LA LOI DE L'ACTION ET DE LA RÉACTION
Vous devez vous rappeler que, dimanche dernier, en vous parlant de la réincarnation et de la façon dont il est possible, grâce à elle, d'expliquer nombre d'énigmes, j'ai dit qu'il était nécessaire de bien comprendre ce que j'ai appelé la Loi de Causalité, si l'on désire être pleinement satisfait quant aux réponses que je donnais dernièrement aux questions soulevées.
Bien que l'appellation que j'ai choisie ne s'applique pas précisément au phénomène tel qu'il s'effectue vraiment dans la nature, elle est plus familière pourtant aux personnes qui se tiennent quelque peu au courant des sciences occidentales.
Emerson comprenait parfaitement cette loi de nature lorsqu'il disait que toute action porte avec elle ses résultats, l'une étant indissolublement liée aux autres : selon lui, il n'existe aucune différence entre l'acte et la [136] conséquence de l'acte. L'un est visible, l'autre invisible et tous deux ne sont qu'une seule et même chose. Le seigneur Bouddha éclaire cette théorie d'une vive lumière en affirmant qu'il est aussi impossible de séparer l'action de ses résultats, que de séparer un tambour du bruit qu'il produit lorsqu'on le frappe. Le tambour produit un son sous le choc de la baguette ; quand une action est commise, il existe, avant son accomplissement, ce que l'on désigne sous le nom de motif, de cause déterminante ; après son accomplissement se place le phénomène invisible désigné sous les noms de : conséquences, de résultats. Du point de vue philosophique, action et conséquences ne constituent qu'une seule et même activité : c'est ce qui fait que l'Indou, d'esprit philosophique, emploie le terme KARMA qui signifie, en sanscrit, action, et qui implique les rapports, ou plutôt l'identité existant entre les parties visibles et invisibles de tout acte, c'est cette théorie qui, aujourd'hui, sera le thème principal de notre étude.
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La question du KARMA ne peut être appréciée à sa valeur exacte si l'on persiste à se placer uniquement au point de vue physique. [137]
Toute personne ayant quelque notion de science ne peut nier l'existence des lois de la nature. Ces lois ne sont pas comme des commandements qui nous ordonnent de faire ceci ou cela ; elles présentent simplement une série de faits successifs ou conséquences observables : c'est-à-dire que chaque phénomène est inévitablement suivi d'un autre phénomène bien déterminé. Cette invariabilité ayant été reconnue a été appelée une loi de nature et, pour la science, ces lois de nature sont basées sur des observations et des expériences innombrables. Or, une loi de nature n'est rien de plus qu'une succession de phénomènes. Cette assertion est fondamentale pour la compréhension de ce que nous appelons la loi du Karma et il est nécessaire d'en avoir une notion exacte. Ainsi que je viens de le dire, il n'y a pas, dans la nature, de loi qui soit un commandement. Celles qui sont édictées par le roi, les parlements, les chambres législatives, sont des ordres indiquant que les choses doivent être faites dans tel ou tel sens, ou qu'il faut s'abstenir si l'on ne peut obéir ; les pénalités qui s'y rapportent en cas d'infraction sont arbitraires ; il n'existe en effet aucun rapport entre une offense prohibée par des statuts et la pénalité imposée en cas d'infraction : cette dernière n'est liée [138] à l'offense que par la volonté du législateur, mais il n'y a entre les deux choses aucun lien quant aux causes qui ont généré l'offense. En ce qui concerne une loi de nature, le processus est tout différent ; il n'y a pas de commandement, d'ordres, mais seulement : une conséquence et, en cas de négligence, la pénalité s'impose, inévitable et naturelle. Une loi de nature ne peut être violée ; l'on ne peut que la négliger ; dans ce cas, des résultats déterminés sont inévitables. Certaines conditions sont établies d'une manière donnée et, quel que soit le lieu où celles-ci sont présentes, une autre condition bien définie surgit. Voilà ce que l'on entend par loi de nature. Si vous semez du riz, vous récolterez du riz et non de l'orge ; la nature ne vous dit pas : "Semez du riz ou semez de l'orge" ; elle vous laisse libre de semer ce que bon vous semble, et c'est précisément dans ce rapport étroit qui existe entre la semence et la récolte, que l'on peut se rendre compte de la loi de nature. Si vous voulez récolter du riz, inutile de semer de l'orge ou des ronces ; voilà le Karma.
