve, en réalité, dans les enseignements de tous les grands Prophètes de l'Humanité et Chacun d'eux l'a donné dans son propre message, dans un langage peut-être différent, mais qui n'en contient pas moins la même Vérité purifiante et élévatrice. Il me plaît souvent de me représenter les différentes religions du monde comme autant d'exquis calices ornés chacun de leur beauté propre, mais susceptibles tous de contenir cette Eau de la Vie qui, seule, est à même d'étancher la soif des nations (21).
Lorsque la Religion mondiale fera son apparition, elle ne sera pas l'une ou l'autre des religions existantes, elle sera un grand accord harmonique montant de l'Humanité tout entière et dans lequel chaque note sera parfaite. Mais c'est de leur harmonie dans l'accord que dépendra la splendeur et la force du tout.
Lorsque tous les êtres commenceront à comprendre que les Écritures appartiennent à toutes les religions et non à une seule ; lorsqu'ils comprendront que, dans [196] le royaume divin, personne n'est un étranger et que personne n'en est exclus mais que, au contraire, tout le monde dans ce grand Foyer, est dans la Maison de son Père ; lorsqu'ils commenceront à se rendre compte de tout cela – et cette compréhension se fait jour actuellement parmi l'élite de toutes les nations alors les conditions seront plus favorables qu'elles ne l'ont jamais été pour l'acceptation d'une Foi mondiale. Et peut-être le sentiment se répandra-t-il alors, qu'exprime une des Écritures anciennes du peuple indien et dans laquelle le Dieu suprême, parlant par la personne de Shri Krishna, dit : "L'Humanité se dirige vers moi par bien des chemins. Quelle que soit la route par laquelle l'Homme s'avance vers Moi, il m'y trouvera prêt à l'accueillir, car toutes les routes sont la Mienne."


UNE COMMUNAUTÉ DES CROYANCES


Si vous désirez l'avènement de cette religion mondiale qui posera les bases d'une civilisation de Fraternité et qui amènera la paix universelle, vous devez commencer à agir en vous-même plutôt qu'extérieurement à vous. Au fur et à mesure que nous approfondissons notre nature spirituelle, que nous découvrons par nous-mêmes une vérité après l'autre, que nous comprenons que nous sommes des Dieux en formation et qui tendent vers la perfection de l'image divine, au fur et à mesure que nous comprenons tout cela, nous posons les bases de la Religion mondiale. Et ce qui ne nous atteindra jamais par la voie de l'argument, de la controverse, du raisonnement intellectuel nous viendra lorsque le coeur aimant que nous avons en nous aura éveillé notre nature spirituelle. [197]
Car l'Amour est plus profond que l'entendement, l'Amour est plus grand que l'intelligence et la nature de l'Amour et la nature Divine sont si étroitement mêlées qu'il ne faudra pas longtemps pour que l'homme qui aime son frère aime Dieu (119).
Cette Communauté des croyances sera une caractéristique essentielle de la nouvelle civilisation. Elle signifiera que les querelles religieuses ont pris fin, que la guerre religieuse' sera considérée comme le pire des crimes et qu'au lieu que sévisse la crainte, la méfiance et même la haine parmi les fidèles des différentes croyances, tous reconnaitront la Communauté. Chaque religion sera ainsi l'un des joyaux d'un même diadème, l'une des perles d'un grand collier entourant le cou de l'Humanité.
C'est dans la nouvelle civilisation que cette Communauté se formera et croitra – non pas soudainement : La Nature ne procède pas par bonds – mais d'une façon constante et les indices en sont visibles autour de nous dès aujourd'hui.
Tous ceux qui croient en la Religion devraient agir en sorte de ne pas annuler les divergences entre croyances mais, au contraire, de reconnaitre la valeur de ces divergences. Car l'une des leçons que l'homme profondément
pieux trouve parfois difficile à comprendre est que les divergences ne devraient pas être considérées comme des raisons de désaccord mais, bien au contraire, devraient favoriser la concorde, de même que des notes de musique, discordantes lorsque jouées isolément, peuvent, lorsqu'elles sont combinées, trouver place dans le plus parfait des accords… Dans la Communauté des croyances, c'est autant par ces divergences que nous apprendrons la valeur de la religion pratiquée par notre frère que par les grandes vérités sur lesquelles elle est d'accord avec la nôtre (23). [198]
… L'identité d'origine des religions peut être prouvée par l'identité de leur enseignement fondamental, tant en ce qui concerne la nature spirituelle que les obligations éthiques ; elles nous disent que l'univers a sa source dans Une Vie ; que l'esprit de l'homme est le rejeton de cette Vie ; que l'homme, par conséquent, peut remonter à sa Source et se fondre de nouveau en Elle ; que la vie humaine sur cette terre est un moyen pour aboutir à une fin et que cette fin est le perfectionnement de l'âme ; que l'homme est un esprit immortel lié à une nature inférieure et que la purification de la nature inférieure et son union avec l'esprit sont les moyens par lesquels l'inférieur peut partager l'immortalité du supérieur ; que tous les hommes sont frères et que la loi de l'Amour est la loi du progrès. Ce sont là quelques-unes des vérités que l'on trouve dans toutes les religions, quelque grandes que puissent être leurs divergences dans la présentation intellectuelle du dogme, dans les rites et les cérémonies particuliers à chaque communauté de fidèles. De la même façon que des vases de taille, de forme, de décorations diverses peuvent contenir une même eau qui prit être puisée indifféremment dans chacun d'entre eux pour étancher la soif de l'homme, de même l'eau de la vie spirituelle peut être contenue dans tous les réceptacles religieux et y être puisée pour rafraichir l'âme altérée (120).


