LA RÉINCARNATION

COMMENT ELLE RÉPOND AUX PROBLÈMES DE LA VIE


Plusieurs questions m'ont été adressées par lettres, s'ajoutant aux points que j'avais l'intention d'élucider aujourd'hui au moment où j'ai choisi le titre de cette conférence ; je répondrai aux unes et aux autres en commençant par celle-ci :
Y a-t-il un nombre défini d'âmes humaines, sont-ce les mêmes qui reviennent dans des réincarnations successives, ou bien y a-t-il un influx, un apport d'âmes nouvellement créées ?
Je me suis abstenue, ainsi que je le disais dimanche dernier, de vous parler du processus de l'intelligence, et de l'évolution de la conscience dans le règne animal, pour me restreindre au règne humain. À une certaine étape de l'évolution, une partie déterminée du règne animal passe dans le règne humain ; [96] le moment de cette étape est passé depuis longtemps. Y compris les âmes qui sont encore dans les règnes inférieurs et qui n'atteindront pas le règne humain dans le cycle présent, il en existe un nombre fixe qui, dans le cours des siècles, devront passer par l'école de la réincarnation.
Mais, dira-t-on, si le nombre d'égos est ainsi déterminé, comment expliquer l'accroissement de la population ? La réponse est très simple : ceux qui sont en incarnation à un moment quelconque de l'évolution forment une très petite minorité des égos attachés à la roue des morts et des renaissances. De même que dans une ville comme Madras, dont la grande population est pratiquement fixe, vous pouvez avoir, à l'occasion de diverses conférences, une salle à moitié vide, ou pleine, ou tout à fait comble sans que pour cela la population de la ville ait changé ; de même en est-il pour la population du globe ; elle peut augmenter dans de grandes proportions par le nombre des égos présents à un moment donné, sans qu'il y ait pour cela augmentation dans le nombre total des âmes. Ceux qui ne sont pas actuellement en incarnation restent plus longtemps éloignés de la terre à mesure qu'ils évoluent, à mesure que l'humanité progresse, car les hommes d'un [97] type supérieur se réincarnent à des intervalles de temps plus longs que ceux d'un type inférieur.
Mais une recrudescence de réincarnations, si légère soit-elle, et un séjour un peu plus court dans la vie céleste, augmenteraient de beaucoup la population du globe, parce que relativement peu nombreux sont les égos en incarnation à une époque donnée.
On peut cependant remarquer qu'il n'y a aucune preuve en faveur de la recrudescence de la population du globe ; reportez-vous par exemple à l'invasion de la Grèce par Xerxès, et vous verrez qu'une immense armée fut alors mobilisée ; bien que le recensement ne fût pas en usage en ce temps-là, les faits démontrent suffisamment que la population du monde était alors très dense. De nos jours, quelques pays font assez exactement le recensement, mais en ce qui concerne celui de bien des contrées, ce n'est plus qu'un calcul approximatif et assez vague, comme en Chine par exemple. Donc, l'accroissement du nombre des égos en incarnation ne peut soulever de difficultés ; car avec l'énorme population que le globe peut contenir, le nombre des égos en incarnation pourrait doubler dans l'espace de quelques années sans modifier l'équilibre de la nature. [98] Avant de répondre aux questions qui exigent des réponses, je désire vous dire quelques mots sur la Loi de Causalité, sans laquelle les réponses que je vous donnerais demeureraient inintelligibles.
Il existe dans la nature une loi d'après laquelle les causes et les effets s'enchainent. Dans sa forme la plus générale, elle peut être résumée dans cet axiome admis par la Science : "L'action et la réaction sont égales et opposées." Les indous et les bouddhistes l'appellent simplement Action, Karma, car la réaction est liée à l'action. De cette loi, il résulte que lorsque l'équilibre de la nature est troublé, cet équilibre tend à se rétablir ; c'est là une vérité universelle. Si vous lancez une balle contre un mur, la force qui la fait rebondir est égale à la force initiale.
Cette loi, qui s'exerce sans cesse, entre pour beaucoup dans les questions que je dois traiter et la réalité de son existence doit être admise et impliquée dans chacune de mes réponses. Je traiterai le sujet la semaine prochaine. Ce monde n'est pas un monde d'accidents et de hasards ; son administration n'est pas celle du favoritisme ni de la partialité ; c'est un monde dont la loi est immuable, loi qui agit dans tous les domaines de [99] la nature, non seulement dans le monde physique, mais encore dans les mondes mental et moral. La loi, ici-bas, n'est que l'expression de la Nature divine ; ainsi que le disent les Écritures chrétiennes, "elle n'est sujette à aucun changement". Cette affirmation est littéralement vraie. Cette importante loi d'action et de réaction est à la base même de toutes les questions concernant la réincarnation, et il est nécessaire de bien la saisir afin d'avoir une compréhension nette des réponses que je vais maintenant vous donner.


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La première question a trait à la différence des capacités existant chez le sauvage et le génie. La difficulté, insoluble au point de vue de la science, s'explique facilement envisagée du point de vue de la réincarnation. Chacun de nous est une Intelligence, évoluant et progressant d'une vie à l'autre, ainsi qu'une graine arrive à devenir un arbre saison après saison. Le sauvage n'est rien de plus qu'une âme jeune, incarnée, longtemps après l'âme qui a atteint le point culminant de la civilisation ; néanmoins toutes deux sont d'essence divine. La différence est la même que celle qui existe entre un chêne [100] tout jeune et le chêne arrivé à son plein développement. Le premier est le produit d'un gland semé depuis un an, le second est aussi le produit d'un gland, devenu un arbre gigantesque au bout de plusieurs siècles. La croissance et l'évolution ne sont pas limitées aux corps ; elles appartiennent aussi à la nature morale et intellectuelle ; la différence qui existe entre la nature du sauvage et du criminel, entre celle du génie et du saint n'est qu'une question de degré de croissance ; le germe divin est plus développé dans l'un que dans l'autre, mais il existe dans les deux. Il n'y a donc là qu'une question de temps et non d'injustice ; le développement de l'un remonte à une période lointaine, tandis que l'évolution de l'autre ne fait que commencer ; tous deux n'en atteindront pas moins la perfection ; et un temps illimité s'étend devant nous pour y arriver.