Cette loi de nature est encore, sous une autre forme, exposée clairement et sans équivoque possible, par les écritures chrétiennes : "Ne vous leurrez pas ; on ne se rit pas de [139] Dieu, car, ce que l'homme aura semé, il le récoltera." C'est là, une fois de plus, le Karma, établi d'une façon nette. Et si maintenant vous réfléchissez sur ces lois de nature au point de vue de leur action sur le plan physique, si vous savez comprendre leur signification et vous rendre compte de leur portée, vous n'éprouverez alors aucune difficulté à appliquer cette idée de loi dans les mondes mental et moral. Dans les livres théosophiques, bouddhistes et indous, ce mot de Karma est constamment employé lorsqu'il s'agit de conséquences certaines agissant dans les mondes mental et moral. Tous les mondes sont reliés entre eux, et, dans tous, la loi ou Karma règne toute-puissante. C'est une succession invariable de faits qui ne ressemble en rien à un ordre ou à un commandement ; cette loi vous laisse libre de choisir, elle vous indique seulement qu'en conséquence de votre choix, telle ou telle chose se produira, et que, quelle que soit la condition que vous aurez choisie, vous devrez accepter celle qui doit inévitablement lui succéder. Cette loi, exposée dans le monde physique par l'homme de science, pourrait inciter un ignorant à croire qu'il n'a aucune liberté, qu'il ne peut rien faire. Effectivement, toute loi naturelle exposée purement et simplement, sans aucun développement [140] explicatif, peut conduire à penser : "Puisque telles et telles conditions sont imposées par la nature, à quoi bon essayer d'agir de telle ou telle manière."
Prenons par exemple la loi de gravitation, se rattachant à la loi générale de l'attraction, et d'après laquelle les corps tendent toujours à se déplacer vers le centre de la terre. Un ignorant pensera que tout doit inévitablement se déplacer selon cette direction et, assis au pied d'un escalier, il pourrait bel et bien déclarer : "La loi de pesanteur s'oppose à ce que je m'éloigne du sol, je ne puis donc gravir cet escalier." Comment donc alors est-il possible de monter ? En opposant à la force naturelle qui vous attire vers le centre de la terre, une autre force, naturelle elle aussi (la force musculaire), qui vous rendra apte à vous élever au-dessus de la terre. C'est là un autre principe fondamental qu'il importe de bien saisir ; malgré la tendance à se diriger vers le centre de la terre, vous pouvez vous en éloigner en utilisant une autre force également naturelle. Vous ne violez pas la loi de pesanteur ; vous avez conscience de son action par l'effort que vous devez produire pour vous opposer à elle ; cet effort justifie l'affirmation scientifique d'après laquelle une loi de nature ne peut être violée. [141]
Pour descendre l'escalier, l'effort n'est pas nécessaire, puisqu'on obéit alors à la loi de pesanteur.