LE BUT UNIQUE DE TOUTES LES RELIGIONS


Toutes les religions du monde ont un but unique : la réalisation du Moi, la Connaissance de Dieu. Leurs rites et leurs cérémonies extérieurs sont destinés à [199] entrainer le corps, à surmonter son indolence, à lui enseigner la tempérance en tout et à en faire un serviteur utile au lieu d'un maitre tyrannique. Leurs préceptes moraux ont pour but de canaliser les émotions vers une fin supérieure. Leur métaphysique et leur philosophie visent au développement supérieur de l'intelligence. Mais l'essence de la Religion est l'Unité, la réalisation du Dieu Un, intérieur et extérieur et qui s'épanouit dans la Fraternité de tout ce qui vit (121).
Lorsque les religions échangeront entre elles leurs meilleurs éléments au lieu de rechercher leurs faiblesses respectives, la religion de l'avenir se trouvera esquissée. Notre tâche, dans cet avenir, est de continuer ce que nous avons si bien commencé et de répandre cet idéal religieux libéral et profond parmi toutes les religions, sans en détruire aucune, mais en les imprégnant toutes (122).
J'incline à penser qu'au cours du prochain demi-siècle, l'évolution graduelle de cette unité de religion et ses manifestations dont nous avons parlé pendant toutes les années passées de la Société théosophique, aboutira à une unité reconnue qui mettra ainsi fin aux rivalités religieuses et aux conversions de l'une à l'autre. La première conférence faite à Madras par le colonel Olcott – en 1878, il me semble – traitait de l'unité de religion. Il exposa la véritable signification de la Théosophie, l'enseignement commun à toutes les religions, les enseignements qui ont été donnés sous ce nom par la Société théosophique.
… Un Maitre a dit un jour que la Société théosophique serait la pierre angulaire des religions de l'avenir. En faire cette pierre angulaire est l'un des objets de la tâche que nous avons devant nous. [200]


CARACTÉRISTIQUE NOUVELLE DE LA RELIGION


Quelle sera la caractéristique principale de la Religion dans la nouvelle civilisation ? La Connaissance je crois, plutôt que la Foi. On peut déjà en déceler les signes. Cette nouvelle race dont j'ai si souvent parlé est, comme vous le savez, en train de perfectionner cette intuition dont Bergson a dit qu'elle était davantage liée à l'instinct, à l'expérience héréditaire qu'à la faculté de raisonnement de l'homme. Il faut considérer l'expérience héréditaire comme celle qui est transmise d'une vie à l'autre jusqu'à ce qu'elle devienne ce que nous appelons l'instinct, l'instinct qui n'a pas besoin d'expérience pour entrer en action ni de raisonner avant d'agir. Et ce qui, dans sa forme inférieure, est l'instinct de conservation devient, lorsqu'il dépasse la faculté de raisonnement et l'intelligence de l'homme, l'intuition révélatrice de la Vérité (23).
Il n'est pas davantage possible de séparer la religion de la vie qu'il n'est possible de séparer l'esprit du corps sans que celui-ci meure. La religion d'un peuple est la source de sa vie et c'est d'elle que découle forcément tout ce qui est utile et bénéfique pour la collectivité (123).
Aucune religion n'est une véritable religion si elle n'imprègne pas la vie tout entière de l'homme et une nation ne peut être appelée religieuse si la totalité de ses activités ne sont inspirées par le sentiment religieux, la pensée religieuse, l'action religieuse.
… Si nous examinons les grands traits de l'Histoire, nous verrons que chaque fois qu'une nation est devenue [201] riche, prospère et s'est adonnée au luxe, ses éléments intellectuels et spirituels ont eu tendance à se laisser submerger par les éléments physiques et matériels. Nous remarquons que ces "ères civiles" dont parle Bacon et dont il dit qu'elles étaient caractéristiques de la pensée athée, ont toujours été suivies d'un rapide déclin de la nation. La facilité est un danger pour un pays… Une certaine part de difficultés est nécessaire au développement d'une vie nationale saine…