Le sauvage d'aujourd'hui était encore dans le sein de la Divinité alors que celui qui, aujourd'hui, est un génie, se trouvait déjà aux prises avec les difficultés que présente l'évolution. Celui-ci approche donc du moment où il pourra gouter au repos, alors que l'heure de la lutte commence pour l'autre. Vous admettez bien l'évolution pour les corps, pourquoi l'intelligence et la conscience [101] n'évolueraient-elles pas aussi ? Comparez votre corps avec celui du sauvage de Neandertal, sauvage dont le crâne, seul, a pu être retrouvé, et comparez celui-ci avec le vôtre, votre front avec son front fuyant, votre mâchoire avec sa mâchoire bestiale. Dans le cas du crâne, vous dites que la différence est due à l'influence de l'époque où ce sauvage vivait, qu'elle est due au progrès de l'évolution, que l'un est le crâne d'un sauvage, tandis que l'autre est celui d'un homme civilisé ; d'accord, mais appliquez le même principe à l'intelligence et à la conscience et vous pourrez vous expliquer le pourquoi de ces différences. Le progrès est partout, l'injustice nulle part. Nous, qui sommes ici, nous ne sommes pas des favorisés de la Divinité, venus pour la première fois dans le monde en ne méritant pas la situation que nous avons aujourd'hui ; le sauvage non plus n'est pas un paria, non seulement pour le sort qui est le sien, actuellement, de par la volonté divine. Non, nous avons commencé de même, et la fin sera la même ; tous deux sont entrés dans le monde, ignorants, ne connaissant rien, et tous deux finiront dans l'omniscience, connaissant toutes choses : la différence n'est que transitoire, simple différence d'âge et de progrès. [102]
Mais, dira-t-on encore : "En supposant même que cela entre en ligne de compte pour expliquer les différences qui existent dans l'évolution humaine, l'enfant né de parents d'un type inférieur est-il invariablement lui-même d'un type inférieur ? D'autre part l'enfant hautement développé nait-il de parents d'un type supérieur ?"
Non, cela n'est pas. Il y a deux raisons pour lesquelles il est possible qu'un Égo, une âme si vous préférez, plus ou moins développée, puisse naitre d'un type comparativement inférieur. Un enfant de sauvage aura le type du sauvage, mais il y a des exceptions.
Vous vous rappelez sans doute un nègre bien connu, Booker Washington, un égo des plus remarquables, dont les facultés morales et intellectuelles étaient développées à un très haut degré ; doué d'une grande éloquence, il lutta pour son peuple en essayant de l'élever sur l'échelle sociale de l'humanité. Cet homme a été souvent cité comme une preuve vivante que le nègre est susceptible de s'élever mentalement et moralement. Son égo, certes, n'était pas approprié à son corps de nègre, mais c'était un égo plein de compassion qui, bien que doué des plus hautes facultés, a voulu entrer délibérément dans [103] un corps inférieur afin de relever une classe dégradée et méprisée.
De temps à autre, une grande âme s'incarne dans un corps inférieur, faisant ainsi le sacrifice d'elle-même afin d'élever les dégénérés, les encourager par son exemple, et les stimuler au progrès. Quelques-uns des plus grands saints de l'Inde méridionale sont nés dans la caste des Pariahs et sont vénérés partout comme des hommes d'une élévation si hautement morale et intellectuelle que le Brahmane le plus orgueilleux est obligé de les reconnaitre comme des saints, des dévots, bien qu'ils soient nés dans la plus basse classe des communautés méridionales de l'Inde. Ces âmes, nées dans une classe méprisée, s'y incarnent volontairement dans le but de l'élever, de lui donner des chances d'évoluer, pour démontrer que même les corps du type le plus inférieur ne peuvent amoindrir en aucune façon la puissance du Dieu qui réside en eux. Ces cas, cependant, ne sont que des exceptions. On voit aussi parfois dans les bouges de Londres, parmi la population dégradée, un être, – homme, femme ou enfant, – croitre purement et saintement comme une fleur sans tache sur le bourbier qu'est la vie dans ce milieu. D'un autre côté, il arrive aussi que, dans une famille noble et de bonne [104] moralité, nait ce que l'on appelle une "brebis galeuse", un être désespérant dont les parents ne peuvent rien faire et qui se voient dans l'obligation de l'envoyer dans les pays lointains où il devient, dans quelque ferme, bouvier ou berger. Ce sont là des cas qu'il nous faut admettre, et on peut les expliquer par la loi du Karma d'après laquelle, dans des incarnations passées, des liens se sont formés réunissant entre eux les égos dans la vie actuelle. La "brebis galeuse" peut, dans une vie passée, avoir accompli une bonne action qui le liait à un égo d'un type supérieur, et il revient avec ce dernier qui s'acquittera de la dette contractée envers lui par sa bonne et salutaire influence. Pour comprendre ces choses en détail, il faut remonter aux causes, et je traiterai dimanche prochain quelques-uns de ces cas exceptionnels.
Vous me demanderez encore :
Que nous direz-vous du nouveau-né dont vous nous avez parlé et qui meurt immédiatement après sa naissance ? Comment cette naissance, devenue inutile, peut-elle être expliquée par la théorie de la réincarnation ?
D'après cette théorie, il arrive que, dans le passé (et je parle ici de faits auxquels nous nous sommes reportés et que nous avons vus), cet égo s'était endetté vis-à-vis de la [105] loi en causant la mort d'une personne, non par méchanceté, ni avec intention, mais par négligence ou dans un moment d'absence. Prenons un cas particulier : un homme jette une allumette, après avoir allumé son cigare, sans s'assurer qu'elle est bien éteinte ; elle tombe sur une meule de paille qui s'enflamme et communique le feu au cottage voisin où une personne qui s'y trouvait meurt asphyxiée. On ne peut pas dire, dans ce cas, qu'il y ait eu meurtre, ni que celui qui en a été la cause involontaire soit un meurtrier. Il s'agit là d'une négligence et non d'un crime, bien que toute négligence soit un crime. Sa dette envers la loi est assez légère et il s'en acquitte, en ne restant qu'un moment dans le nouveau corps qu'il a pris en se réincarnant ; l'égo quitte ce corps et cherche à revenir sur la terre, ce qui, dans les cas analogues à celui qui nous occupe, se produit presque immédiatement, en l'espace de quelques mois seulement.