Ainsi donc, en poursuivant vos études, vous vous apercevrez qu'une théorie qui, de prime abord, semble paradoxale, est réellement vraie ; et c'est précisément parce que les lois sont inviolables que l'homme peut agir librement, mais à une condition, et à cette condition seulement, c'est qu'il connaisse et comprenne ces lois ; dans le cas contraire, il n'est que leur esclave. Votre liberté d'agir au milieu des forces de la nature est en raison directe de votre connaissance. Vous pouvez avoir confiance dans ces lois et compter sur elles ; puisqu'elles ne varient pas, vous pouvez vous appuyer sur elles, neutraliser les forces qui s'y opposent pour utiliser celles qui ne les entravent pas. C'est parce que la nature est animée tout entière d'énergies agissant dans toutes les directions possibles d'après des lois immuables, que l'homme, par la connaissance, peut se rendre maitre de la nature ; c'est là un autre point qu'il nous reste à établir clairement sur le plan physique. Vous vous rappelez peut-être la célèbre théorie d'un homme de science, théorie que j'ai souvent citée et qui est profondément vraie : "La nature est conquise par l'obéissance." Il est [142] impossible de lutter contre la nature, elle est trop puissante pour les faibles pouvoirs de l'homme ; mais elle peut être soumise à la volonté de celui qui comprend et connait les lois sous lesquelles ces forces s'exercent. Il ne s'agit que de les comprendre pour en devenir maitre ; et si la science est devenue possible, si, pendant le siècle dernier, elle a obtenu les plus magnifiques et les plus utiles triomphes, c'est parce que le monde est régi par des lois naturelles. Si celles-ci n'existaient pas, les assertions de la science n'auraient aucune base stable pour justifier ses calculs ; des accidents surviendraient constamment et nous ne saurions jamais ce qui nous attend. Mais ces lois étant immuables, il est possible de tabler sur elles et de les comprendre ; c'est pourquoi l'homme, dans un monde dont les lois sont immuables, peut être libre, car il peut asservir ces lois, ce qu'il ne saurait faire sans leur concours. C'est là tout le secret que cachait le célèbre Emerson dans cette phrase : "Attachez votre wagon à une étoile." La force symbolisée par l'étoile entrainera le wagon, quel que soit son poids. La nature n'ordonne pas et l'homme n'est pas son esclave ; il vit au milieu de lois et de forces qu'il peut découvrir, calculer, et la connaissance qu'il en aura lui permettra de les régir [143] et de les employer. Du sein de ce réseau de forces immuables, il peut extraire ce qu'il désire, dans la certitude où il est que la nature ne lui fera jamais défaut et ne déviera jamais de sa route qui est immuable ; s'il échoue, c'est que son appel aux lois n'a pas été ce qu'il aurait dû être, qu'il ne les connait qu'imparfaitement, et c'est cette imperfection même qui l'a trahi.
Est-il possible d'étendre cette infaillibilité de la loi, son inviolable et immuable sécurité, aux domaines mental et moral ? Les anciennes religions abondent dans ce sens, de même aussi quelques religions modernes, bien que moins complètement et moins clairement. Si la chose est possible, l'homme est alors vraiment le maitre de sa destinée, car il lui est possible d'agir dans ces mondes d'où l'avenir dépend, et faire de lui-même ce qu'il désire devenir. Mais pour cela, comme pour les sciences physiques, une étude approfondie s'impose, et il faut apprendre à connaitre les méthodes qui permettent d'appliquer les lois de façon à obtenir les résultats désirés.
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Trois lois subsidiaires se rattachent à la grande loi générale de l'action : [144]
1. La pensée construit le caractère dans tel ou tel sens désiré ;
2. L'énergie que nous appelons désir, ou volonté (deux formes de la seule et même énergie) amène le penseur en contact avec l'objet désiré, le premier étant dans l'obligation absolue de se mouvoir dans la direction suivant laquelle il pourra trouver l'objet et satisfaire ainsi son désir ;
3. Selon que les effets de votre conduite auront suscité de la peine ou de la joie, vous éprouverez peine ou joie, par suite d'un juste choc en retour.
Je vous rappelais en effet, la semaine dernière, cette vérité scientifique d'après laquelle l'Action et la Réaction sont égales et opposées.
Si l'homme comprend ces trois lois et sait les appliquer, il devient le maitre de son avenir, il devient le créateur de sa destinée. Loin d'être abandonné à lui-même, ce à quoi le condamnerait la théorie de la création spontanée ou celle de l'hérédité intellectuelle et morale, il devient son propre maitre et l'artisan de son avenir ; il est apte à faire de sa vie future ce qu'il veut qu'elle soit, dans la mesure où il connait et veut.
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Je vais maintenant vous montrer comment fonctionnent ces lois ; si vous les ignorez et si vous n'avez aucune notion des méthodes qui permettent de les appliquer, la théorie, dans son ensemble, si rationnelle qu'elle puisse être, ne serait pas aussi satisfaisante que celle que j'espère vous donner.