LA RELIGION ET LE PATRIOTISME


Nous avons vu, en examinant les faits historiques, que le déclin de la pensée et de la religion dans une nation tend à pousser celle-ci vers un excès de luxe et à sonner ainsi le glas de sa propre mort. Si nous considérons la civilisation européenne, nous voyons que le terrible déchainement de la guerre l'a peut-être sauvée de cet excès de luxe, d'une part et lui a ouvert les yeux devant l'excès de pauvreté d'autre part. La guerre a fait appel aux qualités supérieures d'abnégation et de sacrifice, au renoncement aux satisfactions qui, dit-on rendent la vie digne d'être vécue. Elle a fait appel à ce besoin d'idéal qui fait sentir à l'homme qu'il s'est élevé au-dessus du niveau de l'animal, qui lui fait comprendre qu'il existe quelque chose de plus grand que la vie physique, de plus noble que le plaisir physique. En considérant la Religion, nous voyons qu'elle est essentiellement une aspiration du Moi supérieur. L'essence de la Religion, ce qui est commun à toutes les religions, c'est l'aspiration du coeur vers Dieu, la recherche de Dieu et la réponse que Dieu donne à cette recherche. Si nous considérons la nature [202] humaine, nous voyons que la soif de Dieu est, comme l'a définie un grand écrivain hébreu, partie intégrante de la constitution humaine (124).
Aucune société n'est en sécurité s'il n'y règne l'esprit de sacrifice. Sans l'abandon de ce qui est petits pour ce qui est grand, sans l'abandon de l'individuel pour le social, il n'y a pas de possibilité de vie nationale, pas de stabilité dans le système social. Et ce sont là des vertus issues de la religion et non de ce que l'on appelle à tort la nécessité. Ce qui est nécessaire à la nation, c'est la compréhension de la relation qui existe entre la partie et le tout et cela n'est enseigné que par la religion qui connait le Moi plus vaste, qui relie l'homme à l'ensemble ; elle lui fait comprendre ce qu'est la parenté, elle lui fait comprendre qu'il n'est pas une créature sur un petit globe mais une créature de l'univers, qu'il a une vie cosmique et non planétaire. Cela, seule la religion l'enseigne par l'immortalité de l'Esprit de l'homme ; sans cela, aucune moralité ne pourra perdurer et l'on commettrait une erreur fatale si, à cause des folies passagères de fanatiques, l'on rejetait la religion de la place qu'elle occupe dans l'éducation dont elle est l'inspiration et la force (24).
Que ceux qui pensent que la religion peut être écartée par leur ordre de la vie publique regardent autour d'eux, s'ils ne veulent pas regarder dans le passé ; ils verront que dans les, pays actuellement les plus puissants, la religion est une force que doivent reconnaitre les politiciens et avec laquelle les hommes d'État doivent compter. De même qu'un mécanicien ne peut pas, sans se soucier de la vapeur qu'exhale sa machine, fermer la soupape d'échappement, de même un homme d'État ne peut négliger la force religieuse qui émane de la nature humaine et qui, si on ne lui donne pas la possibilité d'agir comme agent propulseur, provoque [203] une explosion lorsqu'elle parvient à s'exprimer par la force.
La religion est la vie d'une nation de même qu'elle est la vie de l'homme. Sans elle, comme le démontre l'Histoire, il n'y a pas de littérature ni d'art de valeur non, plus que de moralité élevée.
La religion est essentielle au patriotisme parce qu'elle seule peut détruire les tendances séparatives des hommes et empêcher la désintégration, due à leurs continuelles divisions, des organismes ouvriers. La religion seule enseigne à l'homme le sentiment de son unité avec ses semblables et le conduit à sacrifier le Moi individuel au Moi collectif. Tant que l'isolement qui résulte des intérêts antagonistes n'aura pas été détruit par la religion, le nationalisme restera un rêve. Seule la religion a jamais réussi à unir les hommes en tribus et les tribus en nations (125).
… Il est écrit et justement écrit dans une ancienne Écriture Indoue que la seule preuve de Dieu réside dans le témoignage du Moi. C'est sur ce rocher que s'assoit la religion, ne craignant aucune attaque, aucun assaut. Aucune question chronologique ne peut l'ébranler car tout homme peut en faire l'expérience par lui-même… rien d'extérieur ne peut la toucher car elle vit au plus profond du coeur de l'homme. Et elle lui procure des expériences sans cesse renouvelées, une connaissance plus pleine, une compréhension plus profonde, un amour plus abondant et une paix et un bonheur immuables. Tout peut passer, mais cela ne change pas. Et comme tout est venu d'elle, peu importe la disparition de ce qui est périssable, puisque la Source Éternelle reste (22).