Mais le plus souvent, c'est le Karma des parents qui est la cause d'une mort aussi prématurée. Un égo, ayant à s'acquitter d'une dette comme celle dont je viens de parler, est alors choisi pour entrer dans le corps de leur enfant afin que, par sa mort, une partie de leur Karma puisse être épuisée. C'est le plus généralement le Karma des parents qui [106] entre en ligne de compte dans la mort prématurée des enfants, car c'est chez eux que la souffrance se fait sentir le plus cruellement. L'enfant, comme je l'ai dit, ne perd rien puisqu'il se réincarne quelques mois après ; il ne souffre qu'un instant ; les parents, eux, sont douloureusement atteints par la perte d'un enfant si longtemps espéré et attendu. Leur Karma est lié parfois à celui d'une personne ayant contracté une dette dans une vie antérieure, et la destinée des parents, comme celle de l'enfant, s'accomplissent en même temps, par la mort de l'enfant.
Entre plusieurs, nous pouvons citer un cas pouvant servir d'exemple typique : celui dans lequel des parents, dans une vie antérieure, ont montré une certaine malveillance pour un enfant qui avait quelques droits sur eux, bien qu'il ne fût pas né dans leur foyer ; ou bien encore le cas dans lequel le père et la mère étant morts, les proches parents, ou les tuteurs, se sont montrés cruels pour l'enfant qui leur avait été confié. Ce manque d'affection, ou ce traitement cruel, était crédité à leur compte dans le grand livre de la nature. La dette se présente à eux sous la forme d'un enfant tendrement aimé, dont la mort leur apprendra à être désormais plus tendres et meilleurs pour les autres [107] enfants. J'ai connu une femme qui, ayant perdu tous ses enfants et reconnaissant que cette douleur lui avait été donnée en punition des fautes qu'elle avait commises, disait : "Je serai une mère pour tous les enfants qui se trouveront sur mon chemin afin de leur rendre tout l'amour que j'aurais eu pour mon enfant." Dans ce cas, la leçon avait porté ses fruits et la dette karmique était largement acquittée. Cette femme, connaissant la loi, l'acceptant sans amertume et sans plainte, avait fait de son chagrin une bénédiction pour plus d'un enfant misérable, ceux-ci récoltant ainsi, au centuple, l'amour dont ils avaient été privés. C'est ainsi que la nature, c'est-à-dire Dieu, apprend à ses enfants à développer la tendresse et l'amour.
Nous arrivons maintenant à la question du progrès des nations ; non plus le progrès individuel, mais l'élévation d'une nation ou sa décadence ; comment expliquer ces deux cas par la théorie de la réincarnation ? L'élévation d'une nation est due au grand nombre d'égos hautement évolués qui y naissent, élevant ainsi graduellement cette nation à un niveau supérieur ; car ce sont eux qui constituent la nation. Les jeunes âmes de la race doivent naitre dans des contrées relativement peu civilisées, puis, lorsqu'elles reviennent, après [108] avoir progressé, elles sont prêtes à entrer dans une nation plus civilisée. La grandeur d'un pays est due à l'influx d'âmes avancées qui, incarnées dans des corps d'un type supérieur, résultant d'une hérédité favorable, élèvent la nation et concourent ainsi à faire progresser la civilisation. C'est là une leçon très importante pour ceux qui s'occupent spécialement des conditions sociales d'un peuple. Une nation peut attirer chez elle des âmes nobles ou basses selon le milieu social qu'elle a assuré. Si les conditions sont mauvaises, comme elles le sont ici dans l'Inde, dont le sixième de la population forme la classe des Pariahs, nous devons inévitablement attirer dans ce pays les âmes jeunes afin qu'elles puissent y apprendre les premières leçons de l'évolution. Si, par une éducation appropriée, vous montrez à ces âmes inférieures comment vivre noblement, si vous les aidez à se développer, à s'élever, si vous leur enseignez la propreté, l'honorabilité, la tempérance, vous rendrez alors les conditions meilleures pour la basse classe ; les âmes plus jeunes devront alors chercher une civilisation d'un niveau moins élevé, et des âmes plus évoluées pourront s'y incarner, les conditions étant devenues favorables pour leur développement. [109]
Il en est de même en Angleterre. Là, les conditions sont favorables pour quelques-uns ; mais les bouges infâmes qu'on y trouve offrent des conditions avantageuses pour des réincarnations de sauvages. Une partie de la population la plus basse, la classe des criminels-nés, est constituée par des âmes de sauvages arrivant – singulier anachronisme – dans une race civilisée. Si l'Angleterre s'attachait à faire disparaitre ces lieux, il n'y aurait plus alors de conditions propices à l'éclosion et à l'incarnation de ces sortes d'âmes. Nous ne parlons en ce moment que de l'Angleterre et de l'Inde, nous pourrions en dire autant de toutes les autres nations. Les mauvaises conditions sociales d'un pays attireront des âmes peu avancées ; un bon milieu attirera des âmes hautement évoluées. La destinée d'un pays dépend donc de l'organisation apportée. Négliger les classes pauvres, c'est déterminer inévitablement la décadence nationale. C'est ce qui a eu lieu dans le passé, et c'est ce qui se passe présentement. Quand une nation est arrivée au point culminant, c'est-à-dire quand le type physique a atteint sa limite de développement et ne peut plus progresser que par un changement radical, la décadence survient. Nous pouvons constater ce fait dans l'histoire de [110] Rome, de la Chaldée, de l'Égypte, etc. Les types d'une nation en décadence peuvent encore être utiles aux âmes peu évoluées qui y sont envoyées pour s'y incarner. Alors, le type dégénère graduellement, chaque influx d'âmes inférieures contribuant à dégrader le type physique jusqu'à ce qu'enfin la nation tout entière se soit lentement dégénérée et disparaisse des pages de l'histoire. Si vous étudiez les ouvrages des naturalistes, vous y verrez que les peuples sauvages deviennent peu à peu stériles ; le type est à un niveau trop bas pour que des égos puissent s'y incarner ; la race humaine s'est élevée au-dessus de ce type inférieur, et, du jour où il n'y a plus d'âmes assez peu développées pour habiter ces corps, les femmes cessent d'engendrer, le type diminue, et, graduellement, disparait tout à fait.
C'est là la cause pour laquelle l'extension du règne animal a été interrompue. Un gouffre est maintenant creusé entre l'humanité la plus inférieure et le stade animal le plus élevé. Les types humains qui, primitivement, servaient de types intermédiaires ont péri, en sorte que les égos provenant du règne animal ne peuvent plus trouver de corps assez inférieur pour s'y incarner. Ils doivent donc s'arrêter jusqu'à ce que, dans un autre monde, [111] naissent des types assez simples et assez bas pour qu'ils puissent les habiter. C'est ainsi que l'on peut suivre les causes qui ont déterminé la chute ou l'élévation des civilisations. Tout dépend de l'incarnation des égos. C'est pourquoi quelques-uns d'entre nous s'opposent énergiquement à certaines formes de cruauté scientifique. La cruauté est une cause de dégradation pour l'humanité ; si l'on persiste dans cette voie, la dégradation physique devient inévitable, le physique suivant le moral dans la période de décadence comme dans celle de l'ascension ; et ce sera la ruine des nations. La vivisection appartient moralement au passé, non à l'avenir ; l'on pourra bientôt se convaincre qu'elle sonne le glas de la civilisation, à moins que la conscience ne s'élève et ne mette un terme à ces crimes de lèse-humanité.
Un autre problème concerne l'évolution des instincts sociaux. Darwin, sans toutefois y parvenir, tenta d'expliquer ces instincts, en disant que les produits issus, dans le règne animal, de couples doués de l'instinct de sacrifice, pouvaient survivre. Il n'en est certainement pas ainsi. Darwin oublie que ces couples, doués de bonté et d'instinct de sacrifice, sont ceux qui, le plus souvent, périssent ; en outre, les petits, abandonnés par la mère, ne [112] survivent généralement pas. Ainsi que je le disais la semaine dernière, Huxley s'est fort bien aperçu que cette théorie n'expliquait rien et que le problème demeure insoluble si on ne l'envisage qu'en se plaçant au point de vue de la lutte pour l'existence. Huxley fait au contraire ressortir que toutes les qualités humaines sont plutôt désavantageuses pour cette lutte et que celles de la brute sont beaucoup plus efficaces. Prenez le cas d'une mère se sacrifiant pour son enfant ; voyez le médecin faire le sacrifice de sa vie pour enrayer une épidémie ; voyez le héros mourir pour son pays ; voyez le martyr conduit au bucher pour avoir voulu faire triompher la vérité ! Comment ces grandes âmes pourront-elles, après leur mort, faire bénéficier la race de leurs hautes qualités ? En passant dans l'au-delà, elles s'apercevront que les sacrifices accomplis sur terre sont autant de matériaux qui leur permettent d'acquérir une vertu ; l'acte, la pensée de sacrifice se transforment en une vertu permanente. Un écrivain indou, très connu, définit parfaitement la vertu dont il fait : "un résultat permanent d'une bonne émotion".
Le sentiment de l'amour devient une vertu quand il s'étend à tous les êtres indistinctement. Le sentiment maternel devient la vertu [113] de l'amour lorsque cet amour s'étend à tous les enfants. Or, la pensée manifestée au moment d'une action d'éclat, ou d'héroïsme, se cristallise, pour ainsi dire, dans le ciel, en une vertu faisant partie intégrante du caractère lorsque l'homme se réincarne. Rien ne se perd. Plus nombreux seront ceux qui auront aimé se sacrifier, même au péril de leur vie, plus grand deviendra l'esprit de sacrifice dans l'humanité, car les individus se réincarnent alors plus nobles, plus généreux.
On dit que "le sang des martyrs est la semence de l'Église", non seulement parce que tout bon exemple incite au bien, mais encore parce que les martyrs reviennent ici-bas servir leur religion, leur âme noble étant, dans le monde céleste, devenue plus noble encore que dans le passé. La vie, dans ce monde céleste, transmue en une qualité permanente, fixe, le sentiment fugitif de la dernière incarnation. Les instincts sociaux prennent un caractère plus prépondérant chez l'individu se réincarnant après avoir traversé la période céleste qui rapporte ces instincts ici-bas pour l'avancement même de la race.
Voilà ce que l'on peut répondre à Huxley qui, dans la dernière conférence qu'il donna, s'étonnait en ces termes : "L'homme est [114] peut-être une partie de cette conscience qui édifia l'Univers." Oui ! L'homme est
une partie de cette conscience ; comme tel, il est éternel. À mesure qu'il développe les qualités divines, il revient dans le monde afin d'en faire bénéficier l'humanité ; les saints et les héros rapportent avec eux la récolte de ce qu'ils ont semé, moisson qui deviendra le pain dont l'humanité doit se nourrir.
Telle est donc l'explication du développement progressif de la conscience sociale, des instincts sociaux.


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Ainsi que nous l'avons vu, le type criminel s'explique, lui aussi, par l'application de la théorie de la réincarnation. Ce n'est qu'une âme jeune, à l'état sauvage, et il n'y a rien dans ce fait qui doive nous affliger ; la chose doit au contraire nous inciter à aider. Donc, là encore, peut s'appliquer avec profit la loi de la réincarnation, car, si vous l'admettez, vous n'enverrez pas le criminel en prison, pour lui rendre sa liberté et l'incarcérer ensuite à nouveau après chaque crime commis. Vous n'agirez plus ainsi ; vous vous refusez à faire entrer un varioleux à l'hôpital pour le laisser sortir au bout d'une semaine, l'y [115] faire rentrer pour quinze jours, puis, une troisième fois, pour trois semaines. Vous le laissez à l'hôpital jusqu'à ce qu'il soit complètement guéri. Eh bien, voilà la méthode qu'il conviendrait d'employer avec ceux qui sont atteints de maladies morales et qui demandent à être traités comme ceux qui souffrent de maux physiques. Dressez le criminel ! Éduquez-le ! Ne le punissez pas avec dureté, car la punition vindicative est préjudiciable à l'égo tombé entre vos mains. Il ne s'agit pas, bien entendu, de le laisser en liberté, pas plus qu'on ne le ferait avec un animal dangereux menaçant la sécurité publique, car l'homme, lui aussi, est un danger lorsqu'il est criminel. Toutefois, sans lui faire la vie dure, dressez-le, éduquez-le et ne le laissez libre que le jour où il aura définitivement prouvé, par sa conduite, qu'il lui est désormais possible de mener une existence honnête et droite.
On parle beaucoup de liberté, mais la liberté est inutile, voire même néfaste, si le sentiment de responsabilité n'est pas admis et entièrement compris, si le contrôle sur soi-même ne l'emporte pas sur les désirs résultant d'une conduite uniquement dirigée par l'influence extérieure. Ce qu'il faut inculquer aux criminels : c'est l'éducation, la discipline ; [116] ce qu'ils ont le droit de demander : ce n'est pas la liberté, mais bien l'éducation ; ce n'est pas la latitude de commettre crime sur crime pour chacun desquels il sera passible de prison, mais la discipline qui lui apprendra la loi du travail, le contrôle des passions, la vie honnête. Lorsque la criminologie sera une science basée sur le principe de la réincarnation, alors, alors seulement, il n'y aura plus de criminels invétérés ; les prisons deviendront de véritables écoles où l'on éduquera, où l'on réformera, où l'on purifiera ; les ainés commenceront à se rendre compte des devoirs qui leur incombent vis-à-vis des cadets, et, au lieu de leur donner le droit de vote, ils les aideront à développer en eux les vertus. Cette manière de traiter les criminels me parait supérieure à celle qui est en vigueur aujourd'hui dans les nations soi-disant civilisées.
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Pourquoi des gens sont-ils venus au monde nains, difformes ou boiteux ?
C'est parce que, dans une vie antérieure, ils ont été cruels envers autrui et ils payent ces cruautés aujourd'hui par des difformités ; [117] c'est ainsi que les Inquisiteurs sont tous revenus difformes dans leur présente réincarnation. (Rires.) Je ne vois pas en quoi la chose peut prêter à rire, mes amis, car c'est là un fait qui maintenant, comme dans le passé, résulte de la cruauté, et les vivisecteurs d'aujourd'hui subiront le même sort demain ; tous ceux qui exercent la cruauté récolteront ces mêmes désavantages. Le maitre d'école irascible qui discipline ses élèves par la crainte et non par l'affection, qui terrorise les enfants, au lieu de leur donner l'exemple de la douceur, qui abuse de son autorité et n'a pas conscience de la responsabilité qu'implique sa haute fonction, qui ignore que la loi divine a mis les faibles entre ses mains pour qu'il les protège et non pour qu'il les opprime, pour celui-là en vérité, la future incarnation ne semble pas devoir être des plus douces ; un espoir quand même persiste, car, par les souffrances qu'il endurera, il apprendra à mieux faire.
La cruauté n'est pas considérée parmi nous aussi sérieusement qu'elle devrait l'être ; c'est un des pires crimes, en ce sens qu'il agit à l'encontre de la loi d'amour ; c'est être criminel que d'exercer la cruauté contre les faibles. Je sais que pour excuser la cruauté, les bonnes intentions sont invoquées ; l'Inquisiteur [118] avait en vue le salut de l'âme humaine mais il aurait pu, je crois, pour ce salut, employer un moyen moins brutal que le bucher et la torture. Il en est de même pour le vivisecteur qui, dit-on, emploie la vivisection pour le bien de l'humanité. Mais ne pourrait-il pas trouver un moyen autre que celui qui consiste à martyriser les animaux ?
De même, le maitre d'école devrait chercher à déraciner les défauts par la douceur plutôt que de les forcer à se cacher dans les replis du coeur par un excès de sévérité. Tout acte de cruauté exercé par le fort est néfaste, aussi bien par la souffrance physique qu'il inflige, que par les résultats moraux qui en découlent : lâcheté, soumission servile, crainte, cette pénible crainte qui imprègne le coeur de ceux qui sont victimes d'un tel acte. De plus, la cruauté fortifie ce sentiment et en assure la perpétuité, car le faible qui a été maltraité devient cruel aussi lorsque, à son tour, il est devenu fort.
Tels sont les éléments de morale qui se dégagent du principe de réincarnation. Ceux qui croient à cette loi n'osent pas agir comme le feraient les ignorants qui, eux, doivent apprendre par la souffrance ce qu'ils auraient pu apprendre par le raisonnement s'ils l'avaient voulu. Effectivement, ou par le raisonnement [119] ou par la souffrance, tous devront apprendre à connaitre la loi.


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Pourquoi la sympathie ou l'antipathie ?
Celles-ci viennent des rapports que nous avons eus dans le passé avec ceux que nous aimons ou haïssons aujourd'hui. Quelques personnes s'imaginent que la réincarnation les sépare de ceux qu'elles chérissent. Il n'en est rien. En premier lieu, pendant la longue vie céleste – qui dure quelquefois des milliers d'années – vous vivez avec ceux que vous avez aimés sur terre, et, lorsque vous vous réincarnez, vous avez tendance à revenir avec les êtres que vous affectionniez. Si, pour certaines raisons, d'aucuns naissent dans une partie du monde fort éloignée de la vôtre, même alors, vous serez appelés à vous rencontrer comme amis, ou comme fiancés, si, dans le passé, vous avez éprouvé de l'amour les uns pour les autres. Pas plus au ciel que sur la terre, les liens d'amour ne peuvent être brisés ; là où l'amour existe, un lien se crée entre les égos qui éprouvent ce sentiment et le lien ne peut être rompu par la main glacée de la mort, pas plus que par les renaissances. Nous revenons ici-bas comme d'anciens amis ou comme d'anciens ennemis. [120]
N'avez-vous jamais ressenti, en voyant une personne pour la première fois, qu'il vous semblait l'avoir connue déjà ? Il suffit parfois de deux ou trois heures de conversation avec elle pour vous sentir plus en communion d'idées que des enfants d'une même famille ne le sont souvent entre eux. D'un autre côté, il arrive que la vue de certaines personnes vous fait reculer ; portez toujours votre attention sur ce sentiment, c'est l'égo qui vous avertit que vous vous trouvez en présence d'un ancien ennemi. Il est alors plus sage de vous tenir éloigné de la personne qui éveille en vous semblable sentiment, mais envoyez-lui des pensées d'amour et de bienveillance, lui rendant ainsi par de la bonté et de la bonne volonté, les torts qu'elle a pu vous causer autrefois ; vous vous apercevrez, quelques années plus tard, que vous ne reconnaissez plus cette personne comme une ennemie, mais comme une indifférente et peut-être même comme une amie.
Il arrive aussi qu'en voyant une personne pour la première fois, votre coeur s'élance vers elle dans un sentiment intense d'affection ; rappelez-vous alors que l'âme appelle l'âme, au travers des voiles de matière. Les corps peuvent différer sous certains aspects, la réincarnation nous plaçant tantôt dans une [121] nation, tantôt dans une autre ; mais les âmes se connaissent entre elles et elles s'élanceront l'une vers l'autre lorsque les corps se rencontreront et que les mains se joindront dans une instinctive étreinte.
Telle est l'explication de ces impulsions étranges éprouvées en présence de certaines personnes : et ce sont les torts commis envers vous, dans des existences passées, qui expliquent les répulsions soudaines. Lorsque, au contraire, une attirance subite a lieu, vous pouvez y voir la base de l'amitié la plus solide qui soit sur terre. Cet appel d'âme à âme, profond, instinctif, est le plus sûr garant qui puisse vous être donné d'une amitié à toute épreuve ; il est plus certain que tous les raisonnements, que tous les arguments, et vous pouvez vous y livrer en toute confiance. Mais soyez bien persuadés que ce sentiment vient de l'intérieur et non de l'extérieur, ainsi que la chose a lieu communément dans ce que l'on a convenu d'appeler "le coup de foudre". Certes, il peut y avoir appel d'égo à égo, mais il existe aussi un appel des corps, attraction sensuelle entre un homme et une jeune fille ; un tel amour s'usera et ne tardera pas à se briser par l'habitude ; le mariage fondé sur un tel sentiment a peu de chances de jouir d'un bonheur durable. [122] Mais la reconnaissance profonde qui fait dire à Savitri : "Voici mon compagnon", lorsqu'elle rencontra pour la première fois Satyavan, celui qu'elle était fermement décidée à prendre comme époux, refusant tous les autres, inébranlable dans le choix qu'elle avait fait, en dépit de la prophétie d'après laquelle son futur époux n'avait plus qu'une année à vivre, une volonté aussi ferme, inspirée par un sentiment aussi fort est vraiment digne d'être réalisée ; et c'est ainsi que peuvent naitre sur terre les meilleures unions, soit dans le mariage, soit dans les rapports amicaux. La Réincarnation donne à l'amitié une durée que rien d'autre ne saurait lui donner ; grâce à elle, vous aurez la certitude de ne jamais perdre votre ami. Elle est aussi une consolation lorsqu'une personne aimée ne répond pas à votre amour ou qu'elle vous chérit moins que vous ne la chérissez, le sentiment qu'elle éprouve pour vous ne suffisant pas à votre bonheur. Celui qui connait et admet la réincarnation peut se dire : "Mon amour a sa racine dans le passé, si mon ami n'y répond pas maintenant c'est que je lui ai porté préjudice autrefois, je dois donc l'aimer davantage pour payer la dette que j'ai contractée envers lui, pour que la grande affection que je lui porte nous réunisse une [123] fois de plus sur terre." L'idée de réincarnation nous rend forts et capables de supporter, d'endurer tout ce qui nous arrive ; si pénibles que puissent être certaines circonstances, il n'est rien que nous soyons aptes à supporter lorsqu'on en connait la source et le but. Pour ceux qui sont éternels, l'affliction et la douleur peuvent-elles exister ?


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Nous avons encore une question à résoudre :
Pourquoi ne se souvient-on pas des vies antérieures ? Que de fois ne demande-t-on pas : "Si je suis venu un grand nombre de fois sur terre, pourquoi n'en ai-je nul souvenir ?"
Je vais essayer de répondre à cela, bien que je ne puisse guère, aujourd'hui, espérer faire plus que de vous présenter un cas vous incitant à chercher et à étudier par vous-mêmes.
Le nombre de faits oubliés, dans votre existence actuelle, dépasse de beaucoup le nombre de ceux dont vous avez gardé le souvenir. Que nous reste-t-il des événements qui caractérisent notre enfance ? Seuls, quelques points saillants vous reviennent à l'esprit : [124] votre premier poney, votre premier livre si vous avez aimé la lecture, votre première promenade en bateau ou votre premier voyage en chemin de fer. En dehors de cela, vous ne vous rappelez rien des nombreuses journées qui s'écoulèrent à l'époque de votre jeune âge ; cela ne signifie pas que vous n'en ayez conservé absolument aucun souvenir.
En effet, pour peu que l'un de vous soit soumis à l'influence de l'hypnose, vous reverrez nettement votre enfance, avec tous les événements qui s'y rapportent. Le sujet parlera dans la langue qui lui était familière au moment de son jeune âge, alors que l'hypnotiseur ne connait pas cette langue, et que le sujet lui-même peut l'avoir complètement oubliée à mesure qu'il vieillissait. Dans ce cas, la transmission de pensée, – à laquelle on se refusait de croire il y a quelques années et dont on se sert aujourd'hui pour expliquer les phénomènes anormaux, – n'entre pas du tout en ligne de compte. S'il m'arrive, durant votre transe, de vous demander votre lieu de naissance, de vous parler de votre enfance, vous me répondrez dans la langue que vous aviez coutume d'employer dans votre jeune temps ; par contre, au réveil, vous l'aurez à nouveau oubliée. Si je vous rappelle quelque incident futile, la perte d'un jouet [125] par exemple, cet objet vous revient immédiatement à la mémoire et il vous est possible de me dire où il était.
Ce genre d'expériences a souvent été en honneur, à Paris surtout, où malheureusement on expérimente à propos de faits insignifiants ; c'est ainsi qu'on demandait à un sujet, endormi, de se rappeler le menu d'un repas oublié à l'état de veille, expérience qui, d'ailleurs, réussissait parfaitement.
Ces réveils de la mémoire ont parfois lieu aussi pendant une période de fièvre intense ; dans le délire, par exemple, une personne se rappelle où elle a mis une épingle de valeur qu'elle pensait avoir perdue.
Tous ces phénomènes sont des plus intéressants lorsqu'on étudie les problèmes se rapportant à la question de la mémoire.
Pourquoi ce réveil de la mémoire se produit-il alors que le cerveau n'est plus dans son état normal ? Qu'il y a fièvre ou état d'hypnose ? Pourquoi le cerveau, sous l'influence de procédés anormaux, se rappelle-t-il les faits qui, à l'état normal, demeurent oubliés ? C'est que la mémoire des événements passés a été refoulée à l'arrière-plan par ceux qui succédèrent ; elle disparait donc du seuil de la conscience. L'amplitude vibratoire des cellules nerveuses cérébrales a diminué et ce [126] sont ces vibrations qui, dans le cerveau, déterminent ce que nous appelons : mémoire ; les cellules, en cessant de vibrer, amènent l'oubli ; de plus, elles fonctionnent en groupes reliés les uns aux autres et il arrive parfois qu'une
influence extérieure de peu d'importance, un parfum par exemple, en provoquant le souvenir d'une odeur autrefois respirée, provoque aussi, par association d'idées, la mémoire d'un évènement déterminé, au moment duquel le parfum donné jouait son rôle. Une cellule étant ainsi réveillée à l'activité, le groupe entier auquel elle appartient vibre aussi, et cela, si bien, que le passé revient à l'esprit.
C'est précisément sur cette théorie que je m'appuie pour répondre à cette question : "Pourquoi n'avons-nous nul souvenir de nos existences passées ?"
Quand je profite de la transe hypnotique où vous êtes plongé pour vous interroger sur votre enfance et que vous me répondez dans une langue autre que celle que vous employez aujourd'hui, ce fait prouve que cette langue vous a été enseignée ; cela est aussi indéniable que le fait de lire prouve que l'on a appris à lire. Je ne me rappelle pas du tout n'avoir pas su lire ; pourtant, puisque je lis, c'est qu'on m'apprit à épeler. Le même [127] raisonnement s'applique au sujet de votre caractère et de votre conscience : de ce que vous les possédez l'on ne peut que déduire que, dans le passé, ils ont été formés et édifiés.
Nous pouvons pousser la chose plus loin encore. Actuellement le cerveau n'est ni dans le corps de désir, ni dans le corps mental dont vous vous serviez dans votre dernière incarnation ; votre égo est immuable ; ce qui change ce sont ses enveloppes. Vos corps actuels ne peuvent donc se souvenir que des expériences qu'ils ont faites, au cours de votre présente existence, dans les domaines physique, émotionnel, intellectuel. Le cerveau est neuf ; comment lui serait-il possible de se souvenir de faits qu'il n'a pas enregistrés puisqu'il n'existait pas, tel que, dans la vie antérieure ? De même en est-il pour le corps astral qui, lui aussi, a changé, et il ne peut se rappeler les désirs et les sensations qu'un autre corps astral enregistre. De même encore pour le corps mental qui ne peut avoir gardé le souvenir de pensées qui n'ont pas été générées par son intermédiaire. Seul, votre "Moi", votre égo immortel conserve la mémoire du passé ; c'est lui qui a passé par toutes les expériences successives et il ne peut rien oublier. Toutefois, la mémoire de tout ce qu'il a vécu ne se reflète [128] pas dans les nouveaux corps qu'il revêt en se réincarnant ; mais il vous est possible d'en prendre conscience si vous voulez bien employer les méthodes indiquées à cet effet. Ces méthodes sont simples.
Vos énergies sont sans cesse dirigées vers le monde extérieur, là où sont vos intérêts, vos pensées, vos plaisirs ; toutes les joies vives de votre "Moi" éternel, permanent, convergent constamment vers l'extérieur au travers du corps mental, astral et physique. C'est précisément dans le sens contraire qu'il faut agir si vous désirez recouvrer la mémoire du passé ; c'est vers l'intérieur que vous devez concentrer vos énergies, vers l'Esprit manifesté en tant qu'égo et qui conserve le souvenir des expériences faites dans les existences antérieures. Du jour où vous aurez réussi à vous identifier avec votre vrai "Moi", avec l'égo, vous aurez sa mémoire, vous vous souviendrez. C'est l'égo qui a vécu les événements des incarnations passées et, quand après une vie terrestre, il a, dans le monde céleste, transmué les expériences acquises en facultés, le trésor de l'égo s'enrichit du souvenir de ces expériences ; ce ne sont donc que les résultats, les nouvelles facultés, qui s'impriment sur les nouveaux corps mental, astral et physique. On peut comparer [129] ce fait à l'exemple que nous fournit le commerçant : celui-ci, dans sa comptabilité, ne porte chaque année, sur son grand-livre, que la balance de l'année précédente ; il n'inscrit pas le détail d'un compte appartenant à l'année écoulée et se contente d'indiquer les résultats des affaires faites dans l'exercice précédent, balance avec laquelle il entreprend une année nouvelle. C'est exactement ce que fait l'âme, l'égo, dans les mondes supérieurs ; Il établit sa balance, ferme le livre du passé que toutefois il conserve, dans sa mémoire ; il porte alors la balance sur le nouveau grand-livre que constituent l'intelligence et la conscience. La tendance qu'il a à penser que le meurtre est un crime, est partie intégrante de la balance faite et résulte des expériences passées. Ce n'est encore là qu'une tendance, ne l'oubliez pas : ce qui se transmet au nouveau corps mental, ce sont des tendances à penser dans une direction déterminée et ce sont elles qui entrent particulièrement en jeu dans l'éducation et qui la rendent possible. Voilà une des principales raisons nous expliquant pourquoi, dans notre conscience physique, cérébrale, nous n'avons pas le souvenir des existences antérieures.
N'est-ce pas là un bienfait ?
Je vous ai dit qu'il vous était possible de [130] recouvrer cette mémoire par la méditation, en dirigeant vos énergies vers les régions supérieures au lieu de vous cantonner dans les mondes inférieurs, en vivant dans l'Esprit plutôt que dans l'intellect, dans le corps du désir ou le corps physique. Vivez une vie spirituelle en vous identifiant avec l'Esprit qui est Un et Divin, qui se connait lui-même ; alors, si vous le désirez, votre passé se déroulera devant votre regard intérieur.
Plusieurs d'entre nous sont persuadés de la réalité de ce que j'avance là parce que nous en avons fait l'expérience, et c'est la meilleure des preuves que nous puissions obtenir. Malheureusement sans doute, l'expérience des uns ne peut être une preuve pour les autres. Je ne vous affirme que ce que je sais être vrai ; en outre, je connais un certain nombre de personnes qui ont le souvenir de leurs vies d'autrefois, qui peuvent rechercher, vérifier des faits et suivre leurs vies respectives à travers les siècles écoulés. Mais, je le répète, n'est-ce pas pour vous un bienfait de n'avoir pas cette mémoire ? Peut-être vous rappelez-vous ces paroles de Goethe sur son lit de mort (Goethe croyait à la réincarnation, comme tout véritable philosophe) :
"Quel soulagement de penser que je vais revenir comme après un bain rafraichissant !" [131]
C'est là une expression allemande qu'il avait coutume d'employer pour signifier que le passé serait oublié. Ce doit donc être une bonne chose et vous le comprendrez dans un instant.
Supposez que deux fiancés s'épousent et que l'un deux sache que l'autre doit mourir un an après le mariage. Cette année-là ne serait-elle pas assombrie par l'idée de cette mort prochaine ? Quand il arrive que vous avez commis un acte répréhensible au temps de votre jeunesse, n'éprouvez-vous pas un déprimant sentiment de remords en vous reportant à cette époque ? Pour parler d'un cas plus grave, combien de criminels deviendraient vite meilleurs si seulement ils pouvaient oublier ! Le souvenir qu'ils ont de leurs crimes est une entrave à leur relèvement, à leur progrès.
Combien d'entre vous seraient plus heureux s'ils pouvaient oublier quelques-uns des actes de leur présente existence ! Il est de ces choses qu'il est bon d'oublier, comme par exemple les torts qui nous ont été causés et les injures dont on nous a accablés. Shri Ramachandra disait qu'il oubliait le soir les torts qui lui avaient été causés pendant le jour, eussent-ils été au nombre de vingt, mais qu'il n'oubliait jamais un acte de [132] bienveillance. L'homme parfait agit de même ; le souvenir des bonnes actions reste gravé en lui et provoque un sentiment de gratitude, tandis que se dissipe la mémoire du mal qu'on lui a fait. Aussi longtemps que vous ne serez pas devenus assez forts pour supporter les souvenirs de votre vie
actuelle sans regrets, sans remords, sans anxiété, et surtout sans ressentiment, sans croire à l'injustice, ne souhaitez pas d'ajouter à ce fardeau d'une seule vie, le fardeau de tout un long et lointain passé. Quand vous serez capables de considérer votre vie actuelle comme une leçon à apprendre, sans plainte, sans remord, sans mécontentement, sans révolte, alors seulement vous pourrez supporter sans défaillance la mémoire de vos vies antérieures ; mais tant que vous n'aurez pas appris à envisager avec sérénité le passé d'une seule existence, n'aspirez pas à connaitre le passé d'une centaine d'existences.
Vos corps physique, astral, mental sont nouveaux à chaque incarnation, ai-je dit, et le fait que l'égo ne transmet à ces nouveaux véhicules que ce qui est indispensable pour une vie nouvelle, est une mesure bonne et sage. Quand vous aurez conscience de la mémoire de l'égo, vous sentant alors un avec lui, vous serez suffisamment forts pour supporter [133] le poids d'un fardeau plus grand, et votre nouveau cerveau pourra percevoir le souvenir de votre long passé.


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C'est là la dernière des réponses que je voulais vous donner aujourd'hui en ce qui concerne les énigmes de la vie.
En terminant, laissez-moi vous dire que chacune des réponses que j'ai faites devrait être analysée et jugée par vous, et n'être acceptée que si elle satisfait votre raison. Répéter sans avoir pensé ne stimule pas au progrès. Veuillez donc essayer de penser et de comprendre ; à cette condition vous progresserez. N'ayez pas une série d'opinions toutes faites qui reflètent simplement la pensée d'autrui ; un tel esprit d'imitation ne saurait être un hommage envers ma conférence qui fait appel à votre raison ; pensez par vous-mêmes, c'est la meilleure façon de me remercier ; écartez loin de vous les idées préconçues et les préjugés qui vous incitent à rejeter une théorie parce qu'elle est nouvelle, ou qui vous la font accepter (à quelques-uns d'entre vous) parce qu'elle est antique.
Ces conférences ont surtout pour but de [134] vous débarrasser de ces préjugés qui vous retiennent d'étudier, de vous entrainer à penser par vous-mêmes. Penser par soi-même, même imparfaitement, vaut mieux que de répéter servilement une idée juste dont vous n'êtes pas l'auteur. Si vous voulez apprendre la Sagesse, apprenez à penser avec intensité, avec patience et persévérance. En vous obstinant à ne répéter que ce que vous avez entendu, vous développerez les facultés du perroquet plutôt que celles de l'être humain.